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26e Episode : Dharmic Blues - Printable Version

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26e Episode : Dharmic Blues - Darth Nico - 30-10-2007

Il ouvrit un panneau coulissant et entra dans une grande pièce. Là, il reçut ce qui fut sans doute le choc de sa vie.
Sur un siège, aux côtés duquel étaient posées deux lanternes, était ligoté un vieil homme. Le crâne chauve, des cheveux longs tombant sur le côté, les moustaches fines et tombantes. La musculature aguerrie, les avant-bras tatoués de serpents.

- Akodo Kage-senseï...

Riobe avait failli en laisser tomber son katana.
C'était bien le vénérable senseï ! Celui que tous pensaient mort !
Il voulut se lever, mais ses étreintes l'en empêchèrent.
- Watanabe, dit-il, très inquiet.
Le rônin allait se précipiter pour le détacher.
- Méfie-toi, Watanabe, ce sont les Scorpions qui m'ont enlever ! Ils ont fait croire à ma mort ! Ils veulent exercer un odieux chantage sur notre clan !
- Senseï !
- Attention !
Un panneau en bois s'ouvrit, laissant entrer un jeune samuraï, l'air du parfait beau ténébreux. De longs cheveux noirs, lisses. Un beau kimono noir aux reflets argentés. Un saya très simple à la ceinture.
- Konnichi-wa.
- Emmon, rugit Riobe, avec une rage d'une noirceur impénétrable.
- Shosuro Emmon, pour te servir, samuraï.

- Attention, fit le vénérable Kage, il est dangereux ! C'est lui qui a fomenté mon enlévement !
- N'ayez crainte, senseï, les ordures dans son genre sont ma spécialité !
- Allons donc, dit Emmon, que de haine, rônin...

Samurai

Riobe s'avança, sabre à la main, tournant lentement autour de son adversaire.
- Tu as commencé par moquer ma famille au moment où ton clan de cloportes a été rétabli ! C'était déjà un affront mortel... Mais maintenant, tu as commis un acte... un acte... inqualifiable.
Riobe cracha à terre. Il aurait voulu recracher tous les Scorpions de l'Empire d'un coup.
- Tu veux en découdre par le sabre, si je comprends bien, fit Emmon, presque charmeur.
- En garde ! fit Riobe en pointant son sabre vers lui, le visage déformé par la haine et le dégoût.
Emmon tira lentement son sabre et se mit en garde.
- J'ai entendu parler de la mort de Tsuyoshi, sussura Emmon. Elle fut ignoble, donc digne de lui. Tu n'auras pas pire, alors que tu l'aurais mérité. Mais cela suffira pour que ton ancienne fiancée, et Toturi, t'oublient à jamais.

Le Scorpion avait réussi à insulter, en une seule phrase, tout ce qui était le plus cher aux yeux du rônin !
Inquiet, Kage regarda les deux adversaires se toiser.
C'est Riobe qui lança la première attaque. Sa lame choqua celle d'Emmon, qui avait paré à l'horizontal. Les deux adversaires étaient presque nez à nez.
- Tu crois encore, rônin, que ton senseï te mène sur la voie de l'honneur ? Ton dévouement te perdra.
Furieux, Riobe le repoussa et se remit en garde. Emmon lança alors plusieurs attaques, dont la dernière se nommait le dard du Scorpion, et consistait en un coup des plus deshonorables : frapper à la cuisse. Mais Riobe le vit venir et l'arrêta.
- Bien, Riobe, bien, fit Kage, satisfait.

Les deux hommes se lancèrent alors dans un échange de coups des plus furieux. Les lames voltigèrent, et passèrent à chaque fois à quelques pouces de leur ennemie. On entendait, dans la pénombre, le râle des deux combattants, qui se bestialisaient un peu plus à chaque coup, le fauve et l'insecte, ivres de haine.
Kage suivait cette masse confuse qui s'agitait, cet espèce d'homme-double qui se combattait lui-même, avec ses deux têtes et ses quatre bras, en un combat ponctué de chocs de lames et de râles d'efforts.

Riobe, qui avait failli prendre un coup en plein ventre, se ressaisit, et repensa à ses Ancêtres, à ses amis. Il sentit le sang du Lion couler en lui, et enchaîna une suite de coups brefs et violents. Il vit Emmon se mettre en garde, et ne fut pas dupe. Riobe continua ses attaques. Emmon tenta alors de le contourner d'un coup pour le frapper de côté et le désarmer. Mais le Lion avait vu venir la traîtrise. Au moment où le Scorpion allait se déplacer de côté, Riobe changea son sabre de main et trancha d'un coup les deux poignets de son adversaire.
Le sang gicla, le sabre d'Emmon resta suspendu en l'air ; Riobe le rattrapa ; les deux mains tombèrent à terre, et le Scorpion tomba à genoux.
Riobe croisa les deux katanas devant la gorge du misérable, qui ouvrit grand la bouche, stupéfait.
- Bien, Riobe ! Bien !
Akodo Kage ne contenait plus sa joie.
Riobe inspirait profondément, lentement. Emmon ne respirait plus.
- Et maintenant, dit sèchement le senseï, tue-le.
Etonné, Riobe dit :
- Mais Kage-sama, nous pourrions le garder en vie pour qu'il parle...
- Inutile, continua le vieil homme, il m'en a dit assez -dans son orgueil ! Tue-le, je te dis !
- Ce n'est pas très conforme au code du bushido...
- Tue-le immédiatement.
Emmon fixa le vieil homme, terrifié.
Il avait trouvé pire que lui.
Riobe cisailla la gorge du Scorpion, et sa tête alla rouler à terre.

Le rônin jeta le sabre d’Emmon et défit les liens du senseï.
- Partons vite, à présent, Kage-sama. L’endroit n’est pas sûr.
- Inutile, je pense qu’avec la mort de celui-ci, ses complices vont s’enfuir.
- Senseï, la Cité de l’Or Bleu n’est pas loin d’ici.
- Attends, Watanabe. Tu oublies que l’Empire me croit mort.
- Justement ! Allons avertir Toturi que vous êtes vivant !
Kage se rassit et fixa Riobe :
- Ce n’est pas si simple, Watanabe. Il faut au contraire profiter de ce qu’on me croit mort pour agir…
- Comment cela ?
- Nous devons riposter rapidement. Quelqu’un d’autre sait-il que tu es là ?
- Non, je suis venu seul.
- Bien, dit le senseï, satisfait. Alors tout va bien.
- Je ne comprends pas.
- Nous avons affaire à des ennemis dangereux, Watanabe. Des conspirateurs de premier plan. Ils m’ont enlevé car j’avais découvert un horrible secret. Assez horrible pour qu’on veuille me faire taire.
- Pourquoi vous ont-ils gardé en vie ?
- Sans doute pour m’emmener dans une de leurs sinistres forteresses, et m’arracher d’autres secrets. Mais ne pensons plus à cela. Je vais encore avoir besoin de toi, Watanabe…
- De moi, senseï ? Tout ce que vous voudrez !
- Bien, je savais que je pouvais compter sur toi. Seulement, tu seras seul au courant de ta mission. Seul au courant que je suis encore en vie.
- S’il le faut, je peux mourir à l’instant pour vous aider.
- Ecoute, samuraï, ce que je vais te dire n’est pas facile. Normalement, les bushis comme toi, encore jeunes et vaillants, n’ont pas à savoir ce genre de choses… Ces secrets sont réservés aux vieux senseï comme moi.
- J’écoute, et je me tairai.
- A l’heure qu’il est, Toturi marche sur la capitale, je pense.
- Oui, senseï.
- Des rumeurs ont couru ces derniers temps, Watanabe… Des rumeurs très graves… N’est-ce pas ?
- Oui, senseï.
- Lesquelles ?
Le rônin hésita. Mais au maître vénéré de sa famille, il pouvait tout dire.
- D’aucuns accusent l’Empereur d’être…
- D’être ?...
Riobe n’osait pas.
- D’être corrompu par la souillure du Celui dont le Nom Doit être Tu, n’est-ce pas ?
- Oui, senseï…
- Je l’ai entendu dire, moi aussi. Ecoute, Watanabe, l’heure est grave. Car la vérité est encore plus atroce…

Samurai

Le drapeau du Lion Noir flottait sur le Village Stratégique du Nord.
- Par Kakita, quelle bataille, disait Hiruya, resplendissant de fierté. Dites-moi, Ayame-san, combien d'onis ai-je abattus, déjà ? Cinq ? Six ?...
- Sans doute bien plus, Hiruya-sama, répondit Ayame, et sans même vous en apercevoir...
Nos samuraï sortaient du palais qui leur avait été attribué.
La Cité était devenue un véritable camp retranché. Plus de la moitié de la population appartenait à l'armée du général Toturi, vainqueur la veille. Et on s'occupait à recruter de forces des volontaires parmi les paysans, tandis que d'autres armées commençaient à affluer, du nord des terres impériales.
Il régnait une anarchie militarisée : des patrouilles de soldats courant en tous sens, des gens aussi, des boutiques déplacés, une désorganisation générale qui résultait d'ordres et de contre-ordres lancés à chaque minute.
Mais quand la Magistrature d'Emeraude arriva dans les quartiers du Lion Noir, c'était l'ordre parfait. Autant plus personne ne savait qui commandait en ville, autant la bâtisse centrale de la Cité était devenue une forteresse imprenable, gardée par les plus féroces Matsu. Ceux qui, trois jours avant, se seraient empalés sur leurs katanas pour Matsu Tsuko et qui, aujourd"hui, en feraient autant pour leur nouveau maître.
Le palais accueillait les dignitaires de tous les clans. C'était une cour impériale en miniature qui se tenait là. Nombre de courtisans et de diplomates ayant fui la capitale trouvaient refuge ici. Il n'avait pas fallu longtemps pour qu'ils comprennent où ils seraient en sécurité et où exporter, même au plus fort de la guerre, leurs machinations d'alcôves.
Après avoir passé quatre portes gardées par les terribles Quêteurs de Mort Matsu, nos samuraï entrèrent dans la grande salle des quartiers de Toturi. C'était le dernier carré des fidèles.
- Ah, Magistrat ! dit le Lion Noir, ravi, comment allez-vous ?
- Par mes Ancêtres, plutôt bien !
C'est vrai qu'il se portait comme un charme, Hiruya-sama, comme s'il sortait d'une belle journée dans les paisibles jardins de sa famille !
- Mon katana réclame encore des démons !
- Il est probable que nous n'en manquerons pas, remarqua le général Mirumoto Daini, qui montrait des cartes de Rokugan à deux Nagas.
- Magistrat, déclara Toturi, je sais que j'ai déjà fort abusé de votre aide...
- ... elle vous était acquise pour l'honneur, dit Hiruya.
- Je n'en doute pas une seconde. Cependant, si je puis me permettre de vous solliciter encore...
- ... si c'est encore au nom de l'honneur...
- Ça l'est, sans aucun doute...
- Alors, j'écoute.
- Voici : en arrivant dans cette Cité, nous y avons découvert des personnalités de haut rang... de très haut rang...
- Comment cela ?
- Des dignitaires de la famille impériale, souffla le capitaine Sasuke.
- Par Benten !
- Comme vous dites, fit le Lion Noir.
- C'est une chance, dit Sasuke, que les monstres qui avaient pris leurs aises dans cette Cité ne les aient pas dévorés. Mais ceux-ci constituaient des otages trop précieux.
- Je vois.
- Or, ces honorables descendants du Ciel nous ont appris que d'autres membres de leur famille se trouvaient encore dans la Cité Interdite.
- Et, étant données les circonstances, dit gravement Toturi, nous pensons qu'il serait bon de les en sortir, pour les amener ici, où ils ne craindront rien.
- Je comprends, dit Hiruya à voix basse.
- D'autant que les Hantei se trouvant encore là-bas sont parmi les plus proches de l'Empereur... donc aussi les plus exposés...
- Et s'il fallait, ajouta Sasuke, un descendant...
- Oui, je vois bien, dit Hiruya, épargnant au Lion la peine de continuer.
- Nous savons que la Magistrature d'Emeraude, dit Toturi, peut facilement...
- Si Hiruya-sama le permet, dit soudain Bokkaï, je suis volontaire pour escorter la famille impériale jusqu'ici.
- Entendu, dit le Magistrat, je te confie cette mission.
- Nous en sommes ravis, dit Sasuke.

Entra alors un important dignitaire dans la pièce.
- Miya Katsu-sama !
Ravi, le vieil homme avança vers ses samuraï, auxquels ils prétaient plus attention qu'à Toturi ! Il leur serait bien tombé dans les bras, comme un père avec ses enfants !
- J'ai appris vos excursions imprévues, dit-il, sur le point de rire, ou de pleurer.
C'était inattendu de le voir ainsi, lui d'habitude, si réservé et si malin...
- Nous sommes honorés de vous retrouver, dirent les samuraï.
- Quelle aventure, dit Katsu-sama.
Toturi et les autres présentèrent leurs respects au Magistrat.
- Bokkaï vient de-
- Oui, j'ai entendu, dit Katsu-sama, et je me réjouis qu'il soit volontaire !
Un peu gêné, comme tout Scorpion le serait, qu'on lui porte publiquement de l'estime, Bayushi Bokkaï se rengorgea et baissa la tête humblement.
- Voici ce que nous allons faire à présent, expliqua ensuite Toturi, en déroulant une carte. Après le village du nord, nous allons nous emparer des autres points stratégiques, de façon à encercler la capitale et ainsi...
- Si je puis me permettre, dit prudemment Miya Katsu, nous avons à parler, Toturi et tu comprendras que-
- Bien sûr, Katsu-sama. Je vous laisse vous retirer dans vos quartiers.
- Bokkaï-san reste avec toi, dit Katsu, pour préparer son départ.
- Je lui adjoins une escorte de mes meilleurs hommes.
Le Scorpion, son émotion cachée par son masque, dit au revoir à la Magistrature. Il se sentit bien seul, au milieu des Lions, Dragons et Nagas...

Samurai

Riobe s'était agenouillé devant le trône où Kage était assis.
- Encore plus atroce, senseï ? La vérité peut-elle être pire ?
- Oui, Akodo Watanabe, dit le vieil homme, en regardant, inquiet, en l'air et vers le côté, car ce n'est pas seulement l'Empereur qui a été corrompu...

On se trouvait dans une vieille masure, au sortir d'une minuscule Cité, dans un bois pluvieux, mais les paroles prononcées pesaient si lourd que Riobe craignait qu'on les entende dans tout l'Empire...
- Pas seulement l'Empereur... mais sa famille... toute sa famille...
Effrayé, Riobe répéta à voix basse :
- ... toute sa famille...
- Oui, et nous sommes peu au courant... Les autres qui savaient sont morts... Il ne reste donc que nous deux...
- Vous et moi ?... seulement ?
- Oui, à connaître le plus terrible secret... Toute la famille Hanteï a été corrompue par la malédiction du Dieu Déchu...
- Senseï, dit soudain Riobe, rien n'est perdu, car Toturi, à l'heure actuelle, doit approcher de la Cité !
Il reprenait espoir.
- J'y compte bien, car Toturi fut mon meilleur élève. Mais lui-même n'est pas au courant.
- Il sait pour l'Empereur !
- Mais pas pour la famille Hanteï. Et nous n'avons pas le temps de le prévenir. Il faut au contraire agir vite. Couper le mal à la racine. Avant qu'il ne fasse plus de dégats... quand Toturi arrivera dans la Cité.
- Dans la Cité Interdite ?...
- Le Lion Noir ne s'arrêter pas avant, Watanabe... Mais si la corruption règne encore là-bas, alors même notre famille pourra être touchée par la malédiction... Tandis que si le mal a été éliminé, chirurgicalement...
Riobe se releva, fièrement :
- Senseï !...
- Je savais que je pouvais compter sur toi, dit Kage, en se levant à son tour. Je savais que tu étais le samuraï qu'il me fallait.
Il remit lentement sa capuche sur sa tête :
- Tous les Hanteï sont désormais des ennemis de l'Empire...
- Oui, senseï.
- Va à Otosan Uchi, dit Kage. Entre dans la Cité Interdite. Fais ce qui doit être fait. Ne montre aucune pitié.
- Oui, senseï.
- Pars sur l'heure, car tout retard peut nous être fatal.
- Mais comment entrerais-je dans la Cité Interdite ?
- Ne t'inquiète pas. J'ai certains amis sur place. Ils te connaissent. Ils t'aideront. Tu franchiras les portes les mieux fermées grâce à eux.
- Comment reconnaitrai-je mes amis de mes ennemis ?
- Je veillerai à ce que tu sois bien reçu. Mais surtout, opère seul. Eux ne savent rien. Seulement qu'ils doivent t'aider à entrer.
- J'ai compris, dit Riobe, souriant.
Kage sortit de la pièce, suivi de son élève. Il ouvrit la porte grinçante qui donnait sur la forêt inhospitalière.
- Comment partez-vous, senseï ?
- N'aie crainte pour toi, Watanabe. Je saurai trouver refuge pour les nuits à venir. Tout le monde me croit mort...
- A ce sujet, senseï, j'ai des nouvelles de Tsuyoshi...
- Je sais aussi, à son sujet. Lorsque viendras l'heure d'agir, pense à lui. Et sa colère sera aussi la tienne.
- Oui, senseï.
Kage inspecta les arbres noirs et venteux.
- Je devais vous poser une dernière question, senseï...
Riobe avait repris confiance. On sentait même de l'ironie dans sa voix.
- Dis-moi.
- Lorsque j'étais dans l'armée de Toturi, j'y ai appris les rumeurs qui y couraient... J'ai su prêter l'oreille à certains bruits, qui sont remontés jusqu'aux oreilles du Lion Noir. On y parlait de votre mort, entre autres...
- Hé bien ? dit Kage, impatient.
- Alors, j'ai entendu parler de ceux qui s'opposent à la dynastie en place... Et j'ai entendu parler d'une sorte de conspiration...
Kage sourit sous sa capuche.
- Viens, Watanabe, sortons...

Prudemment, Riobe emboîta le pas au vieil homme, la main non loin du sabre.
- J'ai entendu, entre autres choses, qu'un groupe de personnes influentes ne verraient pas d'un mauvais oeil la chute d'une dynastie millénaire, qui serait remplacée par une autre, sans origine divine directe...
- Intéressant... Continue.
- Ce groupe, toujours d'après ces rumeurs, se nommerait : le Kolat. Il travaillerait dans l'ombre à subvertir l'autorité impériale...
Kage se tourna vers le samuraï :
- Tu as l'oreille fine, Watanabe. Qu'as-tu encore entendu ?
Riobe s'éloigna de deux pas, de nouveau mal à l'aise.
- J'ai entendu, entre autres choses, ce que vous venez de me dire, senseï... Et là encore, j'ai attentivement écouté. Comme tout samuraï le doit.
- Bien... Et qu'as-tu compris ?
Riobe regarda fixement son maître, d'un air de défi qui aurait pu lui valoir une exécution sur le champ :
- Je sais maintenant que vous êtes le grand maître du Kolat !

Riobe avait dégainé brusquement son maître ! Les Kolat ! Il avait entendu tant de choses sur eux ! Qu'ils étaient pire que tout l'Outremonde réuni ! Plus insidieux peut-être que l'Ombre ! Que les mortels n'étaient que des marionettes entre leurs mains !

Kage sourit, sans montrer aucune colère.
- Sais-tu seulement, Watanabe, ce que ce mot veut dire... "Kolat" ?
- Non.
- Il veut dire : "interroger". Le sage ne doit-il pas interroger pour savoir ?
- Interroger, senseï ?... Mais n'est-ce pas déjà désobéir ?
- Pour un samuraï, oui. Pour un senseï, non... Mais du reste, depuis le début, n'est-ce pas toi qui interroge ?...
Kage avait posé son doigt sur la lame de Riobe et l'abaissait doucement.
- ... alors que tu devrais seulement obéir ?...

Il l'avait dit d'un ton si calme, si impérieux, et aussi si terrifiant, que Riobe, les larmes aux yeux, rengaina son arme et tomba à genoux. Il mit les mains par terre et se frappa le front à terre.
- Pardon, senseï, pardon...
Mais Kage s'éloignait doucement, son manteau noir, ses manches et sa capuche boursouflés par le vent.
- Tu as interrogé, Riobe, disait-il, maintenant il te faut agir.

Le rônin resta prostré ainsi, longtemps. Son maître avait disparu depuis longtemps quand il se releva, courut à sa monture, attachée à un arbre, et retourna à l'auberge.
L'aube allait se lever sur la Cité de l'Or Bleu.

Samurai


26e Episode : Dharmic Blues - Darth Nico - 03-11-2007

La Magistrature avait retrouvé le confort tout relatif de son palais. Au milieu de ce grand désordre, Miya Katsu avait fait servir le thé dans une pièce à l'écart de la cohue des domestiques, des troupes et de la populace.

Les samuraï goûtaient mieux que jamais cet instant, si fragile, qui échappait pour peu de temps aux urgences de la guerre, et allait bientôt leur céder la place.

- Je crois que les Fortunes nous sourient, malgré tout, dit Miya Katsu. Car nous sommes encore de ce monde. Donc notre devoir ici n'est pas terminé.
- Et ils sont nombreux, dit Iuchi Shizuka, ceux qui ont rejoint leurs Ancêtres, ces derniers temps.
- J'ai noté, dit Shiba Ikky, que notre fameux caporal, Hiroru, arborait un bandeau blanc noué au bras, ces derniers jours.
- Signe de deuil, dit Hida Shigeru. Qui peut-il pleurer ainsi ? Sans doute un camarade tombé au combat.
- La seule personne tombée, le jour où il a serré ce bandeau à son bras, dit Ikky, c'est le général Matsu Tsuko.
- Je ne sais, dit Miya Katsu. Mais nous avons à parler de choses plus urgentes.
Tous écoutèrent attentivement.
- A vrai dire, il ne s'agit pas de nouvelles malheureuses, et cela est assez rare pour être noté, dit le vieux Magistrat. Je dirais même qu'il y a lieu de se réjouir.
- Tant mieux, dit Kakita Hiruya.
- Cela vous concerne, dit Katsu-sama. Nul ne méconnaît la réputation de l'école des Kenshinzen, la fine fleur des duellistes de la famille Kakita. Ceux-ci incarnent l'essence même de l'art du iaijutsu, dans sa pureté. Or, ayant entendu parler des récents exploits de Hiruya-san à la guerre -et ceux-ci s'ajoutant aux autres- je crois qu'il est bon de le proposer pour entrer dans cette école. Ce ne serait que justice.
Hiruya, émerveillé comme un enfant, dit, stupéfait :
- Senseï...
Ayame souriait poliment, mais intérieurement, elle moquait ce grand enfant qui allait apprendre à faire encore mieux joujou au sabre !
- Je crois que tous ici, s'accordent à dire que Hiruya est bien près d'incarner l'excellence au sabre.
Tous approuvèrent. Kohei était fier de son vieil ami. Shiba Ikky faillit s'étrangler de jalousie, mais l'honnêteté la poussait à admettre que c'était mérité. Ayame souriait, mielleuse. "A va avoir plus gros démons à taper, hein !... A grand Hiruya content !!!"
- Mais le rituel d'entrée est des plus élitistes, comme il se doit, reprit Katsu-sama. En effet, l'impétrant doit se mesurer à un samuraï déjà membre de l'école... et le vaincre !
L'assemblée retint un cri d'effroi. Ayame imaginait deux grands nigauds de Grue en train de se battre, au soleil couchant, sous un cerisier, dans leurs kimonos surchargés de décoration. Et le vaincu, poussant des petits cris effeminés, des larmes plein ses grands yeux : "Ouyouyouye ! Méchant Hiruya ! Tu m'as coupé un ongle !..."

- J'ai déjà écrit à l'école Kenshinzen, poursuivait sentencieusement Katsu, inconscient du fiel qui coulait dans les veines d'Ayame, et j'ai obtenu leur réponse, avant de quitter la Cité du Chêne Pâle. Ils ont désigné un adversaire. Il s'agirait de Daidoji Yajinden, contrôleur général du commerce côtier du clan de la Grue.
Nos héros l'avaient croisé à diverses occasions. Avant la cour d'hiver. Puis lors de l'affaire du convoi à acheminer à la Cité des Apparences : c'est lui qui organisait cette opération. On se souvenait de son oeil décoloré, symbole de mauvaise fortune.
- Il faudra le rencontrer, Hiruya-san, et lui faire officiellement votre demande.
- Bien sûr, dit Hiruya. Je suis honoré de cette proposition. J'irai dès que je pourrai. Je ne sais comment remercier Katsu-sama de l'honneur qu'il me fait.
- Je suis sûr que ce serait deshonorable de ne pas vous le proposer, Hiruya-san. Car il reste de nos jours si peu de vaillants guerriers comme vous, à la fois courageux et droits !

On finit de prendre le thé en silence. Hiruya avait du sourire dans les yeux.
- Toi, mon coco, se disait Ayame, tu ne vas plus te sentir pisser !

Que c'était bon, d'être méchant !

Samurai

[spoiler]C'était un temple sans âge, perdu dans les montagnes, dans une vallée frileuse, isolée du reste du monde. Un temple robuste comme les montagnes, noyé dans le crépuscule. A son sommet, une pièce aux murs nus, ouverte seulement par des meurtrières. Une pièce plongée dans la pénombre, mais sans aucune poussière. Au centre, une des merveilles les plus étranges qui soient. Une roche grosse comme un buffle, semblable au diamant, luisant de teintes multicolores sur ses milliers de petites facettes.
Devant cette pierre fascinante, se tenaient deux hommes. L'un, grand, robuste, mais fort âgé, avait perdu un oeil. Il s'appuyait sur une canne noueuse. Il portait un kimono usé. Ses cheveux, sa barbe étaient négligés.
A ses côtés, un vieillard courbé, presque bossu, sans un poil sur la tête, aux petits yeux malicieux, vêtu comme un eta.

Au-dessus de la pierre apparut une silhouette humaine, bleutée, fantômatique : un homme au long manteau noir, avec une capuche sur la tête.
- Maître... dit le grand personnage borgne.
- Je serai bientôt de retour parmi vous, Nuage... Mais je dois dors et déjà vous avertir qu'il y a du changement... Cristal est mort.
- Quoi ? dit le petit vieillard.
- C'est ainsi. Mais je connais le responsable. Pour l'heure, la maison du Cristal passe sous mon commandement direct.
- Bien, dit "Nuage", quelque peu interloqué.
- J'ai trouvé un nouveau "disciple", qui est en route pour la capitale. Vous contacterez Chrysanthème et lui direz de faire le nécessaire à ce sujet. Rêve, avez-vous terminé votre travail ?
- Oui, maître, dit le petit vieillard, d'une voix chuintante.
- Maître Tonnerre nous a averti que le Lion Noir serait bientôt prêt à donner l'assaut.
- Bien, dit l'homme encapuchonné, alors, sachez que tout se déroule comme je l'avais prévu...
La silhouette fantômatique disparut, replongeant la pièce dans la pénombre. [/spoiler]

Samurai

Heibetsu prenait doucement vie dans le petit matin, à l'heure où Mirumoto Ryu franchissait la porte principale de la ville.

Elle se rendait au palais du seigneur Akuma. Elle lui expliqua qu'elle avait parlé à la famille de son mari ; ceux-ci n'avaient pu donner de détails concernant Kishidayu. Donc rien ne prouvait qu'il fût innocent, ni coupable.
- Il faut reprendre les recherches là où votre oncle a disparu, Magistrate, dit Mirumoto Akuma.
- C'est ce que je vais faire, dit Ryu, stoïque.
Elle n'avait guère changé, depuis toutes ces années, mais maintenant, elle n'était plus la petite enfant du pays ; c'était une samuraï d'Emeraude, et on lui devait le plus grand respect. Le capitaine Taro, assis comme d'habitude aux côtés de son maître, proposa son aide.
- Non, merci, dit Ryu aussitôt. Je préfère mener cette enquête seule.
- Je comprends, Magistrate, dit l'officier.
Elle fit une visite à Kishidayu, gardé aux temples où elle l'avait retrouvé. Il était calme et passait ses journées, méditatifs.
- Alors, Ryu-san, dit-il, poliment, sans flagornerie ni méchanceté, du nouveau ?
- Pas vraiment, fit la Magistrate, contrariée. Mais bientôt j'en aurai...
Le Scorpion ne dit rien.

Ryu partit sur les chemins de montagne, suivant sa seule idée en tête, comme toujours : venger son mari. Donc retrouver son oncle, et obtenir des explications. A peine si elle pensait à la Magistrature, à la guerre... Le monde pouvait s'écrouler, et de fait il s'écroulait !, elle n'en continuait pas moins sa quête acharnée.

Elle retrouva une grange, sur le chemin où elle et Iuchi Shizuka avaient abandonné les recherches, la dernière fois.

Elle se jeta de côté, juste avant qu'une flèche ne lui perce la jambe. Elle dut encore s'écarter vivement, pour éviter une seconde attaque. Deux flèches étaient plantées à terre.
Ryu courut vers la grange où elle vit nettement un des archers tenter de rencocher. Elle fracassa la porte d'un coup de ses deux sabres et se rua à l'intérieur. Ils étaient quatre. Quatre mercenaires, bien armés. Elle les abattit comme du blé mûr. Leur sang alla se répandre sur les murs et leurs corps tombèrent sur le sol crotté.
Ryu repassa la porte. ll y avait, à côté, une petite ferme, avec des paysans morts de peur, qui avaient dû se cacher chez eux en voyant arriver les bandits. Ils ressortaient timidement, impressionnés par cette arrivée foudroyante de la bushi.
Celle-ci rengainait posément. Et tira la conclusion qui s'imposait :
- On m'attendait...

Puis elle interrogea les fermiers : il en ressortit qu'ils n'avaient pas vu son oncle. Et des gredins comme ceux-ci, il en restait dans la région !
Ryu demanda alors du papier et on courut lui en chercher au village. Elle écrivit au seigneur Akuma qu'elle avait besoin de renforts pour organiser une battue. Elle demandait qu'on fasse venir Kishidayu.
Elle fit envoyer la lettre. Ensuite, elle s'assit à l'entrée de la ferme, sur un carré d'herbe, et attendit. Et elle attendrait le temps qu'il faudrait !

Samurai

La Magistrature d'Emeraude passa une nuit paisible au Village Stratégique du Nord. Paisible était peut-être un grand mot. Toute la nuit, il y eut des manoeuvres, de l'agitation, des cris. On se bousculait, on montait des murs, on rebâtissait des tours, on acheminait des munitions, sans arrêt. On se serait cru au coeur d'une ruche ! Il y avait maintenant plus de soldats que d'habitants. On se trouvait dans la plus grande caserne de l'Empire. Sans relâche, des milliers d'hommes, du plus humble soldat aux plus grands capitaines, préparaient l'attaque de la capitale.
L'endroit devait être mieux gardé que la Cité Interdite !

Le lendemain matin, alors que ceux qui avaient passé la nuit éveillés allaient enfin dormir, les équipes de jour prenaient le relais, si bien que le tumulte ne cessa pas une heure. Les manoeuvres se poursuivaient, les ordres et contre-ordres, les cris d'une tour à l'autre... En regardant par la fenêtre, les samuraï observaient un spectacle à peine croyable : une cohue de monde, de couleurs, d'étendards et de mouvements, dans un sens et puis l'autre. L'effervescence de la place du marché, et le passage des patrouilles ; puis des chariots de bois, et des tailleurs de pierre. Nouvelles patrouilles, et passage de cavaliers. Cris, heurts, d'autres cris, plus repercutés sur plusieurs rues, des explosions de colère, avant l'arrivée d'un officier qui calmait tout ce petit monde...
Kakita Hiruya était sur le départ. Nerveux, affairé, il surveillait la préparation de ses bagages. Il bombait le torse et veillait à ce que chacun le salue comme il faut, le petit doigt sur la couture du kimono ! On sentait à quel point c'était un homme important ! Hida Shigeru était auprès de lui, nerveux également.
- Le ciel est dégagé, la route va être bonne, prédisait-il.
- J'en suis sûr, répondait Hiruya.
Kohei et Shizuka étaient venus aussi :
- Nous prierons les Fortunes pour qu'elles t'ouvrent la route.
- L'esprit de nos Ancêtres vous accompagnera, j'en suis sure, lorsque vous ménerez votre duel.
- Merci mes amis, disait Hiruya, en regardant au loin. Aujourd'hui est un grand jour.
D'un commun et tacite accord, Shiba Ikky et Isawa Ayame étaient venues dire bonjour rapidement, puis étaient parties en ville.
- Veillez bien sur elles, dit le Magistrat à ces assistants. Je crains que ces deux Phénix ne me filent un mauvais coton !
- Allons, pas d'inquiétude, répondit Shigeru, nous les aurons à l'oeil ! Mais c'est la guerre maintenant ! Et ma foi, les règles de ce jeu sont simples ! Plus simples que celles du go !
- Nous veillerons sur elle, dit Kohei, rassurant.
- A cette heure-ci, dit Hiruya, Bokkaï doit être presque arrivé à la Cité Interdite.
Miya Katsu approcha à son tour et souhaita bonne route à son premier assistant.
- Que les Fortunes vous guident.
- Je ne sais comment vous remercier, dit Hiruya.
- Alors ne me remerciez pas, et soyez dignes de cet espoir que j'ai placé en vous.
- Je le serai, dit Hiruya, sur son poney.
Ses bagages étaient prêts. Il donna un coup de talon et partit au trot, suivi de deux serviteurs. La Magistrature agitait son mouchoir pour le grand départ !
- Ah partir, dit Kohei...
- Les Fortunes sont avec lui, dit Katsu. J'ai consulté les oracles, et son avenir est clair comme de l'eau de roche.
- Ce qui signifie qu'il est tracé d'avance ? demanda Shigeru.
- Sans doute, dit Katsu, et qu'il est des plus glorieux !
Les Magistrats rentrèrent pour la collation du matin, alors que dans la rue, deux chariots chargés de tonneaux venaient de se percuter.

Samurai

Les deux Phénix avaient donc évité ces adieux bien émouvants. Ikky par pure jalousie. Depuis le début, elle enviait le style imbattable de Hiruya au sabre. Elle savait qu'en une vie elle ne l'égalerait jamais. Et qu'en tant que yojimbo, elle était surtout censée recevoir les coups, pas les donner ! Quant à Ayame, on n'en parlait plus... Pourquoi le détestait-elle, au fait ? Elle le trouvait imbuvable, brillant, insupportablement trop tout !... C'était indécent d'être ainsi l'image du parfait samuraï. Pour elle qui était à l'opposé, c'était trop dur ; Hiruya était une injure vivante...
Elle se sentait mieux, déjà, de le savoir parti.

L'armée du Scorpion avait établi ses quartiers dans la partie sud-est de la ville. Ils s'étaient arrangés pour laisser le nord-est à d'autres clans, cette direction portant, comme chacun sait, malheur...
C'est vers les bâtiments occupés par l'armée aux couleurs bleu nuit des Scorpions qu'Ayame et Ikky se rendirent dès qu'elles eurent quitté le palais de la Magistrature. Elles se firent annoncer au palais, à l'improviste, et entrèrent dans la grande salle pleine de samurai masqués. On s'étonnait de voir entrer deux samuraï d'Emeraude. Mais Ayame était prêt à défier n'importe qui du regard ! Peut-être l'Impératrice lui aurait-elle fait baisser les yeux, et encore... C'était une cour de samuraï jouant à être les plus traîtres, les plus ignobles possibles. Mais Ayame, de son regard noir et dur, aurait fracassé ces apparences trop hypocrites. Tous autant qu'ils étaent, elle les aurait fait passer pour des petits joueurs... des traîtres de farce villageoise ! C'était comme si, se jetant dans un nid de serpents, c'est elle qui menaçait d'empoisonner tout le vivarium !
- Magistrate, lui disait un courtisan, nous sommes honorés de vous accueillir...
Elle répondit rapidement, et se mêla à la foule en violet et noir. Il se créait un vide autour d'elle. Elle scrutait la foule, cherchant quelqu'un qu'elle connaîtrait. Elle en distingua un, croisé à la Cité des Mensonges, un quelconque petit bushi qui voulait jouer les grands conspirateurs. Elle alla directement à lui.
Le malheureux ! Le manège n'avait échappé à personne.
- Tiens, Bayushi Koji, comment vous portez-vous ?
Elle rentrait dans les conversations. Elle n'était plus inoccupée. Il fallait que les groupes reprennent leurs bavardages. Le pauvre Koji eut l'impression qu'une gueule de fauve s'était refermé sur lui. Ce n'était pas inexact.

Ayame et Ikky passèrent une petite heure dans le palais provisoire des Scorpions. Elle ne parla pas qu'à Bayushi Koji ! Elle avait commencé avec lui, par quelques phrases convenues, tout en pensant visiblement à autre chose, puis elle avait continué avec d'autres personnages de plus haut rang.
Et vers la fin de la mâtinée, elle ressortait, contente de ce qu'elle avait apprise.
Ce n'était pas rien : Shosuro Kitabakate était en ville !

Quoi d'étonnant, au fond ?
- Nous irons la voir cette après-midi.
- Evidemment, remarqua Ikky, narquoise.
Ayame ne releva même pas. Elle n'en était plus là !

Samurai

A peine rentrée au palais, Ayame fit envoyer une missive à la dignitaire Scorpionne. Elles avaient tant de choses à se dire. Etaient-elles encore fâchées, à propos ? La shugenja ne savait pas bien. Mais ce n'était pas si important. Il y avait qu'elles devaient se parler, donc les questions de sentiments, d'honneur, d'amour-propre -passeraient après !
Un coursier revint après le repas, pour présenter une invitation à dîner.
- C'est parfait, dit Ayame.
Elle passa la fin de journée, fébrile, à tourner en rond, incapable de se concentrer sur les manuscrits qu'elle devait reconstituer, puis à se préparer longuement. Pendant ce temps, la Magistrature marquait une pause. Ils étaient dépourvus de responsabilité pour plusieurs jours ; pas de tâche à accomplir, rien qu'à se tourner les pouces, alors qu'autour d'eux, la ville bouillonnait d'activité. Mais ils n'avaient pas à aider ces préparatifs. Miya Katsu rédigeait des courriers, assisté de Shizuka. Shigeru et Kohei étaient à la salle d'entraînement. Bokkai, Ryu, Riobe et Hiruya étaient partis chacun de leur côté. Que devenaient-ils, alors que le Village Stratégique Nord avait les entrailles qui grondait à l'approche des prochaines batailles, comme gargouille un estomac d'ogre avant le repas ?

Le soleil tombait, et les équipes de nuit prenaient leur tour, quand Ayame et Ikky sortirent du palais.
- Vous autres, pressez, criait un gunso, nous avons deux heures pour finir !
Une équipe d'ingénieurs Crabes couraient vers le nord ; des éclaireurs Scorpions partaient par la porte sud. Des cavaliers Shinjo manoeuvraient comme ils pouvaient au milieu des rues étroites, entre les hautes murailles intérieures, qui faisaient du Village un véritable dédale fortifié.
- Malédiction, grognait un taisa Licorne, nous allons être en retard pour les manoeuvres de nuit !
- Mille flèches de plus à la poterne, lançait un gunso Shiba.
- Attendez, nous envoyons les archers d'abord !
- Les réserves d'eaux sont-elles prêtes ?
- Voyez avec le commandant Takasa !
Et c'était ainsi le long du chemin, du palais de la Magistrature, par les quartiers bas, les faubourgs puis jusqu'aux quartiers Scorpions.

Shosuro Kitabakate n'avait pas oublié comment recevoir. Elle était seule, en compagnie d'une très jeune servante, dans une pièce au plancher couleur suie, avec quelques tentures représentant le ciel de nuit. Ayame éprouvait un frisson de plaisir inexplicable en rentrant dans cette atmopshère, tellement attrayante, tellement jouissive... Etre à nouveau au coeur du mystère. Son hôte le savait et ne s'en cachait pas.
- Konnichi-wa, Kitabakate-senseï.
- Konnichi-wa, Ayame-san.

On était pas venu pour dire un mot en trop. Comme deux sabres plus affûtés que jamais, les deux femmes étaient aguerries à l'art de la conversation et de l'intrigue. Que personne ne vienne se mettre entre elles !
- J'ai appris la mort de Kitsuki Hanbeï, dit la shugenja.
Elle commençait en terrain connu. Kitabakate fit semblant de le déplorer, le temps d'un soupir.
- Mes regrets éternels l'accompagnent.
En retrait, Ikky observait ce duel. Mais en était-ce bien un ? Ou une sourde conspiration, à deux ? Les deux femmes croquaient des sashimis. On aurait pu parier que chacun des petits rouleaux représentait un adversaire à abattre. Sashimi Hiruya, sashimi Akitoki...
- J'ai poursuivi mes recherches sur Kitsuki Kaagi.
Ayame avait passé le stade où l'on se cache de ces choses. Elle était au-delà des ténèbres du secret. Maintenant, elle vivait dans une pleine et inquiétante lumière.
- Vous connaissez un peu les liens entre Hanbeï et Kaagi, dit Kitabakate.
- Hanbeï s'intéressait au journal de Kaagi. Il l'a eu entre les mains.
- Il a eu la sagesse de ne pas le lire, dit la vieille femme.
- Comment le savez-vous ?
- Sinon vous ne l'auriez pas connu.
- Pourquoi ?
- Quiconque ouvre le journal de Kaagi est dévoré par la malédiction qui s'y trouve.
- Cette malédiction, dit Ayame posément, nous l'avons détruite.
Elle appuyait sur les mots.
- Voire, fit Kitabakate, désinvolte.
- Voire ? enragea la shugenja. Vous semblez bien au courant.
- Vous avez détruit Nahoko.
- Nous avons détruit Ninube. Et je sais qu'elle a pénétré dans la chambre de cristal, où se trouve le journal de Kaagi. Vous voyez que je ne suis pas si ignorante.
- Bien, et ensuite ?
La vieille femme la défiait ouvertement.
- Ensuite ? Je suis presque certaine que Nahoko n'était autre que l'assistante de Kaagi !... Oui, ce n'est que comme ça qu'elle a pu connaître la localisation du journal, parvenir à le lire...
- Intéressant.
- Le senseï du Vide, Isawa Ujina était l'ennemi juré de Ninube. Il y a dix ans, il l'a combattue déjà, en compagnie de Kitsuki Kaagi. Et de ce Ninja Blanc, aussi, qui se trouvait à la Cité des Mensonges. Ninja qui est encore en vie, et pas loin de nous. Puisqu'il est caporal dans l'armée du Lion Noir !
- Bien.
Kitabakate souriait, face à une Ayame en colère, surtout contre elle-même, qui n'allait pas se laisser faire.
- Ujina-senseï et les autres n'ont pu, il y a dix ans, détruire Ninube. C'est nous qui y avons réussi.
- Alors quoi ?... Tout va bien, si je vous suis... C'en est fini, de ces vilains secrets...

Au fond, Ayame avait du respect pour Kitabakate. Sa colère retomba. Sa voix se fit plus douce. Elle aimait discuter avec elle, comme avec une grand-mère à qui on confie des secrets qu'on ne confierait pas à ses parents.
- Kampaï ! dit Kitabakate.
Et c'était vrai, au fond : que leur restait-il, maintenant, sinon à trinquer comme de vieilles amies ? C'en était même drôle, de ne plus pouvoir se monter la tête, et d'avoir juste à profiter d'un bon saké. C'est bien la chose qui étonnait le plus Ayame. Elle était en vie, elle pouvait respirer, manger un bon repas... Avoir un tête-à-tête chaleureux avec sa seule confidente...
Ikky se joignit à elle, sur invitation de la maîtresse de maison, et les femmes dégustèrent les sashimis. C'était bon, de profiter du calme de ce palais.
- Tiens, et où en est cette chère Mirumoto Ryu ?
La vieille le demandait sans vraiment de malice. Plutôt avec curiosité.
- Elle est toujours aussi particulière, même au sein de son clan. Elle recherche l'assassin de son mari... Nous l'avons croisée avant d'arriver... Elle repartait...
Ayame ne savait comment s'expliquer. Mais c'était vrai : Ryu allait et venait...
"Ce n'est pas grave", semblait lui dire Kitabakate, "nous avons tout le temps".
- Ce Kishidayu, dit Ayame, je douterais même de son existence.
- Allons donc, sourit la vieille femme, Ryu confondrait-elle ses désirs et la réalité ?
- Elle poursuit des rumeurs, des on-dit... Qui sait ?... Il paraît que Shizuka s'est renseignée sur ce Kishidayu.
- C'est exact, fit Kitabakate, amusée.
- J'oubliais, dit Ayame, qu'il a été votre élève ! ce fameux Kishidayu !
Les trois femmes trinquèrent et finirent leur repas.
- Vous nous apporterez le thé, dit la vieille femme à sa servante.

Comme l'air était paisible, ici. C'était vraiment indicible, ce charme de la nuit, ce repos et cette tranquillité...
- L'un des nôtres, Bokkai, disait Ayame, de plus en plus fatiguée, est parti à Otosan Uchi. Mission très importante... Ah oui, par Isawa, j'allais oublier : avez-vous des nouvelles d'Emmon ?
- Non, aucune. Je suis soucieuse à son sujet.
- Emmon et Kishidayu... songea Ikky à voix haute. E
lle souriait.
- Deux élèves très doués, dit Kitabakate. Mais ils se sont à peine connus en réalité. Kishidayu est entré sous mes ordres alors qu'Emmon s'en allait.
- Emmon a eu une mauvaise visite, chez lui, dit Ayame. Il a disparu depuis.
- Je crois que Riobe a une dent contre lui, dit Ikky.
L'atmosphère était quiète ici, et les trois femmes, pour une fois, ne se doutaient pas de la gravité des évènements qui s'étaient déroulés il y a peu.
- Il pourrait être bon de se renseigner, dit Ayame, sans y croire.
- Je crois, sourit Kitabakate, que nous sommes toutes trois ben fatiguées.
Ayame s'en voulait. Non, elle ne voulait pas dormir. Elle voulait continuer à parler. Mais elle savait bien que c'était du bavardage. Qu'est-ce qu'elle y pouvait, à la fin, à la vie de tous ces gens ! Elle avait rempli son devoir ! Morte Ninube, morte Nahoko, mortes ses inquiétudes ! Et si elle profitait un peu de la vie, après tout !
Le repas de Kitabakate était délicieux. Il n'y avait que des gens somme toute amicaux dans les environs !
- Oui, je crois que nous allons rentrer, dit la shugenja.
- Bonne nuit, Ayame-san. Bonne nuit, Ikky-san.

Les deux Phénix rentrèrent et se mirent sans tarder au lit. Shizuka finissait de lire dans sa chambre. Pour une fois, elles n'étaient pas les dernières au lit !
Ikky s'endormit bien vite, ronflant de tout son saoul, comme une bienheureuse.

A suivre...Samurai


26e Episode : Dharmic Blues - Darth Nico - 04-11-2007

Kakita Hiruya avait chevauché du matin au soir, sans discontinuer. Son excitation montait à chaque étape.
Il avait changé de monture en route, en s'arrêtant à peine le midi. Il pouvait arriver avant le coucher du soleil, et il le voulait !
Le coeur battant, il aperçut le rivage. Et le grand océan, rougi, paisible en ce soir, au-dessus duquel battaient les mouettes.
Il était fatigué et heureux. ll se renseigna et fut vite dirigé vers le navire qu'il cherchait. Hiruya ne s'y connaissait pas en flotte, mais il lui sembla que c'était un magnifique navire. Il empruntait aux lignes fines et élancés de la famille Kakita, à une certaine robustesse favorisée par la famille Daidoji, et aussi à des motifs et bizarreries du clan de la Mante. Il mouillait dans le port, gardé par plusieurs soldats en armures lourdes. Et sur le port s'affairaient des marins, des hommes de main, qui tous, de près ou de loin devaient avoir rapport avec ce navire.
Hiruya savait que le samuraï qu'il allait voir occupait une position particulière. Contrôleur général du commerce de son clan. Il avait autorité sur l'ensemble des côtes, depuis le nord, à la frontière du Phénix, jusqu'au sud, où il devait croiser les navires affrétés par Yasuki Taka.
Hiruya descendit de cheval et se fit annoncer. On le salua bien bas et on le fit monter à bord du navire, nommé Le lotus noir.

[Image: thelotus.jpg]

Le navire grinçait doucement. Hiruya, qui n'avait pas le pied marin, monta à bord, entouré de deux gardes Daidoji. Des soldats dormaient sur le pont. D'un coup d'oeil, le Magistrat reconnut des hommes du clan de la Tortue, et des gens de la Mante. Peut-être des gaijins...
- Par ici, honorable Magistrat.
On faisait monter Hiruya vers le pont supérieur, et on le faisait entrer dans la cabine du capitaine.
Hiruya dut habituer ses yeux à la faible clarté qui régnait en ces lieux. Il descendit un petit escalier étroit. Son hôte l'attendait en bas. Hiruya avait déjà préparé une formule de sympathie. Il avait le début de son discours à ce kenshinzen.
Mais il resta coincé dans sa gorge.
Hiruya était arrivé en bas de l'escalier, face au tatami où le samuraï était assis en tailleur.
Il ne put rien dire. Aucun son ne sortit de sa bouche.
Un léger roulis agitait le navire.

Hiruya ne pouvait parler. Il faillit repartir en arrière, en courant. Ou bien dégainer son sabre... Il revit toute sa vie, d'un coup, alors que son hôte levait la tête vers lui, et le fixait de son regard d'acier. Un oeil bleu océan, un autre oeil à la pupille décolorée. De longs cheveux gris. Une tête mince, les traits tirés.
Doucement, tout doucement, Hiruya s'assit. Il frissonna des pieds à la tête.
Il ne pouvait le croire.
C'était lui.

C'était lui !
Il aurait voulu le crier à l'univers entier !
Pas de doute. Il avait ressenti ce même frisson, deux fois !
A Heibetsu ! Dans le temple des Oiseaux ! Et au village au-dessus de la Vallée des Cloches de la Mort !
L'ignoble frisson, froid, glacé, qui le laissait dans un grand bain de noirceur.
L'homme qui se tenait face à lui, ce n'était pas seulement Daidoji Yajinden. C'était la Grue Noire !

- Konnichi-wa, Magistrat. Asseyez-vous, je vous en prie...
Hiruya obéit. Il reprenait à peine ses esprits.
- C'est toi... c'est bien toi...
Yajinden battit lentement des cils. Oui, c'était lui. Il n'y avait plus besoin d'en discuter.
- J'ai déjà croisé tes assistants, Hiruya-san. Mais toi, jamais...
Et à l'époque, il savait déjà !
Face à Ayame, face à Kohei, aux autres, il savait déjà qui était Hiruya ! Bien sûr !
Le contrôleur général du commerce côtier était le criminel le plus redouté de l'Empire !
- C'est une longue histoire, dit Yajinden.
- Je m'en doute...

Yajinden avança un bol avec des fruits, et une bouteille de jus de fruits.
- Je ne me nourris presque que de cela, depuis des années. Un peu de poisson, parfois.
- Un prédateur comme toi ne se nourrirait que de légumes et de fruits ?
- D'air pur et d'eau fraîche, si je pouvais, dit Yajinden, las, en rejetant la tête en arrière.
- Je t'écoute, dit Hiruya.
Le monde lui paraissait minuscule, maintenant, réduit aux dimensions de cette cabine sombre, et de cette histoire qu'il allait écouter.

Samurai

- Mon plus vieux souvenir est la nuit où j'ai appris ce qui m'était arrivé à la naissance. J'ai été abandonné par mes parents. Un homme m'a alors recueilli : Daidoji Dajan. J'avais sept ans lorsqu'il m'a appris qu'il m'avait adopté. Ce jour-là, je conçus une vive haine de mes parents. Dajan me dit qu'il valait mieux pour moi que je ne fûs pas resté avec eux. Car ils étaient deshonorables. Mais grâce à lui, je suivrais la voie de l'honneur. Dajan était un homme plus que perspicace. Il avait une intelligence aiguë, et un sens pratique à toute épreuve. Il m'apprit à voir au-delà des apparences, à me méfier des grands discours sur l'honneur. Il voulait que je sois élevé à la rude école de la famille Daidoji. Il m'envoya donc au dojo dès que j'en eus l'âge, alors que je ne connaissais encore rien de la vérité.

"Il veillait sur moi de près. Il ne se montrait pas au dojo, mais j'ai su plus tard qu'il s'entretenait souvent avec le senseï, lui disant qu'il fallait se montrer dur avec moi, ne pas hésiter à me punir, pour m'endurcir. Je compris vers douze ans combien Dajan savait être influent. Sûr que j'étais prêt à devenir un guerrier, il m'apprit qu'il avait d'autres ambitions pour moi. Il voulait que j'entre dans un groupe très fermé de notre famille, l'école navale. Je crus qu'il voulait faire de moi un officier de notre flotte, ce qui était en quelque sorte me mettre à l'écart. Car c'était me condamner à fréquenter le clan de la Mante et les milieux louches de la côte, plutôt que les champs de bataille. En réalité, vers quinze ans, j'entrai dans une école peu réputée, mais en réalité très importante pour notre clan : le conseil commerçant. Nos dirigeants ne se vantent pas de l'existence de cette école, qui passe juste pour un dojo mineur, un peu à l'écart. En fait, le conseil commerçant est à la base de la richesse de la Grue. Sans lui, nous ne pourrions pas faire le poids face au Lion. Et nous n'aurions pas autant d'influence à la cour, et face aux autres clans. Bien sûr, les samuraï n'aiment pas manipuler l'argent. Ils considèrent que c'est ignoble. Mais il faut bien que certains s'y attellent. Ce sont les Yasuki chez les Crabes. C'est le Conseil dans notre famille.

"Je rencontrai dans ce dojo nombre de futurs grands administrateurs de nos villes, de nos routes ; des diplomates, des conseillers de gouverneurs, tout un monde assez secret, qui forme une caste à part : celle des gens qui savent et qui conseillent ceux qui décident. Des bouches et des yeux qui se parlent beaucoup entre eux, et laissent filtrer au-dehors ce qu'ils jugent nécessaire. Dajan vit qu'il ne s'était pas trompé : rapidement, il s'avéra que j'étais ingénieux, vif, doué pour représenter dignement le Conseil. Cette ingéniosité, je l'appliquais aussi au dojo Daidoji, où je liais connaissance avec nombre de fins stratège qui, constatant que j'étais passionné, me confièrent nombre de secrets. Je devenais aussi doué pour les tactiques militaires que commerçantes.

"Je n'eus qu'une fois l'occasion de démontrer, presque publiquement, mon art. C'était à la bataille pour la Cité des Apparences, lorsque nous étions sur le point de reprendre cette Cité à la famille Matsu. C'est moi qui eut une idée vraiment astucieuse, qui mit en déroute ces brutes de Lions. Ceux-ci furent attirés en terrain découvert par des Daidoji qui battaient en retraite. Les pauvres Matsu se voyaient déjà écrasants nos hommes sous leur charge. Quelle ne fut pas leur surprise de voir jaillir, de sous terre, entre leurs jambes, des samuraï camouflés, qui leur cisaillèrent promptement les jarrets ! Ce fut un massacre. On trouva cette tactique indigne, même dans notre clan. Les prudes Asahina s'en émurent. Les Kakita firent la fine bouche. Les Doji réclamèrent la tête de plusieurs meneurs qui s'étaient dissimulés. Pour retrouver leur honneur, ils s'ouvrirent le ventre. On estima que c'était juste. Mais le soir-même, mon daimyo, Daidoji Uji me félicitait. Peu après, la Cité des Apparences nous revenait. Akodo Arasou s'y faisait tuer, Akodo Toturi devenait ainsi le daimyo de sa famille. Et Daidoji Morozane était nommé gouverneur de la ville. Matsu Agetoki jurait de prendre sa revanche.

"Daidoji Dajan, naturellement, me félicita aussi. Je passais deux ans à étudier les affaires commerciales, en assistant plusieurs magistrats de la famille Doji, qui ne purent que se féliciter de mon aide. Certains firent des affaires florissantes, qui assureront, par des rentes bien grasses, l'avenir de leur famille sur plusieurs générations. D'autres purent mettre fin à d'odieux chantages financiers qui leur pourrissait l'existence depuis des lustres ! Un soir, Dajan me dit en substance ceci :
- Tu as été initié à l'art de la guerre, Yajinden. Tu as été initié à l'art du commerce, également. Mais ton initiation n'est pas terminée.
- Je ne vois pas comment je pourrais apprendre plus, senseï. J'ai le mauvais oeil, comme ils disent. On me regarde de travers, ou on évite de me regarder. Je suis bon à être un commerçant.
- Pas seulement, Yajinden, pas seulement. Car en devenant conseiller des puissants de notre clan, tu as appris à te défier de l'honneur, des mensonges de la vie sociale... Tu sais aussi les injustices qui règnent en ce monde... Alors, qu'arriverait-il si, au lieu de participer à ce monde, tu pouvais oeuvrer à le transformer ?
- Moi, senseï ?...
- Pas toi seul... Nous sommes déjà quelques-uns à vouloir changer ce qui est mauvais, corrompu, dans ce monde changeant. Et c'est en agissant secrètement, discrêtement, qu'on peut arriver à de grandes choses. De moins en moins, le sort des batailles ne décidera de l'avenir. Au contraire, l'argent a un pouvoir de plus en plus puissant. Il peut plier les duellistes invincibles, les shugenja les plus puissants, les sages les plus vertueux... Quelle Fortune est plus puissante que la Fortune du Koku ?... Quel destin ne peut-elle faire et défaire ?
- C'est vrai, senseï...
- Tu as l'âge, Yajinden, où, non seulement tu peux obéir, mais aussi t'interroger. T'interroger sur ce monde si mensonger.
- S'interroger, senseï ?
- Oui. Et pour cela, il existe un mot, connu de bien peu de gens en cet Empire. Des gens très différents. Qui peuvent être n'importe qui. Mais des gens qui partagent ce mot.
- Quel mot, senseï ?
- Kolat...

Samurai

"C'est ainsi que j'appris le dernier secret de Daidoji Dajan. Il était à la tête, non pas du Kolat, mais d'une de ses branches. Il dirigeait plusieurs agents, disséminés dans l'Empire. C'était ce qu'on appelle un oyabun. Le terme est utilisé fréquemment dans le milieu des yakuzas. Les oyabun sont des chefs de clans. Mais ce dont me parlait Dajan, c'était bien plus qu'une organisation de "protecteurs" de cercles de jeux. C'était une conspiration puissante, ancienne, qui avait commencé à noyauter certains postes de pouvoir. Qui étendait ses tentacules sur l'Empire... Et Dajan voulait que j'en fasse partie... De la maison du Condor.
- Vois-tu, me dit-il, le Condor a une mission bien particulière, au sein de notre organisation. Nous devons traquer nos ennemis. Eliminer ceux qui mettent en péril notre projet. Le Condor est un prédateur redoutable, qui tue même d'autres rapaces. Tous le craignent et lui n'a personne qui le chasse. Tu seras un bras armé de notre maison. Mais pas n'importe lequel... Tu auras un rôle bien particulier à jouer. Ainsi l'a voulu notre Maître.
- Maître ? rôle ?

"C'était beaucoup en une seule fois ! Dajan n'a jamais rien dit de plus sur ce grand Maître. Sinon qu'il voyait tout et savait tout, et que nul ne pouvait le trahir sans être bientôt chatié. On me le prouva une fois, en me rapportant mot pour mot ce que j'avais dit à une courtisane, un soir, alors que nous étions seuls, absoluement seuls dans ma chambre. C'était effrayant. Comme s'il y avait eu quelqu'un à côté de nous, sur l'oreiller ! De quoi penser que les histoires de ninjas égorgeurs ne sont que des farces pour enfants ! Depuis, je crus sans hésitation ce qu'on me disait.

"Mon rôle était donc simple : assassiner les ennemis de la conjuration. Je devinai que je n'étais pas seul, dans l'Empire, à occuper cette fonction. Car il apparaissait que le Kolat avait des ramifications partout dans l'Empire. Mais, à vrai dire, j'avais déjà vu des seigneurs des plus honorables mener des coups fourrés et des vengeances impitoyables, qui impliquaient du monde aux quatre coins de Rokugan ! Alors, ce n'était pas non plus exceptionnel qu'une décision de Dajan sur la côte est coûte la vie à un pauvre Licorne dans son étable ! Cependant, je compris que je n'étais pas voué à devenir un assassin ordinaire. Après avoir tué plusieurs personnes sur ordre de Dajan (mais quel samuraï n'a jamais eu à exécuter un tel ordre ?), mon senseï me raconta une vieille légende, qui remontait à une époque fort ancienne. L'époque du Gozoku...

A suivre...Samurai


26e Episode : Dharmic Blues - sdm - 04-11-2007

Woohoo, on rentre dans le vif du sujet là, c'est la version longue, la director's cut, le bonheur à l'état purBonheur


Ah et c'est vrai que c'est bon d'être méchantayame


26e Episode : Dharmic Blues - Gaeriel - 04-11-2007

Ah que c'est bon d'être bon!!!


26e Episode : Dharmic Blues - sdm - 04-11-2007

C'est un duo d'anthologie l'Odieux et la Rageusemdr


26e Episode : Dharmic Blues - Darth Nico - 04-11-2007

Un des piliers de cette campagne !biggrin


26e Episode : Dharmic Blues - Gaeriel - 04-11-2007

C'est de la bonne rage honorablebiggrin


26e Episode : Dharmic Blues - Darth Nico - 04-11-2007

Mwe


26e Episode : Dharmic Blues - Darth Nico - 05-11-2007

Les paysans, postés dans l'entrebaîllement de la porte, muets de stupeur, observaient Ryu, qui n'avait pas remué un cil depuis presque une journée.
- Quelle sainte femme, murmuraient-ils, étonnés qu'une grande mystique comme elle ait choisi leur grange pour venir méditer !

Quand une troupe de soldats de la famille Mirumoto fit son entrée dans le village, Ryu ouvrit un oeil. Bayushi Kishidayu était avec eux. Ryu se leva et dit, mal réveillée :
- Allez, allons-y.
Et ils y allèrent.

En même temps qu'elle demandait des renforts à Heibetsu, Ryu avait ordonné aux villageois de trouver des pisteurs. Ceux-ci s'étaient empressées de répondre à la demande.
Ainsi, la troupe menée par Ryu rencontra-t-elle les pisteurs, qui revenaient vers le village.
- Alors, quelles nouvelles ?
- Noble Ryu-sama ! Nos recherches nous ont menés bien prêts de la frontière du Phénix, où il semble que votre oncle se soit rendue.
- Allons-y, ordonna Ryu.

Il fallut une bonne journée de marche pour traverser les montagnes jusqu'à la frontière la plus occidentale du clan du Phénix. C'était une région aride, presque inhabitée. A leur grande surprise, ils trouvèrent, au poste frontalier, non des bushi de la famille Shiba, mais des Licornes ! Et des plus rustres : des Moto !
Avec leur carrure trapue et leur air farouche, ils ressemblaient à de gros barbares en armure.
- Que faites-vous ici, demanda Ryu.
- Laissez-moi vous expliquez, honorable samuraï, dit l'un d'eux, de sa voix rude, déplaisante. Mon nom est Moto Josuke. Je suis le bras droit du seigneur Shinjo Morito, dont l'armée campe non loin d'ici. Notre armée est venue au secours du clan du Phénix, et depuis, nous avons obtenu l'autorisation de nous établir ici pour surveiller les frontières les plus reculées : ici à l'ouest, tandis que Morito-sama est au grand nord, près des frontières yobanjin. Naguère, c'était le clan du Blaireau qui protégeait ces régions. Mais depuis sa disparition, nous avons pris sa place.
- Je vois, fit Ryu. Je cherche Mirumoto Osamu. Il est en fuite.
- Voici trois jours, un samuraï de votre clan est passé par ici, seul. Mais nous n'avions pas de raison de le retenir. Nous avons ordre de surveiler les barbares, pas d'entraver la marche de nos frères Dragon ou Phénix.
- Je vois...
- Je suis désolé. Si nous avions su que ce bushi était recherché par la Magistrature d'Emeraude...
- Nous allons continuer, dit Ryu, laconique. En terres Phénix, ou plus loin peut-être, vu celui que nous recherchons...

Les Moto saluèrent la troupe et reprirent leur garde vigilante.

Samurai

Ayame s'était réveillée avec la bouche pâteuse. Non seulement elle, Ikky et Kitabakate n'avaient pas parlé complots, mais en plus, elles avaient forcé sur le saké. Ce n'était pas dans les habitudes de l'ascète shugenja, qui avait bien des défauts, mais pas celui de la boisson !
La tête lourde, Ayame prit un bain brûlant. Ikky était déjà dans le tonneau, immergée jusqu'aux épaules. La tête penchée en arrière, elle somnolait.
- Nous allons parler au caporal.
Ikky grogna une vague approbation... Comme si elle avait le choix !
Ayame somnola aussi et la mâtinée était bien avancée quand les deux femmes finirent de se préparer. Après la prière et le repas, elles sortirent en ville, où l'agitation était retombée. Miya Katsu se trouvait souvent dans les bâtiments du Lion Noir, avec Kohei et Shigeru, pour étudier des plans de bataille.
Les deux Phénix se rendirent aux logements des sous-officiers, où elles n'eurent pas de mal à se faire conduire à la chambrée du caporal Hiroru. Qu'elles viennent directement lui parler, au lieu de le faire convoquer, produisait toujours de l'effet chez le commun des mortels, qui se trouvait soudain face à face avec des samuraï d'Emeraude !
- Tiens, qui voilà, sourit Hiroru, de vieilles amies.
- Nous avons à parler, dit Ayame.
Le caporal les suivit paresseusement, en plaisantant au passage avec des soldats.
On s'installa dans la salle à manger collective, encore déserte à cette heure-ci.
- Que puis-je faire pour vous ? soupira, amusé, le "Ninja".
La réponse d'Ayame claqua comme un coup de fouet :
- Tu peux nous parler de ce que tu as dit à Emmon.
- Oh oh ! comme vous y allez de si bon matin !
- Nous avons fouillé sa maison à Morikage Toshi. Emmon n'en serait pas parti sans de bonnes raisons. Il y avait des traces chez lui. Je connais peu de personnes capables de s'introduire chez quelqu'un comme lui... Depuis, il est introuvable.
- Vous êtes perspicace, Ayame...
- A toi de me raconter ce qui s'est passé.
- J'avais un vieux compte à régler avec lui.
- Il savait beaucoup de choses.
- Oui, dit Hiroru, et je voulais qu'il m'aide à retrouver mon passé.
- C'est à dire ?
- C'est à dire ceux qui ont fait de moi ce que je suis.
- Tu es soldat maintenant. Tu en as fini avec ce personnage de "Ninja Blanc".
- Peut-être pas.
- Qui a fait de toi un "Ninja" ? Kitabakate ?
- Non.
- Emmon faisait partie de ces gens ?
- Je l'ignore.
- Il devait bien en faire partie, puisque c'est à lui que tu t'adressais !
- C'est à Kitabakate que je dois parler maintenant.
- Cela peut se faire sans difficulté, dit Ayame, intéressée. Mais méfie-toi : tu ne pourras pas la menacer comme Emmon.
- Ce n'est pas mon intention.
- Tu as menacé Emmon de le tuer s'il ne parlait pas ?
- Oui, en gros.
- Il fallait que tu dois vraiment en position de force pour oser le menacer ainsi.
- J'ai été entraîné à cela.
- Emmon peut tuer un homme en un clin d'oeil.
- C'est trop lent. C'est leur laisser le temps de crier.
- Ce qu'il faudrait, c'est retrouver Emmon. Vous mettre tous face à face.
- Emmon doit être loin maintenant, Magistrate.
- Je vais parler à Kitabakate.
- Vous m'obligez grandement.

Les deux Phénix laissèrent le caporal repartir.
- Nous allons tout mettre à plat, annonça Ayame à sa yojimbo, qui, elle, n'était pas pressée d'assister à cette réunion !

Samurai

Hiruya avait pris la route qui le ramenait vers le Village Stratégique du Nord. Il laissait derrière lui les régions côtières, traversant des provinces de son clan, dévastées. La plupart des villages étaient calcinés : on les brûlait lorsqu'on découvrait un cas de peste. Ces destructions s'ajoutaient à celles perpetrées par le clan du Crabe.

C'était la désolation. Le pays natal de Hiruya était défiguré. On ne pouvait croire qu'on était sur les terres du clan le plus raffiné de l'Empire. On se serait cru aux abords de la grande Muraille. Les Crabes, protecteurs de l'Empire, avait transformé, là où ils étaient passés, Rokugan en un avant-poste de l'Outremonde. Même avec leur retrait progressif, il faudrait des années et des années pour faire disparaître ces blessures ouvertes sur le sol des Grues.

A l'aube, Hruya et son hôte s'étaient quittés, en se saluant sur le quai, alors que passaient des patrouilles de soldats Asahina.
- J'accepte votre défi, Magistrat, et m'honore d'être votre adversaire. Je vous propose de revenir d'ici trois jours.
- Je serai au rendez-vous, avait dit Hiruya, et je remercie l'école Kenshinzen de prêter attention à l'indigne samuraï que je suis.

Et la discussion avec Daidoji Yajinden avait duré toute la nuit.
- Le Gozoku est une période bien troublée de notre Empire, avait dit Hiruya. Chaque fois que j'en ai entendu parler, ce n'était que guerres, assassinats, sombres secrets...
- Oui, cette époque fut témoin de profonds changements dans l'organisation de l'Empire. Le pouvoir du Trône était menacé. Tout aurait alors pu basculer.
- Quelle était cette légende racontée par Dajan ?
- C'était une légende rapportée par un femme importante, appelée la Novice. Elle en avait fait une pièce de théâtre, intitulée le Vol de la grue noire, qui racontait les exploits et la fin tragique d'un héros du peuple. La Grue Noire avait participé aux soulèvements contre le pouvoir impérial. Il était devenu une figure charismatique parmi les premiers samuraï qui perdirent leur clan : les rônins, regroupés dans le clan du Loup. On prêtait à la Grue Noire des pouvoirs surnaturels, dignes de ceux d'un shugenja, et un talent au sabre digne des bretteurs de légende. Cet homme était admiré autant des rônins que du peuple, qui y voyaient là un moyen de lutter contre la dynastie héréditaire des Hanteï et des autres familles impériales. Les sans-noms, les sans-clan trouvaient à lutter à armes égales avec les nobles samuraï de sang divin.
"La Grue Noire accomplit plusieurs exploits, dont l'assassinat de dignitaires impériaux en pleine cité de Bakufu, alors capitale de l'Empire. A l'époque, le trio dirigeant du Gozoku faisait mine de traquer la Grue Noire. En réalité, celle-ci éliminait surtout des dignitaires gênants aussi pour le pouvoir en place, qui avait considérablement affaibli les prérogatives de l'Empereur. De plus, le Gozoku prétendant gouverner au nom du peuple, le charisme de la Grue Noire pouvait lui servir.

"Mais il arriva un moment où ce personnage devint gênant pour le trio régnant. Doji Raigu, daimyo des Grues et champion d'Emeraude, ordonna alors sa capture, voire sa mise à mort immédiate. On raconte que pendant des mois et des mois, la Grue Noire nargua ses ennemis, renvoyant leur tête, les unes après les autres, à la Cité Interdite. A la fin, on raconte que c'est Doji Raigu en personne qui serait venu affronter son insaisissable ennemi. Il aurait gagné par traîtrise, grâce aux conseils de son compère, Bayushi Atsuki, le Maître des Secrets.
"Avec la mort de la Grue Noire, c'en était fini du prestigieux des rônins. Le Gozoku ne sut jamais qui avait entraîné un si formidable adversaire, ni qui il était. Ce mystère contribua évidemment à sa légende. C'est donc la Novice qui en fit une pièce de théâtre, qui était censée montrer quel destin funeste attend ceux qui se rebellent contre l'Ordre Céleste. Mais certains comprenaient la pièce autrement, et y voyait une défense de la Grue Noire, seule et héroïque face à l'injustice et la lâcheté du pouvoir impérial.

"A cette époque, la Novice était la protégée du Gozoku. Elle était bien vue à la cour. On disait même que le troisième membre du trio, Shiba Gaijushiko, lui aurait soufflé quelques vers de sa pièce. Mais c'est le conseiller personnel de Bayushi Atsuki, c'est à dire Bayushi Tangen deuxième du nom, ex-gouverneur de la Cité des Mensonges, qui conseilla bientôt à son maître de prendre de la distance par rapport à cette Novice. De fait, non seulement sa pièce tenait des propos ambigus, mais on prouva bien vite que la Novice avait lentement glissé vers l'hérésie : on retrouva des poèmes crachants à la face de l'Empereur, maudissant l'Ordre Céleste... Les preuves réunies par Bayushi Tangen étaient accablantes. La Novice dut s'enfuir. Elle s'installa au sud des actuelles terres Licornes et y fonda une communauté. Mais vivante, elle restait une menace. Le Gozoku envoya alors une troupe de Lions l'abattre pour de bon, elle et ses fidèles.
"Ayant entendu cette légende, je dis à mon maître :
- Senseï, pourquoi devrais-je, à mon tour, revêtir le costume d'un personnage maudit ?
- C'est l'esprit de la Novice qui était corrompu, répondit Dajan, pas celui de la Grue Noire, dont l'idéal était noble. C'est la Novice qui a voué son esprit aux ombres. La Grue Noire se battait pour la justice. C'est sa suite que tu dois prendre...

"Mon Maître veilla à mon entraînement, en m'envoyant sur les lointaines îles du clan de la Mante. Cela n'était pas difficile, étant donné que j'assistais les Magistrats en charge de la surveillance des côtes, avant d'en devenir contrôleur général. Pendant de longues périodes, je m'isolais et sur ces îles sous le vent, je fréquentais des gaijins qui me firent découvrir des techniques de combat redoutables, inconnues sur nos terres.
"Dajan, lui, partait de plus en plus longtemps en voyage. Il se rendait dans la lointaine vallée des Faucons, où il menait des études secrêtes, en compagnie d'un ancien Inquisiteur de la famile Asako, au sourire large et figé : Asako Nakiro. Je prenais de plus en plus mes distances avec Dajan. C'est alors que mourut une femme qui, dans mes premières années m'avait élevé. J'avais compris que, longtemps, elle avait été geisha. Et Dajan n'était pas le père. Il m'avait juste adopté, en s'assurant que ma mère aurait de quoi vivre.
"Sur les îles, il n'y avait pas que des gaijins ou des gens du clan de la Mante. Je fus aussi approché par des gens, fort aimables, qui me dirent qu'ils connaissaient bien Daidoji Dajan. Ils me firent comprendre qu'il avait été depuis longtemps leur ami, mais que, récemment, il avait mal tourné. Qu'il avait été fidèle à leur cause, sous le nom de Condor. Mais qu'il avait trahi certains principes, en allant dans la vallée des Faucons. Ils finirent par me dire qu'il avait touché à la maho-tsukaï, qu'Asako Nakiro était touché par la Souillure...
"Troublé, je revins dans mon domaine, et y attendit le retour de Dajan. Il revint enfin, en compagnie de Nakiro. Je lui demandai de m'expliquer ce qu'il allait faire. Il hurla que j'étais un insolent, que je devais payer de ma vie cet affront.
- Allons, Dajan-senseï, ne joue pas sur la corde de l'honneur... Cela ne te va pas.
"Furieux, Nakiro menaça de me rôtir sur place si je ne m'excusais pas. Je courbai l'échine et ne dit plus rien. On épargna ma vie. Mais la lueur démoniaque que j'avais vue dans leurs yeux, à eux deux, ne me laissait pas de doute. Ils s'étaient livrés à des rituels de magie interdite. Peu après, Dajan et Nakiro repartaient, très impatients de reprendre leurs recherches. C'était la première fois que Dajan commettait une imprudence : avouer et me laisser en vie. Je mis cela sur le compte de la magie noire. Je retournai sur les îles, et dit aux anciens amis de Dajan que j'avais la preuve de sa corruption. Ravis, ils me dirent que le moment était venu de quitter mon maître, avant qu'il ne m'oblige à verser mon sang pour invoquer les dieux impies. Comme disent les marins de la Mante : "Il faut savoir quand le vent va tourner." Je pris cet adage à la lettre et ne revint pas à la date fixée retrouver Dajan. On me fit comprendre que ce dernier avait voué son âme à la corruption, qu'il était ivre de pouvoir. Que lui et la maison qu'il dirigeait, le Condor, devait dorénavant être détruite.

"Je fus donc intégré à une autre maison, sous la protection de son Maître, un seigneur vêtu de noir et masqué, nommé Cristal, qui me dit qu'il achéverait ma formation... Je n'eus plus de nouvelles de Dajan pendant des années. On m'envoya retrouver plusieurs de ses complices, et les tuer. On fit refleurir la légende de la Grue Noire, vivace dans la mémoire du peuple plus que des samuraï.
"Je n'avais que peu de contacts avec Cristal. D'ailleurs, j'étais peu sollicité. D'autres que moi se faisaient passer pour la Grue Noire, tandis que j'étais envoyé pour les missions les plus périlleuses. La plupart du temps, j'agissais comme un samuraï ordinaire. J'étais contrôleur général du commerce. Je me bâtissais un petit royaume sur les côtes, m'enrichissant du trafic commercial qui allait des terres Yobanjin aux îles et jusqu'aux raffineries de saké de Yasuki Taka ! Je me créais des relations étroites avec le clan de la Tortue, avec les organisations yakuzas... Je devins un des samuraï les plus riches de ma famille.
"Il y a trois ans, Cristal vint me voir à nouveau. Il me sembla qu'il avait changé. Comme je ne connaissais pas son visage, je me dis que l'homme derrière le masque n'était plus le même... Il venait pour une mission de la plus haute importance. Je devais me rendre à Heibetsu, sur les terres du Dragon, pour en ramener une shugenja nommée Agasha Nahoko. Je réussis dans cette mission, en organisant une diversion : je m'étais adjoint les services d'une bande de Crabes, attirés par une potion de perles miraculeuses contre la Souillure de l'Outremonde. Isawa Ayame aurait pu faire échouer nos plans. Elle fut discréditée le temps qu'il fallait.

"Mais quelqu'un d'autre, sans le savoir, se dressait sur mon chemin : toi, Kakita Hiruya. Un vieil oracle m'avait prévenu qu'un samuraï dans cet Empire, était pour moi un ennemi fatal, qu'il me faudrait affronter un jour ou l'autre. Qu'il serait lié à moi par un sort implacable, décidé par les dieux avant notre naissance... Tu as choisi de m'épargner ce jour-là. Ou tu as été trop lent à m'exécuter... Quoi qu'il en soit, Nahoko m'a permis de m'en tirer. Ensuite, nous sommes repartis vers l'est. Sur le chemin, je semai des morceaux de poèmes de la Novice, connue dans cette région grâce à l'Ize Zumi matérialiste qui s'était passionné pour elle, juste avant sa mort. Nous avions déjà aux trousses l'Inquisiteur Kitsuki Hanbeï. Nous lui échappâmes, puis nous partîmes sur l'océan, grâce au passeur Gempachi.

"Tu connais la suite. Dans la Vallée des Cloches de la Mort, je retrouvai Dajan au moment où tu étais face à lui. C'était moi qui te sauvai la vie cette fois. Puis on m'envoya à la Cité des Mensonges, avec Nahoko, exécuter les derniers complices de Dajan. Mais tu fus plus rapide, et tu fis le travail à ma place. Entre temps, j'avais organisé pour Daidoji Uji le convoi de poudre gaijin pour la Cité des Apparences. Il était entendu que cette ville ne reviendrait pas aux Lions. Il m'était facile de me procurer cet explosif, grâce aux gaijins des sept mers qui accostent sur les îles de la Mante...

Yajinden se frotta les yeux.
Il parlait sans discontinuer depuis des heures. Il but et croqua un fruit. Il avait vidé tout son passé. Il soupira, libéré. Il avait attendu tant d'années pour trouver quelqu'un à qui tout raconter. Quand bien même cette personne fût-elle son ennemi juré. Les deux samuraï durent s'assoupir un moment, sans même craindre que l'autre en profite. Il était entendu que le moment n'était pas venu.
L'aube pointait quand ils ressortirent de la cabine.
On nettoyait le pont, les voiles. On ramenait du poisson. Le Magistrat et le Contrôleur se saluaient.

Le soir tombait. Hiruya, fourbu, était de retour au Village Stratégique du Nord.

A suivre...Samurai