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Dossier #2 : Tramway E - Galerie Dédales
#1
Exil #2



- Tu cernes mieux les deux policiers, maintenant ?
- Oui.
- On va en apprendre plus sur eux dans le Dossier #2.
- Que leur arrive t-il cette fois ?
- Un tueur en cavale et un type à moitié cinglé qui croit qu'on veut l'assassiner.
- C'est beaucoup, pour un petit commissariat comme celui de Mägott Platz.
- Oui mais la police judiciaire veille... Et le juge Tolin aussi.
- Le juge Tolin ?
- Le plus ferme partisan de la peine de mort à Exil. Un amateur de pendaison. Il assiste à l'exécution du truand arrêté l'autre fois.
- Celui qui a tué l'employé de banque ?
- Oui. Et Maréchal est prié aussi de venir à la "cérémonie". Pendant ce temps, la chasse au tueur commence...
- Pas de repos pour les intrépides flics de SÛRETÉ !
- Comme tu dis !



DOSSIER #2<!--sizec--><!--/sizec-->

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#2
EXIL

Dans la nuit éternelle d’Exil,
Les lampes grasses brûlent, timides.
Les mitiers plongent dans la brume au bout de leurs fils
Et les passerelles rouillent dans l’air humide.

Créatures, anges, gouffres, orages :
L’insondable noirceur de l’océan
Noie les explorateurs du large.
Les ballons – taxis sont des dessins d’enfant.

Machines qui rêvent, vapeurs merveilleuses
Trams, Cité des métamorphoses industrielles.
Lune branchée à l’électricité universelle !

L’insomnie règne et l’angoisse creuse
Des cauchemars hypersensibles
Dans Exil, dédale de l’acier et du vide.<!--sizec-->
<!--/sizec-->
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#3
DOSSIER #2<!--/sizec-->


TRAMWAY E - GALERIE DEDALES<!--/sizec-->

SHC 1 - RUS 0 - IEI 1


La potence, sous la pluie régulière de la fin de journée, était bien la créature la plus effrayante qu'on pût voir dans les hauteurs d'Exil.
Dressée au centre de la cour intérieure du palais de justice, elle avait supporté le poids de centaines de criminels condamnés à la peine capitale. Et ces dernières années, elle avait accueilli encore plus de coupables. Son bois avait travaillé et des superstitions disaient que les noeuds dessinaient les visages ou les silhouettes de ceux qui avaient terminé leur vie les pieds au-dessus de ces planches.

Rampoix se moucha bruyamment. Ce bruit de trompette résonna, incongru, dans ce lieu de mort. Il alluma une cigarette et Maréchal lui tendit du feu.
- S'il faut en plus venir pour s'enrhumer, maugréa le détective.
Les deux policiers s'étaient mis à l'abri. Une gouttière s'était mise à cracher des torrents d'eau qui partaient vers les profondeurs des égoûts.
De l'autre bout de la cour, plusieurs fonctionnaires en costumes noirs arrivèrent, protégés par leur parapluie et se dirigèrent vers la construction en bois. Ils marchaient comme un seul homme et se séparèrent pour inspecter la construction en bois. Méthodiquement, ils passèrent la corde, vérifièrent le mécanisme, en techniciens scrupuleux.
Maréchal consulta sa montre. Rampoix piétinait pour se réchauffer. Enfin, on vit arriver des Pandore, qui tenaient Sobotka.
Après l'avoir fait avouer dans le bureau de Novembre, Maréchal l'avait revu en venant témoigner au tribunal. Le petit truand était effondré. Il avait dit ses regrets mais la partie civile, composé de membres de la famille Beltrando, était défendue par un des meilleurs avocats, payé par la banque Pham'Velker, dont la victime faisait partie. Et l'avocat avait obtenu sans mal la peine capitale.
Gentillesse administrative, Sobotka avait obtenu d'être conduit à la potence protégé lui aussi par un parapluie. Une petite nature comme lui se serait vite enrhumé.
- Comme ça, il ne va pas attraper la mort, ricana Rampoix.
Maréchal ne releva et alluma une autre cigarette.
Les deux hommes virent alors venir à eux une silhouette haut et mince, sinistre comme le gibet : le juge Tolin. Très influent, il était le partisan le plus éloquent de la peine de mort sur la lune et son goût pour la pendaison était devenu proverbial. Il estimait qu'un châtiment archaïque, spectaculaire, était de nature à décourager les criminels les plus endurcis.
La potence était rarement en repos avec lui. Il était connu pour assister à toutes les exécutions, même à celles de condamnés qu'il ne connaissait pas du tout.
Sa barbe taillé au carré, ses traits durs imposaient et une sorte d'aura mystérieuse, invisible, chargée de peur et de mort, imposait toujours le silence quand il approchait.
- Bonsoir messieurs.
- Monsieur le Juge. Inspecteur Maréchal. Le détective Rampoix. Du commissariat de Mägott Platz.
- C'est vous qui êtes à l'origine de l'arrestation de cet homme ?
- Oui monsieur le Juge.
- J'ai parcouru le dossier. Crime crapuleux, hein...
- En effet. L'homme était sous l'emprise de la drogue au moment de son crime.
- Ce qui n'excuse rien, bien sûr.
- Bien sûr.
- Concevez-vous, messieurs, que de tels crimes puissent encore être commis, alors que nous vivons une époque sans précédent de progrès ?
- Hélas...
Une autre marotte du juge, cela : exiger une peine encore plus dure, car le criminel était encore plus criminel de ne pas retenir ses instincts sanguinaires dans une époque de triomphe de l'Esprit.
On commençait la lecture de la sentence :
- Pavel-Andreiev Sobotka, vous avez été reconnu coupable...
On lui avait accordé une dernière cigarette, qu'il avait refusée. Il jeta un regard vers Maréchal et Rampoix. Le Juge leur fit signe qu'ils n'avaient pas à être mal à l'aise. C'était le droit des condamnés de demander aux policiers qui l'avaient arrêté d'assister à son exécution.
- ... la sentence va être exécutée. Avez-vous un dernier voeu ou une dernière parole à formuler ?
La gorge sèche, Sobotka hocha la tête pour dire non.
- Bourreau !...
Le Juge Tolin, rompu à ce cérémonial, baissa la tête et enleva son chapeau haut-de-forme. Les deux policiers l'imitèrent.
La trappe s'ouvrit.
La pluie continuait à tomber. L'eau partait vers l'égoût. Le pavé brillait. De grosses flaques s'étaient formées, qui pourraient rester plusieurs jours. Des dalles étaient fendues.
Rampoix prit le risque de relever les yeux : Sobotka pendait et se débattait. Il étouffait et ses pieds s'agitaient. Ses muscles étaient contractés sous sa chemise. L'asphyxie faisait son oeuvre. Le Juge toussota et, après quelques minutes, remit son chapeau.
Le condamné avait cessé de remuer.
Il salua les deux policiers et s'éloigna.
A la minute près, il savait combien de temps un homme peut résister à la pendaison.
Rampoix alluma une autre cigarette et souffla bien fort la fumée et s'en emplit encore beaucoup après.
- On va boire un verre ?
- Non merci, dit Maréchal, je préfère rentrer.

Les deux hommes quittèrent le palais de justice, passèrent devant les locaux de la police judiciaire. Ils devinaient la silhouette du commissaire Ménard, dont ils connaissaient le bureau, éclairé à cette heure tardive.
Ils s'installèrent dans la rame du tramway, qui attendait à sa station de départ, Quai des Oiseleurs.
- Bienvenue à bord du tramway E, dit la voix féminine aseptisée de CONTRÔLE. Départ dans : 2 minutes. Direction : Carrefour des Tombeaux. Le réseau VOIRIE vous souhaite un agréable voyage.
La rame s'ébranla. Il y en avait pour une bonne heure de trajet. Maréchal avait bien envie de piquer un petit somme.

Chez les de Portzamparc, on passait à table. Madame avait préparé une bonne soupe de légume avec du fromage. Le couple était encore dans les cartons de leur nouvel appartement. Ils hésitaient sur la disposition des meubles mais ils avaient leur petit nid pour quelques années.
- Tu sais, un de ces soirs, il faudrait inviter tes collègues et leurs épouses.
- Oui, je vais y penser.
- Vous avez beaucoup de travail en ce moment ?
- Non pas trop, fit Jean-François en coupant le pain.
On vint frapper à la porte. C'était la concierge.
La serviette autour du cou, le détective soupira et alla ouvrir :
- Téléphone pour vous.
- Je descends. Je reviens dans une minute, chérie.
- Dépêche-toi, sans quoi la soupe va refroidir.
Tout le monde dînait dans l'immeuble. Derrière les portes, on entendait les mères se battre pour faire manger leurs enfants et parfois, les pères devaient s'y mettre pour gronder leur progéniture.
- Allô, de Portzamparc à l'appareil ?
- Allô, c'est Novembre.
- Bonsoir, inspecteur.
- Ecoute, j'ai un souci ce soir. Enfin, un gros souci. Je vais avoir besoin de tout le monde au commissariat. Tu peux venir rapidement ?
- Très bien, je viens aussi vite que possible.

Le détective remonta :
- On a besoin de moi. Il faut que je parte tout de suite.
- Tu as bien le temps de prendre un peu de soupe ?
- Navré...
- Je t'en garde de côté. Je la ferai réchauffer à ton retour... Tu en as pour la nuit, n'est-ce pas ?
- Je ne sais pas, Novembre n'a pas précisé.
- Prends soin de toi.
- Ne t'en fais. Je t'appelle dès que je peux pour te dire.
Le policier enfila son écharpe, son manteau et partit à pied vers la Platz.
Dans le commissariat, on sentait une ambiance électrique. Priscilla avait préparé du café pour tout le monde. Il ne manquait que Maréchal et Rampoix, partis à l'exécution.
- Les enfants, dit Novembre qui réunit tout le monde dans son bureau, nous avons un gros problème. Assassinat dans les galeries du Dédale. Une femme de trente-six ans. Et le quai des Oiseleurs nous signale qu'un tueur à gages bien connu de leurs dossiers est en ballade pas loin de chez nous. Préparez-vous à passer une nuit blanche...

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#4
Un grand merci à Sobotka de m'avoir éviter cette course poursuitebiggrin
Quand je pense à tous ces idiots en train de courir après le tueur dans la nuit:ahah:

Sinon à noter qu'en fait dans les pendaisons avec chute, si la hauteur est sufisante la mort est instantanée, par rupture des cervicalesTeach
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#5
petit cours du matinTeach
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#6
ADMINISTRATION suspend provisoirement le traitement de ce dossier, pour commencer le dossier #3.Teach
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#7
DOSSIER #2<!--sizec--><!--/sizec-->


Résumé : Tandis que Maréchal et Rampoix reviennent de l'exécution de Sobotka, la police de Mägott Platz se lance à la poursuite du tueur Horo...

*

Les policiers s'étaient postés à l'entrée des Galeries Dédale.
Des passages commerçants, sous de grandes verrières. Dans ces lieux, on ne savait si on était au-dehors ou au-dedans. Les badauds étaient protégés du vent et de la pluie, du brouillard, mais la nuit donnait à plein au travers des toits transparents. Des petites boutiques charmantes, mystérieuses, attirantes, certaines très honnêtes, d'autres plus interlopes, se cachaient dans ces rues entre les rues. On se perdait un peu dans cet endroit, qui était un quartier enclavé au cœur du quartier de Mägott Platz. C'était un endroit qui avait quelque chose de féerique. La magie des marchandises, des troquets, d'une boutique de masques, d'antiquaires, d'échoppes qu'on ne trouverait pas ailleurs.
Ces passages passaient entre les artères du bloc citadin. Ils constituaient autant de raccourcis pour passer rapidement de la Zentral Station à la Plätz, pour arriver dans la Cité dortoir rapidement des entrelacs de canaux.
Dans l'atmosphère épaisse de brume, les policiers avançaient en ordre. Portzamparc avait été envoyé sur le toit, où Boncousin était déjà en planque. Adossé à une cheminée, il avait une vue imprenable sur les enfilades de rues. Les toits, les vides, les toits, les gouttières, les passerelles entre les toits…

A la jumelle, il observait un groupe de petits hôtels borgnes. Il voyait les filles entrer et sortir des chambres et retrouver leur souteneur, dans une impasse humide, pas loin d'un vilain théâtre pour adultes.

A deux pas, un immeuble de rapports. A côté, l'hôtel particulier d'un gros responsable de la banque Pham'Velker, en face d'un immeuble anonyme, plein de petits employés de la mairie. Tout ce petit monde vivait serré, les uns contre les autres, comme si l'on avait forcé ces bâtiments si différents à s'écraser sur un espace réduit.

Boncousin fit signe à Portzamparc d'approcher et lui passa les jumelles. Le détective put se faire une idée de la situation. En bas, les Pandore prenaient position, dirigés par Novembre. Les autres agents de SÛRETÉ trouvaient un abri sur les toits. Le quartier dormait, qui ne se doutait pas de la menace logée en son sein.

Un coup de sifflet retentit. C'était Sampieri. Boncousin et Portzamparc se précipitèrent. L'autre policier lançait des signaux avec sa lampe-tempête : « un homme… à l'est… galeries… »
Les deux policiers coururent sur les toits, montant et descendant tous les dix pas, pour se retrouver au-dessus du passage des Etourneaux. Un autre coup de sifflet. Des Pandores arrivaient en courant, emmenés par leur sergent. Portzamparc vit nettement une large silhouette prendre la fuite. L'homme en question était taillé comme un bûcheron Kargarlien : une vraie force de la nature.
Boncousin fit signe à son collègue de le suivre. Par les hauteurs, ils ne mirent qu'une minute à se retrouver au-dessus du passage des Meules. Logiquement, l'homme devrait y passer d'un instant à l'autre. En quelques gestes, les deux policiers mirent au point une tactique de diversion.
Boncousin se mit à l'entrée du passage. Il vit l'homme passer sous lui. Il tira au révolver sur la verrière, qui explosa en une pluie brillante et tranchante. A l'autre bout, Portzamparc sautait, arrivait sur une corniche de statues. Il eut juste le temps de tirer, avant de voir la cible disparaître. Boncousin lançait d'autres coups de sifflets.
Hâtivement, Portzamparc descendit dans la galerie, où il fut rejoint par les Pandores. Son arme à la main, il se mit à courir en tête. Les prétoriens se divisèrnet pour ne rater aucun couloir des galeries. Boncousin mettait Novembre, qui arrivait passage de la Meule, au courant de la situation. L'inspecteur en chef lança plusieurs coups de sifflets.

Deux hommes continuèrent avec le détective de Portzamparc. A un détour de couloir, juste avant un escalier étroit qui remontait des galeries, ils aperçurent le tueur supposé. Le temps de se précipiter dans les marches, et on entendait ses pas s'éloigner sur le pont métallique d'une passerelle.

*

Maréchal rouvrit les yeux. Il était vaseux. Il se sentait en eaux troubles. A ses côtés, Rampoix ne valait guère mieux. Les policiers consultèrent l'horloge de la station : encore une petite demi-heure de transport. Le tramway fit retentir sa cloche et se remit en marche.
Il ne restait plus dans le wagon qu'un petit homme à lorgnons qui lisait son journal consciencieusement, un ouvrier en bleu de travail qui chiquait, et un petit homme chauve. Ce dernier était maigre. Ses os de visage ressortaient. Son crâne brillait des teintes glauques de la Cité. Il était serré dans un costume noir étriqué, avec un faux-col très haut. Il y avait dans ses yeux une bonne partie de la misère du monde, de la fatigue consternée des employés en fin de journée. Il avait d'ailleurs le regard vitreux.
Maréchal, par instinct, regardait ces passagers du coin de l'œil. Puis il referma les yeux. Il sentait qu'il n'allait pas se rendormir.
Deux stations après, l'employé s'apprêtait à descendre. Tenu à la main courante, il continuait sa lecture, scrupuleusement, à la page des chroniques boursières. Le petit chauve allait et venait dans la rame.

Les deux policiers l'entendirent alors nettement bredouiller, à côté de l'employé :
- Tu… tu ne vas quand même pas m'assassiner ici !
Etonné, l'autre fixa le petit chauve, qui regardait ailleurs. L'ouvrier aussi avait entendu, et cessa de mâcher sa chique.
- Pardon ?...
L'autre ne répondit rien.
Maréchal et Rampoix se regardèrent, soupirèrent et se levèrent. Professionnels, ils avancèrent au coude à coude vers les deux hommes. Inquiet, l'employé de bureau avait replié son journal.
- Bonsoir, messieurs. SÛRETÉ. Petit contrôle de routine.
- Je ne connais pas cet homme…
- Vous avez vos papiers, monsieur, s'il vous plaît ?
Rampoix vérifia ceux de l'employé, tandis que Maréchal visait ceux du chauve.
- Je vous assure que…
- Vous n'avez jamais vu cet homme ?
- Jamais !
- Ses papiers sont en règle, dit-il à Maréchal.
Le chauve avait tendu son porte-feuille, toujours éberlué. Maréchal jeta un œil distrait à sa pièce d'identité, intrigué par cet homme.
- Qu'avez-vous dit à ce monsieur ?
- Moi ? Mais rien, rien de rien…
Les deux policiers n'avaient pas du tout le cœur à faire du zèle.
- Vous m'affirmez n'avoir jamais croisé ce monsieur ?
- Non, non…
Le chauve avait l'air d'être tombé de Forge.
- Et vous, monsieur ?...
- Jamais ! Je suis un honnête employé…
Le tramway s'arrêta.
- C'est ici que je descends.
Les deux hommes le laissèrent partir. Le chauve descendit aussi, mais partit dans la direction opposée. Pas rassuré, l'employé s'éloigna en vitesse, tandis que l'autre partait errer dans les rues.
- Quelle journée, bâilla Rampoix. Un pendu et un tordu !
Trois stations plus loin, le tramway E atteignait son terminus, Mägott Zentral.
- J'en ai plein les bottes. Bonne nuit, Antonin !
- Bonne nuit !

*

Portzamparc finit de gravir quatre à quatre les marches de l'escalier. Il avait distancé les Pandores. Il courut sur la passerelle, qui trembla et rendit un bruit d'enfer, l'écho des pas du détective vibrant dans l'épaisse masse brumeuse.
Après la passerelle, un petit bloc d'immeuble, perché entre deux gouffres, et à nouveau une passerelle. Portzamparc dut s'arrêter pour reprendre son souffle. Les Pandores arrivaient, avec Novembre juste derrière, et Sampieri. Un mitier arriva en courant vers eux, affolé.
- Vous l'avez vu ? cria l'inspecteur chef.
- Par là ! Une grande brute ! Il a assommé mon collègue, alors que je redescendais du toit du-
- Et ensuite ?
- Il a pris son équipement ! Il est descendu !
Les policiers coururent sur la passerelle. Un grappin était encore accroché à la rambarde. Impossible de distinguer la silhouette du fuyard dans la purée de poix.
- Il ne manque pas de cran, le salopard !
- J'y vais, déclara Portzamparc. Je réquisitionne votre équipement !
Le mitier s'exécuta et défit son harnais. Il se hâta de le passer au détective, pendant qu'un de ses collègues faisait de même avec un des Pandores. Novembre, en l'occurrence, ne pouvait refuser ce zèle.
- Soyez prudent les enfants ! Si c'est bien Horo, il tue de sang-froid ! Il n'aura aucune hésitation.
Portzamparc écoutait à peine.
- Vous y êtes ?
- Oui, monsieur, voilà…
Le mitier resserra la boucle de ceinturon et fixa le grappin. Le détective et le Pandore passèrent à cheval par-dessus la rambarde, les jambes tendues sur la plateforme. Et ils se laissèrent descendre. A leur tour de disparaître dans le nuage gris informe.

*

Il y eut une quarantaine de mètres à descendre, avant d'arriver sur une passerelle similaire. Entre ces deux appuis métalliques, les policiers n'avaient rien perçu que de flou, de proche, de cotonneux. Portzamparc décrocha son filin en vitesse et se mit à courir, pendant que le Pandore s'empêtrait dans ses attaches.
Le détective arrivait à la limite de son quartier. Après, c'était la Jointure, autre quartier souvent en hibernation. Il fallut courir sur trois rues, avec deux coudes, puis un escalier, un pont par-dessus un canal plein d'ordures, et soudain, à l'autre bout d'une passerelle au-dessus d'un gros container à déchets, Portzamparc aperçut la silhouette du tueur, sous la phosphorescence lunaire d'un réverbère, avec sa grande ombre mangeant le mur voisin.
- Horo ! Arrête-toi !
Portzamparc eut juste le temps de voir l'homme, maintenant dans l'obscurité, se retourner, une arme à la main. Le détective sortit son arme. Il n'eut pas le temps de tirer. Une balle lui érafla l'épaule et il chuta, pour atterrir sur un pavé noir. Portzamparc sentit un craquement dans son bras, et une déchirure à la jambe.


Il était à l'arrière-cour d'un restaurant, où des chatons dévoraient des restes de viande. Ça sentait l'urine. Le Pandore arriva à ce moment, pendant que le détective se relevait. Il avait chuté de presque trois mètres. Il s'en sortait plutôt bien. C'est dans quelques heures qu'il commencerait vraiment à souffrir !

*

- A vingt centimètres, dit Novembre, et ta femme rejoignait le club des veuves de la police !
- Aucun danger, inspecteur…
- Inconscient ! Ce type vise juste !
Novembre ne parvenait pas à lui en vouloir. Le détective avait fait preuve de bravoure. Et si Horo était à la hauteur de sa réputation, c'est ce qu'il fallait contre lui. Les hommes de SANITATION aidaient le policier à s'allonger sur la civière.
- Finies les acrobaties pour un moment !
- J'avais besoin de vacances.
- C'est ça, dit Novembre, goguenard. Mes hommages à Madame !

Madame de Portzamparc qui, prévenue par Rampoix, accourut à l'hôpital, morte d'angoisse. Elle avait les larmes aux yeux en entrant dans la chambre de son mari qui, au fond de son lit, ne parvint pas à jouer les bravaches. Elle avait envie de le gronder, comme un enfant qui est tombé de l'arbre pour avoir voulu y voler des fruits.
- Tout va bien, je t'assure !
- Oh, tu aurais pu mourir !
- Mais non, voyons…

Portzmparc avait reçu une bonne injection de morphine, mais il sentait que la nuit serait dure.
- Je ne sais pas ce qu'ils font à manger ici. Heureusement que je t'ai apporté de la soupe comme tu aimes, tiens…
Que ferait-il sans elle ?...


A suivre...
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#8
DOSSIER #2<!--sizec--><!--/sizec-->


Le lendemain matin, Novembre broyait du noir. Il n’était pas d’humeur à rire. Un assassinat dans son quartier. Un tueur en fuite. Un policier blessé. Trop pour une seule nuit.
Il avait demandé à Maréchal de venir, et lui avait dit de s’asseoir, comme s’il était puni.
- Alors cette pendaison ?
- Sans bavure.
- Avec le juge Tolin, la Veuve est toujours bien huilée…
Bien sûr, Maréchal était tenu de se sentir coupable d’avoir raté la poursuite de Horo. Novembre avait sous le nez le dossier de son inspecteur, le meilleur tireur de tous les quartiers alentour. A la place de Portzamparc, il n’aurait pas raté.
- Il faut qu’on ait ce salopard, Maréchal.
- On l’aura.
- Tu vas commencer par prendre des nouvelles de notre casse-cou. Prendre sa déposition.

Maréchal mit son chapeau et partit en direction de l’hôpital. Il était situé dans les hauteurs du quartier, dans les étages derrière la banque Pham’Velker, à quelques rues du grand manoir Whispermoor.
Pour le détective, c’était l’heure du bouillon du matin. Madame de Portzamparc avait passé la nuit sur une chaise, veillant le moindre mouvement de son mari. Elle avait fait de cette chambre son territoire, et elle surveillait de près le moindre soin donné par les infirmières. Elle revoyait les bandages, suspicieuse.
- C’est incroyable qu’ils ne fassent aucun effort pour mieux te soigner ! Tu es quand même fonctionnaire ! Policier, qui plus est !
- Je t’assure, ça va très bien…
- Ils voudraient aggraver ton cas qu’ils ne s’y prendraient pas autrement !

Maréchal entra, au beau milieu de cette scène réjouissante ! Intimidée, madame de Portzamparc cessa de s’agiter.
- Je te présente un collègue.
- Madame… Alors, comment va notre grand équilibriste ?
- Ma foi, pas mal…
- On s’entraîne pour entrer au cirque Vazatta ?
- Qui sait…
- Rassure-toi, je viens ici pour le boulot… Madame, si vous voulez bien m’excuser… Je vais devoir prendre sa déposition.
Elle sortit, non sans jeter un dernier regard inquiet à son mari. Dehors, la solide infirmière toisait cette petite dame qui se croyait tout permis. Et madame de Portzamparc se contenta de lui sourire rapidement, et, assise sur le banc du couloir, recommença de s’inquiéter pour son mari.

- Alors, comme ça, on a trouvé le moyen de tirer au flanc, détective ?
- Il s’en est fallu de peu…
Portzamparc était moins faraud, maintenant qu’il parlait à un collègue, et après une nuit à sentir les douleurs lui déchirer le côté gauche.
- Très dangereux, jugea Maréchal après avoir noté le récit du détective. Dans ce cas, il faut se mettre à couvert et attendre une meilleure occasion.
- Je ne suis qu'un débutant.
- Bon, si tu veux bien signer là. Et là, là… et là. Et là… Je dois encore me taper la frappe de tes bafouilles en trois exemplaires, je te signale…
- Dans quelques jours, je serai sur pied. De toute façon, hein, on a signé pour en baver.
Maréchal soupira en remettant son chapeau. Il avait à peine ouvert la porte que Madame de Portzamparc rentrait, voir si son mari n’était pas arrivé à l’article de la mort entre temps.
- Inspecteur, il faudra que vous veniez chez nous un jour. Nous venons de nous installer dans un petit deux-pièces, dans le quartier.
- Ce sera avec plaisir, madame.
- Dès que cet idiot sera remis sur pied...
Les larmes lui revenaient aux yeux. Maréchal sourit :
- Jean-François a été un peu impétueux, cette fois-ci. Il a la fougue de nos collègues les plus jeunes.
- C’est donc à vous de lui dire comment se modérer un peu…

Maréchal salua.
Au commissariat, Novembre attendait le retour de Rampoix et Sampieri, partis prendre les témoignages des voisins, sur l’assassinat de la femme.

- Mais qui a bien pu engager quelqu’un comme Horo pour un meurtre comme celui-là !
Maréchal arrivait, s’asseyait devant Novembre. C’était rituel. Parfois, il fallait attendre longtemps, un bon quart d’heure, pour se mettre dans l’ambiance de Novembre, avant qu’il ne daigne vous parler. C’était une question de discipline, de ne pas parler avant qu’il n’en ait donné l’ordre. Ce n’était pas de l’autoritarisme. Simplement, c’était entendu comme ça. Novembre ne s’en apercevait presque pas. Il bouillait, il rageait, il s’inquiétait, et il fallait attendre, voilà. Aucun mauvais sentiment là-dessous. Il fallait juste se soucier de ce qui préoccupait Novembre sur le moment.
Il finit par s’apercevoir de la présence de son inspecteur.
- Ah, Maréchal, puisque tu es là…
« Puisque tu es là… »
- Il y a un petit problème… Enfin, pas grand’chose… C’est chez Gino… Un indic nous signale des mouvements de fonds suspects, là-bas. Des stups qui traînent, quelques filles nouvelles. Enfin, des broutilles. Mais il faudrait aller y voir…
Novembre n’avait pas besoin d’en dire autant. « Chez Gino », c’était le territoire de Maréchal.
L'inspecteur se rendit dans ce petit bar, dont l’entrée était au bas d’un escalier, dans une impasse coincée entre le Négresco et le Ribambelle.
On y trouvait la fine fleur des seconds couteaux de la truanderie. Gino le patron et serveur, avec ses acolytes, Riri la Balafre, Jojo les Ratiches, Gros Louis Barre de Fer et Fufu la Carambouille.
- Bonjour, messieurs…
- Tiens, le détective Maréchal.
Ils étaient aussi heureux de le voir que le percepteur. Et en parlant de percepteur…
- Alors, Gino, qu’est-ce que j’apprends ?
- Quoi donc détective ?
Il était effaré. On aurait à se plaindre de son établissement ?
- Tiens, sers-moi donc un verre. Ça te laissera le temps de penser à ce que tu vas me raconter.
Le policier se fit servir une flûte de champagne, assis sur un des tabourets du comptoir. Derrière, les mauvais garçons, interrompus dans la préparation de leur prochain coup, faisaient semblant d’être occupé à jouer aux dominos.
- Alors, messieurs, comment vont les affaires ?
- Boh, vous savez, en ce moment…
- J’ai l’impression qu’elles vont plutôt bien, moi… Un peu trop, non ?
- La routine, quoi…
- La routine, hein… Tes livres de compte sont à jour ? Ton registre du personnel ? On peut voir…
- Oh oui, on peut toujours…
Gino lui resservit un verre.
- Il n’est pas mauvais, approuva Maréchal.
- Le meilleur, on vous le garde toujours, détective.
- Je veux !
Maréchal fixa la brochette de caves qui peuplait les lieux.
- A propos, Gino…
Le peu de mouvement qu'il y avait se figea.
On entendait une mouche taper au carreau.
- Comment m’as-tu appelé ?
- Ma foi, rit Gino, nerveux, j'ai dit "détective Maréchal".
- T-t-t, Gino, tu m’as mal regardé.
Le policier sortit sa nouvelle plaque.
- Ça alors, « inspecteur »…
- Pas mal, non ? J’ai mon bureau maintenant.
- Quelle belle promotion ! Ça nous fait rudement plaisir, vrai !
- Je veux !
- Un verre pour fêter ça ?
- Attends. Tu sais, que pour moi, c’est aussi une promotion de salaire.
- Ah, je comprends, soupira le patron. Vos prétentions augmentent.
- Voilà.
- C’est bien légitime, remarquez…
- Comme tu dis.
Maréchal vida sa coupe et alla s’asseoir à la table de Fufu, Riri et les autres.
- Une petite partie, messieurs ? On joue à 10 velles le point ?
- C’est vous qui décidez, inspecteur.
- Bien.
Le policier se sentait bien ici. Evidemment, il méprisait le faux luxe crasseux de cette cave, et les toquards qui s’y réunissaient. Mais enfin, il était un peu chez lui. Succursale Maréchal ! Son petit domaine réservé, avec la bénédiction de Novembre.
Gino tirait sur son nœud papillon, trop serré, en observant la partie de dominos. Les truands ne parvenaient pas à placer leurs pièces, et Maréchal gagnait à tous les coups. Gino comprit la différence de prétention entre un détective et un inspecteur…
- Alors, messieurs, vous n’êtes guère causants…
- Vous savez, inspecteur…
- Oui ?
- Rien de neuf…
- Rien de rien ?
- On a bien entendu parler de ce meurtre…
- Avec lequel vous n’avez rien à voir…
- Ah non !
C’était sincère. UN non qui disait vraiment non !
- Ne vous fâchez pas, c’est ce que je disais. Vous n'avez rien avoir avec ce meurtre...
- Nous n’en savons pas plus.
- Vous avez entendu parler de Horo…
- Oui, et on aime pas ça.
Ils tiraient des têtes d’enterrement. C’en était presque joyeux à voir.
- Alors quoi, ricana Maréchal, il vous file les jetons, ce tueur ?
- C’est que, un type comme ça, ce n’est pas bon pour les affaires, dit Fufu.
- Voilà, approuva Gino.
- Rien à voir avec nous, inspecteur, on est bien d’accord.
- Bien sûr.
- Lui, c’est un tueur à gages. Un solitaire. Il a tué des membres de corpoles. Des agents de SÛRETÉ… Nous, on est en somme que des commerçants.
Une des filles de Riri passa sur le trottoir, ses talons claquant ; par la petite fenêtre, Riri lui fit signe de dégager et d’aller chercher des clients ailleurs.
Maréchal observait le spectacle.
- Sans blague, Horo dans le coin, on n’avait pas besoin de ça.
L’inspecteur vit sortir des toilettes un être au teint jaunâtre, avec des marques nombreuses au bras. Il titubait et reniflait.
- Il n’a pas l’air frais, votre copain…
- C’est pas un copain, murmura Gino, seulement un type venu de la Jointure, qu’il dit…
- Ah oui, vous ne l’avez jamais vu, bien sûr.
Maréchal avait amassé une belle pile de velles. Il se leva et remit son chapeau.
- Au plaisir, messieurs. Et si jamais vous entendez quoi que ce soit sur Horo…

Dans la rue, le policier suivit l’homme jaunâtre. Il revenait vers la Platz, par le parc des Calendes. On passait ensuite la petite Passerelle Vieux-Soupir. Maréchal pressa le pas et arrêta l’homme. Il l’adossa à la rambarde et l’immobilisa. L’homme était maigre, fragile. Maréchal lui releva les manches : nombreuses traces de piqûre.
- Vous allez venir avec moi. Vous allez me parler de ce que vous prenez…
Dans l’état où il était, il avait davantage besoin d’un lit d’hôpital. Il bredouillait, bafouillait, tremblait...
A ce moment, dans le parc, un petit homme, d’âge mur, grosses moustaches rebiquées, bien propre sur lui, costume, pantalon et chapeau melon crème, se leva de son banc. L’agent Pandore Sergueï passait par là en sifflotant, son bâton tournant autour de son doigt. Et d’une autre allée du parc, d’abord caché par un buisson, sortit le petit chauve du tramway.
Il passa près de l’homme en habits clair, et bredouilla :
- Tu… tu ne vas quand même pas m’assassiner ici…
Maréchal attacha son drogué à la passerelle et se dirigea vers le parc. L’homme n’en croyait pas ses yeux, tandis que le chauve regardait déjà ailleurs. Sergueï avait entendu, et s’approchait.
- Vous avez bien entendu, inspecteur ?
- Oui.
L’homme âgé avait la même réaction que le passager du tramway interpellé par le chauve. Il croyait déjà qu’on le prenait pour un coupable.
- Vous avez vos papiers, monsieur ?
- Mais enfin, je ne connais pas cet homme !
- Vos papiers, s’il vous plaît.
Rouge de honte et de colère, l’homme tendit sa carte à Maréchal.
- Léonidas Würtenberg. Assistant-comptable !
- Alors comme ça, on veut assassiner des gens, monsieur Würtenberg ?
- Mais pas du tout ! Je ne l’ai jamais vu !
Le petit chauve entendait à peine. Maréchal avait eu du mal à retenir son nom, en le voyant sur les papiers.
Oui, c’était un nom bizarre… Vilnius. Kaupang Vilnius.
- Pas claire, cette histoire. Qu’en pensez-vous, prétorien ?
- Pas claire du tout, inspecteur !
- Bon, messieurs, vous allez nous suivre au poste de SÛRETÉ pour des vérifications d’usage !
- Mais je proteste ! C’est une atteinte à la liberté citoyenne de-
- Vous déposerez votre protestation au commissariat, monsieur Würtenberg !

On était en fin d’après-midi quand Maréchal arriva à la « maison » avec sa pêche du jour : l’employé, le drogué et le chauve !
Novembre passait, en manches de chemise :
- Tu as arrêté toute la salle de jeux ?
- Je désirerais protester…
- Du calme, Léonidas, suis-moi…
Le drogué fut mis en cellule. Il se mit à vomir un peu plus tard, et dut être emmené d’urgence à l’hôpital. Léonidas Würtenberg, l’honnêteté imbécile faite homme, passa la nuit au poste, à préciser sa déposition, et surtout l’orthographe de son nom.
- Würtenberg, avec un « n » comme Nicodème ?
- Ma femme m’attend pour manger ! Elle va être folle d’inquiétude !
- On va lui téléphoner, à votre femme, ne vous inquiétez pas !

Le lendemain matin, alors que le chauve dormait dans une cellule, Maréchal, de retour au travail, reprit l’interrogatoire de son cher Léonidas.
- Je vous dis que je suis aide-comptable ! Je n’ai d’autres préoccupations que ma famille et mes tableaux de compte !
- Il n’y a pas d’âge pour basculer dans le crime, vous savez… Vous avez pu surprendre le chauve, là, dans le lit de votre femme, par exemple…
- Eléontine est la fidélité même !
Maréchal toisa Würtenberg, essayant de deviner ce que lui et sa femme avaient mis sur leur fiche de renseignement, au moment de s’inscrire à l’agence matrimoniale…
Lassé de s’amuser avec lui, Maréchal le laissa repartir, le lendemain matin, avec les excuses de SÛRETÉ.

Tout ça, pour ne pas s’occuper tout de suite du chauve.


*

Madame s’était décidée à rentrer se reposer. L’infirmière lui avait fait comprendre que son mari avait besoin de repos.
- Je te laisse quand même la casserole de soupe que je t’ai apportée… Tu leur diras de te la faire réchauffer, hein…
- Mais oui, mais oui…

Portzamparc s’endormit. On lui avait redonné de la morphine. Dans ses rêves, il ressentait le froid d’Autrelles. La plaine salée d’où il venait. Les chemins boueux, dans l’immensité nue, blanche. Puis les bords du grand océan de Forge. Il entendait parler Autrellien. Il revoyait le long chemin de fer des mines.
Il se réveilla. On parlait vraiment Autrellien.
Il y avait un homme à la fenêtre de sa chambre. Assez replet, un chaud par-dessus, une casquette de cheminot. La lumière poudrée d’un réverbère entrait dans la pièce.
- Vous êtes réveillé, « Portzamparc » ?
- Oui…
- J’ai pris sur moi de venir ici. Dans l’état où vous êtes, difficile de vous contacter.
- Excès de zèle…
- C’est ce que nous apprécions chez vous.
- Dans mon état…
- Vous serez sur pied d’ici quelques jours, non ?
- Oui.
- Vous avez entendu parler du prochain tournoi de Manigance ?
- Oui, dans le quartier. Au grand hôtel luxueux.
- C’est cela. Un champion comme vous ne peut qu’y participer. Et même le remporter. Puisque vous avez déjà remporté un titre lunaire…
- Oui.
- Nous avons besoin d’une pièce de ce jeu. Une pièce qui se trouvera sur l’un des plateaux. Si vous avez été capable de tirer sur Horo, vous n’aurez aucun mal.
- Non…
- Reposez-vous bien.
- Merci.
Le policier entendit l’homme sortir et refermer la porte. Ce n’est que le lendemain, au réveil, qu’il fut certain que ce n’avait pas été un rêve.

*

Tôt le matin, Maréchal était dans le bureau de Novembre.
- Les clients de chez Gino ont une trouille bleue de Horo. Ils sont prêts à nous aider.
- Les voilà qui se comportent comme de vrais bons citoyens, fit Novembre. Plus honnêtes que les honnêtes gens.
- Je ne sais pas qui est Horo pour effrayer même des gens comme eux.
- Juste quelqu’un avec qui on ne peut pas faire d’argent. Un tueur de sang-froid, qui n’a besoin de personne.
- Sinon, au sujet du chauve…
- Oui ?
- Jouvet est avec lui en ce moment. Il l’interroge.
- Tiens-moi au courant.
Novembre bâilla.
Maréchal retrouva le docteur, qui l’attendait dans son bureau.
- Vous avez levé un drôle de lièvre, inspecteur…
Jouvet avait son cabinet à quelques rues de là. Il officiait en plus comme médecin légiste. C’était donc un habitué de la maison.
- Que pensez-vous de lui ?
- Je ne suis pas psychiatre, inspecteur. Je dirais juste que cet homme a reçu un coup sur la tête, avec un gros objet, un objet contondant comme on dit. Il souffre d’amnésie. Il répète parfois cette même phrase…
- « Tu ne vas quand même pas m’assassiner ici »…
- Voilà. J’ignore si ce sentiment de menace est fondé. Son discours est incohérent. A vue de nez, je dirais qu’il est bon à être enfermé. Il n’est pas dangereux, mais il ne tourne pas rond.
- A vous de voir, docteur.
- J’ai un collègue, adepte des théories du professeur Charlemagne Jeune, qui pourrait s’occuper de lui. Vous connaissez un peu Jeune ?
- Non.
- C’est un expert des troubles du comportement. Mon collègue est le professeur Julius Heims.
- Si vous pensez qu’il est apte à nous en dire plus sur l’état de ce Vilnius…
- Je l’appellerai. D’ici là, vous pouvez le garder au frais, notre chauve ?
- Oui, bien sûr. Il est aussi bien au chaud, logé et nourri aux frais de SÛRETÉ.
- Vous avez la fibre sociale, Maréchal…
- Qui sait, docteur ?...

Les deux hommes se serrèrent la main.

Deux jours plus tard, Portzamparc était presque remis sur pied. Le médecin testait ses réflexes.
- Regardez, tout est en place.
Sa femme était tendue d’espoirs et de craintes.
- Je vais pouvoir retourner gambader sur les passerelles…
- Je vais vous signer un arrêt de travail, détective. Donc vous éviterez les efforts, et vous suivrez attentivement mes prescriptions… Et les conseils de votre femme !
- D’accord pour les deux !
- J’ai appelé un ballon-taxi, dit Madame. Pour une fois…
- Allons, filez, détective Casse-Cou ! Et que je ne vous revois plus ici !
- Promis !

Le soir, le détective appela l’hôtel Novö-Art pour s’inscrire au grand tournoi de Manigance qui allait s’y tenir.
- Je vais même y retrouver un vieil adversaire, dit le policier, à sa femme qui lui préparait le repas. Janas Prso, un habitué de la Manigance. Il doit approcher les quatre-vingt ans, et il a dû apprendre à jouer au berceau !
- L’essentiel est de ne pas te surmener. Et surtout, pas d’alcool !
- Tu me connais, dès que je joue, je ne bois pas !
- Alors joue bien !
- Prso et les autres joueurs doivent déjà arpenter l’hôtel. Tu sais, nous autres joueurs de Manigance, nous sommes des maniaques. Nous voulons connaître tout des lieux où nous allons jouer : la forme des tables, les cartes, la qualité des plateaux…
- Fais surtout attention à ton jeu. Et ménage-toi d’ici là. Ces parties durent si longtemps. Ce sera épuisant, vu ton état.
- Tu sais, je peux aussi perdre très vite.
- Tu joues tellement à l’aveuglette. On croirait que tu veux te laisser le moins de chances possibles.
- C’est ma façon de faire. C’est le jeu, aussi…
- Tu as entendu ce qu’a dit le docteur.
- Je ne ferai pas d’efforts physiques. On joue assis. D’ailleurs, je ne sens presque plus rien.
- Tu es incorrigible.
- « On » m’attend là-bas. De quoi j’aurai l’air si je ne me présente pas à ce tournoi ? Que penserait-on de moi ?
Madame de Portzamparc mit son mari au lit et lui servit son bouillon et lui enfila sa serviette autour du cou.
- Que ferais-tu, si je n’étais pas là ? dit-elle, en lui approchant la cuillère de la bouche.
- Attention, c’est brûlant !



FIN


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#9
c bon les résumés!!!
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#10
J'approuveredaface2
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