DOSSIER #2<!--sizec--><!--/sizec-->
Le lendemain matin, Novembre broyait du noir. Il n’était pas d’humeur à rire. Un assassinat dans son quartier. Un tueur en fuite. Un policier blessé. Trop pour une seule nuit.
Il avait demandé à Maréchal de venir, et lui avait dit de s’asseoir, comme s’il était puni.
- Alors cette pendaison ?
- Sans bavure.
- Avec le juge Tolin, la Veuve est toujours bien huilée…
Bien sûr, Maréchal était tenu de se sentir coupable d’avoir raté la poursuite de Horo. Novembre avait sous le nez le dossier de son inspecteur, le meilleur tireur de tous les quartiers alentour. A la place de Portzamparc, il n’aurait pas raté.
- Il faut qu’on ait ce salopard, Maréchal.
- On l’aura.
- Tu vas commencer par prendre des nouvelles de notre casse-cou. Prendre sa déposition.
Maréchal mit son chapeau et partit en direction de l’hôpital. Il était situé dans les hauteurs du quartier, dans les étages derrière la banque Pham’Velker, à quelques rues du grand manoir Whispermoor.
Pour le détective, c’était l’heure du bouillon du matin. Madame de Portzamparc avait passé la nuit sur une chaise, veillant le moindre mouvement de son mari. Elle avait fait de cette chambre son territoire, et elle surveillait de près le moindre soin donné par les infirmières. Elle revoyait les bandages, suspicieuse.
- C’est incroyable qu’ils ne fassent aucun effort pour mieux te soigner ! Tu es quand même fonctionnaire ! Policier, qui plus est !
- Je t’assure, ça va très bien…
- Ils voudraient aggraver ton cas qu’ils ne s’y prendraient pas autrement !
Maréchal entra, au beau milieu de cette scène réjouissante ! Intimidée, madame de Portzamparc cessa de s’agiter.
- Je te présente un collègue.
- Madame… Alors, comment va notre grand équilibriste ?
- Ma foi, pas mal…
- On s’entraîne pour entrer au cirque Vazatta ?
- Qui sait…
- Rassure-toi, je viens ici pour le boulot… Madame, si vous voulez bien m’excuser… Je vais devoir prendre sa déposition.
Elle sortit, non sans jeter un dernier regard inquiet à son mari. Dehors, la solide infirmière toisait cette petite dame qui se croyait tout permis. Et madame de Portzamparc se contenta de lui sourire rapidement, et, assise sur le banc du couloir, recommença de s’inquiéter pour son mari.
- Alors, comme ça, on a trouvé le moyen de tirer au flanc, détective ?
- Il s’en est fallu de peu…
Portzamparc était moins faraud, maintenant qu’il parlait à un collègue, et après une nuit à sentir les douleurs lui déchirer le côté gauche.
- Très dangereux, jugea Maréchal après avoir noté le récit du détective. Dans ce cas, il faut se mettre à couvert et attendre une meilleure occasion.
- Je ne suis qu'un débutant.
- Bon, si tu veux bien signer là. Et là, là… et là. Et là… Je dois encore me taper la frappe de tes bafouilles en trois exemplaires, je te signale…
- Dans quelques jours, je serai sur pied. De toute façon, hein, on a signé pour en baver.
Maréchal soupira en remettant son chapeau. Il avait à peine ouvert la porte que Madame de Portzamparc rentrait, voir si son mari n’était pas arrivé à l’article de la mort entre temps.
- Inspecteur, il faudra que vous veniez chez nous un jour. Nous venons de nous installer dans un petit deux-pièces, dans le quartier.
- Ce sera avec plaisir, madame.
- Dès que cet idiot sera remis sur pied...
Les larmes lui revenaient aux yeux. Maréchal sourit :
- Jean-François a été un peu impétueux, cette fois-ci. Il a la fougue de nos collègues les plus jeunes.
- C’est donc à vous de lui dire comment se modérer un peu…
Maréchal salua.
Au commissariat, Novembre attendait le retour de Rampoix et Sampieri, partis prendre les témoignages des voisins, sur l’assassinat de la femme.
- Mais qui a bien pu engager quelqu’un comme Horo pour un meurtre comme celui-là !
Maréchal arrivait, s’asseyait devant Novembre. C’était rituel. Parfois, il fallait attendre longtemps, un bon quart d’heure, pour se mettre dans l’ambiance de Novembre, avant qu’il ne daigne vous parler. C’était une question de discipline, de ne pas parler avant qu’il n’en ait donné l’ordre. Ce n’était pas de l’autoritarisme. Simplement, c’était entendu comme ça. Novembre ne s’en apercevait presque pas. Il bouillait, il rageait, il s’inquiétait, et il fallait attendre, voilà. Aucun mauvais sentiment là-dessous. Il fallait juste se soucier de ce qui préoccupait Novembre sur le moment.
Il finit par s’apercevoir de la présence de son inspecteur.
- Ah, Maréchal, puisque tu es là…
« Puisque tu es là… »
- Il y a un petit problème… Enfin, pas grand’chose… C’est chez Gino… Un indic nous signale des mouvements de fonds suspects, là-bas. Des stups qui traînent, quelques filles nouvelles. Enfin, des broutilles. Mais il faudrait aller y voir…
Novembre n’avait pas besoin d’en dire autant. « Chez Gino », c’était le territoire de Maréchal.
L'inspecteur se rendit dans ce petit bar, dont l’entrée était au bas d’un escalier, dans une impasse coincée entre le
Négresco et le
Ribambelle.
On y trouvait la fine fleur des seconds couteaux de la truanderie. Gino le patron et serveur, avec ses acolytes, Riri la Balafre, Jojo les Ratiches, Gros Louis Barre de Fer et Fufu la Carambouille.
- Bonjour, messieurs…
- Tiens, le détective Maréchal.
Ils étaient aussi heureux de le voir que le percepteur. Et en parlant de percepteur…
- Alors, Gino, qu’est-ce que j’apprends ?
- Quoi donc détective ?
Il était effaré. On aurait à se plaindre de son établissement ?
- Tiens, sers-moi donc un verre. Ça te laissera le temps de penser à ce que tu vas me raconter.
Le policier se fit servir une flûte de champagne, assis sur un des tabourets du comptoir. Derrière, les mauvais garçons, interrompus dans la préparation de leur prochain coup, faisaient semblant d’être occupé à jouer aux dominos.
- Alors, messieurs, comment vont les affaires ?
- Boh, vous savez, en ce moment…
- J’ai l’impression qu’elles vont plutôt bien, moi… Un peu trop, non ?
- La routine, quoi…
- La routine, hein… Tes livres de compte sont à jour ? Ton registre du personnel ? On peut voir…
- Oh oui, on peut toujours…
Gino lui resservit un verre.
- Il n’est pas mauvais, approuva Maréchal.
- Le meilleur, on vous le garde toujours, détective.
- Je veux !
Maréchal fixa la brochette de caves qui peuplait les lieux.
- A propos, Gino…
Le peu de mouvement qu'il y avait se figea.
On entendait une mouche taper au carreau.
- Comment m’as-tu appelé ?
- Ma foi, rit Gino, nerveux, j'ai dit "détective Maréchal".
- T-t-t, Gino, tu m’as mal regardé.
Le policier sortit sa nouvelle plaque.
- Ça alors, « inspecteur »…
- Pas mal, non ? J’ai mon bureau maintenant.
- Quelle belle promotion ! Ça nous fait rudement plaisir, vrai !
- Je veux !
- Un verre pour fêter ça ?
- Attends. Tu sais, que pour moi, c’est aussi une promotion de salaire.
- Ah, je comprends, soupira le patron. Vos prétentions augmentent.
- Voilà.
- C’est bien légitime, remarquez…
- Comme tu dis.
Maréchal vida sa coupe et alla s’asseoir à la table de Fufu, Riri et les autres.
- Une petite partie, messieurs ? On joue à 10 velles le point ?
- C’est vous qui décidez, inspecteur.
- Bien.
Le policier se sentait bien ici. Evidemment, il méprisait le faux luxe crasseux de cette cave, et les toquards qui s’y réunissaient. Mais enfin, il était un peu chez lui. Succursale Maréchal ! Son petit domaine réservé, avec la bénédiction de Novembre.
Gino tirait sur son nœud papillon, trop serré, en observant la partie de dominos. Les truands ne parvenaient pas à placer leurs pièces, et Maréchal gagnait à tous les coups. Gino comprit la différence de prétention entre un détective et un inspecteur…
- Alors, messieurs, vous n’êtes guère causants…
- Vous savez, inspecteur…
- Oui ?
- Rien de neuf…
- Rien de rien ?
- On a bien entendu parler de ce meurtre…
- Avec lequel vous n’avez rien à voir…
- Ah non !
C’était sincère. UN non qui disait vraiment non !
- Ne vous fâchez pas, c’est ce que je disais. Vous n'avez rien avoir avec ce meurtre...
- Nous n’en savons pas plus.
- Vous avez entendu parler de Horo…
- Oui, et on aime pas ça.
Ils tiraient des têtes d’enterrement. C’en était presque joyeux à voir.
- Alors quoi, ricana Maréchal, il vous file les jetons, ce tueur ?
- C’est que, un type comme ça, ce n’est pas bon pour les affaires, dit Fufu.
- Voilà, approuva Gino.
- Rien à voir avec nous, inspecteur, on est bien d’accord.
- Bien sûr.
- Lui, c’est un tueur à gages. Un solitaire. Il a tué des membres de corpoles. Des agents de SÛRETÉ… Nous, on est en somme que des commerçants.
Une des filles de Riri passa sur le trottoir, ses talons claquant ; par la petite fenêtre, Riri lui fit signe de dégager et d’aller chercher des clients ailleurs.
Maréchal observait le spectacle.
- Sans blague, Horo dans le coin, on n’avait pas besoin de ça.
L’inspecteur vit sortir des toilettes un être au teint jaunâtre, avec des marques nombreuses au bras. Il titubait et reniflait.
- Il n’a pas l’air frais, votre copain…
- C’est pas un copain, murmura Gino, seulement un type venu de la Jointure, qu’il dit…
- Ah oui, vous ne l’avez jamais vu, bien sûr.
Maréchal avait amassé une belle pile de velles. Il se leva et remit son chapeau.
- Au plaisir, messieurs. Et si jamais vous entendez quoi que ce soit sur Horo…
Dans la rue, le policier suivit l’homme jaunâtre. Il revenait vers la Platz, par le parc des Calendes. On passait ensuite la petite Passerelle Vieux-Soupir. Maréchal pressa le pas et arrêta l’homme. Il l’adossa à la rambarde et l’immobilisa. L’homme était maigre, fragile. Maréchal lui releva les manches : nombreuses traces de piqûre.
- Vous allez venir avec moi. Vous allez me parler de ce que vous prenez…
Dans l’état où il était, il avait davantage besoin d’un lit d’hôpital. Il bredouillait, bafouillait, tremblait...
A ce moment, dans le parc, un petit homme, d’âge mur, grosses moustaches rebiquées, bien propre sur lui, costume, pantalon et chapeau melon crème, se leva de son banc. L’agent Pandore Sergueï passait par là en sifflotant, son bâton tournant autour de son doigt. Et d’une autre allée du parc, d’abord caché par un buisson, sortit le petit chauve du tramway.
Il passa près de l’homme en habits clair, et bredouilla :
- Tu… tu ne vas quand même pas m’assassiner ici…
Maréchal attacha son drogué à la passerelle et se dirigea vers le parc. L’homme n’en croyait pas ses yeux, tandis que le chauve regardait déjà ailleurs. Sergueï avait entendu, et s’approchait.
- Vous avez bien entendu, inspecteur ?
- Oui.
L’homme âgé avait la même réaction que le passager du tramway interpellé par le chauve. Il croyait déjà qu’on le prenait pour un coupable.
- Vous avez vos papiers, monsieur ?
- Mais enfin, je ne connais pas cet homme !
- Vos papiers, s’il vous plaît.
Rouge de honte et de colère, l’homme tendit sa carte à Maréchal.
- Léonidas Würtenberg. Assistant-comptable !
- Alors comme ça, on veut assassiner des gens, monsieur Würtenberg ?
- Mais pas du tout ! Je ne l’ai jamais vu !
Le petit chauve entendait à peine. Maréchal avait eu du mal à retenir son nom, en le voyant sur les papiers.
Oui, c’était un nom bizarre… Vilnius. Kaupang Vilnius.
- Pas claire, cette histoire. Qu’en pensez-vous, prétorien ?
- Pas claire du tout, inspecteur !
- Bon, messieurs, vous allez nous suivre au poste de SÛRETÉ pour des vérifications d’usage !
- Mais je proteste ! C’est une atteinte à la liberté citoyenne de-
- Vous déposerez votre protestation au commissariat, monsieur Würtenberg !
On était en fin d’après-midi quand Maréchal arriva à la « maison » avec sa pêche du jour : l’employé, le drogué et le chauve !
Novembre passait, en manches de chemise :
- Tu as arrêté toute la salle de jeux ?
- Je désirerais protester…
- Du calme, Léonidas, suis-moi…
Le drogué fut mis en cellule. Il se mit à vomir un peu plus tard, et dut être emmené d’urgence à l’hôpital. Léonidas Würtenberg, l’honnêteté imbécile faite homme, passa la nuit au poste, à préciser sa déposition, et surtout l’orthographe de son nom.
- Würtenberg, avec un « n » comme Nicodème ?
- Ma femme m’attend pour manger ! Elle va être folle d’inquiétude !
- On va lui téléphoner, à votre femme, ne vous inquiétez pas !
Le lendemain matin, alors que le chauve dormait dans une cellule, Maréchal, de retour au travail, reprit l’interrogatoire de son cher Léonidas.
- Je vous dis que je suis aide-comptable ! Je n’ai d’autres préoccupations que ma famille et mes tableaux de compte !
- Il n’y a pas d’âge pour basculer dans le crime, vous savez… Vous avez pu surprendre le chauve, là, dans le lit de votre femme, par exemple…
- Eléontine est la fidélité même !
Maréchal toisa Würtenberg, essayant de deviner ce que lui et sa femme avaient mis sur leur fiche de renseignement, au moment de s’inscrire à l’agence matrimoniale…
Lassé de s’amuser avec lui, Maréchal le laissa repartir, le lendemain matin, avec les excuses de SÛRETÉ.
Tout ça, pour ne pas s’occuper tout de suite du chauve.
*
Madame s’était décidée à rentrer se reposer. L’infirmière lui avait fait comprendre que son mari avait besoin de repos.
- Je te laisse quand même la casserole de soupe que je t’ai apportée… Tu leur diras de te la faire réchauffer, hein…
- Mais oui, mais oui…
Portzamparc s’endormit. On lui avait redonné de la morphine. Dans ses rêves, il ressentait le froid d’Autrelles. La plaine salée d’où il venait. Les chemins boueux, dans l’immensité nue, blanche. Puis les bords du grand océan de Forge. Il entendait parler Autrellien. Il revoyait le long chemin de fer des mines.
Il se réveilla. On parlait vraiment Autrellien.
Il y avait un homme à la fenêtre de sa chambre. Assez replet, un chaud par-dessus, une casquette de cheminot. La lumière poudrée d’un réverbère entrait dans la pièce.
- Vous êtes réveillé, « Portzamparc » ?
- Oui…
- J’ai pris sur moi de venir ici. Dans l’état où vous êtes, difficile de vous contacter.
- Excès de zèle…
- C’est ce que nous apprécions chez vous.
- Dans mon état…
- Vous serez sur pied d’ici quelques jours, non ?
- Oui.
- Vous avez entendu parler du prochain tournoi de Manigance ?
- Oui, dans le quartier. Au grand hôtel luxueux.
- C’est cela. Un champion comme vous ne peut qu’y participer. Et même le remporter. Puisque vous avez déjà remporté un titre lunaire…
- Oui.
- Nous avons besoin d’une pièce de ce jeu. Une pièce qui se trouvera sur l’un des plateaux. Si vous avez été capable de tirer sur Horo, vous n’aurez aucun mal.
- Non…
- Reposez-vous bien.
- Merci.
Le policier entendit l’homme sortir et refermer la porte. Ce n’est que le lendemain, au réveil, qu’il fut certain que ce n’avait pas été un rêve.
*
Tôt le matin, Maréchal était dans le bureau de Novembre.
- Les clients de chez Gino ont une trouille bleue de Horo. Ils sont prêts à nous aider.
- Les voilà qui se comportent comme de vrais bons citoyens, fit Novembre. Plus honnêtes que les honnêtes gens.
- Je ne sais pas qui est Horo pour effrayer même des gens comme eux.
- Juste quelqu’un avec qui on ne peut pas faire d’argent. Un tueur de sang-froid, qui n’a besoin de personne.
- Sinon, au sujet du chauve…
- Oui ?
- Jouvet est avec lui en ce moment. Il l’interroge.
- Tiens-moi au courant.
Novembre bâilla.
Maréchal retrouva le docteur, qui l’attendait dans son bureau.
- Vous avez levé un drôle de lièvre, inspecteur…
Jouvet avait son cabinet à quelques rues de là. Il officiait en plus comme médecin légiste. C’était donc un habitué de la maison.
- Que pensez-vous de lui ?
- Je ne suis pas psychiatre, inspecteur. Je dirais juste que cet homme a reçu un coup sur la tête, avec un gros objet, un objet contondant comme on dit. Il souffre d’amnésie. Il répète parfois cette même phrase…
- « Tu ne vas quand même pas m’assassiner ici »…
- Voilà. J’ignore si ce sentiment de menace est fondé. Son discours est incohérent. A vue de nez, je dirais qu’il est bon à être enfermé. Il n’est pas dangereux, mais il ne tourne pas rond.
- A vous de voir, docteur.
- J’ai un collègue, adepte des théories du professeur Charlemagne Jeune, qui pourrait s’occuper de lui. Vous connaissez un peu Jeune ?
- Non.
- C’est un expert des troubles du comportement. Mon collègue est le professeur Julius Heims.
- Si vous pensez qu’il est apte à nous en dire plus sur l’état de ce Vilnius…
- Je l’appellerai. D’ici là, vous pouvez le garder au frais, notre chauve ?
- Oui, bien sûr. Il est aussi bien au chaud, logé et nourri aux frais de SÛRETÉ.
- Vous avez la fibre sociale, Maréchal…
- Qui sait, docteur ?...
Les deux hommes se serrèrent la main.
Deux jours plus tard, Portzamparc était presque remis sur pied. Le médecin testait ses réflexes.
- Regardez, tout est en place.
Sa femme était tendue d’espoirs et de craintes.
- Je vais pouvoir retourner gambader sur les passerelles…
- Je vais vous signer un arrêt de travail, détective. Donc vous éviterez les efforts, et vous suivrez attentivement mes prescriptions… Et les conseils de votre femme !
- D’accord pour les deux !
- J’ai appelé un ballon-taxi, dit Madame. Pour une fois…
- Allons, filez, détective Casse-Cou ! Et que je ne vous revois plus ici !
- Promis !
Le soir, le détective appela l’hôtel Novö-Art pour s’inscrire au grand tournoi de Manigance qui allait s’y tenir.
- Je vais même y retrouver un vieil adversaire, dit le policier, à sa femme qui lui préparait le repas. Janas Prso, un habitué de la Manigance. Il doit approcher les quatre-vingt ans, et il a dû apprendre à jouer au berceau !
- L’essentiel est de ne pas te surmener. Et surtout, pas d’alcool !
- Tu me connais, dès que je joue, je ne bois pas !
- Alors joue bien !
- Prso et les autres joueurs doivent déjà arpenter l’hôtel. Tu sais, nous autres joueurs de Manigance, nous sommes des maniaques. Nous voulons connaître tout des lieux où nous allons jouer : la forme des tables, les cartes, la qualité des plateaux…
- Fais surtout attention à ton jeu. Et ménage-toi d’ici là. Ces parties durent si longtemps. Ce sera épuisant, vu ton état.
- Tu sais, je peux aussi perdre très vite.
- Tu joues tellement à l’aveuglette. On croirait que tu veux te laisser le moins de chances possibles.
- C’est ma façon de faire. C’est le jeu, aussi…
- Tu as entendu ce qu’a dit le docteur.
- Je ne ferai pas d’efforts physiques. On joue assis. D’ailleurs, je ne sens presque plus rien.
- Tu es incorrigible.
- « On » m’attend là-bas. De quoi j’aurai l’air si je ne me présente pas à ce tournoi ? Que penserait-on de moi ?
Madame de Portzamparc mit son mari au lit et lui servit son bouillon et lui enfila sa serviette autour du cou.
- Que ferais-tu, si je n’étais pas là ? dit-elle, en lui approchant la cuillère de la bouche.
- Attention, c’est brûlant !
FIN