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10e Episode : La nécropole
#1
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE

<span style="color:orange">Les 5 Rônins : 10ème Episode</span><!--/sizec-->
Serpent et Cheval 402



La nécropole<!--/sizec-->


Samurai


Mamoru faisait son marché sur la place encombrée du quartier est de la Cité de la Pieuvre. Il déambulait au milieu des échoppes, alpagué à chaque étalage par les cris des marchands ; il avançait, paisible, comme un gros chien de chasse au milieu des roquets ; alors qu'il revenait, les bras chargés de légumes, il y eut un vendeur plus entreprenant qui, à force de gesticulations et de courbettes, put le convaincre d'entrer dans sa boutique.
- Entre mon ami ! Entre ! J'ai des merveilles à te vendre !
Le rônin avait justement besoin de refaire les attaches de son armure ; le marchand lui proposa de visiter l'arrière-boutique de son magasin, ce qui éveilla la vigilance de Mamoru, qui voyait venir le traquenard sordide. Il suivit quand même le vendeur derrière le rideau et là, il trouva, habillé en homme du peuple, le seigneur Yasuki Kokaï !
C'était chez lui qu'il avait enquêté avec Yatsume et Maya sur la mort du soldat Lion !
- Que faites-vous là ?
Kokaï-sama était rongé de tics nerveux ; il ne tenait pas en place et finissait de manger ses derniers bouts d'ongle.
- Écoute-moi, rônin...
Il se servit un verre bien serré de saké et invita Mamoru à s'asseoir.
- Écoute, je sais que l'ambassadeur pour qui tu travailles, Matsu Mitsurugi, cherche des informations... Je suis prêt à les lui fournir...
- Des informations sur quoi ?
- Sur le Lotus, murmura Kokaï. Et d'autres sujets encore...
- Intéressant.
- Mais je veux sa parole qu'il me protégera. Sa parole d'honneur, tu comprends...
- Vous protégez ?
- Oui. Si je parle, je suis mort... Sauf si je suis accueilli dans l'ambassade...
Ce qui revenait à quitter son clan.
- D'accord, je vais aller lui en parler, dit Mamoru.
Le rônin ressortit, retrouva Yojiro et les deux rônins allèrent au Palais d'Ivoire, où ils mirent Mitsurugi au courant du marché proposé.
L'ambassadeur échangea quelques mots avec son conseiller Sasuke, et dit qu'il acceptait.
- Il faudra l'amener discrètement jusqu'à nous, dit Sasuke.
- Je connais un peu la ville maintenant, dit Yojiro. Il y a des petites ruelles qui peuvent nous mener au pied de ce palais...
- Non, pas ici, dit Mitsurugi. Pas pour le moment, du moins. Le rendez-vous aura lieu dans une auberge.
Mitsurugi désigna celle où lui et Sasuke avaient pris leurs habitudes.
- Entendu, dit Yojiro, nous l'amènerons là-bas.
La BEC repartit dans le quartier marchand et dirent à Kokaï que c'était d'accord. Le Yasuki n'était pas rassuré à l'idée de retrouver les Lions dans une auberge. Il accepta néanmoins. Mamoru repartit au palais d'Ivoire dire que Kokaï acceptait, pendant que Yojiro escortait Kokaï et ses deux gardes du corps au travers des ruelles du quartier.
Mitsurugi et Sasuke arrivèrent les premiers dans l'auberge et attendirent derrière une alcôve. Le groupe de Yojiro entra par la porte de derrière.
- Vous n'avez pas été suivis ? demanda Sasuke.
- Si, mais nous les avons semés...
- J'espère bien, dit Mitsurugi.

Kokaï était en nage. Il avait beau s'éponger le front, la sueur perlait toujours. Il réexpliqua ses conditions :
- Je dois quitter le clan. Disparaître. Et je compte sur vous pour cela. Vous m'enverrez dans une autre Cité, loin d'ici et vous vous assurerez que j'ai de quoi y vivre.
- Que nous offres-tu en échange ?
- Des informations sur le Lotus...
- Par exemple ?
- Le Lotus "tient" la famille Yasuki. Ce sont eux qui ont manigancé notre départ de chez les Grues...
- Il va falloir faire mieux que cela, Kokaï-san !
- J'en dirai plus quand j'aurai votre accord !
- Tu l'as.
- Parole d'honneur ?
- Parole d'honneur, dit Mitsurugi.
- Je vous parlerai quand je serai dans votre palais.
- Nous t'y convierons très bientôt.
- Je ne vais pas attendre jusqu'à la prochaine lune !
- Non, dès demain, nous te retrouverons chez nous.
Kokaï n'était qu'à moitié rassuré. Il n'avait pourtant plus le choix ; il accepta et repartit avec ses deux yojimbo. Les deux Lions rentrèrent chez eux, et la BEC de son côté.

Samurai

Mitsurugi et Sasuke avaient ensuite rendez-vous avec Hanteï Norio. Après être partis de la soirée qu'il donnait, nos samuraï n'avaient pu mettre la main, on s'en souvient, sur les ravisseurs présumés. D'ailleurs, on ignorait même qui avait été enlevé !
Yojiro avait mis au secret quelques jours pour accréditer sa mort. C'était davantage pour les apparences, d'ailleurs. Le rônin s'était remis de ses blessures, reçues lors de sa rencontre avec la Grue Noire.
Restait qu'après l'explication officielle, l'ambassadeur impérial exigeait d'en savoir plus. Les deux Lions se présentèrent chez Hanteï Norio, et lui expliquèrent plus en détail ce qu'ils savaient : que des comploteurs avaient organisé, selon eux, un enlèvement le soir de la réception, et qu'ils avaient réussi à s'échapper.
- Ils doivent être bien habiles et bien organisés, jugea Norio, pour avoir prévu un bateau en plus ; ils se seront échappés en partant dans l'autre sens sur la rivière.
- Tu as raison, sama, avoua Mitsurugi, ils nous ont trompés.
Hanteï Norio dit qu'il ne voulait pas voir cette affaire s'ébruiter. Il chargea nos deux héros de l'éclaircir et de lui en rendre compte, à lui ou à son conseiller, Hanteï Tokan, dont nos héros avaient vite compris que c'était lui qui s'occupait des affaires "souterraines", pour laisser à Norio le prestige des préoccupations mondaines.

Samurai

Quelques heures plus tard, sur la place du marché, au moment où le soleil était le plus chaud et la foule la plus dense, l'inquisiteur Kuni Tadao faisait dresser une estrade et ameutait le chaland. Bientôt, il y eut une foule nombreuse qui se pressa, attirée par la distribution gratuite de bière par de charmantes hôtesses court vêtues.
- Approchez, approchez !
C'était le garde du corps de l'Inquisiteur, Hida Goemon, un solide bushi, taillé dans la masse, très poilu (ce qui lui valait son surnom de "troll des montagnes"Troll2), qui tambourinait comme un sourd.
- Approchez ! Approchez !
La foule était compressée contre l'estrade, la bière circulait, les paysans sifflaient les filles et le cagnard cognait sans pitié.
- Mes amis, mes amis ! cria Kuni Tadao, je connais votre courage ! votre audace ! Votre pugnacité !...
L'Inquisiteur annonçait le départ d'une forte expédition contre des serviteurs de l'Outremonde et il avait besoin de rônins aguerris. Le matin-même, Tadao s'était vu dire par la famille Hida qu'on ne pouvait distraire personne de la surveillance de la Muraille. L'Inquisiteur en était donc réduit à rameuter le tout-venant avec de gros moyens de réclames et la promesse d'une juteuse récompense.
Mamoru, qui était dans la foule, et la dépassait d'une tête, souriait devant les efforts déployés par Tadao pour attirer des gogos dans une aventure si périlleuse, en leur faisant miroiter par ailleurs une purification inouïe de leur kharma et une bénédiction sur leur descendance pour sept générations. L'Inquisiteur aperçut alors le rônin et lui dit de montrer sur l'estrade :
- Mamoru ! Mon ami ! Immense héros !
Applaudissements nourris.
- Tiens, signe-là, lui souffla Tadao.
Pris de court, Mamoru mit son nom sur le papier tendu par Hida Goemon.
- Il a signé ! Bravo !
Nouvelle distribution de bière.
- Il est le premier mais sûrement pas le dernier !
Les volontaires montèrent à l'estrade ; parmi eux, Yojiro, qui ne voulait pas laisser Mamoru partir seul. Tadao aperçu alors Maya et lui cria de venir. L'Ize-Zumi le regarda sans rien dire, et puis partit.
- Allons, allons ! Nous avons encore de la place ! Signez et c'est le paradis assuré !
Il y eut une vingtaine de courageux volontaires, que Tadao fit applaudire, avant de les emmener dans une grande auberge qu'il avait réservée pour l'occasion.
Tournée générale pour commencer, puis un vibrant discours de l'Inquisiteur. Applaudissements avant de trinquer de plus belle. Alors que l'assemblée était déjà bien joyeuse et entonnait les meilleurs chansons de corps de garde de l'Empire, on vit arriver sur le seuil de l'auberge, fraîche comme un gardon et sûre d'elle, Maya !
Elle s'avança sans crainte parmi les soudards qui bavaient rien qu'à la regarder, et approcha de l'Inquisiteur. Aussitôt, le massif Hida Goemon s'interposa :
- Tu veux quoi, toi ?
Maya ne dit rien et tenta de faire trébucher le Crabe, qui esquiva son coup en riant grassement ; au passage, il la prit dans ses bras et l'embrassa ; tout le monde éclata de rire ; Maya se dégagea vivement et fit un croche-patte à Goemon, qui tomba en avant comme un tronc d'arbre. Nouvel éclat de rire ; Maya était seule face à l'Inquisiteur :
- Chassez-moi cette folle ! cria-t-il.
Il ne fallut pas le dire deux fois. Les rônins attrapèrent Maya et la firent passer au-dessus de leurs têtes et l'Ize-Zumi, comme emporté sur un torrent, se fit expulser de l'auberge et finit le nez dans la boue !
- Bon débarras, dit l'Inquisiteur.
Pour faire oublier l'incident, et consoler Goemon de sa chute, il offrit une autre tournée. Ce fut la fête jusque tard dans la nuit. Les rônins montèrent se coucher, remplis comme des outres, et ronflèrent tout leur saoul.
- Profitez-en bien, bande de sagouins, dit Tadao pour lui-même, c'était certainement votre dernière beuverie...

Samurai

Le lendemain, Yasuki Kokaï arriva par la petite porte au palais d'Ivoire et fut emmené dans une petite chambre, où Mitsurugi et Sasuke le retrouvèrent. Ils se mirent d'accord et promirent au Crabe qu'il disparaîtrait de la Cité de la Pieuvre, pour être emmené ailleurs, où il le voudrait.
Kokaï était à bout de nerfs : on devinait qu'il n'avait pas dormi depuis plusieurs nuits et qu'il avait abusé de la boisson.
- Tu nous a parlé du Lotus, dit Mitsurugi ; c'est bien, mais pas suffisant. Nous sommes déjà au courant des malversations de cette secte occulte.
- Votre rônin a eu le malheur d'arrêter le bras droit du chef du Lotus ; vous avez bien vu qu'"ils" ont réussi à vous le soustraire. Vous ne le reverrez jamais... Quand j'ai vu arriver Matsu Yatsume chez moi, j'ai compris que j'avais une chance à saisir.
- Que sais-tu de la mort du Lion ?
- Il a surpris un secret au sujet de Nuage...
- Qui est ce Nuage ?
Nos héros savaient déjà que c'était ce conspirateur surpris par Tange Sazen lors d'une cour d'hiver, qui faisait partie d'une fraction extrémiste du Gozoku qui voulait abattre la lignée des Hanteï.
- Nuage et Lotus travaillent ensemble, dit Kokaï. Lotus s'occupe de fournir de l'argent à leur conspiration, en détournant des fonds des Yasuki ; Nuage, lui, est un sorcier puissant... Il sait posséder les esprits, manipuler les gens. C'est le matériel et le spirituel... Et c'est Nuage qui a organisé l'enlèvement à la réception de l'ambassadeur Norio.
- Qui a été enlevé ?
- Je ne sais pas. Je sais juste que la victime a été remplacée par un <strike>soisie</strike> sosie.
Mitsurugi fit la moue.
- Tu ne nous en dis pas beaucoup, là...
- Ils ont un assassin à leur service, la Grue Noire...
- Oui, oui... Ce tueur a même blessé un rônin à mon service, sais-tu...
Kokaï désespérait... Il sentait aussi que les Lions bluffaient pour lui extirper toutes ses informations. Mitsurugi s'assura que le Yasuki n'en savait pas plus et ordonna à Sasuke de s'occuper de son départ.
Le shugenja fit donc escorter Kokaï par deux fidèles rônins. Ceux-ci accompagneraient Kokaï vers les terres du clan de la Grue, où le Yasuki connaissait un refuge. Au dernier moment, Sasuke glissa aux rônins l'ordre de ne pas laisser Kokaï tomber vivant aux mains d'éventuels ravisseurs...
Bien évidemment, c'est le genre de détails dont Mitsurugi ne voulait même pas entendre parler.

Samurai

Matsu Yatsume avait rendez-vous le même après-midi avec son contact chez les Scorpions, Bayushi Kokamoru.
- Enchanté de te revoir, dit le Scorpion en piochant négligemment dans un bol de fruits.
Il était entouré par ses gardes du corps, qui considéraient Yatsume avec condescendance.
- J'ai entendu dire que l'Inquisiteur Kuni Tadao prépare une expédition, laissa-t-il tomber, comme si cela n'avait pas d'importance. Ils partent à la chasse aux Adeptes du Sang... Une terrible secte d'adorateurs de l'Outremonde... Si j'ai un conseil à te donner, c'est de te joindre à cette expédition, car le célèbre Isawa Nobuyoshi en fera partie.
Il s'agissait du tensaï de l'Air.
- C'est un shugenja très puissant, ainsi qu'un chasseur de démons réputé. Les légendes disent qu'il a une fois tué un Oni rien qu'en le fixant dans les yeux. Voilà l'homme qu'il te faudrait pour affronter Yaagoth...
Le sang de Yatsume bouillait. Yaagoth ! Le démon qui avait corrompu le maho-tsukaï qui avait ensuite corrompu son mari !
Kokamoru affichait un parfait détachement tout en sachant bien qu'il tenait Yatsume au bout du fil, qu'il pouvait la faire danser à son aise. Notre héroïne n'avait pourtant d'autre choix que d'écouter.
Elle ne s'attarda pas, et rentra demander à Mitsurugi la permission de se joindre à l'expédition. L'ambassadeur accepta ; le lendemain matin, la troupe de Kuni Tadao se préparait au départ. L'Inquisiteur vit Yatsume arriver et dit qu'il était honoré qu'elle se joigne à eux. Alors que les samuraï se mettaient en marche, Maya passa à son tour la porte nord de la Cité et dit qu'elle venait.
Kuni Tadao rit de bon cœur et lui dit de suivre la marche. Il monta sur son poney et prit la tête de l'expédition, avec Isawa Nobuyoshi à ses côtés.

A suivre...Samurai
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#2
Hida Goemon c'est la personnification même du Crabebiggrin
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#3
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE

L'expédition de Kuni Tadao marcha une journée entière, campa le soir, sur la route du nord-ouest et reprit sa route aux premières lueurs de l'aube.
Ils étaient à la recherche de dangereux adeptes qui versaient leur sang pour obtenir des faveurs démoniaques. Des cas de souillure avaient été signalés dans la région, et les gens du cru avaient vu rôder de nombreux esprits inquiétants, même de jour.
En fin de matinée, nos héros arrivèrent en vue d'un village isolé au milieu d'un plateau rocheux aride. Il avait fallu grimper raide pour arriver sur cette hauteur et la chaleur commençait à peser lourdement. C'était comme entrer dans une marmite. L'Inquisiteur sentait que sa troupe avait besoin d'une pause et de rafraîchissements.
- Buvons la bière avant qu'elle ne tiédisse...
On distribua une ration aux hommes puis Tadao-san ordonna à son garde du corps, Hida GoemonTroll2, d'aller en reconnaissance ; Matsu Yatsume accepta de l'accompagner ; Maya, Mamoru et Yojiro se joignirent à la troupe.
L'Inquisiteur s'assit dans l'herbe et but goulûment à sa gourde. Isawa Nobuyoshi restait debout et observait le ciel, distrait. Personne ne lui en tenait rigueur car on savait chez les Crabes que les shugenja Phénix sont volontiers dans la lune.

Nos héros entrèrent dans le village où ils furent accueillis par une délégation de paysans armés ; isolés, ils devaient se défendre seuls contre les prédateurs et les bandits. Ils n'étaient pas rassurés, c'était le moins qu'on puisse dire. Ils étaient même effrayés. Hida Goemon fit un pas en avant de sa troupe et se présentaTroll3; il demanda à faire le tour du village, ce qu'on lui accorda.
Il faisait un grand silence sur ce plateau, renforcé encore, d'une certaine façon, par les grands vents sauvages qui passaient sur ces pentes rocheuses dénudées. Mais dans le village, on était curieusement à l'abri du vent ; il n'y avait pas un brin d'air et les gens semblaient maladifs. On connaissait dans les régions montagneuses ces difformités affectant les membres de communautés isolées : ils devenaient stupides, comme des bêtes apathiques.

Les samuraï firent le tour du village : ils inspectèrent les rues et quelques habitations au hasard ; puis ils se retrouvèrent à l'entrée. Personne ne parlait, comme si on craignait de troubler les esprits du vent, qui imprégnaient ces contrées d'une atmosphère presque religieuse.
Nobuyoshi continuait à regarder au ciel ; il fermait les yeux, laissait les courants d'air caresser ses oreilles et il respirait profondément. Il entendait les esprits virevolter gracieusement, tournoyer et rejoindre en un instant les sommets les plus lointains. Il rouvrit les yeux et murmura quelques mots à l'Inquisiteur :
- Les esprits de l'Air sont troublés, Tadao-san. Il y a quelque chose de pourri dans cette région.
- Où ça ?
- Dans les sous-sols. Quelque chose comme un repaire du mal...
- Par les aisselles d'Osano-Wo...
L'Inquisiteur se releva, grognon et ordonna à sa troupe de se préparer à repartir. Les hommes maugréèrent et rangèrent leurs affaires. Tout ça à cause des intuitions du shugenja !

Au village, nos samuraï étaient prêts à repartir. Chacun avait signe à Goemon qu'il n'y avait rien à signaler. Un des villageois, dont les mains étaient fébriles, s'essuya le front et s'adossa au mur d'une maison.
- Votre homme est malade ? demanda Yojiro.
Le villageois penchait la tête, comme s'il allait vomir. Il tremblait de plus en plus fort. Il releva la tête : ses yeux étaient maintenant injectés de sang. Les samuraï se tournèrent vers Goemon : c'était lui le chef de l'expédition, c'était à lui d'agir. Ce que nos héros ignoraient, c'est que Goemon, depuis son gempukku, était hanté par l'esprit d'un de ses Ancêtres, qui venait au moins une fois par jour le tracasser :
- Alors, tu fais quoi, mon gros ?
Goemon n'arrivait pas à chasser cette voix quand elle se présentait :
- T'as les jetons, c'est ça ?... Hooou, tu m'fais honte ! La fillette !... Tu vas pas laisser les autres décider pour toi, non ?... Fonce, mon vieux ! Casse le crâne à ce crétin de paysan ! Boum boum boum, allez !...
Goemon se frotta les oreilles et son Ancêtre cessa ses brimades.
- Dites-donc, vous...
La voix de stentor de GoemonTroll3aurait impressionné un taureau en rut.
- Que vous arrive-t-il ?
Sa peau devenait verdâtre. Goemon tira son sabre et nos héros en firent de même ; ils virent alors que les paysans qui faisaient cercle derrière eux s'étaient transformés encore plus vite, et étaient devenus des zombies ! Ignobles, puants, décharnés, ils bavaient comme si c'était leur plaisir dans la vie !...
Nos héros se mirent en garde et attaquèrent ensemble leurs ennemis, qui étaient au moins deux fois plus nombreux.
La troupe de Tadao arrivait au pas de course mais ils étaient encore loin.
Le combat fut bref mais féroce : il fallut tuer tous les membres du village sans exception, car plus aucun d'eux n'avait visage humain. Nos héros taillèrent dans la chair pourrie de ces damnés et envoyèrent leurs os rouler sur les pierres, et leurs crânes se fendre dessus. Maya décolla à coups de pieds et de poings plusieurs têtes, Mamoru aplatit plusieurs récalcitrants au tetsubo et Yatsume en empala plusieurs à la façon d'une brochette sur son yari. GoemonTroll1et Yojiro tranchèrent comme des bouchers dans les côtes ennemis et finirent le travail.
La troupe de Tadao arrivait enfin. La terre se mettait à trembler, les maisons se fissurer.
Nos héros sortirent du village en vitesse, pour assister à son effondrement complet !
Le terrain se dérobait sous les bâtiments, la terre aspirée dans un trou, ce qui forma rapidement un cratère tourbillonnant dans lequel le village fut englouti et broyé !
Terrifiés, les samuraï reculèrent pour ne pas être emportés et assistèrent à la formation de ce cratère, qui s'agrandit encore, continua de s'effondrer et s'ouvrit en son centre sur un grand trou ; on n'en discernait pas le fond et des vapeurs de soufre s'en dégageaient.

[Image: trouformation.jpg]
Rokugan, de nos jours. L'état fédéral Crabe avertit désormais les promeneurs des dangers encourus.

- Quelle malédiction est-ce là ? cria Tadao.
- Je vous avais dit qu'il y avait quelque chose de pourri dans la région, dit Nobuyoshi.
- Alors dans ce cas, nous irons purger cette fosse infernale !

Plusieurs rônins volontaires descendirent la pente et revinrent dire ce qu'ils avaient vu :
- Le trou n'est pas si profond ; la paroi est raide mais pas impraticable, avec de solides cordes. Il y a un étang au fond et on distingue l'entrée d'une grotte.

Tadao ordonna aux samuraï de s'attacher les uns aux autres et tout le monde descendit au bord de l'étang. Il faisait soudain très frais ; l'eau, très pure, devait venir de l'accumulation de minuscules gouttes qui suintaient du plafond et tombaient en provoquant un écho magique et inquiétant.

Les samuraï avalèrent une ration de nourriture et se reposaient une dernière fois. Ils sortirent des lanternes et ceux qui en avaient mirent leur casque. Il était possible de contourner l'étang par un petit passage le long des parois humides. Quand tout le monde fut remis d'aplomb, Tadao ordonna le départ de l'expédition. Il vit alors que Maya tremblait : elle ne pouvait pas avancer d'un pas ; elle était prise d'une irrépressible peur du noir et des souterrains. Tadao fit mine de ne rien voir et dit qu'elle était désignée volontaire pour retourner à la Cité de la Pieuvre pour y demander du renfort. Elle accepta et remonta la pente. Le petit jeu de l'Inquisiteur n'avait trompé personne mais les apparences étaient sauves.

Samurai

Mitsurugi coulait des jours heureux à la Cité de la Pieuvre.
Les charges de sa fonction étaient loin d'être écrasantes et se résumaient surtout à des réceptions mondaines. Quelques tractations politiques, et surtout, beaucoup de réceptions, de saké, de jolies femmes et de soirées très tardives dans les meilleures maisons de la Cité. Ce genre de bonheur semblait inépuisable et l'ambassadeur ne se lassait pas d'y goûter. Il se disait que les Ancêtres le récompensaient pour l'injustice subie : quelques mois d'errances lui étaient maintenant rétribuées par des semaines et des semaines de plaisirs faciles. Sasuke en profitait autant que lui et ne faisait pas de démonstrations excessives de piété. Lui aussi goûtait à cette vie d'insouciance.

Insouciance, pas totalement, en vérité. Nos héros n'avaient pas oublié leur déchéance. Ils n'oubliaient pas le dignitaire Scorpion et le juge impérial qui les avait fait condamner. C'est pourquoi les plaisirs qu'ils goûtaient avaient un arrière-goût amer.
Yojiro non plus n'avait pas oublié l'humiliation subie. Il ruminait souvent sa déchéance, et son sabre le démangeait d'aller transpercer la poitrine des coupables. Comme il le disait dans son langage fleuri, quand il avait des humeurs mélancoliques dans une mauvaise taverne, dans les bras d'une prostituée plus si fraîche :
- Tout ça c'est bien joli mais il y a comme un arrière-goût de pisse...

Par contre, on ignorait ce que Maya en pensait. Il semblait que son couvent l'avait envoyée de par le vaste monde pour y trouver la sagesse. Il était difficile de savoir si elle avait un tant soit peu progressé dans cette voie ; mais indéniablement, elle avait découvert un monde bien différent de celui des hautes montagnes des Togashi !
Sasuke et Mitsurugi reparlaient régulièrement de leur voyage sur l'île des Mantes et ne comprenaient pas ce qui s'était passé.
- Un jour, nous irons chez les Tortues, se promettait Mitsurugi.
Seulement, quitter le confort douillet du Palais d'Ivoire pour aller traîner sur les routes, cela ne le tentait guère.

Deux jours après le départ de Kuni Tadao et ses hommes, l'ambassadeur fut averti qu'un rônin voulait lui parler. Mitsurugi était justement paresseusement étalé sur des coussins, avec de charmantes servantes qui lui faisaient de l'air avec de grandes feuilles ; elles lui jouaient de la musique et il grignotait négligemment des fruits confits.
- C'est que l'ambassadeur est en réunion extraordinaire, répondit-on au rônin qui se présentait à la porte.
Au bras de ce rônin abrité sous son chapeau conique, le mon du clan du Loup...
Mitsurugi bailla en arrivant dans la cour du palais : pour se distraire, il avait même accepté de rencontrer son visiteur. Quand il aperçut la tête de loup en brassard, il se raidit et ordonna qu'on fasse entrer le visiteur dans son bureau.
C'était un des hommes de Juro, celui qui avait pris la tête du clan depuis qu'ils étaient partis de la Cité du Levant.
- Que veux-tu donc ?
Mitsurugi ne se doutait évidemment pas de la trahison de Yatsume, puisqu'il avait transmis la lettre de celle-ci sans l'ouvrir.
- Les nouvelles ne sont pas bonnes, Mitsurugi-sama, dit le rônin. Comme tu le sais, nous étions partis sur une île au large de la Cité de la Forêt des Ombres, où nous pensions que nous vivrions tranquilles ; normalement, personne n'aurait dû nous y retrouver. Or, nous avons dû fuir, car nous avons été attaqués par des pirates fort nombreux. Nous en avons capturé un, heureusement, malgré la mort de cinq d'entre nous. Cette vermine a avoué qu'ils avaient été payés par le clan du Scorpion pour nous tuer tous.
- Les Scorpions ont vraiment des yeux et des oreilles partout pour vous avoir retrouvés...
- Il n'y pas la grand mystère, selon Juro. A vrai dire, il y avait peu de personnes au courant de notre destination en-dehors de notre clan. Il n'y avait en fait qu'une seule personne, celle qui nous a accompagnés : Matsu Yatsume.
- Attention à ce que tu dis, rônin...
- C'est la vérité. Je le constate juste. Elle seule savait où nous allions.
Mitsurugi soupira. Pour quelle raison Yatsume avait-elle pu ?... Il n'osait pas y croire...
- Comment va le senseï ?
- Bien. Mais il exige réparation.
- Si Yatsume est bien coupable, il y aura réparation.
- Tu m'en vois ravi, au nom du clan du Loup, Mitsurugi-sama.
Le rônin salua et s'en alla.
L'ambassadeur mit Sasuke au courant. Circonspects, les deux hommes se demandèrent ce qu'il fallait faire.

Samurai

Les rônins pénétraient dans le tunnel derrière l'étang d'eau calcaire. L'eau gouttait toujours, fascinante autant qu'inquiétante. La lumière du jour était déjà diffuse. Il fallut allumer les lampes. Pendant ce temps, à vive allure, Maya repartait sur le plateau rocheux.
Le tunnel devenait un mauvais boyau, étroit, tortueux, où il ne passait qu'un homme à la fois. Des phosphorescences rouges montaient des profondeurs avec l'écho de bouillonnements de lave. L'expédition découvrait la plus hallucinante des grottes : les parois semblaient avoir été sculptées par quelque artisan démoniaque. Partout, dans la roche, des formes de dents, de griffes ; des milliers d'alvéoles et des esquisses de gueule, des écoulements solidifiées et des forêts de stalactites qui ressemblaient au dos poilu et hérissé d'un oni. Aux murs, des formes d'animaux fantomatiques, des scènes d'affrontements avec des sorciers et des bêtes énormes.
- Nous sommes dans l'estomac d'un démon, ce n'est pas possible, dit Tadao.

De l'air chuintait par des trous de la roche et à certains endroits, ces souffles formaient des vibrations qui ressemblaient à une musique infernale. Les rônins les plus téméraires sentaient leurs genoux trembler. Il avait fallu se séparer en petits groupes pour avancer dans cet entrelacs de couloirs minuscules. Tout le monde avait son arme à la main.
Yatsume observait prudemment autour d'elle : il était impensable que quelque créature n'habitât pas un repaire aussi dément. Elle sentit alors le sol se dérober sous ses pieds et tomba en hurlant. Juste derrière elle, un rônin n'avait pu l'attraper à temps. Horrifiés, Mamoru et Yojiro éclairèrent le trou ; la pente était presque verticale.
Yatsume tomba, glissa pendant d'interminables instants, avant d'arriver à enfoncer son yari dans la terre meuble, ce qui la freina, et juste à temps : elle se retrouva les pieds dans le vide, accrochée à son arme à bout de bras. Elle retint un nouveau cri ; à bout de bras, elle n'allait pas tenir longtemps.
La lame ressortait peu à peu de la terre. Sous elle, elle vit des bassins de liquide noire, dans une grande caverne à peine éclairée. Elle estimait même difficilement la distance au sol. La lame se décrocha encore un peu et le yari se mit presque à la verticale. Yatsume descendit donc encore un peu, et sentait qu'elle était bientôt prête pour le grand saut. Elle pria ses Ancêtres et sentit la lame se désolidariser : elle tomba dans un liquide épais, comme de la poix refroidie, et en ressortit gluante, couverte de boue. Dégoûtée, elle remonta sur la rive et vit juste au dernier moment venir à elle la créature humanoïde qui était sorti de l'eau juste derrière elle et qui allait la saisir à la gorge. Yatsume hurla et lui passa son yari dans le ventre. La créature retomba dans l'eau.
Notre héroïne recula en tremblant.
C'était un homoncule, petit, aux membres très maigres, à la peau blanche, sans poil.

A "l'étage" d'au-dessus, Yojiro avait collé son oreille au-dessus du trou et entendit distinctement le cri.
- Il faut lui envoyer une lanterne !
- Nous ne savons même pas si elle a survécu, dit l'Inquisiteur, qui était à l'avant du groupe.
Yojiro cria à Yatsume de répondre. Celle-ci dit qu'elle allait bien. Tadao consentit à la demande de Yojiro. A l'aide d'une corde, il fit descendre la lanterne, dont la flamme dansait, fragile.
Yatsume leva les bras pour recevoir ce précieux cadeau. Elle cria "merci !" et dit qu'elle allait chercher de son côté une sortie. Elle posa la lampe à terre et s'assit, éprouvée.
Elle entendit des pas près d'elle et se releva juste à temps : elle était cernée de trois habitants de ces profondeurs, qui avait manifestement l'envie de la dévorer vivante. Elle hurla et les attaqua, féroce, et trancha leurs corps maigres et dures de la pointe acérée de son arme.

Elle avait les larmes aux yeux. Elle but à sa gourde, prit la lanterne et alla vers le fond de la grotte, où elle apercevait le départ d'un autre tunnel.

Samurai

Le groupe de Tadao s'était réduit. Il était à parier qu'un groupe entier de rônin s'était perdu. Il valait mieux prier pour qu'ils retrouvent leur chemin en sens inverse. L'Inquisiteur ordonna la poursuite des recherches. Ils allèrent au bout du tunnel asphyxiant, en passant parfois de côté entre deux parois très rapprochées.
- Où est passé Isawa Nobuyoshi ? demanda Tadao.
- Il n'est pas dans notre groupe, dit Yojiro.
- Malédiction, son clan ne me le pardonnera pas si je l'ai perdu...
L'avancée devenait de plus en plus pénible. Au bout du tunnel, l'Inquisiteur demanda à Maya d'approcher la lanterne :
- Par les dieux...
Ce n'était plus la pierre étrangement sculptée, c'était cette fois, à coup sûr, du bronze forgé. C'était une petite porte avec un gros anneau à boule accroché dessus.
- Qui a pu travailler du métal à ces profondeurs ?
L'Inquisiteur tenta de pousser sur la porte, de manipuler l'anneau, sans obtenir de résultats.

A quelques mètres sous ses pieds, Yatsume se retrouvait devant une semblable porte, qui luisait d'une étrange aura. Notre héroïne effleura à peine la porte que celle-ci se souleva d'un coup. Et la porte devant Tadao s'ouvrit en même temps.
Yatsume entra : elle arriva dans une caverne bien plus haute mais étroite, où, avec l'éclairage de sa lanterne, elle découvrit un alignement effrayant d'une bonne vingtaine de momies en armures. Elles étaient accrochées au mur, des couronnes de pierres précieuses sur la tête et des plastrons de couleur émeraude sur le torse. Leurs sourires macabres était comme une bienvenue pour Yatsume. Celle-ci s'attendait à ce que, d'un moment à l'autre, ces joyeux trompe-la-mort s'animent. Elle entendit alors des pas derrière elle : son cœur fit un bond et elle se mit en garde.
Elle vit avancer la silhouette d'un samuraï. Elle s'apprêtait à attaquer.
C'était Isawa Nobuyoshi.
Elle respira.

Celui-ci lui fit signe de ne pas faire de bruit. On entendit des cris de petits animaux qui nichaient dans les grandes parois de la caverne. Yatsume vit alors un grand mur de pierres qui fermait le fond de leur petite grotte. Une autre porte en bronze permettait de passer le mur. Yatsume s'approcha et la porte s'ouvrit sans mal.
De l'autre côté du mur, elle brandit sa lampe et découvrit aussitôt un décor spectaculaire : de grands tombeaux, des caveaux et des tombes, disposés sur plusieurs étages, entourés de remparts solides, avec des escaliers vertigineux, qui remontaient jusqu'en haut de cette nécropole pyramidale, dont la pointe touchait presque la surface.
Des chauve-souris voletaient en criaillant et sur les créneaux, des créatures comme celle de la grotte avançaient à quatre pattes et sautaient d'un chemin de ronde à l'autre.

Samurai
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#4
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE

Le groupe de l'Inquisiteur entra dans la nécropole par le haut. Ils arrivaient sur des remparts et virent les créatures se tournaient vers eux. Et celles qui arpentaient les chemins de ronde, prévenus par l'instinct du groupe, crièrent et se mirent à affluer vers nos héros.
Tadao s'avança et récita un sort : ses mains se mirent à brûler de flammes couleur de jade ; et quand il eut une dizaine de ces monstres prêts à lui sauter dessus, il lança son attaque. Les traits partirent comme des éclairs et frappèrent de plein fouet les créatures ; celles-ci, brûlées jusqu'à la moelle, tombèrent des remparts en hurlant et s'écrasèrent au sol carbonisées. Tadao recula alors que d'autres arrivaient : Mamoru et Yojiro prirent le relais, sabres en main et affrontèrent vaillamment leurs opposants. Ils en charcutèrent un groupe, soutenus par Hida Goemon ; à eux trois, ils en lacérèrent une quinzaine. Maya en reçut quelques-uns et les jeta dans le vide.
Tadao fit signe de courir dans une tour de garde.
En bas, Yatsume entendit les corps s'abattre et s'écraser dans des bruits affreux. Il en pleuvait !
Nobuyoshi lui indiqua un escalier par où ils pourraient accéder aux remparts. Ils grimpèrent les marches quatre à quatre. Yatsume remarqua que les créatures ne les approchaient pas. Ils coururent sur le chemin et approchèrent d'un énorme donjon qui se dressait au centre de la nécropole. Pendant ce temps, Tadao et sa suite grimpaient les étages, harcelés par les créatures. L'Inquisiteur invoqua un nouveau sort : un éclair de jade partit en ligne brisée sur les ennemis et déchira mortellement leurs chairs.

Le donjon rougeoyant dégageait une aura effrayante d'énergie ; de l'intérieur sortait des palpitations énormes qui auraient fait penser au cÅ“ur d'un démon.
Les deux groupes firent leur jonction sur les hauteurs. Les créatures s'étaient repliés. Elles n'osaient plus s'approcher. Un troisième groupe entra à ce moment dans la nécropole, plusieurs rônins qu'on croyait perdus. Les samuraï escaladèrent un dernier muret pour se retrouver en haut, à quelques mètres en-dessous de la surface : une ouverture dans le sol laissait percer la lumière. Cinq hommes envoyèrent des grappins et les arrimèrent fermement. Pendant que les rônins commençaient à monter vers la surface, nos héros gardaient l'accès. En effet, à ce moment, les créatures s'étaient ressaisies et il en arrivait des nuées ! Elles sautaient, grimpaient, couraient, pour se précipiter en masse sur les intrus. Kuni Tadao fit encore appel aux énergies de la Terre et leur lança une énorme pluie de jade ; des dizaines de créatures empalées s'abattirent au sol, pendant que nos héros tranchaient à vif dans les plus chanceux qui avaient réussi à s'approcher. Il y eut une mêlée intense et nos héros purent ensuite s'accrocher aux cordes ; du haut, les rônins qui avaient réussi à sortir les hissèrent.

Ils s'agrippèrent à la terre ferme, et respirèrent le bon air des montagnes, sous les cieux éclairés par dame Amaterasu, alors que les habitants de la nécropole grouillaient en-dessous d'eux.
D'abord aveuglés par la lumière, les samuraï coururent en désordre dans la plaine, puis se ressaisirent ; jamais il n'avait été si bon de se sentir vivant !
Tout le monde s'éloigna de la mince ouverture au-dessus de la nécropole. Il restait environ la moitié des hommes du début. A quelques lis se trouvait un village. Il était épargné par la contamination maléfique. Nos samuraï purent y passer la nuit.

Samurai

La fin d'après-midi était fort chaude à la Cité de la Pieuvre. Le soleil était énorme, sanguin et incendiait toute la ville de ses traits brûlants.
Sasuke était en bibliothèque, obligé de s'éponger le front régulièrement. Il continuait ses recherches sur les mystères de l'Å’il de l'Oni. Il consultait des parchemins relatifs à la vie de la fortune du tonnerre, Osano-Wo qui, de son vivant, avait trouvé cet Å’il avec ses guerriers. Notre shugenja se sentit alors troublé, et sentit qu'une puissante magie vibrait autour de lui. Il déposa son parchemin et se concentra intensément. Il fit appel en pensée aux éléments et sentit des forces de la terre très présentes autour de lui. Il touchait le bois de sa table et entrait en communication avec l'ensemble des énergies qui circulaient dans la matière. Il sentit que le sort s'apaisait peu à peu ; les Fortunes invoquées pour venir autour de lui allaient s'enfuir.
Sasuke ne voulut pas perdre cette piste et se précipita dehors, à la poursuite de ces esprits, qui allaient retourner là où on les avait envoyés.

Pendant ce temps, Mitsurugi prenait un bon bain et se faisait masser, pour supporter cette chaleur accablante. Par la fenêtre de la salle des bains, il vit son fidèle conseiller courir comme un perdu dans la cour bouillante du palais et sauter sur un poney, puis partir à brides abattues, cheveux aux vents, à l'heure où la Cité entière somnolait.
Mitsurugi secoua la tête, persuadé que dame Amaterasu avait cogné pour de bon sur la tête du shugenja. Il se renfonça voluptueusement dans son bain et demanda à sa masseuse de lui frotter encore le dos.

Sasuke suivait le reflux des fortunes de la Terre, ce qui le conduisit hors de la Cité, sur la route de l'est, à un solide temple en pierre de tailles. La torpeur accablait ce coin de campagne : dans le village que traversait Sasuke, tout le monde dormait ; un vaste ronflement couvrait la ville. Le shugenja passa sans s'arrêter et se présenta à la porte du temple, où les deux moines de garde jouaient aux dés. Il demanda s'il était possible de voir le supérieur de la communauté. L'un des gardes bailla à s'en rompre la mâchoire et répondit, avec un fort accent du sud-ouest rokugani :
- Mais vous êteuh pas un peu fous, non, vous les Liôns ?... Courir et vous agiter avé cette châleur qu'on se croirait dans un four à paing ?
Sasuke dit qu'il était vraiment désolé mais que c'était urgent.
- Voilâ, voilâ, on y va !... Mais il va pas aimer, le père supérieur, si je le réveille avant la fin de sa sieste, hein... Main'tenant, les gens ne prennent plus le temps de vivreuh... Côurir, toujôurs côurir...
Le moine se leva, perclus de paresse et revint peu après pour dire que c'était d'accord. Puis il se rassit et reprit la partie de dés en maugréant contre ces gens du nord qui...

Sasuke entra dans le temple, qui était dédié aux fortunes de la Terre. Le père supérieur se faisait servir son thé à l'ombre bienfaisante de la grande salle de prière.
- Asseyez-vous, dit le vieil homme. Vous arrivez juste après notre temps de méditation...
Le maître du thé servit à Sasuke un thé vert brûlant.
- Qu'est-ce qui vous amène parmi nous ?
Le shugenja dit qu'il s'était senti appelé par les Fortunes de la Terre et qu'il éprouvait le besoin de venir méditer avec elles.
- Vous êtes le bienvenu parmi pour le temps que vous voudrez. Seulement, il faudra vous plier aux règles de notre communauté : par exemple, ne pas vous agiter si furieusement alors qu'il fait si chaud.
Le père sourit et lui resservit du thé. Sasuke rit et s'excusa encore de son arrivée fracassante.
- Ce n'est rien... A ce propos, sachez qu'un autre samuraï est ici, du clan du Phénix. Il médite devant la grande statue de la pierre éternelle.
- Je vais aller le retrouver dans ce cas.
Sasuke pénétra dans une petite salle de prière où se trouvait, assis en tailleur, un shugenja de la famille Isawa. Il était chauve et d'une taille supérieure à la moyenne. Il avait retroussé ses manches et avait les mains paume contre paume juste devant son visage ; ses bras étaient puissamment musclés et son visage était entièrement immobile.
Sasuke reconnut sans peine Isawa Ichibei, le tensaï de la Terre, le dernier membre de la "bande des quatre". C'était celui qui était le plus pieux ; il était connu pour passer des journées entières à méditer. C'est leur maître qui lui imposait ces méditations prolongées pour qu'il parvienne à canaliser les énergies telluriques avec lesquelles il était en communication, et qui pouvaient se révéler destructrices, car elles sont omniprésentes. Pour Sasuke, il ne faisait aucun doute que c'est lui qui venait de l'espionner. Lui seul avait le pouvoir d'invoquer des Fortunes pour les envoyer aussi loin écouter quelqu'un. Notre héros s'assit et pria un moment, avant de saluer son ami. Ichibei, comme à son habitude, ne fut pas très bavard. Il dit qu'il avait passé l'après-midi à se recueillir ici. Sasuke ne put rien en tirer ; il était muet comme les pierres... Il partit néanmoins en sachant à quoi s'en tenir.

Le shugenja rentra au palais d'Ivoire, où il apprit que Maya attendait d'avoir une audience avec l'ambassadeur.

Samurai

La petite armée de Kuni Tadao dormit une première nuit au village près de la nécropole. Le lendemain soir, les renforts arrivaient : à leur tête, Mitsurugi et Sasuke.
Ceux-ci avaient été prévenus la veille par Maya, et avaient levé une troupe composée de samuraï du clan du Crabe et du Lion, ainsi que de rônins. L'Inquisiteur remercia ceux qui venaient l'aider. A la lumière de la bougie, il expliqua ce qui s'était passé la veille. Il dit qu'il fallait retourner en nombre dans la nécropole pour la détruire définitivement.

Le soir, Yatsume eut des cauchemars. Elle repensait de plus en plus à son mari et elle se revit dans la nécropole, en compagnie d'Isawa Nobuyoshi, quand ils passaient près du grand donjon ; elle ne sut pas alors distinctement si c'était le rêve ou la réalité mais elle entendait, de l'intérieur du donjon, la voix de son mari qui l'implorait. Yatsume se réveilla, étreinte par une peur glacée. Comme si l'esprit de son mari était proche d'elle.
Le village dormait encore. L'aube n'était pas venue. Elle repensa autant qu'elle put à ce passage dans la nécropole et elle sentit qu'elle n'avait pas rêvé : son mari était bien dans le donjon !
Elle fut la première debout et, alors que tout le monde se préparait encore, elle se mettait déjà en marche. C'est Mitsurugi qui la vit sortir du village, et lui cria de s'arrêter.
Yatsume ne se retourna pas. Mitsurugi courut à la sortie du village, mais son assistante s'éloignait vite ; l'ambassadeur appela Yojiro et lui ordonna de l'arrêter. Le rônin courut derrière Yatsume et se mit en travers de son chemin.
Au village, l'incident n'avait échappé à personne ; Mitsurugi était en train de perdre la face devant tout le monde ! Furieux, il se précipita vers Yatsume, que Yojiro n'osait pas arrêter vraiment.
- Yatsume, ça suffit !
Elle s'arrêta enfin.
Il soufflait un grand vent du matin sur la plaine ; Yojiro s'éloigna et, au village, on fit semblant de ne pas voir Mitsurugi engueuler vertement son assistante.
- Tu es folle à la fin ! Cela suffit ! Comment oses-tu désobéir !...
- Je m'excuse, sama, mais mon mari est là-dedans... Il m'appelle...
Elle baissait la tête mais sa résolution ne faiblissait pas.
- C'est donc ton mari, hein...
Yatsume trembla.
- Oui, je comprends, vociférait Mitsurugi.
Il était hors de lui.
- Je comprends mieux pour quel motif tu as renseigné les Scorpions sur le clan du Loup !
Yatsume devint pâle.
- Oui, j'ai appris ta trahison !...
Mitsurugi fit un lourd effort pour se calmer. Il y avait longtemps qu'il n'avait pas pris un tel coup de sang.
- Je déciderai rapidement de ton sort ! En attendant, nous partirons groupés ! Compris, Yatsume ?
Elle ne dit rien et suivit son chef. Mitsurugi fit de son mieux pour avoir l'air maître de lui au village. Il ordonna sèchement le départ et prit la tête de la troupe.
- Ça barde, murmura Yojiro.
Kuni Tadao n'osa pas intervenir pour proposer d'attendre les renforts du clan du Phénix. Il avait en effet envoyé une demande à ceux-ci. L'Inquisiteur n'était pas bien placé pour contrarier Mitsurugi après lui avoir demandé de venir...
Les samuraï arrivèrent à l'entrée de la nécropole. Mitsurugi avait besoin de passer sa colère. Il se sentait trahi, et quand il était trahi, il se sentait violence !!
Il fut le premier à descendre à la corde dans cette saloperie de nécropole qu'il allait abattre si nécessaire pierre par pierre !
Les créatures remontaient en poussant des cris et des sifflements stridents mais nos samuraï avaient déjà pris pied sur les remparts et les hachèrent menus en moins de temps qu'il n'en faut pour en parler. Ils descendirent les étages en terminant de massacrer les autres humanoïdes téméraires qui s'interposaient sur leur chemin, et arrivèrent au pied du bâtiment.
Mitsurugi enleva son casque et dit :
- C'est tout ?

- Non, dit Kuni Tadao. Je pense qu'un terrible démon niche dans ces sous-sols. C'est lui qui a infesté la région de ces malédictions. C'est un démon vampirique qu'on appelle un gaki : il se nourrit des âmes de plusieurs hommes et gagne en puissance chaque fois. Son pouvoir est donc en droit infini car sa soif est insatiable.
- Nous allons l'attirer, cria Sasuke.

Lui et son compère Isawa Nobuyoshi se placèrent à l'entrée de la nécropole, devant les grottes et se mirent à concentrer leurs pouvoirs en commun : des vents hurlants commencèrent à tourbillonner autour de Nobuyoshi et une aura enflammée apparut autour de Sasuke. La violence conjuguée des deux éléments fit trembler la nécropole. Un cri monstrueux retentit, sorti des profondeurs les plus insondables des souterrains ; les samuraï se mirent en garde devant l'entrée du tunnel où résonnait ce hurlement indescriptible.
Les deux tensaï intensifièrent leur invocation et une monstrueuse silhouette, haute comme trois hommes et large comme quatre, apparut au fond du tunnel et arriva dans un trépignement qui fit trembler le sol. Les samuraï ne la virent que brièvement, monstruosité composée de cinquante corps différents agglutinés au hasard, avec des membres, des yeux, des gueules et des viscères en tous sens !
Mitsurugi cria le nom de sa fortune protectrice, Bishamon, et courut sur la bête, et lui asséna un coup magistrale en plein dans ce qui ressemblait à sa tête ! Les autres samuraï foncèrent sur elle mais beaucoup furent renversés par la charge du gaki, puissant comme dix buffles enragés ! Mitsurugi avait réussi à s'esquiver sur le côté. Transpercé de dizaines de lames, le gaki poursuivit sa course aveugle : il fonçait sur les deux tensaï ; ceux-ci, au dernier moment, déchaînèrent le pouvoir accumulé et envoyèrent une tempête enflammée sur le démon ; il fut stoppé net dans sa course, enserré dans l'étau du vent qui le broya, et carbonisé littéralement par les flammes impitoyables. Dans un dernier hurlement, il agonisa et s'effondra, au pied des deux tensaï.
Les samuraï se précipitèrent sur la carcasse et lui infligèrent encore de nombreux coups.

Samurai

Sur les remparts, Yatsume avait assisté à distance à ce massacre. Elle n'y tenait plus : elle s'était approchée du grand donjon, dont l'intérieur était empli de lueurs écarlates et de gémissements insistants. Elle était sûre que c'était la voix de son mari. Elle colla son oreille à la paroi, pour l'entendre, et mit ses mains sur la pierre, comme si elle voulait le toucher. Elle vit une meurtrière et se dit qu'elle allait oser un simple coup d'Å“il. Elle avait plus peur que jamais. Elle approcha peu à peu de l'ouverture, prit sa respiration et regarda.
Elle tomba à la renverse, les poils dressés, un cri muet coincé dans la gorge. Le souffle coupé, elle ne put se relever tout de suite.
Les samuraï en avaient fini avec le gaki et la virent à terre. Mitsurugi, Sasuke et Nobuyoshi remontèrent et s'approchèrent d'elle. Ils l'aidèrent à se relever.
- Mon mari... mon mari...
Elle montrait du doigt le donjon.
- Quoi ? tu veux aller là-dedans à présent ? dit Mitsurugi.
Il voyait qu'elle perdait la raison. Mais c'était une affaire d'honneur, il le sentait.
- C'est de la folie d'y aller, dit Nobuyoshi. L'Inquisiteur pourra vous confirmer que ce donjon conduit certainement au monde du massacre ! Là où des âmes sont condamnées à se battre pour l'éternité pour expier leur mort déshonorante !

La terre se remit à trembler. C'était le plafond de la caverne qui tremblait et menaçait de s'effondrer. Le sol allait crouler entièrement !
- Dehors, tous ! cria l'inquisiteur.
Les samuraï remontèrent à toutes jambes la nécropole ; plusieurs se firent attraper au passage par les créatures et finirent dévorés, mais beaucoup arrivèrent en haut ; Sasuke était de ceux-là. La terre tremblait de plus en plus fort. Notre héros vit alors que ce tremblement avait été provoqué : il y avait en effet Isawa Ichibei, le tensaï de la terre, juste au-dessus, à la surface, qui invoquait les esprits pour faire tout tomber sur la nécropole !
- Arrête ! arrête ! cria Sasuke.
De gros morceaux de terres tombaient ; l'édifice de la nécropole tremblait et des fissures apparaissaient.
En bas, Mitsurugi avait essayé de convaincre Yatsume de revenir avec lui. Elle dit qu'elle devait y aller. L'ambassadeur n'insista pas et la laissa à son sort. Les samuraï avaient compris qu'ils ne pourraient partir par le haut. Ils coururent alors à l'entrée la plus proche, et passèrent la porte de bronze. Ils se retrouvèrent dans les grottes, avec quelques lanternes seulement.
L'Inquisiteur prit la tête de la troupe qui s'enfonça dans le dédale des boyaux aux parois difformes. Ils se perdirent pendant de longues heures dans les ténèbres et désespérèrent de revoir jamais la lumière du soleil. Tadao invoqua les fortunes de la Terre pour creuser un conduit vers la surface ; il eut beaucoup de mal car Isawa Ichibei avait déjà bouleversé l'équilibre cosmique de la terre en la faisant trembler ; mais au bout de longues heures à creuser à la main, un samuraï agrippa une motte d'herbe et cria victoire. Les courageux guerriers se précipitèrent dehors, et tombèrent à genoux, bénissant Amaterasu de la revoir.
A la place de l'entrée de la nécropole, il y avait un grand cratère : on pouvait supposer que tout avait été englouti en dessous. Nos héros ressortaient vivant de cet épouvantable endroit, dont, comme l'avait souhaité Mitsurugi, il ne restait plus pierre sur pierre.
Il ne manquait à l'appel que Yatsume. Elle avait sauté dans le donjon, Nobuyoshi le confirma : il était resté le dernier avec elle pour la dissuader, et il l'avait vue sauter dans le donjon par une porte dérobée qui était apparu quand la nécropole s'effondrait.
Épuise, assis dans l'herbe, Nobuyoshi dit seulement :
- Je n'ai rien pu faire pour l'empêcher.
- C'est elle qui l'a voulu, affirma Mitsurugi. Vous n'aviez pas à l'en dissuader.

La troupe repartit doucement vers la Cité de la Pieuvre. Les Phénix étaient déjà repartis, en emmenant Isawa Ichibei. Sasuke savait qu'il y aurait très bientôt une explication avec eux.

Samurai

Maya repartit de son côté, perdue dans ses pensées au milieu de la grande plaine venteuse. Alors que le soir tombait et qu'elle ignorait où elle dormirait, elle vit venir à elle un homme tatoué. Un Ize-Zumi comme elle. Il était plutôt bel homme et lui sourit, amicalement, comme s'il était parfaitement normal qu'ils se retrouvent ici, à ce moment. Mais il en va ainsi chez les Ize-Zumi, dont la vie défie bien souvent la logique.
- Konnichi-wa, Maya-san. Salutations de la part de notre clan et de notre bien-aimé daimyo.
Les deux moines se saluèrent selon le rituel et partirent ensemble.
- Vous aviez été avertie de mon arrivée ?
- Oui, dit Maya.
- Notre seigneur désire savoir ce que vous avez appris lors de votre voyage, qui dure depuis déjà bien longtemps.
D'humeur sombre, Maya ne répondit rien. Elle en avait soudain trop gros sur le cÅ“ur.
- Je voudrais que nous allions voir une vieille femme qui lit dans les runes, dit l'Ize-Zumi. Je suis sûr qu'elle nous aidera.
Ils s'arrêtèrent près d'une source qui jaillissait du sol au milieu d'un champ de linaigrettes.
Ils y burent après avoir prié les esprits de l'eau.
- Que retirez-vous donc de ce voyage ? dit le Moine.
Maya serrait les poings et regardait devant elle, comme pour lancer un regard noir à l'horizon.
- J'ai appris, dit-elle, j'ai appris que l'honneur n'est pas toujours une belle chose...
Elle soupira et regarda les linaigrettes qui se dispersaient dans le grand vent. Elle contenait comme elle pouvait ses larmes.
- Non, l'honneur n'est pas toujours bon...
- Ce n'est pas l'honneur qui est mauvais. Ce sont ceux qui ne le suivent pas.
- J'ai connu bien des hommes d'honneur... Et l'honneur n'est pas une belle chose...
- Écoutez, Maya...
Il lui posa la main sur l'épaule.
- Vous avez voyagé, vous avez découvert le monde. Vous vous êtes sans doute égarée, bien plus que vous ne le pensiez en quittant notre monastère et les terres de nos Ancêtres. Mais tout n'est pas perdu. Notre daimyo ne vous oublie pas ; il veille sur chacun d'entre nous. Et l'esprit de Togashi connaît la vie du moindre d'herbe de cet Empire, de chaque être si infime soit-il. Il ne vous abandonne pas. Mais vous devez faire un choix : voulez-vous encore porter ce nom, ou bien vous considérez-vous perdue pour de bon ?...
Ils marchèrent et suivirent le ruisseau qui coulait de la source. Ils aperçurent un village en contrebas, dont les feux s'allumaient alors que le soleil disparaissait derrière les collines.
- Non, je suis une Dragon, dit Maya. Je suis une Togashi.
- Bien, venez...
Ils marchèrent en silence et arrivèrent au village alors que les dernières traces du crépuscule disparaissaient et que la pleine lune était jaune et basse sur les montagnes.

Samurai

L'armée menée par Kuni Tadao et Matsu Mitsurugi retourna à la Cité de la Pieuvre. Les quelques rônins qui avaient survécu furent grassement payés. Pour sa fidélité, Mamoru fut récompensé en se voyant remettre le titre honorifique de "chasseur de sorcière", qui valait en fait pour toute chasse dans l'Outremonde.
Mitsurugi demanda à Sasuke s'il avait bien vu le tensaï de la Terre provoquer l'effondrement de terre sur la nécropole :
- Oui, c'était lui, dit le shugenja. Je pense que ses pouvoirs l'ont rendu fou, ce n'est pas possible autrement. Il n'a pas mesuré ce qu'il faisait, ce n'est pas possible.

On fut sans nouvelles de Yatsume pendant plusieurs jours. Certains s'attendaient à ce qu'elle ne revienne plus jamais, perdue dans un autre monde.
Et pourtant, l'ambassadeur Mitsurugi fut prévenu quatre jours plus tard que son assistante avait été retrouvée au bord de la Muraille. Elle errait dans l'Outremonde, hagarde. Elle avait aussitôt été emmenée se faire soigner ; elle avait passé le test de la glyphe de protection : elle avait tendu son bras au-dessus des peintures magiques et n'en avait pas été brûlée -ce qui prouvait qu'elle n'avait pas été touchée par la Souillure. Pour le reste, elle ne se souvenait pas de ce qui lui était arrivé.

Elle fut convoquée seule par Mitsurugi :
- Puisque tu es de retour, il est bon que nous parlions, Yatsume. J'ai réfléchi et j'ai pris ma décision concernant la trahison dont tu t'es rendue coupable contre le clan du Loup. Tu retrouveras celui qui a tué ton mari et quand ta quête sera terminée, tu abandonneras le mon de notre clan, tu iras voir les rônins et c'est eux, alors, qui décideront de ton sort.
"Ce sera tout. Tu peux te retirer.

Yatsume, accablée par son voyage et le remord, resta plusieurs jours au lit. Sasuke lui rendit visite et lui demanda pourquoi elle avait suivi l'expédition à la nécropole. Yatsume répondit que les Scorpions l'avaient mise sur cette piste...
- Les Scorpions sont malins, dit Sasuke. Ils n'ont pas leur pareil pour obtenir ce qu'ils veulent sans presque rien en échange. La plupart des samuraï est persuadé qu'ils savent tout sur tout le monde ; mais ils ne sont pas si forts et ils vous ont abusé : ils vous ont donné une vague information qui pouvait passer pour sérieuse, rien que pour obtenir le moyen d'atteindre le clan du Loup. C'est comme cela qu'ils font : ils jouent sur la réputation qu'on leur prête...

Yatsume accusa le coup : la leçon de Sasuke était rude, mais elle était vraie. Yatsume avait été abusée par cet escroc de Bayushi Kokamoru ! Il avait vaguement parlé de Yaagoth, d'Isawa Nobuyoshi, de l'Inquisiteur !... Rien de sûr !
Dès qu'elle fut sur pied, elle lui demanda un rendez-vous à l'auberge ; elle l'y retrouva, alors qu'il était comme d'habitude entouré de ses gardes du corps.
- Vous m'avez trompé, dit notre héroïne d'emblée.
A peine si elle prit le temps de s'asseoir.
- Vous avez abusé de ma crédulité et de mon désir de venger mon mari...
Sa colère était froide, résolue. Elle ne lui laissait rien à dire.
- Sachez donc qu'à l'avenir, je ne traiterai plus avec vous. Je ne suis pas de votre clan, inutile d'essayer de me proposer un autre accord.
Elle le fixait dans les yeux, et ne demandait aucune réponse.
- Au revoir.

Elle se leva et partit. Elle avait soudain le cÅ“ur libéré d'un énorme poids. Oui, elle se sentait plus légère !
Elle rentra au palais et se retrouva néanmoins seule face à elle-même. Elle avait oublié ce qui s'était passé entre le moment où elle avait sauté dans le donjon et celui où elle était arrivée à la Muraille. Avait-elle retrouvé son mari ? Avait-elle tué le démon qui l'avait corrompu ? Comment avait-elle survécu à un séjour prolongé chez le Dieu Maudit ?...
Elle s'endormit sans trouver la réponse, et ce soir-là dans l'Outremonde, près des ruines du château Hiruma, solitaire sur son rocher, un chat blanc miaulait aux étoiles.





<span style="color:#008000">SamuraiFORCE ET HONNEUR, SAMURAÏ !Samurai<!--sizec--></span><!--/sizec-->
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