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04-10-2010, 11:02 PM
(This post was last modified: 04-10-2010, 11:03 PM by baronpiero.)
Je me bidonne bien en lisant les vieux textes.
Quote:- Ah, mon petit Morand, un instant...
Quote:- Vous êtes excusé pour ce soir alors, mais une prochaine fois, vous n'y couperez pas, hein...
Comment il se la joue trop Gérard Jugnot
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05-10-2010, 10:24 AM
(This post was last modified: 05-10-2010, 12:14 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #14<!--sizec--><!--/sizec-->
Maréchal fut dérangé dans sa sieste du matin par un appel : c'était un inspecteur de la Crim', particulièrement désagréable, qui annonçait qu'ils allaient reprendre l'affaire. Le juge d'instruction le demandait, il voulait que chaque service respecte ses attributions etc.
Maréchal en avait déjà marre d"écouter l'autre :
- Nous vous attendons quand vous voudrez, dit-il.
L'autre ne s'imaginait pas qu'on allait leur apporter Mélian ! Maréchal se rendormit. Il se sentit frôlé par les invités masqués. Des femmes aux masques changeants. Il revoyait dans un coin de la pièce un personnage avec un grand masque de paon, phosphorescent. La frappe machine de Morand dans la pièce d'à côté berçait le sommeil de l'inspecteur.
Faivre était au travail sur son chromatographe :
- Venez donc voir, Morand, que je vous montre comment on se sert de ce genre d'engins...
Il fallait montrer aux nouveaux. Morand s'assit devant la machine :
- Vous allez me trouver des informations sur ce groupe : le quatrième chariot céleste. Je vous laisse, je vais me chercher un café.
Morand en avait pour la journée. Faivre allait pouvoir se la couler douce.
Il frappa sur ses poches : où avait-il mis ses cigarettes ? Morand hésita un moment devant le chromato, puis se mit à taper à toute allure.
- Vous avez fait quoi là ?
Faivre crut que le détective venait de lui détraquer sa machine, car des kilotonnes de données défilaient à l'écran. Morand tapa encore quelques mots et la recherche demandée s'afficha :
- Voilà, c'est ce groupe...
Faivre ouvrit grand les yeux. Pas d'erreur, il y avait le groupe du quatrième chariot céleste, quelques articles de journaux les concernant et l'adresse de leur anciens locaux.
- Ils ont un dossier à la brigade des moeurs, expliqua Morand. Je vous les appelle ?
Faivre prit le temps d'allumer une cigarette.
- Vous aimez faire le malin, mon petit Morand...
- Pas du tout, dit froidement le Scientiste. Allô, mademoiselle ? Je voudrais la brigade des moeurs, s'il vous plait ? Merci.
Il raccrocha.
- Bon, allez me chercher un petit café, Morand, si c'est comme ça.
Faivre était vexé comme un pou, et un peu admiratif. La communication prit quelques minutes à s'établir. L'inspecteur eut son collègue de la Mondaine, qui voulut bien examiner les dossiers des membres du groupe. Il le rappela dans l'heure.
- Inspecteur Faivre ? J'ai vos informations... Le gourou a été condamné pour atteintes à la pudeur. Son nom : Miroslav Sabanir. On l'a soupçonné de pédophilie. Rien n'a abouti, mais c'était un sacré dégueulasse. Il a été envoyé au Château. Il y est mort avant la guerre, d'une mauvaise grippe. Pour tout vous dire, on a soupçonné d'autres prisonniers de l'avoir lynché.
"Son groupe s'est dissous de lui-même, après son arrestation.
- Vous auriez la liste de ses membres ?
- Affirmatif. Vous notez ?
- Je vous écoute.
Il y avait bien la femme de Mélian. Le détective des Moeurs lui donna une dizaine d'autres noms. L'un d'eux fit tiquer Faivre :
- Comment vous avez dit ?
- Antiphon...
L'inspecteur prit dans sa poche le dépliant du magicien : Antiphon.
Il nota en vitesse les autres noms et courut frapper à la porte de Maréchal. Celui-ci descendit à regret de son hamac :
- Le magicien, il faisait partie du groupe de madame Mélian !
- Oh, merde...
Maréchal se frotta les yeux :
- Bon, dites à Clarine de nous faire un bon café, on monte le chercher...
Mélian se réveillait dans sa cellule. Il vit l'agitation.
- Nous avons une piste, dit Faivre. Une grosse piste... Je ne peux vous en dire plus.
- Morand, vous montez avec nous, dit Maréchal.
Faivre pensait que c'était bien de sortir le Scientiste. Lui faire prendre le grand air.
- Vous êtes bien pâlot mon petit Morand... Je vais vous prescrire des vitamines.
Maréchal était au parlophone :
- La compagnie Corben ?... Vous nous envoyez un véhicule... Névise, oui...
Les deux inspecteurs et le détective sortirent, emmitouflés, frappés par les bourrasques cinglantes du quai.
- Que pensez-vous, Faivre ?
- J'en pense qu'Antiphon a connu Mélian par sa femme. Impossible d'en dire davantage...
Le ballon-taxi, ballotté, descendait prudemment. Les trois hommes montèrent à l'échelle. L'engin prit doucement de l'altitude.
C'était un des fils Corben qui pilotait :
- Comment va votre père ? dit Maréchal.
- Bien. Il profite de la retraite. Il fume des cigares de Scovié.
- Mes amitiés quand vous le verrez.
La navigation était difficile, les vents changeaient vite. Les policiers étaient trop impatients de mettre la main sur Antiphon. Le pilote leur proposa, pour gagner du temps, de les déposer directement sur la grande passerelle de la Céleste.
- Très bien, on finira à pied, dit Faivre.
- L'occasion de cracher nos cigarettes...
Ils partirent en courant. Maréchal peinait. Cela lui rappelait la course de fond du concours de la PJ. Faivre tenait la distance, sa canne accrochée sur l'épaule. Morand courait très droit, concentré, très digne avec sa canne. Ils passèrent devant l'impasse de l'Ange de Cuivre. Le réceptionniste étrange était sur les marches. Il salua Maréchal d'un imperceptible signe de tête.
Ils finirent en marchant à grands pas. Ils tournèrent devant les Trois nymphes. Même Faivre, assez sportif, était en sueur. Morand paraissait à peine essoufflé. Maréchal se jurait d'arrêter bientôt la cigarette, comme chaque fois qu'il devait courir.
Ils frappèrent à la porte du Petit minois. Le concierge sortait avec les poubelles. Maréchal brandit sa plaque, en essayant de reprendre son souffle :
- Police judiciaire ! Nous venons voir votre magicien, là...
- Antiphon ? A cette heure-ci, vous le trouverez à trois rues d'ici...
Les policiers partirent en courant.
"'Pouvez pas vous tromper, il y a une lanterne rouge..."
Une maison de plaisir.
L'établissement se nommait Le huitième ciel.
- Police judiciaire !... Nous ne sommes pas les Moeurs !
La patronne, une rousse acariâtre, les regarda de travers :
- Vous voulez une chambre ?
- Nous cherchons Antiphon... Un magicien...
Elle cria, à l'intention du premier étage :
- Le magicien, il est avec qui ?
- Avec Olga !
Faivre bouscula la patronne et courut au premier. Morand et Maréchal suivirent. Plusieurs cris, la patronne qui glapit, furieuse.
Faivre prit une fille par le bras :
- C'est laquelle la chambre d'Olga ?
- Celle-là... Lâchez-moi...
Faivre avait l'habitude des prostituées. Il savait comment les prendre. Il la relâcha, toqua.
- Ouvrez !
Olga, la fille que fréquentait Mélian !
Il frappa encore. Pas de réponse, il enfonça la porte. Des canapés bleus, des couvertures roses en désordre, un parfum violent. Et la fenêtre ouverte, un drap accroché au rebord. Faivre se pencha : il vit deux silhouettes détaler par une ruelle.
- Ils s'enfuient !
Maréchal jura de faire payer au magicien cette course. Ils repartirent dans ce petit quartier, enclavé dans les Célestes, consacré aux maisons de passe. Ils firent quelques rues. Il n'y avait aucun agent des Moeurs, pas de Pandores.
- Halte !
Faivre vit passer deux personnes. Il brandit son pistolet. Maréchal lui cria de le ranger :
- On ne va pas faire un carton ici !
Ils coururent encore sur quatre rues. Ils virent un homme habillé comme un clerc de notaire accourir :
- Là-bas ! Un homme armé ! Il vient d'entrer dans... ce bâtiment !
Il faisait semblant de ne pas le connaître, alors qu'il en sortait (il sentait le gros parfum vulgaire). La maison s'appelait Chez Clito.
Maréchal tapa lourdement sur la porte :
- Ouvrez et vite !
La patronne, une grande blonde vaporeuse, en robe de chambre et en pantoufles à pompons, leur demanda poliment ce qui se passait :
- Une urgence, messieurs ?
- Oui, dit Faivre, on veut voir Olga !
- J'ignorais qu'elle avait des admirateurs. Et par ailleurs, il n'y a pas d'Olga ici...
Les policiers entrèrent sans se soucier d'elle. Une des filles prit Morand par le cou :
- Salut, bichounet...
Morand se dégagea, indigné.
Faivre sourit puis reprit son sérieux :
- Vous n'avez vu entrer personne ?
Une des filles, toute pâle, mit un doigt sur sa bouche et indiqua une chambre. Maréchal sortit son révolver. Il dit à Morand d'approcher de la porte. Il lança :
- Bien, merci mesdames. Nous allons continuer à fouiller le quartier ! Si vous voyez quoi que ce soit...
Il fit signe à Morand d'y aller. Le Scientiste enfonça la porte. Son chapeau haut de forme reçut un coup de couteau rageur. Morand envoya une claque retentissante à la fille. Faivre entra et ceintura Olga. Elle pleurait, cherchait à mordre. Morand passa tristement le doigt dans le trou de son chapeau :
- Vous avez idée du prix qu'il coûte ? Il est numéroté...
La fille voulut arracher les yeux du Scientiste. Celui-ci la considéra calmement, comme un chirurgien.
- Elle aurait besoin d'un sédatif.
Il remit son chapeau et sortit.
- Quel homme, dit une des filles. On peut dire que tu les a bien accrochées. Je te veux. Je te fais un tarif spécial.
Morand remettait ses gants, en parfait gentilhomme :
- Peut-être une autre fois, mademoiselle.
Maréchal entra dans la chambre :
- Où est Antiphon ?
La fille crachait comme un chat féroce. Elle ricanait.
- Elle est possédée ma parole, dit Faivre.
Il la leva et la fit passer devant lui.
- Elle ne vient pas de chez vous ?
- Non, bien sûr, dit la patronne. Elle est arrivée, une arme à la main, avec le magicien du théâtre, là-bas... Il a couru jusqu'au fond du couloir, s'est enfui par la petite entrée. Elle, on a réussi à l'attraper, et à la jeter dans la chambre. On avait peur qu'elle soit armée.
- Où est Antiphon ? répéta Maréchal.
La fille rit encore plus fort.
Maréchal remit sa cravate droite.
- Bon, on l'emmène à la maison.
- Revenez donc un de ces jours, messieurs, dit la patronne, on vous fera un prix de groupe...
- C'est bien aimable.
¤
C'est l'orgueil d'Olga qui la fit parler. Elle avait Antiphon dans la peau, elle en avait la rage.
- Vous ne savez pas de quoi il est capable... C'est le plus grand spirite qui soit ! Il peut manipuler ses victimes comme il veut ! Il viendra me délivrer, il brisera l'esprit de tous ceux qui se mettent en travers de lui !
- Pourquoi s'en est-il pris à Mélian ?
- Il voulait se prouver qu'il pouvait tout... Transformer un pauvre bourgeois en tueur sanguinaire !... Antiphon, ce n'est qu'un nom... Sa vraie identité, c'est le Prince des Paons. Un être venu d'ailleurs...
Les policiers comprirent qu'il avait hypnotisé Olga. Il avait dû aussi la droguer, à en juger par les descriptions d'hallucinations qu'elle fit. Olga avait sur ses ordres approché Mélian. Antiphon l'avait hypnotisé pendant son spectacle. Le pauvre Mélian ne pouvait rien refuser à sa chère petite Olga. Elle avait l'esprit complètement dérangé.
Les policiers de la Crim' vinrent chercher Mélian :
- Vous êtes en état d'arrestation pour meurtres...
- Il va falloir qu'on vous précise des choses, dit Faivre.
Ils ne voulaient rien entendre pour le moment. Ils furent presque agacés de devoir emmener Olga. Ce n'était pas prévu, cela sortait des consignes.
- C'est elle qui nous permettra de coincer le vrai coupable ! cria Faivre.
Les autres ne comprenaient pas. Ils voulaient la repasser à la brigade des Moeurs. Ils étaient sérieusement bornés. Maréchal dut leur expliquer patiemment.
Morand amenait la furie. Il fallait une poigne de fer pour l'empêcher de gesticuler. Elle voulut cracher au passage sur Mélian :
- Pauvre médiocre ! Grâce au Prince, tu as connu au moins la vraie haine ! La vraie passion qui fait battre ton coeur ! Et ce sera pareil pour vous tous !...
Faivre dut s'y mettre pour la maîtriser.
On appela un ballon-taxi. Mélian sortit de sa cellule sans faire d'histoire :
- Je veux savoir, inspecteur Maréchal, je veux savoir...
Mélian était au bout du rouleau.
- Je veux savoir si c'est moi qui l'ai tué...
Il attendait tellement de Maréchal, le chef de la Brigade, qui ne lui avait encore pas adressé la parole. Maréchal ne put répondre.
- On va coincer Antiphon. Courage dit Faivre. On va le faire parler...
- Vous pensez qu'un homme est capable de faire cela ? Vous convaincre de tuer ?...
- Courage, répéta Faivre. On viendra vous voir bientôt.
Le ballon-taxi partit, avec ses deux policiers et les deux prisonniers menottés. Le calme revint dans le quartier.
- Pauvre homme, dit Clarine. Dire que son sort dépend du témoignage d'un malade mental, qui peut être n'importe où maintenant...
- S'il est quelque part dans la Cité, dit Maréchal, nous le trouverons.
Faivre passa la fin de journée au parlophone avec les services du personnel.
- Je veux un rendez-vous... C'est pour mon dossier... Non, vous ne comprenez pas...
Maréchal s'allongea dans son hamac. Si Faivre parvenait à faire changer sa mutation, il se ferait Scientiste !
C'était la fin de journée. On frappa à la porte. Trois filles en grands manteaux de fourrure arrivèrent, bien éméchées.
- Qui êtes-vous ? dit Clarine.
- Ce n'est pas la brigade des moeurs, dit Maréchal.
Faivre sortit de son bureau :
- Non, c'est moi qui les ai invitées... Elles viennent de chez Clito.
- C'est quoi cette histoire, inspecteur ?
- Venez, venez...
Les filles rirent et se dirigèrent vers le bureau de Morand.
- Bonsoir mon mignon...
Faivre referma la porte et se tapa sur les cuisses. On eut juste le temps de voir que les filles étaient en sous-vêtements sous leurs gros manteaux.
- Pardon, que signifie ?...
Clarine et Maréchal mirent leur manteau, hilares.
- Venez, dit Faivre, je paye mon coup chez Gronski !
Ils descendirent sur le quai. La fenêtre du bureau des détectives s'ouvrit : le chapeau troué de Morand s'envola, tourbillonna... Il tomba dans le canal et partit au fil de l'eau.
FIN DU DOSSIER
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05-10-2010, 12:19 PM
(This post was last modified: 29-10-2010, 01:48 PM by Darth Nico.)
Les flots qui voyagent comme les vents,
Les flots légers, les flots vivants,
Pour que la ville en feu l'absorbe et le respire
Lui rapportent le monde en des navires.
Les orients et les midis tanguent vers elle
Et les nords blancs et la folie universelle
Et tous nombres dont le désir prévoit la somme.
Toute la mer va vers la ville !
Ô les babels enfin réalisées !
Et les peuples fondus et la cité commune ;
Et les langues se dissolvant en une ;
Et la ville comme une main, les doigts ouverts,
Se refermant sur l' univers.
(Emile Verhaeren, Les villes tentaculaires)
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Joli poème
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