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Dossier #5 : La vie d'hommes infâmes - Guest - 17-11-2007 Exil #5 - Cette affaire a commencé comme ça : une danseuse de cabaret retrouvée pendue dans sa loge. - Et alors ? - Descente de SÛRETÉ. Ensuite, c’est un flic qui s’en va, et un autre qui arrive. - Qui donc ? - Le nouvel arrivant est un monstre d’obésité. Par l’épaisseur, il en vaut presque trois. - Et par l’intelligence ? - Tu sais ce qu’on dit : un commissaire averti en vaut deux. - Qu’en pensent nos policiers ? - Ils n’ont pas le temps de se faire une opinion. Ils sont sur une histoire qui sent très, très mauvais. - Parce que ? - Parce que la politique s’en mêle. Et que les ramifications de cette affaire dépassent le cadre de leur quartier. - Par exemple ? - Par exemple, il y a une seconde corpole qui entre en jeu. - Bigre… - On découvre un peu plus ce qui se passe au-dessus de Mägott Platz. Et aussi en dessous… DOSSIER #5<!--sizec--><!--/sizec--> Dossier #5 : La vie d'hommes infâmes - Guest - 17-11-2007 EXIL
Dans la nuit éternelle d’Exil, Les lampes grasses brûlent, timides. Les mitiers plongent dans la brume au bout de leurs fils Et les passerelles rouillent dans l’air humide. Créatures, anges, gouffres, orages : L’insondable noirceur de l’océan Noie les explorateurs du large. Les ballons – taxis sont des dessins d’enfant. Machines qui rêvent, vapeurs merveilleuses Trams, Cité des métamorphoses industrielles. Lune branchée à l’électricité universelle ! L’insomnie règne et l’angoisse creuse Des cauchemars hypersensibles Dans Exil, dédale de l’acier et du vide.<!--sizec--><!--/sizec--> Dossier #5 : La vie d'hommes infâmes - Guest - 17-11-2007 DOSSIER #5<!--/sizec-->
LA VIE D'HOMMES INFÂMES<!--/sizec--> SHC 3 - RUS 3 - IEI 0 Les clients, surpris, étaient gentiment poussés vers la sortie. Les plus récalcitrants se voyaient offrir par la maison un dernier verre pour la route. - Je suis désolé, messieurs dames, nous fermons… Désolé, vraiment désolé… Le petit homme grassouillet qui était le patron se frottait nerveusement les mains, pendant que le vigile répétait, laconique, inlassable : - Bonne soirée, messieurs dames. Nous fermons… Bonne soirée… Quand on réussit à mettre le dernier poivrot dehors, le patron, adossé à la porte d’entrée, soupira et faillit s’asseoir là, par terre. Il se fit servir un remontant au comptoir, qu’il avala d’une gorgée, avant de reposer le verre et de partir vers les coulisses. Les deux policiers examinaient le corps de la danseuse. - Evidemment, ce n’est pas très joli à voir, dit le patron, comme pour s’excuser. L’air vaguement ennuyé, l’inspecteur Maréchal se roulait une cigarette. A l’intérieur de la loge, le corps de la jeune femme pendait au crochet, la gorge serré autour du bas nylon qui l’étranglait, et qui menaçait de se déchirer. - C’est solide, ces bas-là ? demanda Portzamparc. - Que voulez-vous dire ? Portzamparc fit décrocher la danseuse. On put enfin la mettre sous un drap. Le détective examinait toujours le bas. - Peut-être que la Scientifique a des archives sur les tests de résistance du nylon, ricana Maréchal, qui avait envie de rentrer. Une danseuse retrouvée pendue à la Dentelle Rose. Appel du patron, qui dérangeait Maréchal dans son bureau. Descente des deux policiers. On faisait évacuer en avance le cabaret. Bien sûr, personne n’avait touché à rien. Portzamparc sentait qu’un détail clochait, à propos de ce bas. Maréchal se demandait si Madame de Portzamparc portait les mêmes… - Moi je vous dis, affirma le détective, inquiet, qu’elle n’a pas pu être pendue avec ça… Pas assez résistant. - Elle s’appelait donc… « Juliana » ? demanda Maréchal, routinier. - C’était son nom de scène, oui… souffla le patron. Etait-il triste de la mort de sa danseuse vedette ? Ou triste du manque à gagner pour ce soir ? Feuillantin était déjà en route. C’est lui qui était d’astreinte ce soir. On savait que Gaston Rainier, l’officier de la Scientifique, aimait multiplier les heures supplémentaires pour ses stagiaires. - Bon, qui pouvait lui en vouloir ? demanda l’inspecteur. - Mais enfin, c’est absurde… - Oui, oui… Depuis combien de temps était-elle votre employée ? Le réceptionniste vint annoncer qu’on demandait la police au parlophone. L’inspecteur y alla, pendant que Portzamparc, un bloc à la main, posait les questions d’usage. - Ca a l’air urgent, dit le réceptionniste, un petit homme malingre à la voix éraillée. - Maréchal, j’écoute. Il n’entendit d’abord qu’un lourd vacarme. Il crut que la ligne était détraquée. Il secoua le combiné, comme si cela pouvait réparer le réseau. - Maréchal à l’appareil ! cria-t-il. Il distingua une voix, presque complètement recouverte par le bruit sourd de derrière. - Maréchal ? - Oui, c’est moi… La voix était inquiète. - Maréchal, écoute-moi… Il avait reconnu, cette fois, la voix de l’inspecteur Boncousin. - Maréchal… L’angoisse montait. - Je t’écoute ! Où es-tu ? - Ecoute, Maréchal… C’était presque des pleurs maintenant. Et un halètement. - Ecoute, vieux… Souviens-toi… - De quoi ? - C’est l’homme à la tête de rat, Maréchal ! Il avait terminé sa phrase par un cri. Puis une détonation. - Boncousin ! Plus que le vacarme. - Boncousin !... On raccrocha. L’inspecteur dut s’asseoir. Il avait pâli. Il alla se faire servir un remontant au bar, qu’il avala d’une gorgée. - Je viens d’avoir un appel de Boncousin, cria-t-il à Portzamparc en se précipitant en coulisses. - Alors ? - Ca a l’air malsain… - J’allais vous dire ! fit le patron, presque guilleret. Votre collègue était avec nous ce soir ! Ce monsieur Boncousin, je l’ai reconnu… - J’y vais, dit Maréchal. Je crois que je sais d’où il appelait. - Je reste ici, dit Portzamparc. - Oui, et tu attends l’arrivée de la Scientifique. L’inspecteur se rua dehors. Dans le cabaret, on se regardait, gêné. - Bien, reprenons, toussota Portzamparc. * Un lieu où puisse retentir, en plein milieu de la nuit, un bruit assourdissant comme celui qu’il avait entendu, Maréchal n’en connaissait pas deux. L’inspecteur vérifia dan sa course que son révolver était bien chargé et, au passage, il recruta un Pandore qui faisait le planton rue Croulebarbe. Il fallut courir dix bonnes minutes, à en perdre haleine. C’était Maréchal, maigre et fumeur, qui accusa le coup en premier. Mais on était arrivés ! Les usines Vanstrupp, mobilier industriel. Un gardien faisait une ronde avec son chien, derrière une grande grille surmontée de barbelés. - Sûreté ! cria Maréchal en se précipitant à l’intérieur, en évitant le chien qui lui aboyait dessus. On entra dans l’usine qui vibrait du vacarme qui régnait à l’intérieur. Oui, c’était bien le même bruit que celui entendu au parlophone. Les deux policiers entrèrent dans l’immense hall de montage, où les équipes de nuit s’affairaient, sous les cris des contremaîtres. Des pièces passaient sur les tapis roulants, d’autre au plafond sur les rails et on voyait des ouvriers alignés à leur poste, jusqu’au fond indiscernable de l’usine. Des machines étaient assemblées, qui partaient vers d’autres usines où elles feraient marcher les chaînes de montage. - Vous avez le parlophone ici ? cria Maréchal à un responsable. - Oui là-haut ! L’inspecteur, mort d’inquiétude, monta l’escalier en fer et arriva sur la coursive. Il repéra tout de suite une porte qui avait été enfoncée. C’était le bureau du sous-directeur. Maréchal se jeta dans la pièce, le révolver braqué. Personne. Il fit de la lumière. Il jeta un œil derrière le bureau, le fauteuil. Personne. - Personne n’est entré ici depuis la fin de la journée, dit le superviseur. - Ah non, dit Maréchal, coléreux, le front en nage, et ça ? Des gouttes de sang sur le bureau. On avait mal essuyé. La fenêtre à guillotine était mal refermée. L’inspecteur, furieux, l’ouvrit. Deux mètres plus bas, le toit ondulé de l’usine, une grande plaque sous une grande étendue de nuit. Et les autres usines, noires, silencieuses. Maréchal enjamba le rebord, assura son appui sur la corniche et sauta sur le toit. Il enfonça légèrement la tôle. Juste à côté d’où il avait atterri, un autre impact, plus gros que le sien. Le vent soufflait. Maréchal sentit le désespoir s’abattre sur lui. Il voulait crier à Boncousin de sortir de cette nuit d’acier et de hurlement, de donner signe de vie… Le brouillard s’épaississait. On ne voyait presque plus au loin. Maréchal erra au hasard, sur le toit, sentant peu à peu son inutilité, son impuissance. C’était trop grand par ici, trop grand… Et il ne voulait l’aide de personne. Boncousin… Il courut dans un sens, puis dans un autre… Il put descendre du toit, plus loin, à l’échelle. A l’autre bout de l’allée passait un canal d’évacuation des eaux industrielles. Maréchal courut dans ce petit univers vide, sur le pavé entre les silhouettes noires, gigantesques des usines. Il s’arrêta pour souffler. Au bout d’une petite rue, il aperçut une silhouette étrange. Un obèse. Fermement posé sur ses jambes arquées, avec son énorme manteau et son petit chapeau melon. Une canne à la main. Il disparut derrière un bâtiment. - Hé vous ! Enragé, Maréchal lui courut après. Quand il arriva au coin de la rue, c’était trop tard : un tram venait de démarrer. Dans la lumière crue de la rame, l’inspecteur vit nettement l’obèse, accroché à la main courante. L’inspecteur revint vers l’usine. Il retourna dans le bureau du sous-directeur, où le Pandore ne savait comment occuper sa grande carcasse. Il appela la Dentelle Rose. Au bout de quelques minutes, il eut le cabaret : - Vous direz au détective que je le retrouve à la « maison ». Puis le commissariat : - Les usines Vanstrupp… Cette fois, Rainier, j’ai peur qu’il faille venir vous-même… Dossier #5 : La vie d'hommes infâmes - Guest - 21-11-2007 DOSSIER #5<!--sizec--><!--/sizec-->
- Bien, alors, mesdemoiselles… Les cinq autres danseuses, frileuses dans leurs manteaux hâtivement jetés sur leurs épaules, regardaient le détective comme des petites filles. Leurs larmes faisaient couler leur maquillage. - Que pouvez-vous me dire sur… « Juliana » ? Portzamparc dut écouter ces superbes jeunes femmes pleurnicher comme des gamines et, entre deux sanglots, lui raconter trois anecdotes banales sur la victime, sa gentillesse, son talent… - Bien, je vous remercie. Il les congédia. - Attendez… « Rebecca », c’est bien votre nom ? La danseuse se retourna. - J’ai encore quelques questions à vous poser… Elle resta sans hésiter. Elle jeta un regard au détective qui montrait qu’il avait bien choisi. Portzamparc avait senti que c’était elle qui avait le mieux connu Juliana. Rebecca se fit servir un café. Elle était plus posée, moins immature que les autres. On passa dans la salle, où le serveur, comme à l’habitude, rangeait les chaises et passait le balai par terre. Le rideau à paillettes était refermé et le patron attendait au comptoir, en faisant des messes basses avec son serveur. Portzamparc s’assit à califourchon sur la chaise. - Alors, Rebecca… L’ambiance était plus intime. Les serveuses partaient par la petite porte. Elles allumaient une cigarette avant de retrouver la rue humide. - Puis-je vous demander votre vrai nom ? - Thérèse Robuchon, fit-elle sans gêne. Bien sûr, cela cassait le charme… Quoique… - Thérèse, vous connaissiez bien Juliana ? - Un peu… - Vous étiez ici depuis longtemps ? - Moi depuis quatre ans. Elle depuis cinq. C’était la doyenne, si je puis dire. Vous savez, c’est déjà rare de rester si longtemps dans un même établissement. Portzamparc fit un petit signe à Feuillantin, qui entrait dans le cabaret et se mettait au travail. - On a fait plusieurs numéros ensemble, expliquait Thérèse. On marchait bien. On avait un bon contact. Et du succès aussi. - Pas de jalousie ? - C’était elle la vedette. Personne ne le discutait. Donc… - Donc ? - Donc personne ne lui volait la vedette. - Personne ? - Non, c’était la meilleure. C’était une grande sœur pour nous. Un modèle. - Elle aidait les autres ? - Oui, elle était toujours là pour écouter nos petites misères. Pour nous encourager, nous donner des conseils. Pour savoir comment s’y prendre avec les clients. - Vous vous voyez, entre danseuses, en-dehors d’ici ? - En fait, non, pas vraiment. Je sais que « Juliana » a hébergé l’une ou l’autre d’entre nous, quand elle en avait vraiment besoin. Pour échapper à un petit ami trop violent, ce genre de choses… - Je vois. Et vous, vous la fréquentiez ? - Pas tellement. Nous ne connaissons pas notre vie. C’est bizarre, hein… Mais on a même peine à imaginer que les autres ont une vie à l’extérieur. - Vous ne sortiez pas ensemble ? - Si, quelques fois… La dernière fois, c’était il y a deux jours. On est allé faire des courses. Elle cherchait un cadeau pour sa mère. - Comment était-elle ? - Bien. Normale… - Pas de souci particulier ? - Non. Elle semblait heureuse ici. Elle disait qu’elle ne voulait rien changer. - Elle comptait rester ici encore longtemps ? - Probablement. Je crois que le patron l’avait à la bonne. Il l’aurait fait monter en grade. Pour recruter des filles par exemples. Peut-être qu’il l’aurait épousée, au bout du compte… - Et vous ? - Moi j’avais, et j’ai toujours, l’intention de ne pas faire de vieux os ici… - Pourquoi ? - C’est un métier trop épuisant. Et puis j’en ai marre de montrer mes cuisses aux vieillards libidineux… J’aspire à autre chose. Je voudrais me lancer dans le théâtre. Je passe une audition, la semaine prochaine, avec une troupe très intéressante… - Que va dire le patron si vous partez ? - Il va faire semblant d’être triste. Et le lendemain soir, j’aurai une remplaçante. - Bon, je vois. Donc vous avez vu « Juliana » voici deux jours. Et ce soir, quand l’avez-vous vue pour la dernière fois ? - Un peu avant son numéro. Disons une heure avant. Traditionnellement, le patron la fait passer en milieu de nuit. C’est son heure. Les clients le savent. C’est la vedette, je vous l’ai dit. C’est à cette heure-ci qu’on fait salle comble, généralement. - Vous l’avez vu une heure avant, vous dites ? - Oui, elle reste une bonne heure, seule, dans sa loge, à se préparer. - Elle ne voit personne pendant ce temps ? - C’est rare. Elle est, elle était… devrais-je dire… très disponible le reste du temps, mais pas avant son spectacle. - Elle avait des admirateurs ? - Vous voulez dire des mecs vraiment accrochés à elle ? - Oui. - Quelques-uns, occasionnels. A l’occasion, le patron ou le vigile, selon le client, se chargeait de faire comprendre que « Juliana » n’était pas disponible. - Vous n’avez pas l’air de trop pleurer sa mort ? - Parce que je ne chouine pas comme les autres ? Si vous voulez tout savoir, dès que cet entretien sera terminé, j’irai au bar du Negresco, me saouler la gueule jusqu’à l’aube. Ça vous va ? - Oui. Je vous remercie. Elle partit se changer. Le garçon attendait, appuyé sur son balai. Le patron terminait un dernier verre en bavardant à voix basse, pendant que le serveur, très attentif, approuvait chacune de ses paroles. Portzamparc voulut interroger le patron, mais il vit qu’il n’était plus en état. Feuillantin avait terminé son tour des lieux. Le réceptionniste, son manteau sur le dos, vint dire que l’inspecteur Maréchal avait appelé. * - Les obèses sont rares en Exil. Sampieri écoutait l’inspecteur, mais Maréchal parlait surtout pour lui-même. - Surtout à Mägott Platz, où les gens travaillent dur. Certains nobles se goinfrent et finissent impotents. Mais cet obèse-là n’avait l’air de sortir de la haute. Portzamparc et Feuillantin étaient de retour. Autour d’un café, Maréchal fixa la suite du programme de la nuit : - On va aller voir chez Boncousin, Portzamparc et moi. Il n’habite pas loin d’ici. - Je vais rejoindre Rainier à l’usine, dit Feuillantin. Le café était très amer. C’était le café des nuits sans fin. - SÛRETÉ, dit Maréchal en montrant sa plaque à la concierge. La porte de Boncousin avait trois serrures, les autres appartements n'en avaient qu'une ou deux. Il habitait au troisième, face escalier. Maréchal avait emporté son passe-partout. Il fit jouer les loquets et la porte s’ouvrit. Les policiers firent le tour du propriétaire. - C’est la première fois que je viens chez lui, remarqua l’inspecteur. Pourtant, Maréchal connaissait Boncousin depuis quatre ans. Boncousin qui était le doyen du commissariat. Il était plus âgé que Novembre, mais il n’était jamais monté en grade. Pourtant, tout le monde savait qu’il avait la carrure d’un commissaire. Mais il ne semblait pas faire tellement d’efforts pour progresser. Dans l'appartement, tout était bien rangé. Les mules au pied du lit. Le lit bien fait. Pas de poussière. Une bibliothèque bien fournie, épousseté elle aussi. Pas de vaisselle sale. Un célibataire méticuleux. Un siège en cuir au bureau. Des dossiers classés. Une chemise en cuir avec ses initiales : PB. Patrick Boncousin. Il aurait eu vingt ans, on aurait dit qu’il était bon à marier ! Mais à l’approche de l’âge de la retraite, on l’imaginait mal passer la bague au doigt d’une femme. On n’osait pas trop allumer la lumière chez lui, comme s’il fallait respecter une certaine ambiance tamisée, chez cet homme qui n’était peut-être plus de ce monde. - Tiens, il fréquentait du beau linge, nota Portzamparc. Dans un sous-main, il venait de trouver un carton d’invitation, à une soirée de gala. - La corpole Donnasserne. Un vin d’honneur pour le départ d’un administrateur du groupe. - Le beau monde, dit Maréchal, et le monde de la nuit. Sous le lit, il avait déniché une charmante culotte en dentelles et des bas. Dans le tiroir de la table de nuit, une photo dédicacée. - Elle était belle, avant qu’on lui passe du nylon au cou, remarqua Maréchal. C’était bien une photo de la victime, « Juliana ». C’était attendrissant de découvrir cette passion de Boncousin. Lui si discret sur sa vie privée. Tellement absorbé dans son travail. Toujours ouvert aux autres, mais finalement très réservé. Boncousin, en adoration devant une petite danseuse de cabaret… Dossier #5 : La vie d'hommes infâmes - sdm - 22-11-2007 La prochaine fois c'est moi qui interrogerai les danseuses et le detective de Portzamparc qui ira cavaler sur les toits ![]() Dossier #5 : La vie d'hommes infâmes - Guest - 26-11-2007 DOSSIER #5<!--sizec--><!--/sizec-->
Au commissariat, Sampieri s’était chargé de mettre en branle les Pandores, et d’appeler les mitiers. A chaque heure qui passait, c’était des chances en moins de retrouver le policier. C’était le petit matin quand les deux policiers rentrèrent au commissariat. Novembre, tiré du lit, réunissait tout le monde. Il écouta ce que l’inspecteur et le détective avaient trouvé dans la nuit. - Donc, la seule piste, pour le moment, c’est cet homme à tête de rat. - Voilà. Boncousin m’en a parlé, affolé, et c’est tout… - Donc c’est lui qu’on doit retrouver. - On va tout faire pour, dit Rampoix. Novembre finit son café. - Bon, il y a autre chose les enfants. J’ai appris que la bande à Fufu Carambouille a été relâchée sous caution. C’est eux qui ont payé. Chez Gino, ils avaient dû se constituer une cagnotte, en cas de coup dur. Donc j’espère que ces zigues là ne vont pas poser de problème. « Deuzio, je suis officiellement en congé à partir d’aujourd’hui. J’ai promis à ma femme qu’on partait sur le bord de mer. On prend le train tout à l’heure... Les policiers eurent du mal à cacher leur surprise. Novembre enchaîna : - Si ça tourne mal, vous m’appelez, et je rapplique dans la journée, d’accord ? - Entendu, patron. - Ça m’embête vraiment de vous lâcher maintenant, les enfants, mais il faut que je pense à moi. Il doit y avoir deux ans que je n’ai pas pris mes congés… - C’est normal, patron, on comprend. On devinait que c’est le médecin qui avait obligé Novembre à partir se reposer et lui avait signé un arrêt de travail. Madame Novembre devait aussi être derrière. - On va se renseigner chez Gino, dit Portzamparc. Et je me dis qu’on pourrait aussi faire des recherches sur les dernières affaires menées par Boncousin. - Tu lanceras une demande directement auprès d’ADMINISTRATION, dit Novembre. En espérant qu’ils répondent vite. Maréchal alla s’allonger dans son hamac. Pendant que le jour pointait timidement, il fuma, et la cigarette éteinte au coin de la bouche, il s’endormit. Sa respiration devint régulière. Son mégot tomba, alors qu’il commençait à ressentir la douce chaleur du sommeil. C’est Rampoix qui le réveilla. - Maréchal… - J’arrive… Rampoix faisait une sale tête. - On vient de le retrouver. Les policiers, dans le jour gris d’Exil, se retrouvèrent rue du canal bleu, sur le quai. On avait repêché l'inspecteur disparu. Tout le monde se recueillait. Le gros corps rondouillard de Boncousin était là, gorgé d’eau, défiguré. C’était bien lui. Et pourtant, il était méconnaissable. Novembre, plein de dégoût, devait partir. Rampoix, les poings serrés, jura qu’il n’aurait aucun repos avant d’avoir trouvé le tueur. L’homme à la tête de rat ?... Rampoix cracha dans l’eau et regarda les cercles s’élargirent et disparaître. * Les deux policiers descendirent la volée de marche et Maréchal poussa la porte vitrée de chez Gino. La bande des virtuoses du banditisme à la petite semaine était attablée, à jouer aux cartes. Les deux policiers allèrent tout de suite s’asseoir. - Aujourd’hui, messieurs, annonça Maréchal, on va faire bref… - Qu’avez-vous à dire sur la Dentelle Rose ? demanda Portzamparc. - On y est déjà allés… - La nuit dernière, par exemple ? - Ah non… - J’imagine que vous êtes un peu au courant ? - Sale histoire pour vous, dit Jojo les Ratiches, de son air le plus compatissant. - Arrête ton numéro, fit Maréchal, cassant. Dis-nous plutôt ce que tu sais sur l’usine Vanstrupp. - Jamais travaillé là-bas. - Rien à dire à ce sujet ? - Vous savez, nous, on était partis prendre l’air, ces derniers temps… Ils étaient fermés comme des huîtres. - Les prolos comme nous ne vont pas souvent à la Dentelle Rose. On est mieux ici à taper le carton. - Un type à tête de rat, ça vous dit rien ? - Ah si, fit Riri la Balafre, on a entendu parler d’un type de ce nom, il y a sept ou huit ans. « Gueule de rat », on le surnommait. Il ne disait pas ça pour se moquer du monde. Il voulait sincèrement aider les policiers - Gueule de rat, hein… Il pourrait être notre homme. - Donc vous allez vous renseigner dessus, hein, suggéra Portzamparc. Et nous donner rapidement les résultats de vos recherches, qui seront, j’en suis sûr, fructueuses… Maréchal finit le verre de Gros Louis « Barre de Fer » et les policiers levèrent la séance. Le matin, les recherches au commissariat avaient donné une piste : la seule famille la danseuse morte consistait en une vieille tante. - Je vais aller fouiller chez « Juliana », dit l’inspecteur. Toi tu iras présenter les condoléances de SURETÉ à cette dame. - Entendu. Maréchal montra à la concierge la photo dédicacée. - Cette femme loge bien ici ? - Oh oui, certainement… - Comment s’appelle-t-elle ? - Noémie. Noémie Ranaud. La grosse concierge perdait contenance devant le policier. - Il lui est arrivé quelque chose ? Maréchal ne répondit pas et se fit conduire à l’appartement. La concierge ouvrit la porte. C’était un petit deux pièces, avec une cuisinière, un coin douche, une petite chambre. - Noémie Ranaud, vous dites... Au mur, une affiche d’elle, que Maréchal avait vue également au cabaret. Maréchal n’aimait pas les affiches de danseuses… - Elle voyait du monde ? - Non, pas trop, pas que je sache… Elle mentait mal. - Vous feriez mieux de répondre… Maréchal la fixa droit dans les yeux. - Si, c’est vrai, occasionnellement… - Elle voyait quelqu’un ? - Un monsieur très bien. - Comment "très bien" ? - La trentaine, , dit rapidement la concierge, il est très bien habillé. Des gants, une serviette sous le bras. De beaux souliers vernis. Un monsieur comme on n’en voit pas par ici.. - Comment s’appelait-il ? - Je n’ai jamais parlé avec lui !... Je sais juste que c’était le genre romantique. Il venait souvent avec des fleurs. Il était très élégant. Bien parfumé… - Vous n’avez rien noté de particulier à son sujet ? - Mais non… - Mais moi je vous dis que si, ou que ça va se continuer au commissariat, cette conversation ! - D’accord, d’accord… - Il vous a donné combien pour vous taire ? Elle était atteinte dans son honneur. Les larmes lui vinrent aux yeux. Seulement, Maréchal n’avait pas de temps à perdre. - Alors, j’attends… - Je crois bien qu’il travaillait pour une grosse entreprise… - Laquelle ? Toute concierge qu’elle était, à essayer de passer pour plus ignorante qu’elle était, elle savait des choses. - Les Donasserne, je crois bien. - Très bien. Vous voyez quand vous voulez... La concierge tremblait. - Vous pouvez aller nettoyer l’escalier. Maréchal sentait qu’il battait des records de galanterie. Il continuerait comme ça tant que l’assassin de Boncousin ne serait pas retrouvé ! Qu'on se le dise ! Il retourna l’appartement. Maintenant qu’elle était morte ! Il se passa les nerfs sur les tiroirs, les affaires, la vaisselle… Au palier d’au-dessus, la concierge était effrayée. A la fin, il mit la main sur une lettre glissée dans une enveloppe au papier parfumé. Avec le cachet des Donasserne. Il l'ouvrit. Une belle écriture, avec une encre d'un bleu roi. Une lettre d’amour enflammée, avec plein de vocabulaire sensuel, lyrique, érotique… Un chef d’œuvre. C’était comme ça, Maréchal en voulait à tout le monde, et ses collègues étaient dans le même état. Oui, qu’on se le dise ! La concierge, devenue plus conciliante, se permit de revenir dans l’appartement et dit : - Inspecteur, il y a le monsieur du troisième, monsieur Dupoule, qui dit qu’il a des révélations à faire. Pour commencer, Maréchal aurait bien embarqué ce Dupoule, pour délit de nom de famille ridicule. Ensuite, il découvrit un petit vieux, assis avec un plaid sur les jambes. Il lui fit pitié. Ce qui l’énerva. - Il y a deux jours, dit-il de sa voix chevrotante, je l’ai entendue crier. Elle était effrayée. - Quelqu’un était avec elle ? - Oui, je crois bien. - Quand a-t-elle reçu de la visite pour la dernière fois ? - Je crois qu’il y a eu quelqu’un la nuit dernière. - En début de nuit ? - Oui. - C’était le monsieur élégant, dit la concierge. - Et il y a deux jours ? demanda Maréchal. - C’était un autre, dit la concierge. Elle avait les larmes aux yeux. - Il était comment ? - Oh, une sale tête… Un monsieur vraiment vilain… Une tête de, comment dire ?... - Une gueule de rat ? - Voilà ! Elle était soulagée de l’avoir dit. - Bon, dit Maréchal, à cette heure-ci, les gens sont au travail. Mais vous les préviendrez ce soir que SÛRETÉ enquête. Donc s’ils savent quoi que ce soit… - Compris ! * Portzamparc sonna à la grille. La maison des camélias. On était dans un quartier résidentiel, Leclos-Villers, pas loin de la rue Verte. Que des belles demeures fleuries, habitées par des rentiers, et surtout des rentières, le genre chipie à jouer au loto en discutant chiffons et œuvres de charité. - Je voudrais voir madame Ranaud, dit Portzamparc au gardien. Ce dernier lui ouvrit la grille. Dans le grand parc jonché de feuilles mortes, des dames en blanc promenaient de petites vieilles en fauteuil. On y sentait le propre, le calme. - A cette heure-ci, expliqua solennellement l’infirmière chef, une forte femme qui devait mener ses troupes à la baguette, madame Ranaud boit son thé et coud des napperons pour la fille d’une autre de nos pensionnaires, madame Golivier. Justine Ranaud était ravie de recevoir de la visite. Mais un peu surprise quand même. - Madame Ranaud, dit Portzamparc, je viens vous voir au sujet de votre nièce, Noémie… Une heure plus tard, Portzamparc repartait les mains dans les poches. Il s’arrêta boire un verre au troquet le plus proche, qui était désert à cette heure-ci. Il était contrarié. - Visite à une vieille tante malade ? - Pas tout à fait, dit le policier. Justine Ranaud n’était pas aussi gâteuse et niaise qu’elle le laissait paraître. Elle était bouleversée par la mort de sa nièce, mais elle ne tombait pas des nues. - Mon dieu, c’est horrible… Elle avait pleuré tout son saoul devant ses amies et l’infirmière-chef, qui avaient eu des mots attendrissants pour elle. Et elle en avait sans doute besoin. Puis elle avait proposé à Portzamparc de l’emmener respirer dans le parc. Le détective l’avait alors conduite sur sa chaise roulante. - Je ne suis pas si surprise, en réalité, de ce qui est arrivé à Noémie. C’est malheureux à dire, car c’était la meilleure fille du monde. Mais voilà… Elle vivait dans un tel milieu… - Je lui disais qu’elle valait que mieux que cela… Elle avait passé l’âge. Il était temps pour elle de se trouver une situation. - Elle avait quelqu’un dans sa vie ? - Oui, elle me l’avait dit. Quelqu’un de très bien, très élégant. Avec une bonne situation. Vous ne pouvez pas savoir ce que j’étais heureuse… Je lui ai dis que pour elle, c’était le bout du tunnel. Les arbres perdaient de grandes brassées de feuilles. Des oiseaux chantaient. - Elle était heureuse ? - Oui, je crois. Elle avait enfin une porte de sortie. Finis les amants d’un soir… Oh, je sais bien comment ça se passe, allez… - Ils voulaient se marier ? - Peut-être. Elle en a eu l’intention, un moment. Et puis, ces derniers temps, elle semblait moins y croire. - Pourquoi ? - Je ne sais pas. Elle disait que finalement, c’était un bellâtre, un prétentieux. Je n’ai pas compris ce revirement, mais c’est vrai que les hommes peuvent tellement tromper les femmes… Je m’excuse, monsieur… - Il n’y a pas de mal, dit Portzamparc. - En fait, dit la vieille dame, je crois que ce « bellâtre » en question avait des ennuis dernièrement. Noémie ne l’a pas exposé comme ça, mais j’ai cru comprendre… - Des ennuis au travail ? - Oui, quelque chose qui faisait dire à ma pauvre nièce que sa situation, à cet amant, n’était pas si brillante. - Mais pourquoi la tuer, elle, si c’était son amant qui avait des ennuis ? - Oh, je ne sais pas, détective, je ne sais pas… Rentrons, voulez-vous. L’air fraîchit. C’est une pauvre femme éplorée que Portzamparc avait quittée. Pas si bête, mais bouleversée. - Que vais-je devenir, maintenant ? Elle était pour ainsi dire ma seule famille… J’en ai connu, d’autres pensionnaires d’ici… Le jour où leur dernier parent a disparu, elles n’ont pas mis longtemps à partir… Portzamparc prit le tramway pour retourner à Mägott Platz. Il tirait de cette entrevue qu’il fallait se concentrer sur l’amant. La rame se mit en marche dans un bruit de grincement. Quitter ces rues fleuries pour retrouver la brume industrielle, les rues populeuses... * Au commissariat régnait une activité fébrile. Rampoix avait interrogé le vigile de la Dentelle Rose, un physionomiste. Il avait permis d’établir un portrait-robot précis du bel amant de Juliana. On entrevoyait déjà une rivalité potentielle entre lui et… Boncousin. Le bellâtre et le brave flic. On allait maintenant s’intéresser aux employés de la corpole Donasserne pour mettre un nom sur l’amant. Dans les dossiers de Boncousin, on n’avait rien trouvé sur la Tête de Rat ni sur Juliana, alias Noémie Ranaud. Mais comme on savait qu’il existait un lien entre le policier et les Donasserne, on continuait à chercher : pourquoi ceux-ci avaient-ils invité Boncousin à un vin d’honneur ? Le bel amant, jaloux, serait-il allé jusqu’à embaucher un tueur (la Gueule de Rat) pour éliminer un prétendant ? Pour les beaux yeux de Juliana ? Sampieri était retourné interroger la concierge. Elle n’avait rien dit de plus mais son mari, en pleurs, avait fini par avouer que l’homme à tête de rat, lors de sa première visite, avait menacé de tuer la femme d’abord, devant le mari, avant de s’occuper de lui. - "Je te ferai crever lentement", qu’il m’a dit… Mort de peur, le couple n’avait rien dit lorsque Gueule de Rat était revenu, deux jours après. - Portzamparc, un appel pour toi ! C’était Rampoix. Il le disait d’un ton convenu, que tout le commissariat reconnaissait. Gêné, Portzamparc alla prendre le combiné en tâchant de s’isoler. Pendant que Sampieri disait : - Ah, l’amour… - C’est toi ? fit Portzamparc. Non, je ne rentre pas encore… Oui, tu sais avec ce qui est arrivé… J’en ai pour une partie de la nuit… Ne m’attend pas… Non… Il revint, les joues empourprées, travailler à son bureau. Lui et Maréchal firent le bilan de la journée. Ils avaient bien avancé. Ils allaient attraper sous peu la Gueule de Rat, ils le sentaient. Portzamparc se jurait déjà de s’en occuper. - Je vais rester ici, en attendant les réponses d’ADMINISTRATION… Rampoix, aussi, qui n’avait pas arrêté depuis la mort de Boncousin, allait faire la nuit. - Alors bon courage, dit Maréchal en enfilant son manteau. Dossier #5 : La vie d'hommes infâmes - Guest - 28-11-2007 DOSSIER #5<!--sizec--><!--/sizec-->
Le policier rentra chez lui par le chemin des écoliers. Il repensait à l’obèse aperçu près des usines. Depuis l’appel au cabaret jusqu’à la découverte du corps du noyé, il avait passé une des soirées les plus sinistres de sa carrière. Il se sentait à cran. Il était très fatigué, mais aussi trop nerveux pour s’endormir avant longtemps. Il lui fallut l’aide de sa bouteille. Il se mit au lit, en attendant que le sommeil passe, comme un ange… Il tourna et se retourna, les yeux grand ouverts. Les heures passèrent. Il trouvait le temps long, mais il avait peine à croire que deux heures s’écoulèrent, durant lesquels il ne somnola même pas. Il était encore mieux éveillé que pendant la journée. Finalement, à force de se battre avec son oreiller, il se fatigua ; le sommeil revenait ; il se força à rester immobile, et il ferma les yeux. Il respirait profondément. Il se frotta les yeux, car de la fumée de cigarette lui piquait les yeux. - Qu’est-ce que je vous sers, inspecteur ? Il bâilla, soupira. Il avait somnolé sur son tabouret. Le pianiste entonnait sa ballade langoureuse de début de soirée. - Les maniaques, les insomniaques, et la serveuse qui demande… Il était bien chez Emma, habillé de son imper et de son chapeau mou. Il se frotta encore les yeux. - Un demi, dit-il, par réflexe. Il se tourna vers la salle. Comment était-il arrivé ici ? Il ne se souvenait pas avoir quitté son lit. Peu de monde ce soir. Le professeur Julius Heims, avec une accorte serveuse sur les genoux. Il lui payait un verre. - Je peux venir avec toi, ce soir, mon chou ? - J’ai du travail, fit Heims qui fumait, les yeux dans le vague. - S’il te plait… Maréchal but son verre, distrait. - Et si ça ne me plait pas ? - Tu es méchant… L’inspecteur commanda un autre verre et consulta sa montre. SHC 3 RUS 0 IEI 0 Il en déduisit qu’il ne se portait pas si mal. Un Syndrome indice 3, il avait connu pire ! La serveuse, vexée, allait porter des consommations. Maréchal s’approcha de l’homme de science : - Bonsoir, professeur… - Inspecteur, comment allez-vous ? C’était moins de la politesse qu’une demande de médecin. - Bien, docteur. Mais je ne sais même pas comment je suis arrivé ici. J’ai quitté le commissariat. Je suis rentré chez moi, et puis… - Peu importe. Ce qui compte, c’est de profiter de la musique. - Si vous le dites… - Il faudra venir me voir, un jour, à mon cabinet. Que nous discutions… - Oui, j’oubliais que vous me l’aviez proposé… - Appelez-moi. Heims remettait son chapeau et ses lunettes. La serveuse en faisait exprès de lui tourner le dos. - Le devoir m’appelle. La serveuse vint ramasser son verre brusquement. - Excusez-moi, dit-elle. Maréchal partait. Il entendit le professeur donner une petite claque sur les fesses de la serveuse. On n’allait pas se quitter fâchés ! L’inspecteur alluma une cigarette et passa la porte. Il se retourna. Il n’avait pas éteint la lumière chez lui avant de s’endormir. Il s’était assoupi tout habillé. Son cendrier fumait encore. Il passa sous la douche et retourna se coucher. Il se sentait presque euphorique. Il entendait encore, au loin : - … de la froide caféine et un nuage de nicotine… * De bon matin, l’inspecteur arrivait à son bureau. Portzamparc était finalement rentré chez lui. Rampoix, hagard, avait passé la nuit à attendre, en vain, une réponse d’ADMINISTRATION. Il avait fumé des cigarettes à la chaîne, en arrêtant de se poser des questions après six heures d’attente. Maintenant, il était assis à son bureau et il fumait, c’était tout. - Ça va, ce matin, inspecteur ? Rampoix fit la moue pour répondre. - Doucement… - La nuit a été longue. - Un peu… - Il y a un problème ? - Non, pas vraiment… A son air, on voyait qu’il y avait un problème. - Tu peux me dire… - Je ne sais pas… Je suis resté tellement de temps… Enfin, ce n’est pas très grave… - Dis toujours. - C’est le bureau dans l’entresol… Tu sais, ce local qu’on n’utilise jamais… - Et bien ? C’est vrai qu’il y avait une pièce qui servait à entreposer tout et n’importe quoi : aussi bien que le matériel pour le ménage ou des vieux bureaux que les dossiers antédiluviens. - J’ai l’impression qu’il y a quelqu’un dedans. - A l’entresol ? - Oui… Rampoix était ailleurs. Maréchal se pinça, mais il ne se réveilla ni chez Emma, ni dans son lit. - Et tu es allé voir ? - Non… Maréchal intrigué devant l’air défait de son collègue, traversa le commissariat. Priscilla, l’agent à l’accueil, était déjà à son poste. Au rythme de quatre mots par minute (elle était dans un bon jour), elle tapait un rapport sur les dossiers de compilation des rapports de ces derniers mois. - Mademoiselle Markievich, vous êtes allée à l’entresol, récemment ? - Non, pourquoi ?... Le même air inquiet que Rampoix. Maréchal eut soudain une intuition : - C’est le commissaire ? - Mais… je ne sais pas… Le commissaire de Mägott Platz. Quelqu’un qui avait acquis, dans les environs, un statut à demi légendaire. Nommé dix ans auparavant, on ne l’avait presque jamais vu dans les locaux. En fait, il vivait dans un appartement de fonction, dans l’immeuble derrière, et il pouvait entrer dans le commissariat, par la petite porte, en traversant l’arrière-cour commune aux deux bâtiments. On disait qu’il passait ses journées à boire. Il était physiquement inapte au service, mais son cas n’était jamais remonté assez haut dans les méandres d’ADMINISTRATION pour qu’on songe à le muter. Du coup, c’est l’inspecteur-chef Novembre qui, dans les faits, tenait le rôle de commissaire. Sans en avoir le statut, donc le traitement. Maréchal se dit que le commissaire (il ne se souvenait plus de son nom) avait dû avoir un accès de fièvre, ou une crise de déambulation, et s’était déplacé de son bureau, au fond du premier étage, au local de l’entresol. L’entresol. Deuxième élément participant de la petite légende de ce commissariat. On n’y allait presque jamais. Et les légendes urbaines racontaient que ceux qui avaient voulu aller au bout du couloir s’étaient perdus à jamais… Qu’on tombait dans une cave obscure, où erraient des criminels ayant tenté de s’évader des cellules du commissariat… mais du coup, perdus pour l’éternité dans ces lieux fantômatiques… Bien sûr, l’histoire effrayait surtout les derniers garnements naïfs des écoles du quartier : - Si tu ne fais pas ta composition, les Pandores viendront t’emmener au commissariat !... à l’entresol ! Même au quai des Oiseleurs, c’était une des plaisanteries récurrentes, de celles qui, comme les courants d’air, circulent dans les couloirs sans qu’on sache d’où elles viennent. - Le violeur est toujours en cavale. - Il est allé se planquer à l’entresol de Mägott Platz ! Maréchal monta les quelques marches et alluma la lumière du couloir. Il vit qu’on avait posé une plaque sur le local servant de débarras : Commissaire Horson Intrigué, Maréchal frappa. Priscilla continuait sa frappe à la machine, régulièrement. L’inspecteur frappa encore et colla son oreille à la porte. - Entrez… Il avait entendu une grosse voix bourrue. L’inspecteur ouvrit la porte. La pièce avait complètement changé. Elle était éclairée d’une lampe de bureau qui touchait presque son meuble. C’était bien rangé. Des dossiers. Un ventilateur. Un poste de chromatographe. Un bureau en bois massif. Et derrière le bureau, un énorme commissaire. Un obèse. - Bonjour, grogna-t-il. C’était vraiment un gros homme. - Commissaire… Inspecteur 2e classe Antonin Maréchal. - Enchanté, inspecteur. Asseyez-vous, je vous en prie. Commissaire Wilhelm Horson. Je viens d’être nommé ici. Il ruminait plus qu’il ne parlait. Silhouette bovine, massive ; lourdes paupières, doigts boudinés, replis de graisse qui composent un visage avec ses yeux porcins… De grosses babines. Il suçait des pastilles, qu’il plaçait d’abord sur sa langue de bœuf. Avant de les faire disparaître dans la caverne lui servant de bouche. - Je n’ai pas eu le temps de voir mon prédécesseur… Maréchal faillit lui dire qu’il n’y perdait rien. - Nous vous mettrons au courant des dossiers en cours, commissaire. - Je suis déjà au courant de celui qui va nous importer avant tout… La mort de l’inspecteur Patrick Boncousin. En quelques mots, l’inspecteur le mit au courant. En ressortant du bureau, Maréchal passa devant Priscilla, qui le regardait en coin, l’air de se demander à quoi pouvait bien ressembler quelqu’un revenant de l’entresol… Pareil pour Rampoix, qui avait, peut-être, l’excuse de la fatigue… - Alors quoi ? fit Maréchal. - Non, rien… - Il est un peu gros, c’est vrai… - Non, mais j’ai dû me tromper. Maréchal prenait un ton goguenard. Mais il n’oubliait quand même pas l’obèse du quartier des usines. Portzamparc arriva une demi-heure après. Le chromatographe du bureau des détectives affichait justement, ligne après ligne, le portrait-robot de la tête de rat. C’est la Scientifique qui était allée le faire établir auprès du couple de concierges de chez Ranaud. - On va le diffuser à tout le monde, déclara Portzamparc. Putes, serveurs, flics, truands… Tout le monde ! - On va commencer par retourner voir chez Gino, dit Maréchal. - Je vous accompagne, dit Rampoix. - Les flics sont du matin, maintenant ? remarqua Jojo les Ratiches. - Encore une comme ça, dit Rampoix, et on t’appellera Jojo Plus de Ratiches… - D’accord. Gino n’avait pas encore fini de nettoyer la salle. Les derniers clients venaient de partir, à l’aube. - Alors, quelles nouvelles ? dit Portzamparc, assis à califourchon. - Pour le mec à tête de rat d’il y a huit ans, dit Fufu, on n’est plus si sûrs en fait… C’est un surnom finalement courant, dans le milieu. Et celui auquel on pense a dû se faire buter depuis… - Et lui, il vous dit quelque chose ? Maréchal montrait le portrait du bellâtre de chez Donasserne. - Du beau linge. On fréquente pas trop… - Et cette gueule de rat là ? - Du linge trop sale. On fréquente pas trop non plus. - J’oubliais qu’ici, dit Rampoix, c’est pour les honnêtes gens qui s’encanaillent… Le moyen de gamme… - Comme vous dites, inspecteur… - Vous le connaissez ? - Non, je dis juste qu'il a une salle tête. Les trois flics se rincèrent le palais à la santé de Gino et repartirent. Au commissariat, Rainier et Feuillantin étaient de retour d’une nuit d’analyse. - On est passés chez Ranaud puis chez Boncousin. On a relevé les empreintes et on est à peu près sûrs qu’ils ne sont jamais allés l’un chez l’autre. - Bon… En passant à leur boîte, Portzamparc et Maréchal trouvèrent un carton d’invitation, dans une belle enveloppe. C’était signé Lucie de Whispermoor. Elle les invitait au Manoir pour une petite réception, en souvenir de son père. Il n’y avait pas que Boncousin à se faire inviter dans le monde… Sampieri avait lancé des recherches sur les Donasserne. La corpole n’était pas implantée dans le quartier, chassé gardée de la Pham’Velker. En revanche, dans les quartiers environnants, il y avait bien un millier employés de diverses entreprises rattachées de près à cette corpole. Si on s’en tenait aux postes un peu gradés, on pouvait diviser ce chiffre par quatre. Ce qui laissait donc environ deux cents cinquante candidats possibles au titre de bellâtre de Juliana. - On a reçu des appels des collègues de la Jointure et aussi de la rue Verte, expliquait Sampieri. Ils sont avec nous pour nous aider à coincer le salopard qui a tué Patrick. - On va finir par l’avoir, dit Rampoix. On va tous s’y mettre. Dans l’après-midi, Maréchal et Portzamparc retournèrent à la Dentelle Rose. Ils venaient parler au patron. - Bien sûr, dit ce dernier, nous avons tout de suite reconnu en lui un homme fortuné. Pas le genre qui veut une aventure d’un soir avec une des filles. Cela encore, je peux accepter... Non, lui, c’était le genre d’amant « l’amour pour la vie », vous voyez… Et ceux-là, on s’en méfie… Ils font des sentiments… Pas très bon pour le commerce. - Se voyant refuser d’approcher Juliana, dit Portzamparc, l’amant a pu vouloir la tuer… Pour qu’elle ne soit à personne d’autre qu’à lui… Ca s’est déjà vu… - Peut-être, messieurs, peut-être. - Il n’est pas le seul suspect, cet amant, dit Maréchal. - Vous me dites, messieurs, que je dois soupçonner quelqu’un en particulier, et tout le monde. - Il a suffit d’une seconde de distraction pour qu’on s’introduise chez Juliana… Le vigile a pu aller fumer une cigarette… - C’est bien possible, mais quand même… - Ensuite, on a mis en scène le suicide de la danseuse. Mais c’était grotesque. Elle n’aurait pas pu se pendre avec son bas. On l’a étranglée à mains nues. - C’est toujours du domaine du possible… Le patron avait l’air sincèrement désemparé. Voix éraillée du réceptionniste : - Appel pour ces messieurs… - Maréchal, j’écoute. - Ici Rainier. Pour vous dire qu’on a aussi analysé la lettre d’amour laissée par l’amant. On a relevé les empreintes. Mais elles ne sont pas répertoriées. Les policiers sentaient qu’ils commençaient à tourner en rond, après un bon départ. Portzamparc retourna voir la tante, Justine Ranaud. Il lui montra le portrait de Gueule de Rat : - Il vous dit quelque chose ? - Oh qu’il est laid ! Ma nièce le fréquentait ? - Pas volontairement… La pauvre madame Ranaud avait déjà vieilli de dix ans. Portzamparc s’arrêta au même troquet que la dernière fois, et cette fois-ci but deux verres. On voyait de moins en moins ce que Boncousin venait faire dans cette histoire. Un employé, même important, de la corpole Donasserne, oserait-il tuer un flic par jalousie ? Il est vrai qu’il ignorait peut-être le métier de Boncousin, un certain anonymat étant de règle à la Dentelle Rose. Et comme ce « bellâtre » n’habitait pas le quartier… Il devait venir à Mägott Platz, justement, pour être loin de chez lui. Peut-être loin de sa famille. - J’ai peut-être quelque chose, dit Rampoix. En fouillant les dossiers de Boncousin, il avait pu faire un lien avec l’affaire du braquage de la Pham’Velker. - Ca m’a l’air intéressant, dit Portzamparc, assis à côté de lui, une jambe sur le bureau, en visant par-dessus son épaule les dossiers de leur collègue. Boncousin avait essayé de reconstituer l’ensemble des membres de la bande. - Vous, vous aviez arrêté Gibal, qui avait une partie de l’argent. Mais il y en avait d’autres… - C’est une piste… - Mais ne nous réjouissons pas trop vite, dit Rampoix : pas de Gueule de Rat répertoriée parmi les braqueurs. * - Ce que je me demande, dit Portzamparc, c’est comment Boncousin a pu savoir qu’on serait au cabaret. - Il y a une explication, dit Maréchal. Il en est parti après la mort de Juliana. Il savait donc qu’on serait prévenus. On peut imaginer qu’il a surpris Gueule de Rat, qu’il l’a poursuivi… Ce qui expliquerait qu’il n’ait pas eu le temps d’appeler avant. - Et c’est Boncousin, finalement, qui aurait fini par se faire coincer… dans l’usine Vanstrupp. - Dans le bureau du sous-directeur, continua Maréchal, dubitatif. Là, on l’abat. Et on jette le corps par la fenêtre. D’après la description de Gueule de Rat, ce n’était pas un costaud. Il pouvait avoir un complice, qui l’a aidé à traîner Boncousin sur les toits… et à le jeter dans le canal. - Oui, dit Sampieri. Les canaux du quartier des usines communiquent avec ceux à côté de la Jointure. On peut reconstituer le trajet que… Il n’en dit pas plus. - En partant chercher Boncousin, dit Portzamparc, Maréchal a croisé un Pandore. Boncousin aussi aurait pu croiser quelqu’un. Se débrouiller pour qu’on appelle le commissariat. - En filature, ce n’est pas toujours possible, dit Maréchal. - Il faut admettre, dit Sampieri, que Boncousin avait l’air de cacher des choses… Rampoix lui jeta un regard noir. - Pas faux, dit Maréchal, pas faux… Boncousin était pris dans une sale histoire, entre les Donasserne et la chanteuse de cabaret. - Seulement, dit Sampieri, on n’invite pas quelqu’un à un vin d’honneur, avant de le faire assassiner. On ne répondit rien. Au fond, pourquoi pas ? Personne ne le dit, mais tout le monde le pensait : les Donasserne avaient pu essayer d’acheter Boncousin. Et quand ils avaient vu que le policier ne "marchait" pas… - Il est un peu tard, dit Portzamparc mais je vais passer voir l’autre danseuse, Rébecca, alias Thérèse Robuchon. Elle doit être chez elle et se préparer pour aller au cabaret. - Entendu. Maréchal n’ajouta rien. Lui, il voulait parler au commissaire obèse. Dossier #5 : La vie d'hommes infâmes - Guest - 02-12-2007 DOSSIER #5<!--sizec--><!--/sizec-->
- J’ai l’impression, monsieur le commissaire, de vous avoir déjà croisé… Maréchal toussota. Horson sortait de sa grosse patte un cachou de sa petite boîte métallique, et l’enfournait. - C’est bien possible, inspecteur. - Je crois que c’était dans le quartier des usines. - Je n’habite pas loin du quartier des usines, c’est vrai… Il croqua son cachou et déglutit. Il avait des mouvements très mesurés, comme si chacun lui coûtait. Il y avait dans sa respiration un ronflement permanent. - Si nous parlions de l’affaire Boncousin… - Oui, bien sûr… C’est une histoire compliquée, commissaire. Les pistes se sont raréfiées. Maréchal fit un compte-rendu précis de l’enquête. - Deux familles s’affronteraient, si j’ai bien compris, dit Horson. La Pham’Velker et les Donasserne. - C’est de l’ordre du possible… Voilà que Maréchal se mettait à parler comme le patron de la Dentelle Rose ! - Connaissez-vous ces corpoles, inspecteur ? - Nous avons été confrontés à l’une d’entre elle, oui. - J’ai lu ce qui était arrivé au vieux comte Whispermoor… Horson sortit une blague à tabac et du papier. Il avait deux doigts jaunis. Il se mit à rouler doucement une cigarette. - La Pham’Velker, comme le savez sans doute, inspecteur, est la plus traditionaliste des grandes familles d’Exil. Ils se considèrent comme les garants de la pureté du style lunaire. Politiquement, ils sont farouchement opposés à la présence de Forgiens chez nous. « Les Donasserne sont à l’opposés. Ils n’ont pas de quartier de noblesse. Eux-mêmes se disent modernes, tournés vers le progrès. Pour leurs adversaires, ce sont des arrivistes sans foi ni loi. Comme vous vous en doutez, les deux corpoles sont farouchement ennemies. - Mais est-ce qu’ils seraient prêts, l’une et l’autre, à monter le braque d’une banque de leurs rivaux ? - Ce n’est pas du tout impossible. Le casse perpétré contre la Pham’Velker a demandé des moyens. La plupart des complices sont dans la nature, malgré l’effort de nos collègues de la Jointure. Ce Gibal était un second couteau, qui n’avait en sa possession, à mon avis, qu’une petite part du butin. « Les corpoles, il faut en être conscient, se livrent des guerres terribles, parfois pas seulement économiques. Forge a déjà les frais de ces affrontements claniques… Je serais prêt à dire, pour ma part, que cette danseuse a fait les frais d’une guerre dont les enjeux la dépassaient largement. Et nous dépassent nous aussi. - Pour le moment, nous n’avons rien trouvé de concluant, dans les dossiers de Boncousin, sur ses rapports avec les Donasserne. Juste le carton d’invitation au vin d’honneur. - Il faut continuer à chercher, inspecteur. Le meurtre d’une fille de cabaret, ce peut être seulement un avertissement… A qui ? Il faut rapidement le découvrir… * Le soir, Maréchal quitta tôt son bureau. Il alla traîner vers l’escalier menant à la Jointure. Il entendit quelqu’un le siffler. Un gamin, accroché en haut d’un réverbère. C’était son guide. Il se regarda descendre à terre. - Vous n’êtes donc pas tous partis ? - Pas tous, non… Le Chef m’a laissé ici, en observation. Il a emmené les autres bien à l’abri, où vous ne nous trouverez jamais… - Ecoute, j’ai des questions à te poser. - Qu’est-ce que tu offres ? - Viens. Maréchal emmena son informateur dans la gargote du coin. - Salut, Marcelin. - Tiens, inspecteur. Salut, toi, dit-il au gamin. - Salut, fit le gamin, dédaigneux. Les mains dans les poches, roulant des mécaniques, il entrait comme chez lui. - Tu nous sers deux bières, Marcelin. - Ca boit de la bière, ça ? - Les indics, Marcelin, il faut les soigner. - Et bah, nous voilà bien ! rigola le patron. Le gamin but son verre en vitesse et dévora à belles dents le sandwich que lui paya l’inspecteur. - Bon, tu t’es bien régalé ?... Alors, dis-moi, maintenant… Maréchal alluma une cigarette et sortit de sa poche le portrait robot de la Gueule de Rat. - Il te dit quelque chose, celui-là… Regarde bien, c’est important… - Ah ouais, je l’ai vu, lui. Il a une sale gueule, c’est vrai… - Je ne te le fais pas dire… - Je l’ai vu l’autre jour, pas loin d’ici… - Où ça précisément ? Maréchal fit signe au patron de remettre un demi au gamin. L'inspecteur finit par comprendre qu’il avait vu le tueur quand il était venu « parler » avec Juliana, la première fois. - Intéressant… Tu ne l’as pas revu depuis ? - Si. Il y a deux jours. - C'est-à-dire le soir où Juliana avait été assassinée. - Où ça ? Le gamin ne se dirigeait pas dans Exil de la même façon que ses habitants. Il ne se référait pas aux noms de rue, qu’il ne devait pas pouvoir lire, mais à un code spécial, connu des gens de la rue. Maréchal connaissait ce code. Il comprit donc que Gueule de Rat était arrivé dans le quartier par les égouts. Mais ce n’était pas du côté de la Dentelle Rose. C'était place des Loges. - Et depuis ? - Non, pas revu. Mais si je le voyais… - Tu t’en souviendrais, et puis tu viendrais m’en parler aussitôt… - Voilà. Maréchal avait pris aussi un casse-dalle. Le patron offrit les digestifs. - Bon je te libère… Le gamin remit sa casquette, qui était toute sa fierté !, et tira sa révérence. - Aucune éducation, je vous jure, dit Marcelin Lampreux. - Peut-être, mais il a les yeux et les oreilles où il faut. - Alors... - Bon, je ne vais pas m'attarder... L’inspecteur remit son chapeau. La température était tombée. Dans les foyers, on passait à table. Un planton prenait son service de nuit. Les rues s’étaient vidées d’un coup. * Maréchal retrouva la plaque d’égout dont avait parlé le gamin, place des Loges. Est-ce qu’il avait forcé sur le digestif du patron ? Maréchal se sentait pris de vertige. Il s’adossa au mur. Il commençait à connaître cet état là. C’était son syndrome qui le reprenait… Il consulta sa montre. SHC 6 RUS 4 IEI 0 Catastrophe ! SHC 6 ! Autant que lorsqu’il avait découvert l’impasse Montmort ! Et cet indice inconnu, RUS, qui montait à 4. Maréchal attendit que le vertige passe. Il sentait les murs se mettre à vibrer, les passerelles, les cheminées… L’acier qui se mettait à vivre… Comme l’avait annoncé Radik… « Cette cité cherche à communiquer avec nous… » Maréchal sentait les vibrations se concentrer sur la plaque en fonte. Personne dans la rue. Il n’avait pas envie d’y aller. Le vertige continuait. Il tourna les talons. Il avait envie d’aller boire un verre chez Emma. Mais les vibrations s’intensifiaient. Un coup de vent passa, soulevant son manteau. Maréchal soupira, résigné. Il fit demi-tour, marcha, s’agenouilla et souleva la plaque, au prix d’efforts pénibles. Le vent retombait. Il la déplaça juste assez pour se mettre à l’échelle. Ayant descendu quelques barreaux, il se cala, un pied à l’échelle, un autre au mur et remit la plaque à sa place. Cela fit un bruit énorme, qui résonna dans les égoûts. - Misère de misère, maugréa-t-il. L’odeur qui lui remontait était forte, écoeurante. Il descendit dans le noir complet et arriva enfin dans un conduit d’évacuation, éclairé par des becs de gaz. Une plaque au mur indiquait le nom de la voie en surface : rue Neuve-du-Temple. Maréchal se laissait guider par les vibrations citadines. Il entendait ses pas résonner dans le silence. Il avait l’impression que ses ombres le suivaient. D’échelles en escaliers, il s’enfonça au cœur des différents étages des souterrains de Mägott Platz. - Misère, misère… Il passa sur un chemin de ronde, et vit, quelques mètres plus bas, sur une rivière, des mitiers passer en barque, au cœur d’une grotte naturelle transformée en entrepôt. Il se trouvait dans une cheminée naturelle et descendait le long d'une échelle. Les barreaux étaient glacés et il avait juste la place de passer. Le commissaire Horson n'aurait pas pu suivre ! Plus bas encore, Maréchal vit des ouvriers en train de poser des rails entre deux quais. - Le projet de tramway souterrain, songea l’inspecteur. Depuis le temps qu’on en parlait, c’était donc bien en train de se faire. Ce n’était pas fini. Un étage plus bas, il arrivait au bas de la cheminée. C’était de nouveau les égouts. Au bout du tunnel, il vit deux mitiers en train de décrocher les céphalocoques du mur au lance-flammes. - Bonsoir, messieurs… Méfiants, les employés de VOIRIE le braquèrent de leurs lampes. On était dans un tunnel immense, mais on s'y sentait malgré tout à l'étroit, car il était presque entièrement dans le noir. L'air était différent, les sons aussi. - SÛRETÉ, je voudrais vous poser quelques questions… - Bizarre de voir un policier ici, grognèrent les fonctionnaires en sous-sol. Maréchal dut montrer sa plaque. - Ah, vous êtes du quartier d’au-dessus. L’inspecteur vit une plaque au mur, de couleur violette, alors que celles de Mägott Platz étaient vert kaki. Il n’était plus dans son quartier ; il était passé à Rainure – Saint-Polska, le bloc citadin d’en dessous ! - Auriez-vous aperçu cet individu par hasard ? L- ’a une sale tête, non ?... Bah non, désolé, pas aperçu… Ils se concentraient sur sa sale bobine. Ils noyaient le poisson. Maréchal répliqua : - Moi je crois que vous l’avez vu… L’autre mitier cracha par terre. - Ca va, il a raison… Faut lui dire… - Mais tais-toi… - Alors, mettez-vous d’accord… - Ca va, inspecteur, on l’a vu. Il avait une sale tête… - Les faits qui lui sont reprochés sont graves, messieurs. Je vous conseille de collaborer à notre enquête, sans quoi je serai obligé de certifier que vous y faites obstruction… Réciter le code du parfait inspecteur dans ces souterrains glauques ne manquait pas d’un certain lyrisme... - Il avait de l’équipement comme nous, pour se promener dans les égouts. Il avait cinq ou six hommes avec lui. - Quand l’avez-vous vu ? - La première fois, il y a un mois. - Ensuite ? - Il y a deux jours, au milieu de la nuit… - Ils n’avaient pas vu la tête de ses complices. Il y a un mois… Cela correspondait au braquage de la banque. - Bon, je vous remercie… C’est possible que vous soyez convoqués dans les prochains jours au commissariat de Mägott Platz… Il n’allait pas venir les chercher jusqu’ici à chaque fois ! L’inspecteur tourna les talons. Les deux employés se remirent au travail. Ils avaient indiqué au policier la sortie la plus proche. Et Maréchal, pendant cet interrogatoire, en avait presque oublié qu'il était dans un endroit qu'il ne connaissait pas du tout ! Le policier marcha droit devant lui, pendant dix bonnes minutes. Du fond du tunnel venait une lumière bleue veloutée, diffuse et rassurante. L’inspecteur marcha, pénétra dans la lumière et se frotta le visage. Il sortait sur un promontoire, en surplomb d’un grand lac d’eau pur, entouré de murailles circulaires convexes, qu'on aurait cru bâties par une race de géants, plusieurs milliers d'années auparavant... Maréchal se sentait comme une fourmi dans ce décor spectaculaire. Les murailles étaient couvertes de motifs complexes, organiques. Au centre du lac, une petite île, avec une étrange machine : posée sur deux piliers métalliques, elle était haute de presque quatre mètres. Quatre grosses roues dentées activaient un système de courroies et d’engrenages. Plusieurs écrans chromatographiques, disposés à sa base, grésillaient. A la surface de l’eau, s’agitaient des milliers de lucioles. Il faisait froid ici. Dossier #5 : La vie d'hommes infâmes - sdm - 03-12-2007 C'est trop bon ![]() Dossier #5 : La vie d'hommes infâmes - Gaeriel - 04-12-2007 +2 ![]() |