Journal de Lucinius
Allez, une dernière et j'arrête.
Je fais sauter le bouchon, je me verse une coupe, je regarde le liquide rouge remplir le verre, et je le bois d'un trait. Aaah, je me sens déjà plus instruit, comme dit le capitaine Haddock !
...
Bon, allez juste une petite dernière... J'aime l'odeur âpre, puissante du sang, qui humecte ma bouche et m'emplis le corps, me régénérant encore un peu.
...
Allez, la der des der ! Ca fait du bien par où ça passe !...
Voilà Loren qui entre. Je le salue faiblement, toujours aussi mal habillé. Quelle honte, quelle décadence pour Paris !
Je salue alors son invité, Roméo de Montaigu, le ci-devant assassin de Massimo d'Orsini.
Un grand gaillard, noir, taillé comme un basketteur. Il me regarde fermement, je lui serre la main... j'hésite... il enlève ses lunettes, je vois soudain au fond de ses yeux comme un vide infini, noir profond... J'en ai comme un haut le coeur. J'ai tout mon sang, et ça n'est pas peu dire, qui ne fait qu'un tour, je porte mes mains à la bouche, stupéfait. C'est lui... ça ne peut être que lui... Pas mon Sire, non. Pas mon Sire, mais un vieil ami... Pour un peu, je lui tomberais dans les bras de bonheur !
- Si... Sire Montaigu !... Sire Montaigu !

C'est bien vous ! Oh ça alors ! ça alors ! Sire Montaigu !

Venez ! Que je vous embrasse ! Que je vous embrasse ! Quelle surprise, mais alors quelle surprise !... Vous, à Paris ! Moi qui comptais vous inviter un de ces jours !... Vieux gredin ! Vous auriez pu me prévenir !...
Je suis aussi joyeux que j'étais triste face aux Tremere. Envolés tous mes soucis, une euphorie dingue me prend !
- Ah, mon cher ami Lucinius, dit Montaigu. Comment allez-vous ? Je suis si heureux de vous retrouver ! Je ne vous ai pas vu depuis des décennies ! J'ai eu quelques nouvelles de vous par Ibn-Azul et par votre Sire ! Mais depuis au moins 1950, plus rien !...
- Ah mais ah mais ah mais ! que c'est dommage ! Ah, Sire Montaigu ! Asseyez-vous ! Prenez un verre ! Une cuvée millésimée !...
Un qui n'en mène pas large, c'est François Loren. Là, il ne sait plus si c'est de l'art ou du cochon ! Voir le petit jeunot Lucinius parler avec Montaigu comme à un vieux pote de régiment ! L'entendre parler comme un vieux de la vieille, il est perdu ! Déboussolé !
- Ah François Loren ! Il faudra que je vous explique tout ! Pensez donc, mon vieil ami Montaigu !
Il ne dit plus rien, mon ami Ventrue ! Il est bouché bée, littéralement. Il n'en revient pas. Hé ho, chacun son tour, hein !

Comme si j'avais pas eu ma part d'ennuis et de surprises ! Je l'envoie chez les Tremere, si ça lui va pas comme ça !
- Alors c'est vous, héhéhé, Sire Montaigu,

qui avez diaboliser ce crétin de d'Orsini !
- Hé oui, mon cher Lucinius. Si j'avais su !...
Le pauvre Loren ramasse sa dentition.
- Ahlala, Sire Montaigu ! Quel dommage ! Quel dommage ! Je me mets à marcher de long en large dans la pièce à faire de grands mouvements de bras. Nous avions tout préparé !... Sire Loren avait eu une idée de génie ! de génie, oui ! Il avait pensé à tout ! Et dès demain, nous étions débarrassés de d'Orsini pour de bon !.... Rah, à une journée près, c'est trop bête ! Quel dommage !...
- Vraiment, je ne sais pas quoi dire... J'ignorais même que vous étiez Régent de cette ville. Je suis content de vous voir à cette place. Vous êtes l'homme qu'il fallait pour remplacer François Villon.
Je pense que Loren voudrait qu'on lui explique. Je suis observateur : je l'ai bien vu, moi, à sa mine de papier mâché, qu'il se sent un peu largué depuis quelques minutes. Il est en déconfiture, et ce ne serait pas urbain de le laisser hors du coup plus longtemps. Dame Yvonne, passe encore ! Mais Loren : non ! Le pauvre : il arrive au Louvre avec un type, pour qu'on le cuisine, et c'est lui qui se trouve complétement perdu ! Voyez le grand drame pour le clan Ventrue !
- Il serait peut-être temps de tout m'expliquer, Lucinius... :?
- Oui, oui, bien sûr, François. Vous allez tout savoir. Mais pas que vous. Je vais réunir d'autres personnes. Qu'on fasse venir les Tremere ! et Graziella de Valori ! Qu'ils sachent tout ce qui se passe.
Une vraie petite réunion de guerre.
Tous les convoqués sont là, autour de la table. Graziella semble aller mieux. Elle doit se remettre lentement de ses blessures. Tout ça par la faute du Prince ! Pareil pour Kruegger ! Sire Merlin est d'avis que le Primogène voudra convoquer une nouvelle élection. Les manigances de François Villon n'ont que trop duré.
Je laisse les Tremere expliquer la situation à tout le monde. Ils ne donnent pas vraiment de précision quant à l'intrus qui est venu trouver le Prince.
- Bien, dis-je, maintenant que tout le monde est au courant, je crois que je vous dois à mon tour des explications... Mais d'abord, je dois m'assurer que je ne me confie pas à n'importe qui.
Je regarde tout le monde droit dans les yeux.
- Alors, je dois vous demander à chacun : puis-je vous faire confiance ? Je veux une réponse franche, et aucun sortilège d'aucune sorte, compris ?
Je laisse un silence.
- Bien, Sire Merlin, puis-je vous faire confiance ?
- Tout à fait. J'ai aidé François Villon parce qu'il est mon ami, mais je comprends qu'il soit allé trop loin.
- Sire Loren ?
- Aucun problème, Lucinius.
- Je le savais.

Graziella de Valori ?
- Vous pouvez me faire confiance, oui.
- Sire Montaigu ?
- Bien sûr, Sire Régent.

- Morgane ?
- Non !
Bingo !
- Désolé, mais je suis aux ordres du Prince, et je vais aller le trouver. Je préfère ne pas abuser de votre confiance, Sire Régent !
- Morgane, voyons...
Belle tentative de Merlin. Infructueuse, hélas.
- Sire Merlin, j'ai demandé à chacun de me répondre franchement, et Morgane a fait son choix. Nous devons le respecter. En revanche, Morgane, vous comprendrez que je doive vous demander de sortir, et de quitter le Louvre pour le moment.
- Tout à fait, je comprends.
Sacrée individualiste ! Ce n'est pas courant pour une Tremere !
Maintenant que tous les gens de confiance sont autour de moi, je les laisse un moment, pour aller m'habiller correctement. J'ai d'ailleurs un créateur japonais, un bon ami à moi, qui voulait que j'essayer sa prochaine collection, alors il m'a envoyé plusieurs costumes... :jmekiffe: Bref, je me fais tout beau tout propre, pendant que mes invités attendent dans mon bureau.
Quand je reviens, mon portable sonne.
C'est Yvonne. Elle me prévient qu'il y a le feu au Père-Lachaise, et que le Prince a été aperçu il y a peu dans le quartier.
Je mets au courant l'assistance, et nous partons aussitôt. Deux limousines nous attendent dehors, prêtes à démarrer.
Heureusement que j'ai pris le temps de m'habiller, je n'allais pas sortir en bras de chemises !
Deux heures du matin. Léger traffic dans Paris, que nos limousines transpercent rapidement, précédées par quelques motards de la gendarmerie. J'ordonne à ces derniers de se disperser avant notre arrivée en vue du cimetière. Il ne faudrait pas qu'ils assistent à ce qui va suivre.
De grandes flammes ont pris dans les arbres du Père-Lachaise. Branle-bas de combat chez les pompiers : il faut sauver les morts !
On entend déjà les sirènes des camions, au loin. Nous allons avoir peu de temps pour régler tout ça, et protéger le vernis de la Mascarade.
Du reste, tout va très vite.
Morgane est déjà sur les lieux. Elle ressort en courant du cimetière, peu avant que nous voyions le Prince sauter par dessus un mur, et sortir en hurlant, en proie à la frénésie ! Il a les vêtements en lambeaux, la peau roussie, il a sérieusement morflé !
- A tous les coups, encore des jeunes qui pratiquaient un jeu de rôle sataniste ! :roll: lance Graziella.
Ca ne va pas être facile de le calmer, le Sire Villon ! Graziella lance plusieurs tentacules d'ombres, qui peinent à contenir la folie furieuse du Prince. Soudain, venues des abysses, d'autres monstrueux tentacules surgissent, plus que Graziella n'a jamais su en invoquer. En retrait, Sire Montaigu a parachevé le travail... Le Prince est provisoirement contenu. J'arrive avec le premier bout de bois potable, et je pieute vigoureusement le Prince, juste avant que Morgane n'arrive avec une bonne branche, et ne calme pour de bon Sire Villon.
François Loren est parti neutraliser un témoin gênant. Sire Merlin calme le Prince, nous l'embarquons dans la limousine. Je demande à tout le monde de rentrer au Louvre et de m'attendre. J'ai deux mots à dire à Morgane, juste le temps d'une promenade dans le Père-Lachaise. Les pompiers sont déjà là, et ont commencé à sortir leurs lances.
Les grands jets d'eau surgissent, pour combattre les grandes flammes, et au milieu de ce double déluge, Morgane et moi entrons dans le cimetière.
Le combat qui s'est déroulé a dû être particulièrement. D'après ce que me dit Morgane, le Prince se battait avec un adversaire particulièrement coriace, qui allait avoir le dessus sur lui. Elle est alors intervenu en faisant brûler cet ennemi, jusqu'à le consumer complétement ! Le Prince a été pris de panique, déjà épuisé par son combat, et s'est enfui à temps.
Les pompiers vont bientôt arriver. Les flammes sont étouffées.
- Vous avez vu la figure de l'agresseur du Prince, Morgane ?
- Oui je crois bien, voyons j'étais loin mais...
Je fixe Morgane dans les yeux, j'efface sa mémoire rapidement.
- ... ah non, je n'arrive pas à retenir un trait de son visage. Il faisait vraiment sombre, et il se déplaçait vite...
Voilà qui me laisse un peu de répit.
Je me précipite sur les lieux de l'affrontement : à voir les pierres tombales cassées, la terre retournée, un mausolée fracassé, le combat a dû être sauvage ! Entre des Caïnites aussi vieux, ça se conçoit !
Et ce que je craignais c'est bien produit ! Ah, mon Sire, j'aurais voulu vous retrouver en entier, et voilà que je n'ai devant moi qu'un tapis de cendre, éparpillé dans la nuit !... Malédiction ! Morgane ne pouvait pas savoir ! :x Si j'étais arrivé quelques minutes plus tôt, je l'aurai empêchée...
Puisqu'on est dans la profanation, je prends une urne, la vide de ses cendres, et ramasse rapidement autant de cendres de vous qu'il m'est possible, Sire.
Un tapis de cendres ! Quelle dérision ! quelle cruelle dérision ! Moi Régent, et vous poussière ! Le monde est à l'envers, tandis que jaillissent ces flammes et ces grands jets d'eau !
Nous quittons en vitesse le cimetière, avant que tous les morts ne nous sautent à la gorge, et nous entraînent avec eux dans leur demeure ! Nous restons pour le moment à la surface, entre vie et mort !
De retour au Louvre, je confie l'urne à notre ami Montaigu. Lui saura vous ressusciter, Sire, je le sais. Il ne sera pas dit que votre infant vous laissera poussière parmi les poussières...
Je me retire dans mes appartements. A ma connaissance, je suis votre seul infant, ou au moins celui en qui vous aviez le plus confiance. C'est moi qui doit incarner votre suite maintenant. Lourd héritage pour moi ! Mais n'ai-je pas juré de vous servir fidélement, sacrifiant ma vie puis ma mémoire pour vous !
Vous avez bu tout mon sang, et depuis, ma fragile existence tient à ces quelques gouttes de votre sang, que j'ai bues, il y a si longtemps. C'est vous qui m'avez donné mon nom et mon prénom, et m'avez raconté qui je suis. Vous êtes la force qui en moi me surpasse, et m'oblige à me dépasser sans cesse...
Resté seul dans mon appartement, je vacille dans le rire, un rire assez fou, comme un naufrage vertigineux.
Je me ressaisis enfin. Je dois des explications à plusieurs personnes.
Déjà le Primogène est averti de la duplicité du Prince, et les Justicars sont convoqués pour le lendemain, pour ce qui aurait dû être le procès d'Orsini.
C'est Loren qui l'explique sans détour à Graziella.
- Notre idée était de juger votre Sire pour tous ces crimes. Nous avions préparé un dossier épais comme un dictionnaire sur lui. Nous l'aurions jugé demain, et condamné à l'exil. Lors de son expulsion du territoire, il aurait trouvé comme par hasard des Lasombra, venus le chercher. Dès lors, ce n'était plus sous notre responsabilité. En échange, mon contact Lasombra acceptait de nous laisser leur terre pour les Tremere, s'ils pouvaient se regrouper plus à l'est. C'est d'ailleurs ce qui va se passer. Qui plus est, ces mêmes Lasombra ont attaqué eux-mêmes les Tzymisce, et les ont détruits.
La pauvre Graziella est abasourdi. Il est vrai que nous avions prévu un plan digne de Machiavel pour d'Orsini.
- Ecoutez, mademoiselle de Valori, lui dis-je sans détour, je comprends que vous ayez de la rancoeur contre nous, mais c'était indispensable. D'Orsini était un poids mort, un traître, pour la Camarilla. Il fallait s'en débarrasser. Et en échange, nous obtenons tous les territoires du pacte de Vienne, sans coup férir. C'était la meilleure solution.
- C'est vrai, assure Loren. :jmekiffe: Bon, à vous Lucinius, de tout nous expliquer !

Lucinius, ou qui que vous soyez réellement !
Je souris :
- N'ayez crainte, je suis réellement Aladax Lucinius, et je n'ai jamais cessé de l'être.
- Tiens donc, nous vous pensions possédé par un esprit, dit Loren. Surtout depuis que vous avez sorti vos griffes pour effrayer d'Orsini... Une discipline Gangrel : pas courant pour un Toréador...
- C'est exact, oui.

La vérité est que je ne suis pas né il y a 4 ans, mais il y a bien plus longtemps que cela... Tout a commencé pour le Lucinius que vous connaissez en l'an 2000, en juin, le soir de la fête de la musique, au musée Grevin. Les cloches de la Madeleine sonnaient à toutes volées ce soir-là. Un dénommé Frédéric Lorrain, amoureux d'Elisabeth Poussin, se faisait Etreindre par Sire Tropovitch, à la demande de cette dernière, tandis qu'elle devenait l'infant de la comtesse Bathory. En me réveillant en l'an 2000, j'avais pour passé celui de Frédéric Lorrain, j'ai cru jusqu'à hier soir être vraiment Frédéric Lorrain, mais ce n'était pas moi.
"C'est mon Sire qui m'a inculqué ces souvenirs, et qui a hypnotisé Sire Tropovitch, pour qu'il croit lui aussi que Lorrain était bien son infant. Hélas, ce jeune homme, malheureusement, est bien mort ce soir-là, parmi les statues de cire. En réalité, mon Sire m'avait jeté un puissant sort d'oubli, qui a remodelé ma mémoire, et considérablement affaibli ma puissance. Du coup, je passai facilement pour un jeune Caïnite, presque sang-clair, sans grande carrure, et d'autant plus sincérement que j'adhérais entièrement à ce rôle. En réalité, mon Sire m'avait pris comme volontaire... Alors, quelle surprise pour lui quand, de retour à Paris récemment, il découvre que je suis Sénéchal, puis Régent !
"Je comprends maintenant pourquoi, depuis deux ans, j'ai excité tant de prédateurs contre moi. Ils ont du renifler instinctivement la vraie puissance de mon sang, tous ceux de la Toute-Vie ! La comtesse m'avait sans doute reconnu ! Et le Prince avait dû aussi flairer que j'avais du potentiel en moi !... J'ai tout retrouvé, depuis que mon Sire a fait sauté le verrou de mémoire. C'est pourquoi j'étais si changé depuis deux ou trois nuits.
Long silence de mes deux interlocuteurs, qui comprennent vraiment ce qui m'est arrivé, et qui voient un gouffre s'ouvrir devant eux.
- Je vois que Sire Lucinius, dit Graziella, mi-stupéfaite mi-compatissante, a vécu des choses peu ordinaires...
- Hé oui, hé oui... Un jour, peut-être, en fouillant dans les débuts de la Camarilla, vous entendrez mention de l'Etreinte de François Villon, comment il vécut à Paris, et comment il fit connaissance avec mon Sire, celui qui fut son rival et l'intendant des fêtes princières de l'Elysium, j'ai nommé Hiéronymus Lucien...