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Dossier #1 : Le cuisinier de l'Hippocampe - Guest - 27-02-2007 Exil #1 - Reprenons du début, c'est-à-dire de la nuit où Portzamparc est entré à SÛRETÉ et où Maréchal a été promu inspecteur. - C’est à ce moment qu’ont commencé les évènements ?… - Non, pas si tôt. Mais je pense qu’il est bon de reprendre en amont. - Quels renseignements tu as sur eux ? - Des dossiers. - Combien ? - Dix. - Ils viennent d’où ? - De SÛRETÉ, pour la plupart. - Qu’est-ce que tu veux dire ? Pas tous ? - Non, certains sont des dossiers… des dossiers un peu spéciaux, disons. - Tu veux dire… des dossiers… censurés ? - Appelons-les ainsi. - Mais comment est-ce que tu as pu… ? - Attends. Reprenons du début, tu veux ? C'est-à-dire de ce dossier que j’ai numéroté #1. - Oui, c’est logique. - Au moins au début. - Comment ça ? - Sois un peu patient. Bien, alors, je disais que ce soir-là, les deux hommes prenaient du galon. - Que faisait Maréchal ? - Il avait encore Novembre pour supérieur. Ils interrogeaient depuis des heures et des heures un truand minable, accusé de meurtre. - Et Portzamparc ? - Il se mettait en grande tenue pour la cérémonie de réception des nouveaux flics, au quai des Oiseleurs. - Et il s’est retrouvé affecté dans le commissariat de Mägott Platz ? - On ne peut rien te cacher ! DOSSIER #1<!--sizec--><!--/sizec--> Dossier #1 : Le cuisinier de l'Hippocampe - Guest - 27-02-2007 EXIL
Dans la nuit éternelle d’Exil, Les lampes grasses brûlent, timides. Les mitiers plongent dans la brume au bout de leurs fils Et les passerelles rouillent dans l’air humide. Créatures, anges, gouffres, orages : L’insondable noirceur de l’océan Noie les explorateurs du large. Les ballons – taxis sont des dessins d’enfant. Machines qui rêvent, vapeurs merveilleuses Trams, Cité des métamorphoses industrielles. Lune branchée à l’électricité universelle ! L’insomnie règne et l’angoisse creuse Des cauchemars hypersensibles Dans Exil, dédale de l’acier et du vide.<!--sizec--><!--/sizec--> Dossier #1 : Le cuisinier de l'Hippocampe - Guest - 27-02-2007 DOSSIER #1<!--/sizec-->
LE CUISINIER DE L'HIPPOCAMPE<!--/sizec--> SHC 3 - RUS 0 - IEI 0 Maréchal se réveilla en sursaut. Au-dessus de lui, une lampe de plafond grésillante se balançait rapidement. La salle de bain était verte, et vide en dehors de la baignoire vide où l’inspecteur était allongé. Il avait froid. Il entendait l’eau goutter quelque part et le grondement lointain du tramway. Par la fenêtre, le clair de terre de Forge jetait une lumière blafarde, crue. Dehors, des immeubles délabrés et une rue déserte. Maréchal entendait de plus en plus distinctement le bruit d’une frappe au chromatographe, rapide et précise. Il sentait très fort la cigarette, dans son imperméable gris. Il ne se souvenait plus de ce qu'il avait bu la veille, ni d'où il avait fini. Il savait qu'il n'était pas chez lui, ni chez une connaissance, ni dans son quartier. Il sortit de la baignoire, alla vers l’unique porte de sortie, entrebâillée. Elle donnait sur une grande terrasse, sur laquelle se trouvait une sorte de navire archaïque, comme les Leviathans qui parcourent l'Océan Noir, et dont les projecteurs éclairaient violemment la nuit brune. Les bâtiments, immenses, plongeaient dans les noirceurs du ciel. Les projecteur se braquèrent sur Maréchal, qui se protégea le visage de la main. Il entendit une voix derrière lui. - Le temps est écoulé, inspecteur. Vous avez dû trouver les trois indices, maintenant. Il voulut se retourner. Il se réveilla, allongé sur le lit de camp, dans le bureau des détectives. On était en pleine nuit. Dans la pièce d’à côté, l’inspecteur Novembre menait, depuis huit heures, l’interrogatoire d’un petit truand. C’était l’heure pour Maréchal de reprendre son poste. Il croisa le détective Rampoix, qui allait prendre sa place sur lit. - Bon courage, il est costaud celui-là... Du sommeil plein le corps, Maréchal entra dans le bureau de Novembre et alla s'asseoir à la machine à écrire. Il fit craquer ses doigts et repositionna le rouleau de la machine à gauche. - Tu y es, Maréchal ? Novembre ralluma un bout de cigarette. Le détective approuva. - Bon alors, on va reprendre du début, hein... Le truand pouvait avoir une petite trentaine. Il soupira, fatigué, mais pas décidé à passer à table. - Nom et prénom. - Sobotka. Pavel. - Profession ? - Marchand ambulant. Novembre ricana. - Marchand ambulant, tu entends ça, Maréchal ? Le détective ricana en même temps que son supérieur. - Et tu vends quoi ? - Bah toutes sortes de choses : des briquets, des cordes, des lampes... - Et tu peux me dire ce que tu faisais sur la Platz, hier soir, à 2h du matin ? - Bah je passais avec ma roulotte quoi... - Tu avais beaucoup de clients à cette heure-ci j'imagine... Novembre tira sur sa cigarette. Maréchal tapait machinalement. - Pas beaucoup, non. - Tu en as eu au moins un... - Un seul c'est vrai. - Son nom ? - Je ne sais pas. - Je vais te le dire : il s'appelait Rupert Beltrando. 34 ans. Employé de la banque Pham'Velker. - C'est possible, chef... - Et tu es le dernier à l'avoir vu vivant. Il était quelle heure quand tu l'as croisé ? - Je sais pas. 2h peut-être... - Beltrando a été retrouvé mort, à 3h, par une patrouille de PANDORE. Qu'est-ce que tu en dis ? Pavel Sobotka baissait la tête. Novembre finit sa cigarette. Il fit signe à Maréchal de venir avec lui dans le couloir. A cette heure-ci, le commissariat, noir à l'extérieur, blafard à l'intérieur, somnolait. C'est l'heure où la fatigue est la plus forte, où elle pèse lourd sur les corps. - Ecoute, disait Novembre, j'ai besoin de faire une pause. Je n'ai pas dormi depuis trente heures et ça fait bientôt sept heures que je suis avec cet imbécile. Tu vas reprendre tranquillement avec lui. Montre-lui qu'on a tout notre temps. Tu devrais avoir bientôt les résultats du laboratoire, ça peut accélerer ses aveux. - Compris, chef. - A tout à l'heure. Maréchal entra. Sobotka s'assoupissait. - Allez, réveille-toi. Le détective prit une belle feuille blanche et la roula lentement dans la machine. - On y va. Nom et prénom ? Le suspect soupira lentement. Il fallait s'y remettre. - Donc tu as croisé l'employé. Tu lui as parlé ? - Il voulait m'acheter un briquet. - Tu lui en as vendu un ? - Non, finalement, il n'a pas voulu. - Ce qui a dû t'énerver. - Oui un peu. - Un peu, oui... Maréchal tapa quelques mots. - Et tu t'es énervé ? - Non... - Juste un peu. - Trois fois rien, quoi... Ce type, c'était un rupin. Dans son beau costume. - Un beau costume d'employé de banque. Et toi, petit vendeur ambulant... - C'était un sale richard, vous voyez... - Ouais, confirma Maréchal, un sale bourge d'employé de banque. Qui gagne plus en un mois que toi en un an. - Oui c'est ça ! sourit Pavel. - Il n'a rien voulu t'acheter et tu en as eu marre... - Oui, c'est ça. - Et tu l'as un peu bousculé. - Rien qu'un peu, quoi ! Enfin, ce type, il est derrière son bureau, il ne connait pas la rue ! Pour nous, dans la rue, c'est trois fois rien. Mais pour lui, cette chochotte... - Donc tu reconnais l'avoir frappé. Maréchal nota. - Il ne t'a rien acheté et ça t'a foutu en rogne, Pavel. - Oui, c'est ça... - Et ensuite, il s'est énervé, peut-être. Et vous vous êtes battus... - Pas vraiment, non... On toqua à la porte. Un homme passa la tête : Gaston Rainier, de la police scientifique. Maréchal passa dans la porte à côté. On se serra la main. - J'ai les résultats des analyses, détective. L'employé de la banque consommait de la cocaïne. Il en avait encore sur les doigts. Ces gens-là ne comptent pas leurs heures. Ils ont besoin d'excitants pour tenir. Maréchal savait que Sobotka avait déjà été pris pour vente de drogue. - Et il est mort comment, l'employé ? - Coups de couteaux, vraisemblablement. C'est le coup au coeur qui a été fatal. Mais il a aussi été frappé aux reins et dans le dos. - On s'est acharné sur lui. - Certainement. - Je vous remercie. Maréchal retourna dans le bureau. - Hé bien voilà, Pavel, on y est ! La Scientifique vient de nous dire toute la vérité. Ton cas est clair. - Comment ça ? - Le type était dans un état second. Et peut-être que toi aussi. Vous aviez consommé de la poudre, tous les deux. Possible que tu lui en aies vendu. Parce que, entre nous, ton histoire de briquet, hein... - Mais attendez, c'est des conneries ! Comment ils peuvent savoir, ces flics dans leur labo ! Ils étaient pas dans la rue avec moi ! - Allons, Pavel, la police scientifique fait des merveilles de nos jours. Ils savent ce qui s'est passé, comme s'ils l'avaient vu. - Mais non enfin, je vous dis que- - Dis-moi, Pavel, fit Maréchal, songeur, tu as un couteau dans ta roulotte ? - Un couteau ?... Oui, je crois... - Tu crois... Ecoute, on va aller voir. J'espère pour toi qu'il s'y trouve. Le détective prit son imper. Dans la tisanerie, il retrouva Rampoix, qui buvait un café, après son petit somme. - Alors ? - C'est presque fini. Tu as le temps de m'accompagner sur la Platz ? - Si tu veux. Les deux hommes sortirent du commissariat, pendant que Sobotka était raccompagné par un Pandore dans sa cellule. La Platz était le centre du quartier. Elle était entouré par les bâtiments officiels et les succursales d'importantes corpoles, dont la Pham'Velker, ainsi que par l'immeuble d'un gros syndicat ouvrier. La roulotte de Sobotka était gardée par un Pandore, immobile sous la fine pluie. Les deux détectives de SURETE le saluèrent. - On a besoin de fouiller. - Allez-y, fit le prétorien, content de pouvoir aller boire un coup au bistrot d'à côté. Les deux détectives renversèrent la roulotte et la vidèrent sans ménagement. Au milieu du bordel, Maréchal trouva une cuillère tordue et noircie. - Tu trouves quelque chose, Rampoix ? - Pas de couteau. Les deux hommes vérifièrent minutieusement et abandonnèrent la roulotte vidée sous la pluie. - Pas de couteau, Sobotka. Le truand blêmit sur sa chaise inconfortable. - Donc c'est clair. Tu as croisé Beltrando, vous en êtes venu aux mains. Et tu l'as proprement poignardé, avant de t'acharner sur le corps. Devant un jury, l'avocat de la partie civile traduirait cela en : "assassinat avec acharnement sauvage". - Quelque chose à ajouter, Pavel ?... - Non, je vous jure ce n'est pas moi ! La porte s'ouvrit et Novembre, hiératique, lugubre, coléreux, entra. Sobotka le fixa avec des yeux exorbités. - Tu commences à nous faire sérieusement chier, mon garçon ! Maréchal enleva la feuille de l'imprimante et en remit une autre pendant que Novembre reprenait sa place au bureau. - Alors, on va reprendre ensemble, depuis le début, une dernière fois... Dossier #1 : Le cuisinier de l'Hippocampe - Guest - 28-02-2007 Le planton à l'entrée du bâtiment de la police judiciaire saluait les citoyens en grande tenue qui pénétraient dans la cour. Le Quai des Oiseleurs était en proie à une agitation particulière. A la fenêtre de leurs bureaux, en bras de chemise, les hommes de SÛRETÉ regardaient leurs nouveaux collègues, frais, excités, se réunir et enlever la moindre poussière sur leurs uniformes. C'était chaque année le même spectacle et ceux qui travaillaient dans cette prestigieuse maison avaient eux aussi commencé par cette cérémonie. - La relève est assurée. - Sûr, mais il va falloir qu'ils se forment sur le terrain. Regarde-les, se prendre pour les rois du monde. Mais c'est maintenant que ça va commencer pour eux. - Oui, dès demain, ils se retrouveront à mener un interrogatoire. Ou à faire le café pour leurs supérieurs ! - Qui sait si bientôt quelques-uns d'entre eux ne seront pas nos collègues... - Je me souviens comme j'étais, le jour où j'ai assisté à cette cérémonie. J'avais fait la fête toute la nuit, j'étais pas frais ! - Et moi toute la nuit d'après ! Les jeunes diplômés discutaient en fumant. - Tiens salut, Jacques ! Celui qu'on appelait se retourna : c'était un solide citoyen, avec de grandes moustaches tombantes, l'air soucieux. - Tiens, Jean-François ! Il reconnaissait un de ses collègues de PANDORE, la brigade de surveillance des rues et de répression des émeutes. - Alors, toi aussi tu fais ton entrée dans la Boutique ? - Comme tu vois, répondit Jean-François. - Finis pour nous, les patrouilles de nuit. - A nous les planques ! - Ne m'en parle pas. Enfin, on va bientôt sentir la différence à la fin du mois. On passe classe C maintenant. - Oui, ma femme et moi allons d'ailleurs déménager pour que je puisse me rapprocher de mon commissariat. - Je me demande où ils vont nous envoyer, soupira Jacques. Jacques avait déjà vécu. Il avait longtemps fait divers boulots ingrats avant d'entrer à PANDORE puis en passant le concours de SÛRETÉ. Il aurait eu l'âge d'être officier mais il se trouvait avec des citoyens bien plus jeunes que lui. Jean-François de Portzamparc approchait la trentaine. Solide, athlétique, l'air sûr de lui, dégagé, il avait une posture qui respire la santé et inspire la confiance. Il avait le maintien militaire de son Autrelles d'origine, la carrure requise par PANDORE et la dose de vivacité nécessaire pour faire un policier convenable. Il sortait de plusieurs moules mais il semblait bien adapté poru affronter la vie. A côté de lui, Jacques avait les épaules plus tombantes : il n'y croyait plus autant, il sentait qu'un pan de son existence était déjà passé. - S'il vous plait, les titulaires du concours 206 de SÛRETÉ ! C'était un officier de la Maison, en uniforme, qui venait signaler qu'il était l'heure de rentrer dans le grand hall. Les policiers furent menés à la salle des archives, où traditionnellement ils étaient reçus par une des "huiles" du Quai, avant de recevoir leurs papiers. Cette année encore, c'était le commissaire-divisionnaire Ménard, de la police judiciaire, qui avait été retenu pour le discours d'accueil. Ménard était déjà une légende dans la Maison. Bon vivant, épais, il avait une réputation de limier implacable, souvent infaillible, rusé comme un renard et tenace comme un chien de chasse. Socialement, sa réputation était détestable : il passait pour n'avoir aucune manière et se comporter comme un rustre même à la table d'un ambassadeur. Mais ses résultats excellents le mettaient à l'abri de la rétrogradation que ses manières auraient pu lui valoir. Souriant sous ses moustaches, content de lui, il serra quelques mains dans la salle, rit bien fort avec quelques collègues et monta à la tribune, en regardant, d'un air paternaliste et ravi, les jeunes collègues dans leur bel uniforme. Il avait sa grosse pipe à la bouche et ne l'éteignit que pour commencer son discours, devant un parterre muet de respect devant cette incarnation du Flic Idéal ! Dans le bureau de Novembre, l'interrogatoire reprenait. Maréchal comme sténo, son supérieur, de fort méchante humeur, assis en face du suspect. - Tu essaies de gagner du temps, Pavel, mais tu es perdu. Signe et tu pourras aller dormir. La Scientifique nous a tout dit sur toi. Tu as consommé ta poudre. Tu croises Beltrando, qui sort de chez Pham'Velker. Peut-être que tu lui vends régulièrement de la drogue. Il en a sans doute besoin. D'une manière ou d'une autre, la conversation s'envenime entre vous. Et tu finis par le suriner à l'ancienne. Et tu t'acharnes sur lui. Classique. Tuer rend les faibles comme toi hystériques. Vous en voulez au mec de clamser et vous voulez lui faire payer. Pas besoin d'avoir fait psycho pour ça... Quelque chose à ajouter, Maréchal ? - On a trouvé la cuillère dans sa roulotte, celle sur laquelle il fait chauffer sa poudre. Et le couteau n'y était pas. - Tu as dû le balancer du haut de la première Passerelle venue. Si on voulait, on finirait par mettre la main dessus, va. Mais tu vas être raisonnable et avouer, hein Pavel ?... Le truand restait courbé en deux, retenant ses larmes. Novembre s'approcha : - Tu l'as tué, Pavel. Tu l'as tué... Allez, avoue, qu'on aille dormir, qu'est-ce que t'en penses ? Le commissaire Ménard toussota pour s'éclaircir la voix : - Mesdemoiselles, mesdames et messieurs, au nom de SÛRETÉ, je me permets de vous dire que je suis fier de vous !... Vous avez choisi de devenir les protecteurs de notre magnifique Cité exiléenne et vous vous êtes donné les moyens de votre ambition. Vous avez réussi et maintenant, une partie de la charge de protéger nos concitoyens vous revient ! "La théorie, vous la connaissez maintenant. On vous a posé des questions de droit, de culture générale, d'exiléen et vous avez réussi ces tests. Certains d'entre vous ont déjà soit l'expérience du terrain soit d'ADMINISTRATION au sens large. Les autres découvrent un nouvel univers. Mais tous, vous allez être les agents de TRIBUNAL, les garants de la paix et de la loi sur notre lune. Novembre tournait en rond et écrasait encore une cigarette sous son talon. - A quoi tu joues, Pavel ?... Je te préviens, un flic, après dix heures, ça devient méchant... Surtout quand il n'a pas dormi depuis longtemps... Tout t'accuse. Quand on en arrive à ce point-là, Pavel, quand les mots ne suffisent plus pour faire parler, on passe à autre chose... Maréchal enleva la feuille qu'il venait de noircir d'encre. Il comprit que sténographier la suite immédiate de "l'entretien" ne serait pas indispensable. Ménard alluma sa pipe, ronronnant de plaisir en même temps qu'elle grésillait. - Alors, j'aurai envie de vous demander, chers collègues, quelles sont les qualités d'un bon policier ? Mais comme nous ne sommes plus aux épreuves orales, je vais répondre moi-même. "D'abord, je crois, après bientôt trente ans de carrière, qu'un bon policier doit être dévoué à son travail. - Ecoute, Pavel, ça fait dix heures que je m'occupe de toi. C'est trop. Ma femme m'attend à la maison. J'ai autre chose à foutre qu'à m'occuper d'un merdeux comme toi. Et pourtant, tu vois, je reste, alors que je pourrais te laisser avec mes détectives. Et non... - Il doit se dire que sa vie tourne autour de son métier, qu'il doit être prêt à ne pas compter ses heures, à travailler sans relâches à combattre le crime sous toutes ses formes. - Et j'en ai connu, des fripouilles, comme toi, et des coriaces. Mais si coriaces pour un crime crapuleux minable, rarement. Des truands, des joueurs, des drogués, des maniaques, des délateurs, des maris cocus, des femmes adultères, des héritiers impatients, il en est passé des dizaines dans ce bureau ! - Le policier doit, pour se faire, être intègre, maître de lui-même et connaître par coeur le code civil ainsi que les réglements afférents à l'exercice de ses fonctions. - Tu vois, Sobotka, là tu passes les bornes... Et Novembre envoya une gifle retentissante au truand, et une seconde. Attaché à sa chaise, Sobotka tomba en arrière. Novembre le releva par le col, pendant que Maréchal, qui avait un peu mal pour la victime, soupirait en détournant le regard. - Et, donc, chers collègues, si je n'avais qu'une chose à dire, ce serait celle-ci : - Tu n'es qu'une fripouille, Pavel ! Un minable ! Et tu vas finir pendu ! Tu te souviens, il y a trois ans, tu étais déjà là ! Et je te l'avais promis ! - Ce n'est donc qu'en ayant présent à l'esprit ces règles élémentaires que vous ferez honneur à notre Cité et que vous pourrez vous dire, avec fierté : - Quand je vois une fripouille comme toi qui me prends du temps alors que les gosses m'attendent à la maison et que d'autres tueurs courent les rues, ça me donne envie de gerber ! - Je vous remercie de votre attention. Encore bravo à tous ! Les applaudissements retentirent dans la belle salle au parquet ciré, avec ses grands tableaux aux murs. - Je vous invite à passer au buffet et à signer votre titularisation dans notre corps administratif. De Portzamparc prit un verre sur la table et se dirigea vers le guichet où d'autres collègues faisaient déjà la queue. - Tenez, signez ici et ici. - Pitié, je signe, je signe ! Le nez sur le bureau, Sobotka prit la plume tendue par Novembre et signa la déposition. - Très bien. - Je vous remercie, monsieur. Au suivant ! Un autre fonctionnaire tendit à de Portzamparc son dossier d'affectation, une belle chemise en cuir avec un cordon rouge et l'emblème du quai des Oiseleurs gravé en lettres d'or. Deux hommes de PANDORE vinrent chercher Sobotka et l'emmenèrent en cellule. Novembre alluma la cigarette de la victoire. - Mon vieux, j'ai cru qu'on en sortirait jamais ! Maréchal se levait et s'étirait. Le jeune policier se fit remettre son arme et, fiérement, sortit dans la cour. Il avait le coeur palpitant, au moment d'ouvrir son dossier. Maréchal et Novembre passèrent dans le bureau des inspecteurs pour un brin de toilettes. L'inspecteur, vaseux, prit sa mousse à raser, s'en étala et enlever cette barbe naissante, cette barbe vieille comme l'interrogatoire. - Maintenant, je ne vais plus dormir, dit Novembre, dont la montre indiquait presque 6h du matin. Ca te dit qu'on aille se manger une soupe à l'oignon à côté ? Maréchal, fatigué, se passait de l'eau sur le visage. - Si vous voulez, patron. - Allez, je t'invite. Les deux hommes prirent leurs vestes, leurs chapeaux et traversèrent la rue. A l'angle de la Platz, ils avaient leurs habitudes dans un bistrot où le patron, un ancien flic, les accueillait souvent par l'apéro-maison, surtout quand ils arrivaient après un interrogatoire difficile. Cette fois-là encore, ils firent l'ouverture. Ils arrivaient même avant les ouvriers qui commençaient à l'usine à 7h. De Portzamparc salua son collègue Jacques. - Ils m'ont envoyé aux passantes, soupira ce dernier, mécontent mais résigné. - C'est loin de chez toi ? - Ne m'en parle pas !... Et toi ? Le jeune policier ouvrit enfin son dossier, sûr de sa bonne fortune : - Ils m'envoient à... Mägott Platz ! 132, 1127, 2318. Excellent, ce n'est pas si loin de chez moi. Allez, je rentre, ma femme m'attend ! - A bientôt ! - On s'appelle, Jacques, j'ai ton numéro de parlophone. Novembre et Maréchal mangèrent bruyamment leur soupe, rendus brutaux, irritables, par cette journée interminable à l'issue de laquelle sommeil et veille se distinguaient mal. - Je vais retourner directement au commissariat, dit Novembre et m'allonger un peu dans mon bureau. Toi, rentre chez toi, et repasse en fin de journée. - Entendu. De Portzamparc allait sauter dans le tramway quand il reconnut plusieurs de ses collègues qui allaient boire un verre à la célèbre brasserie Mazarine, à côté du quai. Il se joignit à eux et ne ressortit du grand établissement, avec ses grandes lumières, ses miroirs et ses décorations en fer forgé, que bien plus tard. Il rentra chez lui, légérement titubant, accueilli par sa femme qui lui sauta dans les bras. Maréchal entra dans son petit appartement, à proximité des logements ouvriers. Il retrouva son lit, son armoire, sa cuisinière, son coin salle de bain, son miroir et son blaireau, cet environnement familier qui ressemblait étrangement au bureau des détectives, comme si son logement était devenu, après des dizaines de nuits blanches, une simple annexe du commissariat. Le détective sortit une bouteille qu'il termina, allongé sur son lit et s'endormit enfin, après avoir cessé de compter les cigarettes qu'il avait fumées. Avant de s'endormir, il revit Sobotka sortir, menotté. - A propos, avait dit Novembre, c'était ta centième affaire, Maréchal ! Tu te rends compte ! - Comme vous dites, inspecteur. - Ah, c'était moi, avait dit Pavel, riant jaune. - Et oui, c'est toi. Novembre trouvait à se réjouir. - Donc bientôt, ADMINISTRATION va nous envoyer ton dossier de reclassement, Maréchal ! Remercie Pavel ! - Qu'est-ce que vous auriez fait sans moi, hein ! - On aurait attendu, répliqua Novembre, cassant, le prochain imbécile qui pense qu'on tue impunément sur Mägott Platz ! Dossier #1 : Le cuisinier de l'Hippocampe - Guest - 28-02-2007 Antonin Maréchal s'accorda huit royales heures de sommeil et émergea péniblement. La première qu'il vit fut la demi-nuit perpétuelle d'Exil à travers la vitre de son appartement et le verre de la bouteille vide de whisky forgien. Il se sentait lourd et crasseux. Il avait froid de saleté. Il s'accorda une voluptueuse douche brûlante. Il entendait le bruit des canalisations, bruit qui semblait provenir d'un univers lointain, métallique, inconnu. Il retourna au commissariat en pleine journée. Il n'étais pas frais, il n'avait pas envie d'aller travailler mais enfin, il tiendrait le coup. Pour changer, une bonne nouvelle l'attendait : la secrétaire lui tendit un gros dossier administratif qui venait d'arriver. A l'intérieur, son attestation de reclassement et son nouveau badge. Il pouvait maintenant se nommer : inspecteur 2e classe Maréchal ! Il vit alors ses collègues sortir dans l'entrée et l'applaudir. - Ah, finit-il, faussement naïf, vous étiez au courant ? Novembre arriva avec une bouteille de bon cru 199. - Allez, on va boire le coup quand même. Autant profiter des bonnes occasions. Ce fut luxueux : des verres de rouge dans les vieux verres du comissariat qu'on ne sortait en général que pour le nouvel an, sur la table de la tisanerie. - Viens, ton bureau est prêt. Oui, on t'a préparé ton petit chez toi ! - Oh fallait pas ! Le nouvel inspecteur traversa le couloir, suivi des autres : il avait son nom sur la porte au verre dépoli. "Antonin Maréchal". Oui, ça en jetait ! Il poussa la porte de son domaine. C'était l'annexe de chez lui désormais ! Un bureau bien rangé avec un bon siège en cuir. Et sur le bois de la planche, la trace des talons de son prédécesseur. - Allez, je te laisse, dit Novembre. Tiens, à propos, on a reçu un autre dossier : on va avoir un nouveau. ADMINISTRATION a bien fait les choses. Ils nous envoient un détective qui sort juste du Quai des Oiseleurs. - Très bien. - Tu pourrais peut-être t'occuper de- - Quoi, moi, veiller sur lui ? - Tu serais une vraie mère pour lui... - Vous êtes dur, inspecteur. - Hé, cause correct à ton égal, fit Novembre avec un clin d'oeil. Allez, je te laisse prendre possession des lieux. Maréchal transporta son bazar et bientôt la pièce était devenue un beau capharnaüm. Mais il se sentait bien dans son territoire. Il en profita pour piquer un petit somme agréable. Jean-François de Portzamparc, devant sa glace, s'habillait pour son premier jour de travail. Sa femme veillait de près à sa correction. - Remets ton col, il n'est pas droit. Et ce noeud de cravate... - Tu regardes pour un nouvel appartement ? - J'ai déjà commencé à me renseigner sur le quartier. Je vais contacter des agences immobilières et puis j'irai faire un tour là-bas. J'en profiterai pour acheter quelques babioles. Si tu veux, on peut se retrouver quand tu sortiras du commissariat. - Pourquoi pas, mais je ne peux rien te promettre. Tu sais, à SÛRETÉ, on n'est pas des bureaucrates, on est avant tout des hommes de terrain. On ne peut pas compter nos heures. - J'espère qu'ils ne te garderont pas trop longtemps le premier jour. Allez va, tu es magnifique ! De Portzamparc embrassa sa femme et descendit prendre le tramway. Il en eut pour une demi-heure de trajet, dans une rame presque vide. Il descendit à l'arrêt Mägott Platz, traversa le grand espace, passa devant la banque Pham'Velker et le syndicat des tisseurs. Il trouva le petit commissariat, dans une rue discrête. Il se présenta à la secrétaire qui prit son nom et commença à le taper, avec deux doigts, à la machine. Mais elle tapait si lentement qu'à ce rythme, il y en avait pour la soirée. - Que se passe t-il, Priscilla ? dit un grand policier fatigué, la cinquantaine, en s'approchant. - Ce monsieur est le nouveau détective, fit la secrétaire de sa voix perchée. - Ah très bien. Inspecteur 1ère classe Jules Novembre. Enchanté, monsieur ? - Jean-François de Portzamparc. Enchanté, inspecteur. - Venez, vieux. Pendant que mademoiselle Blandie remplit votre dossier, on va vous faire faire le tour du propriétaire. Le détective découvrit les lieux, à l'exception de celui du commissaire qui, selon Novembre, était "occupé pour le moment". La visite se termina par le bureau de l'inspecteur Maréchal, qu'on réveillait manifestement. Il serra la main de Portzamparc, impatient de retourner à ses "occupations". - J'espère que nous ferons du bon travail ensemble. - Je n'en doute pas ! Maréchal referma la porte et reprit place dans son siège. Il rechercha le fil perdu de ses rêves et se rendormit bien vite. De Portzamparc déposa ses affaires au vestiaire et alla s'asseoir au bureau des détectives. L'atmosphère était calme. Rampoix jouait aux cartes avec Gandin. On ne misait que des allumettes et on fumait beaucoup. Le jeune arrivant se joignit à la partie. La journée commençait en douceur... Dossier #1 : Le cuisinier de l'Hippocampe - Guest - 28-02-2007 De lourds nuages teignaient le demi-jour d'Exil en grisaille pesante. L'obscurité entrait en filets noirs à travers les stores de la fenêtre. Dans l'air bleu fumée de son bureau, Maréchal classait des dossiers et tapait à la machine quelques documents pour son reclassement. Au plafond, le ventilateur tournait avec peine, sans pouvoir éclaircir l'atmosphère brumeuse des lieux. Au début, il ne la vit pas. D'abord, ce fut un parfum lourd, capiteux. Une odeur entêtante qui pénétra en lui et ne le quitta plus. Puis elle ouvrit la porte et entra. Maréchal en eut le souffle coupé. Il avait retenu sa respiration. Quand il put enfin expirer, il était déjà empli de sa présence. Il se leva de son fauteuil pour l'accueillir. Elle portait un strict tailleur noir, une voilette de deuil à son chapeau. Des talons aiguilles assez fins pour poignarder quelqu'un. Un petit sac à main qu'elle tenait contre elle. Elle était d'une beauté vénéneuse bien qu'elle essayât de passer pour un ange déchu. Elle alluma une cigarette qui fut marqué de son violet à lèvres. D'une voix vaporeuse, pleine de fumée, elle dit : - Bonsoir, inspecteur... Mon nom est Ute Lamborghini. On m'a dit que vous pouviez me recevoir. Maréchal déglutit. - Evidemment, madame. Je vous en prie, asseyez-vous. Son regard perçait celui de l'inspecteur comme un coup de feu. Elle était dangereuse comme une prise d'otage, attirante comme une promotion. - Expliquez-moi ce qui vous amène ici. - Voilà, fit-elle en étouffant un sanglot, je viens vous voir car je crains que mon fiancée n'ait disparu... Elle roulait imperceptiblement les "r". On aurait sauté du haut d'une passerelle pour l'entendre parler. - Et... qu'est-ce qui vous fait croire ça ? dit Maréchal en rejetant son chapeau en arrière. - Je n'ai pas de nouvelles depuis plus de trois jours. Et je ne l'ai pas vu depuis une semaine. - Que fait votre fiancé, mademoiselle Lamborghini ? - Il est dans les assurances. Je ne sais pas bien quoi. Il démarche je crois. Nous nous connaissons finalement peu. Nous nous sommes fiancés sur un coup de tête. - Comment se nomme t-il ? - Louis. Louis Tourville. Maréchal notait sur un bout de papier, pour la forme. Envoûté par la voix de cette femme, il sentait chacune de ces paroles s'inscrire en lettres de feu dans son corps. - Où réside t-il ? - Il change souvent de lieu de résidence. Je sais qu'il avait pris récemment une chambre dans un hôtel... qui s'appelait... attendez... oui, le Negresco. Maréchal connaissait l'endroit : ce n'était pas le palais de l'élégance. Un hotel meublé, avec des clients de passage venus de n'importe où. - Vous-même, mademoiselle Lamborghini, où résidez-vous ? - J'ai une chambre depuis un mois à l'hôtel Novö Art. C'était l'un des deux palaces du quartier. - Depuis un mois ? - Oui, c'est Louis qui m'a payé la chambre. - Entendu. D'autres choses ? - Non, rien de matériel. Mais je crains vraiment pour Louis. Tenez, je vous ai apporté une photographie. - Ah très bien, vous facilitez grandement mon travail. Maréchal observa le cliché : il avait été pris dans les hauteurs de la ville, sur la terrasse d'un beau quartier. Tourville devait approcher la soixantaine. Solidement bâti, il avait une carrure d'ouvrier avec de grosses mains de travailleur. Rien à voir avec l'élégante et fragile Lamborghini. - Nous allons tout faire pour retrouver Louis Tourville, dit Maréchal en raccompagnant "Ute" à la porte. - Merci beaucoup, inspecteur, fit-elle, éplorée. Elle sortit et Maréchal dut se rasseoir un moment, étourdi, perdu. Il savait à peine où il se trouvait. Son bureau tanguait et il sentait le sol prêt à se dérober sous ses pieds, comme s'il allait plonger dans le ciel étoilé ! C'était l'ivresse comme il en connaissait rarement, une douce euphorie. Il sortit enfin de son bureau. Dans le commissariat, pas un bruit. Soudain, une porte s'ouvrit et toutes ensembles : - Oh, mon salaud ! Des sifflets, des lazzis, des cris de jalousie ! - Inspecteur Maréchal, fit Novembre en se dandinant et en imitant l'accent de "Ute", yé souis terriblément inquiète ! - Inspecteur ! fit un autre avec une voix de fausset. - Mon cochon, tu sais ce que c'est, le prestige du titre maintenant ! - Alors, elle t'a demandé quoi ? - Un instant, fit l'inspecteur, soudain maître de lui, c'est mon dossier. C'est moi qui en suis chargé. Amusés, les détectives sortaient de la pièce où ils jouaient aux cartes. - Ecoute, dit Novembre, ce serait l'occasion de mettre le pied à l'étrier de Portzamparc, qu'est-ce que tu en penses ? - Entendu. Venez, mettez votre manteau, nous allons faire la tournée du quartier. Jean-François enfila son imperméable, mit son chapeau et suivit l'inspecteur dans les rues de Mägott Platz. Ils commencèrent par l'hôtel Negresco, où le patron, toujours très bien avec la police, leur assura qu'il n'avait aucun problème avec ses locataires. - Nous n'en doutons pas monsieur, fit Maréchal. Pour le moment, nous voulons savoir si vous avez eu cet homme parmi vos locataires. L'inspecteur montrait la photo laissée par la Lamborghini mais il la cachait du pouce. - Comme ça, je ne me souviens pas. Vous savez, il passe tellement de monde ici... - Il se nomme Louis Tourville. Le patron chercha dans ses registres : - Oui il était ici il y a deux jours. Il a loué une chambre pour la nuit. - Il a rencontré du monde ? reçu des gens ? - Attendez oui, je crois me souvenir... Oui, un certain Dimitri, que j'ai déjà vu dans le quartier... Et puis d'autres gens, que je ne connaissais pas. - Bon, si vous vous souvenez de quoi que ce soit, vous me contactez, compris ? - Oui, inspecteur. Les deux policiers continuèrent la tournée, sous la pluie, dans les quatre autres établissements du même genre. Ils purent retracer le parcours de Tourville pendant la dernière semaine. Il avait dormi tous les soirs dans les hôtels, restant une nuit ou deux dans chaque. Dans deux d'entre eux, y compris le Negresco, il avait reçu de la visite, pendant une heure ou deux. Un des contacts de Tourville, tel que décrit par un patron d'hôtel, lui rappelait quelqu'un. - Venez, de Portzamparc. Nous changeons de décor. Ils repassèrent par la Platz et entrèrent dans les beaux coins du quartier. La pluie ne cessait pas. Ils entrèrent au palace le Novö Art : son garçon en livrée devant la porte-tambour, son tapis rouge, ses lumières dorées, sa grande réception, son bar, sa salle de jeux... Un vieux groom, qui connaissait bien la police, s'approcha respectueusement des deux policiers qui entraient, trempés, dans ce beau monde polissé. - Messieurs, vous désirez ? - Juste quelques renseignements. Les deux policiers allèrent s'asseoir aux tabourets du bar. Ils posèrent leurs chapeaux et se firent servir une eau gazeuse. - Dis-moi, Dimitri, fit Maréchal en allumant une cigarette, tu es allé au Negresco récemment ? - Oui, c'est vrai... - Qui allais-tu voir là-bas ? - Ma foi, ma foi... un ami. Il était nerveux. - Ah, un ami... Très bien. Son nom ? - Je ne sais pas. - Etrange ami, alors, qui ne dit pas son nom. Que te voulait-il ? - Il voulait parler de courses. - De courses ? - De courses de chevaux. - J'oubliais que tu es amateur. Dimitri appartenait en effet au petit monde des turfistes. - Si, ça me revient maintenant. Il m'a dit s'appelait Darchambault. Maréchal sortit la photo : - C'était lui ? - Oui. - Tu ne l'as jamais vu ici ? - Non. Maréchal montra l'autre partie du cliché. - Et elle ? - Ah oui, comment l'oublier ! Elle vit ici, bien sûr. Depuis presque un mois. J'ignorais qu'ils étaient ensemble. - Tu vois... Alors ? - Alors quoi ? - Alors dis m'en plus sur ce Darchambault. - Il s'intéressait aux courses hippiques. Il voulait des tuyaux. - De quel ordre ? - Des choses simples : quel entraineur était bon, quelle bête courait bien, sur quelle course miser etc. - Il avait l'air de s'y connaître ? - Non pas vraiment. Il ne s'en cachait pas tellement. - C'est tout ? - Il voulait des tuyaux et quelques contacts. - Des contacts ? - Oui, des gens qui s'y connaissent, pour rencontrer d'autres gens. - Explique-toi mieux. - C'est simple, je lui ai donné le nom de quelques parieurs professionnels. - Leurs noms ? Dimitri prit un papier et les écrivit. - Ils sont ouvriers à la fonderie. Ils fréquentent le café La chope. C'est là que se réunissent les turfistes. - Je sais. - Je vous ai dit ce que je savais. A ce moment, monsieur Joseph, le patron de l'hôtel, un petit homme grassouillant toujours très empressé, s'approcha : - Un problème, messieurs ? - Non, aucun, sourit Maréchal. - Tout va bien, Dimitri ? - Oui, monsieur - Bien. Et il s'éloigna pour s'occuper de l'installation des plantes vertes du casino. - Bon, ça ira pour aujourd'hui, Dimitri. Les deux hommes remirent leurs chapeaux et quittèrent le Novö-Art. Ils avaient appris, pendant leur tournée des hôtels meublés, que Tourville se présentait comme vendeur d'assurances. Mais vendeur à son compte. Ce qui sentait mauvais. Plusieurs syndicats du crime avaient recours à ce genre de "démarcheurs". Pourquoi Tourville avait-il disparu ? Avait-il eu un problème ? Allait-on le retrouver mort dans une chambre minable, tué par un client récalcitrant ? Les deux policiers retraversèrent le quartier pour entrer dans les rues ouvrières. La journée se terminait. La sonnerie de l'usine retentit quand ils mirent le pied dans la rue des Fonderies. Les ouvriers sortirent comme un seul homme du grand bâtiment bouillant d'activité et se précipitèrent à La chope. Maréchal et de Portzamparc firent leur entrée dans le café encombré, dans la chaleur humaine, entre les buveurs et les parieurs. Par Dimitri, ils avaient le nom de quelques aguerris des courses hippiques. - Ballack, c'est toi ? Maréchal montrait sa plaque à un barbu costaud, teint rougeaud, air pas commode. - Oui, c'est moi. - Tu connais Dimitri, le serveur du Novö-Art ? - Oui. - Et lui ? Ballack examina le cliché. - Oui, il est venu me voir ya pas longtemps. - Il y a combien de temps ? - Cinq jours. - Une fois seulement ? Je ne vais pas t'arracher les mots de la bouche. Sois un peu bavard s'il te plait. - Il est venu il y a cinq jours la première fois et il est revenu il y a 3 jours. - Parler de quoi ? - De courses, de paris... - Il avait l'air de s'y connaître. - Pas tellement. Il y a cinq jours, il avait l'air perdu. En revenant deux jours après, il avait trouvé ses marques. - Qu'est-ce que tu lui as dit ? - Je lui ai donné des contacts, c'est ce qu'il voulait. - Où ? qui ? quand ?... Maréchal s'impatientait. - Je lui ai donné le nom d'un gardien de l'hippodrome de l'Arc de la Victoire. Et aussi le nom d'un soigneur. - Il y a une course là-bas, bientôt ? - Dans deux jours. - Donc tu me dis : un gardien et un soigneur. De Portzamparc notait sur son carnet. - Et il s'appelait comment au fait ? - Darchambault. - Il a parlé à d'autres personnes ? Allez, réponds. Ballack donna le nom d'un autre ouvrier. Chaque fois, il avait graissé la patte des contacts pour s'ouvrir rapidement les portes de ce milieu auquel, visiblement, il ne connaissait rien avant. Par l'autre ouvrier, il avait obtenu des contacts pour le prix de la Haie d'Honneur, dans quatre jours. Les deux policiers quittèrent le bistrot des parieurs et retournèrent au commissariat faire le point. - Nous irons voir les courses de chevaux, dit l'inspecteur. Nous découvrirons bien pourquoi ce Tourville / Darchambault s'intéresse aux canassons. "Nous avons bien travaillé, conclut-il. Bonne soirée, détective de Portzamparc. - Bonne soirée, inspecteur. Maréchal, pas pressé de retrouver son appartement gris, se rendit au Novö-Art. Etait-ce du zèle d'aller parler à Ute Lamborghini en-dehors des heures de service ?... Dossier #1 : Le cuisinier de l'Hippocampe - Guest - 03-03-2007 Maréchal attendait à une table, dans un coin tranquille de la pièce. Un orchestre à cordes accordait ses instruments sur scène. En sourdine, les rires, les verres qui trinquent, l'agitation de la salle d'à coté, celle des jeux. Une soirée ordinaire au Novö-Art. Elle descendit, une petite demi-heure après avoir été prévenue par Dimitri que l'inspecteur l'attendait. Elle savait bien qu'il venait pour lui parler de Tourville mais elle n'en oubliait pour autant pas son rôle de femme fatale. - Bonsoir, inspecteur. - Je peux vous offrir un verre ? Elle commanda un cocktail à Dimitri et Maréchal eut l'intuition qu'elle y était habituée. - Je viens vous voir car j'aurais besoin d'en apprendre davantage sur Tourville. D'abord, était-il passionné par les courses de chevaux ? Elle fut sincérement étonnée de la question. - Non, je ne crois pas... Il ne m'en avait jamais parlé si c'était le cas... - Il vous a parlé de ses assurances ? - Pas tellement. - Il était à son compte ? - Comment cela ? - Il vendait des assurances. Il a fait la tournée des hôtels bas de gamme du quartier. J'ai cru comprendre qu'il était à son compte. Elle était maintenant stupéfaite. Elle se demandait si on lui parlait bien du Tourville qu'elle connaissait. - Où vous êtes-vous rencontrés ? - C'était dans le quartier de la rue Verte. Un quartier chic. Le quartier des courses hippiques. C'était il y a deux mois. - Il ne s'intéressait pas aux chevaux à ce moment ? - Non... - Et ensuite ? - Ensuite, il m'a dit qu'il avait besoin de venir ici, à Mägott Platz. Qu'il avait besoin de s'y installer. Il m'a dit qu'il me prendrait une chambre dans cet hôtel mais qu'il ne pourrait pas toujours être avec moi. - Vous avez accepté ? - Oui. Elle avait dit oui comme une petite fille qui avoue qu'elle a choisi de faire une bêtise. - Vous lui connaissiez des ennemis ? - Non. Mais je m'aperçois, à vous écouter, que je le connaissais bien peu. Il y avait quelque chose de dur en lui, d'intransigeant... ce qui a pu lui attirer des ennuis. - Entendu. - Vous avez appris d'autres choses ? - Ce que je vous ai dit. Les courses hippiques et les assurances. - Merci, inspecteur. Je sais que vous venez en dehors de vos heures de service. Rien ne vous oblige à... - Je vous en prie. SÛRETÉ mettra tout en oeuvre pour retrouver votre fiancé. Etant entendu que Maréchal ne se serait pas déjà donné cette peine s'il s'était agi de la disparition de la femme d'un clerc de notaire ! Il remit son chapeau, salua la belle Ute et rentra dans son appartement, seul, où l'attendait une bouteille de vieil alcool. Le lendemain, il était en avance au commissariat et demandait à la secrétaire de lancer des recherches sur Tourville, grâce au réseau de CONTRÔLE. Il passa la journée dans des paperasses, à ranger son nouveau bureau et à remplir des formulaires pour la section SÛRETÉ de la rue Verte : il en aurait besoin pour enquêter à l'hippodrome. De Portzamparc lui aussi découvrait les joies des dossiers administratifs. Ce fut une journée plate comme un verre d'eau. Le lendemain, journée de congé. Maréchal quitta brièvement son logis pour faire des courses. Le couple de Portzamparc visita des appartements. Le jour d'après, les deux policiers se retrouvaient à l'aurore devant le commissariat et assistèrent à la brève réunion du matin dirigée par Novembre. - Bon, les enfants, on ne va pas vous retenir. Vous avez du trajet à faire et il ne faut pas que vous soyez en retard pour le départ des canassons ! Les deux policiers saluèrent. Ils partaient se frotter au beau monde ! Il leur fallut une partie de la mâtinée pour monter les étages de la Cité, par Ballon-Taxi et par deux lignes de tramway pour atteindre la rue Verte. Ils quittaient les brumes des alentours de la cité industrielle et montaient dans l'air de plus en plus pur d'Exil. Le jour à cet endroit était un peu plus clair et on ressentait une certaine euphorie à renouer avec une atmosphère plus libre, un ciel plus dégagé, des bâtiments plus harmonieux, plus espacés, avec une vie meilleure que celle de la brume et de l'acier. Ici, presque pas de petites ruelles mais de grands espaces : jardins, promenades, terrasses, passerelles occupées par des boutiques de luxes... La rue Verte, jolie avec ses boutiques de fleuristes, ses balcons fleuries, ses femmes aux robes à motifs végétaux et ses grands arbres dignes et majestueux. L'hippodrome se situait au bout de cette grande rue. Maréchal et de Portzamparc retrouvèrent leur collègue à l'entrée, l'inspecteur Tircelan, qui se chargea de les faire rentrer rapidement. - Qu'est-ce qui vous amène dans notre quartier, chers collègues ? Il parlait avec un léger accent snob : on sentait qu'il avait affaire aux crimes des beaux quartiers. La mort restait la mort, mais dans des univers feutrés et entre gens du beau monde. - Nous cherchons deux personnes ici. Juste pour les interroger. Il fallait presque que les deux policiers de Mägott Platz viennent s'excuser de venir crotter la rue Verte avec leurs godillots usés sur les pavés des prolos ! Du reste, ils souhaitaient mener leur enquête seuls. Et l'inspecteur Tircelan avait sa place dans une tribune d'honneur aujourd'hui. L'après-midi commençait, par un discours du bourgmestre puis par une démonstration de sauts d'obstacles. Mais nos deux policiers n'assistaient pas au spectacle, ils étaient dans les coulisses. Ils regardaient les parieurs se précipiter au coude à coude vers les guichets et sortir frénétiquement leurs liasses de billets. L'effervescence grimpait à chaque demi-heure. Les premières courses partirent et nos deux policiers ne les suivaient que par les clameurs du public, ses desespoirs, ses hourrah et ses attentes. Eux venaient voir les deux contacts que l'ouvrier Ballack avait fournis à Tourville : un gardien et un soigneur. De Portzamparc s'était posté près de l'entrée. Il observait le gardien qui filtrait les arrivants. Maréchal, près des paddocks observait le soigneur : il parlait avec les belles dames, les messieurs importants, il faisait son petit numéro, s'affairait près des chevaux, enguirlandait les curieux qui s'approchaient trop près, caressait les bêtes, criait ses ordres à la cantonade... Si Ballack avait dit vrai, un de nos deux policiers pouvait s'attendre à voir Tourville arriver près d'un des deux contacts. L'après-midi passa, au rythme des courses et de la voix tonitruante du commentateur, dont la voix résonnait dans les haut-parleurs. Des fortunes furent échangées. Les hommes de la brigade financière veillaient et mirent le grappin sur quelques escrocs pas assez discrêts. En fin de journée, alors que Tourville n'était pas apparu, de Portzamparc alla voir le gardien et demande à lui parler à part. - Est-ce que le nom de Tourville vous dit quelque chose ? - Non, jamais entendu. - Et Darchambault ? - Ah oui, lui j'ai entendu. Il aurait dû venir aujourd'hui, mais je ne l'ai pas vu. Il m'avait été recommandé par un copain, et je devais lui filer quelques tuyaux. - Vous êtes sûr de ne pas l'avoir vu ? - Certain. - Bien, merci. De son côté, Maréchal ne fut pas plus en veine. Il put approcher le soigneur, entre deux soins au célèbre Jean-Xavier Mercure Otonoriso 4e du nom (étalon dont les saillies atteignaient parfois 3500 velles) mais il était évident qu'il était importun. Il sentait l'huile, l'acier et le pavé des travailleurs. - Non, je n'ai pas vu ce monsieur Tourville dont on m'avait il est vrai assuré qu'il viendrait s'enquérir d'informations sur les courses, mais il n'est pas apparu ici. - D'accord, merci. Grognon, Maréchal partit rejoindre son collègue à la buvette. Tircelan vint les prévenir qu'une certaine Lamborghini avait appelé. Elle informait la police que Tourville ne viendrait pas. Maréchal vida son verre d'eau pétillante (l'eau des jockeys champions) et remercia son collègue. - Nous pouvons rentrer. - Au revoir, messieurs. Le voyage de retour fut monotone et même déplaisant. Il est agréable de retrouver son quartier habituel, et même sa saleté, son brouillard peuvent sembler de vieux amis mais Maréchal s'en voulait d'envier sa place à Tircelan. Et pour cette raison, il avait envie de le mépriser. Le soir, il mangeait une soupe à l'oignon en compagnie de Novembre, pendant que le couple de Portzamparc signait pour son nouvel appartement. Le soir, dans sa chambre du Novö-Art, Ute Lamborghini recevait un appel de Maréchal : - Inspecteur... - Nous sommes allés rue Verte. - Je vous ai appelé déjà que j'ai su. - Vous avez appris que Tourville ne viendrait pas ? - Oui, il m'a appelé. L'inspecteur avait une voix fatiguée mais cette nouvelle le sortit de sa lassitude. - Il m'a dit qu'il était suivi par la police. Il était furieux. Il m'a menacé de ne plus revenir. Elle retenait ses larmes. - Il a eu des mots terribles quand je lui ai dit que c'est moi qui le faisait chercher. - Cette affaire semble donc plus grave que prévu, mademoiselle Lamborghini. Nous ne pouvons plus abandonner. Que vous a dit d'autre Tourville ? - Rien de particulier. - Vous ne saviez pas d'où il appelait ? - Je crois qu'il m'appelait du bord de l'océan. J'ai entendu la sirène d'un navire derrière lui. - Le bord de l'océan ? Bien, je vais voir ce que je peux en tirer. Merci mademoiselle. Elle était bien plus maline qu'elle ne voulait le montrer. Maréchal sortit de la loge de la concierge, qu'il avait gentiment priée de sortir et il alla se coucher pour de bon. Dossier #1 : Le cuisinier de l'Hippocampe - Guest - 05-03-2007 Tôt le matin, Boncousin en terminait l'interrogatoire avec l'interrogatoire de quelques truands en herbe : ils avaient à peine atteint la puberté et avaient entrepris de dévaliser les vieilles dames sur les passerelles mal surveillées. - Vous êtes des petits imbéciles. Vous allez faire connaissance avec le Château. Là-bas au moins, vous emploierez votre force à casser des cailloux ! Maréchal salua ceux qui avaient fait le service de nuit. Sur son bureau, il trouva le dossier laissé par Priscilla, la secrétaire. CONTRÔLE avait sorti de ses entrailles mécaniques des informations relatives à Tourville. Il avait été marin pendant longtemps, sur de gros navires de pêche. Puis à l'âge de la retraite, trois ans auparavant, il avait résidé un temps au bord de l'Océan et ensuite, on le retrouvait dans divers logements aux quatre coins de la ville. Pourquoi avait-il été pris de bougeotte ainsi ? Tandis que Maréchal allumait une cigarette en feuilletant le dossier, de Portzamparc retournait, en compagnie du détective Sampieri, dans le quartier des usines. Cette fois, au lieu d'aller au bistrot des parieurs, les deux policiers firent une entrée remarquée dans la salle des chaînes de fabrication de tissu. Un vacarme abrutissant y régnait et de Portzamparc dut crier au contremaître la raison de sa visite : - Je désire parler à l'un de vos hommes, un certain Ballack. On amena l'ouvrier dans une pièce à l'étage, à côté du bureau du patron, où on pouvait s'entendre parler. - Tu as été en contact avec Tourville, récemment ? - Non. - Ecoute Ballack, Tourville n'est pas allé à l'hippodrome hier, parce qu'il savait qu'on le suivait. Or, il n'y a pas mille personnes qui ont pu le mettre au courant... - C'est faux, je ne lui ai pas parlé depuis la fois où il m'a demandé des tuyaux. - Tu vas nous suivre au commissariat, qu'on en discute plus tranquillement. Le contre-maître jeta un regard noir à son ouvrier : du seul fait d'être emmené, il salissait la réputation de l'usine. - Vous comptez le garder longtemps, messieurs ? - Le temps qu'il faudra. On peut en avoir pour quelques heures, ou quelques années. Allez, avance toi. Les deux hommes repartirent par la porte de derrière. Mais personne n'ignorait ce qui venait de se passer. - Mademoiselle Markievich, demanda Maréchal à la secrétaire, je voudrais que vous contactiez CONTRÔLE. Cette fois-ci, pour identifier l'origine d'un appel reçu à l'hôtel Novö-Art, dans la chambre 112, hier vers trois heures de l'après-midi. C'est noté ? - Très bien, inspecteur. Le policier vit de Portzamparc et Sampieri revenir avec leur suspect. - Tiens, Ballack... - On pense qu'il a été plus bavard avec Tourville qu'avec nous. - Je suis sûr que ça va changer rapidement. On conduisit l'ouvrier dans le bureau des détectives. - Alors, c'est bien toi qui a contacté Tourville ? - Non je vous dis. - Il t'a payé pour que tu lui files des tuyaux ? - Oui, je ne les donne pas gratis ! - Bien, et il a ajouté un petit supplément pour être prévenu au cas où la police s'intéresserait à son cas ? - Non ! - Tu ne lui as pas obtenu d'autres rendez-vous ? - Non. - Tu n'as parlé à personne d'autre de Tourville ? - Non, je ne "vends" pas mes clients à d'autres ! - Il n'a parlé à personne d'autre ? - Je n'en sais rien, tiens !... Par contre, celui qui me l'a envoyé, c'est Dimitri. Lui pourra peut-être vous en dire plus. De Portzamparc et Sampieri se regardèrent. - Bon, tu vas rester avec nous cette nuit, Ballack, dit Sampieri, pour le cas où la mémoire te reviendrait. C'est ta meilleure chance de ne pas rester chez TRIBUNAL pendant quelques années... - Vous n'avez pas le droit ! J'ai un travail ! - Allons, calme-toi et fouille plutôt tes souvenirs. La moindre info sur Tourville peut-être importante pour nous. De Portzamparc alla prendre conseil auprès de Maréchal. - Voilà ce que je propose, dit l'inspecteur. Vous allez retourner au bistrot des parieurs et tâcher de savoir si d'autres personnes ont parlé à Tourville. Pendant ce temps, je vais aller parler à Dimitri. - Entendu. Maréchal entrait une heure après dans le Novö-Art. Le patron était de plus en plus nerveux de le voir traîner ses godillots sur ses beaux tapis. Plus la police fréquente un lieu, moins c'est de bon augure. - Rassurez-vous, je souhaite juste parler à Dimitri. Le serveur était au comptoir, à faire reluire le zinc et les verres. - Sers-moi donc une eau minérale. - A vos ordres... - Allons, ne t'inquiète pas, je viens juste te poser quelques petites questions. On a parlé à Ballack et il nous a dit de venir te voir. - A quel sujet ? Visiblement, Dimitri avait deviné et il en voulait déjà à l'ouvrier d'avoir renvoyé la police vers lui ! - A propos de Tourville / Darchambault. Tu sais, ce parieur un peu bizarre, à qui tu as filé des tuyaux. - Devant moi, il a dit s'appeler Darchambault. - Peu importe quel nom il a donné. Ce que je veux savoir, c'est si tu lui as parlé depuis que tu l'as recommandé à Ballack. - Ah mais non ! - Tu n'as plus été en contact avec lui ? - Non, je ne m'en occupais plus. - Il t'a glissé quelques billets pour tes conseils et depuis, plus rien ? - Exactement. - Il savait que la police le cherchait, hier, quand on a essayé de le trouver à l'hippodrome. Tu ne l'as pas eu au parlophone ? - Non, je vous assure. - Et Ballack, il aurait pu l'appeler ? - Je ne sais pas... Pourquoi pas... Maréchal ne put s'empêcher de sourire. - Darchambault n'a pas disparu par magie. Il faut bien que quelqu'un lui ait dit qu'on cherchait après lui. A défaut d'avoir avancé, l'inspecteur avait durablement brouillé Ballack et Dimitri. Maréchal rentra au commissariat finir sa journée avec de la besogne routinière. Il étudia le trajet pour se rendre dans un quartier pêcheur, où Tourville, selon Lamborgini, avait un temps résidé. Il croisa de Portzamparc : ce dernier n'avait rien appris de plus chez les parieurs. - Allons dormir, détective. Demain, nous partons sur les bords de l'océan ! - Décidément, il nous fait courir, ce Tourville. - Oui son dossier s'alourdit de jour en jour. - Ce type ne peut pas être tout à fait honnête... - Espérons, car il faudra bien justifier nos notes de frais ! Le lendemain, les deux hommes se retrouvèrent à Mägott-Zentral, la station des transports du quartier. Plusieurs lignes de tramway passaient ici et les Ballon-Taxi avaient une plateforme réservée. Les pilotes de ces engins - dont l'image était si associée à Exil - se vivaient comme une caste à part, l'élite des transporteurs. Ils se sentaient investis d'un mandat symbolique, celui de maintenir une tradition associée à la vitesse, la modernité et l'audace, trois valeurs fortes de la Cité industrielle. Ils avaient, comme les serveurs de restaurant, des attitudes parfaitement stéréotypées, une grande distance par rapport à ces terriens chauffeurs de tramway, eux qui voisinaient chaque jour avec les hauteurs de l'acier et les étoiles, qui se déplaçaient librement partout en ville. Ils avaient un syndicat puissant et leurs entrées dans certaines soirées du beau monde, où l'on trouvait ces aristos prolétaires tellement authentiques. - Mägott-Platz - bord de l'océan, c'est parti, messieurs ! Attachez vos ceintures car notre décollage est imminent. Au nom de tous les pilotes, soyez les bienvenus à bord de cet appareil qui a déjà effectué près de deux mille heures de vol ! Mon nom est Hippolyte-Gustave Sourcier et je me fais fort de vous emmener à bon port. Il débitait ce discours d'un ton parfaitement sérieux, grandiloquent, en mettant en route le moteur de son engin. Il fallait être pilote de Ballon-Taxi pour parler avec ce sans-gêne à des fonctionnaires de SÛRETÉ ! Les deux policiers se calèrent dans leur fauteuil et passèrent la grosse couverture pour passager. Le Ballon décolla en trombe et partit à travers les gouffres incertains et les immensités labyrinthiques de la Cité. Au bout de quelques minutes, les deux hommes ne savaient plus où ils étaient. Ils voyaient en-dessous et au-desuss d'eux Exil vivre, ronfler, gronder, travailler, chauffer, hurler, peiner. Immense labeur des hommes et des structures. Ils passèrent au travers d'épais nuages crasseux et crurent qu'ils allaient percuter une cheminée d'usine, puis à nouveau le ciel serein, dans les hauteurs, avant un nouveau plongeon vers le niveau du sol et une longue ligne droite au travers d'interminables blocs résidentiels éclairés au gaz. Ils découvraient les aspects d'un monstre protéiforme aux parties modulables et remplaçables. Enfin, en fin de mâtinée, on sentit les effluves se marier à l'atmosphère lourde et enfin, le puissant, ténébreux et infini océan noir apparut. Des gueules d'acier crachaient des tonnes de déchets visqueux et bouillants, qui provoquaient un énorme dégagement de vapeur en s'abîmant dans l'eau. Des cornes de brume retentissaient de lieux proches et inconnus. De lourds navires partaient au large. Le brouillard transformait cette zone en un monde irréel, où les sons étaient transformés et où le manque de visibilité donnait le sentiment d'être proche du bord du monde... - Nous y sommes, messieurs ! Le quartier de la Vague Noire : 295, 10, 4212 ! Il fallut laisser un pourboire, car "ADMINISTRATION se faisait un honneur de connaitre les mérites des vaillants pilotes" ! - J'ai l'adresse d'un bistrot d'habitués, dit Maréchal. On a bien mérité d'aller se réchauffer un peu. L'endroit se nommait La Truite. Une enseigne en bois battait dans le vent humide. Sa chaleureuse lumière perçait l'inquiétante brume permanente des rues du port. On sentait le bistrot d'habitués. De solides gaillards mangeaient une grosse soupe et l'aspirait avec de forts bruits de succion. Les deux policiers s'assirent dans un coin de la pièce et commandèrent un thé. - Ce matin, dit Maréchal, j'ai demandé à un Pandore de surveiller de près Ute Lamborghini. - Vous pensez qu'on en a pour un peu de temps ici ? - Je ne sais pas. Vu le temps de transport, on va se payer une chambre ici pour ce soir. Ce sacré Tourville a intérêt à être un gros poisson ! Les deux policiers burent leur thé et ils se demandaient alors, tacitement, pourquoi un marin en venait à s'intéresser aux courses hippiques, tout en se fabriquant une couverture de vendeur d'assurances. Ils demandèrent l'addition. - Dites-moi, c'est vous le patron ici ? - Oui pourquoi ? Maréchal montra discrêtement son insigne. - Nous aimerions vous parler. - Oui, bien sûr. Dans mon bureau ? - Très bien. Les trois hommes se rendirent à l'étage. - Je vous écoute. - Nous venons vous parler d'un de vos habitués, un certain Louis Tourville. Maréchal espérait ne pas s'être trompé. C'est Ute qui avait mentionné ce nom. Oui, maintenant, dans sa tête, il l'appelait simplement "Ute" ! - Louis, oui bien sûr, il venait souvent ici. - "Venait" ? - On ne l'a plus vu depuis quelques temps. - Combien de temps ? - Deux bons mois. - Il venait souvent ? - Oh oui. Louis, c'était un des piliers de la Vague Noire. - Il a toujours vécu ici avant ? - Pour ainsi dire. C'est à dire qu'il était marin. Cuistot plus exactement. Il a travaillé sur pas mal de navires et il avait bonne réputation. Vous savez, les cuistots, généralement, ils savent se faire respecter. - Il vous a paru changé ces derniers temps ? - Non pas trop. Enfin, sauf qu'il paraissait s'intéresser davantage à son passé. Avant, c'était pas trop son genre. Mais récemment, il a voulu retrouver d'anciens camarades. - Par nostalgie ? - Je ne sais pas trop. Peut-être qu'il se sentait vieillir... Vous voyez... - Vous avez les noms des navires sur lesquels il a travaillé ? - Voyons, de mémoire, il y avait Le Roc, le Corsaire d'Acier... Mais celui sur lequel il est resté le plus d'année, c'était sans doute l'Hippocampe. - Il y est resté combien de temps ? - Facile dix ans. Mais si voulez, j'ai un de mes clients, qui loue une chambre... Il a navigué avec Tourville. - On peut le voir ? - Oui, sans doute. Il est dans sa chambre. - Alors nous allons le voir. Le patron les conduisit au deuxième. - Lambert, Lambert tu m'entends ? Il y a là deux messieurs de SÛRETÉ qui voudraient te parler... Une voix éraillée répondit de les faire entrer. De Portzamparc poussa la porte. On entrait dans l'univers d'un marin. Une chambre bien propre, le parquet passé à l'encaustique. Des meubles fabriqués sur Forge et plein de souvenirs de navigation. Le vieil homme qui vivait à l'année ici avait rassemblé sa vie dans cette petite pièce. Il se balançait sur sa chaise à bascule, installée près de la fenêtre. On devinait qu'il devait passer ses journées à contempler le port, à regarder les navires partir et revenir, à ressasser ses souvenir au rythme des marées. Il était très maigre, avec de longs cheveux gris. Il avait la voix cassée d'un gros fumeur. Il remettait bien ses bretelles et avait honte de ses vieilles pantoufles. - Nous aimerions vous poser quelques questions, monsieur Lambert. Maréchal avait pris une chaise pour s'installer près du vieil homme, pendant que de Portzamparc s'asseyait avec son bloc-note au bureau. - Je vous en prie, détective. En un sens, je pensais bien que la police finirait par me poser des questions. - Pourquoi donc ? - Parce que j'ai peur que ce sacré vieux Louis ait fait une belle connerie ! - Laquelle ? - C'est un peu compliqué à dire comme ça... Je peux peut-être commencer par le début. - Allez-y. - Voilà. J'ai travaillé dix-huit ans comme machiniste à bord de l'Hippocampe. Louis a travaillé pendant douze ans, comme cuisinier. C'était d'ailleurs un sacré cuistot, le père Tourville ! Fallait pas venir se plaindre que la soupe était pas assez épicée ou trop, sinon vous seriez repartis avec le chaudron sur la tête ! "Le principal à savoir, c'est que notre navire était affrêté par une grosse compagnie de pêcherie. Et nous étions connus pour être un équipage particulièrement intrépide. Il faut savoir que la concurrence est rude dans notre métier, malgré la solidarité des pêcheurs entre eux. Mais les compagnies poussent à la performance et pour trouver des grosses bêtes, il n'y a rien à faire qu'à partir le plus loin possible vers le large. Nous étions prêts à relever ce défi, parce qu'au bout, il y avait de sacrés primes. Primes qu'on a généralement bues dans les trois jours suivants notre retour... Le vieil homme eut une expression nostalgique amusée. - Bref, nous y allions pour le défi, pour l'aventure, pour en remontrer aux autres, pour nous maintenir à hauteur de notre réputation. Et un jour, nous sommes allés encore plus loin que d'habitude. Et parmi les flots déchaînés, nous avons aperçu des récifs, sur lesquels était échoué un gros navire. Un gros navire militaire... Dossier #1 : Le cuisinier de l'Hippocampe - sdm - 06-03-2007 C'est la police de texte ou tu écris encore plus que d'habitude ? ![]() En tout cas le syndicat des amateurs de films noirs approuve ce texte ![]() Dossier #1 : Le cuisinier de l'Hippocampe - Guest - 06-03-2007 Le Comité ART ET CULTURE a enregistré votre avis, citoyen. ![]() |