12-09-2010, 06:06 PM
(This post was last modified: 12-09-2010, 06:07 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
<span style="color:orange">Les 5 Rônins : 20ème Episode</span><!--/sizec-->
Tigre 402
LA CAPTIVE<!--/sizec-->

<span style="color:orange">Les 5 Rônins : 20ème Episode</span><!--/sizec-->
Tigre 402
LA CAPTIVE<!--/sizec-->

Geki évita la bourrasque de neige en se plaquant derrière la gargouille massive qui dominait toute la cour intérieure. Elle devait peser le poids d’une dizaine d’hommes, cette statue de monstre censé veiller sur la capitale des Crabes. Trois étages en-dessous, des serviteurs, plaintifs, terminaient de rentrer du bois.
- Le feu ne prendra pas, c’est certain, avec cette neige.
- Il faudra bien brûler les corps des soldats…
- Les familles les ont vus, ont prié, maintenant ils doivent partir en fumée, c’est comme ça…
- Et un vieux rônin éclopé a réussi à entrer dans une réception impériale. Drôle d'époque.
- Et l'Empereur l'a laissé parler. Oh oui, drôle d'époque...
Geki buta sur une tuile, qui glissa et tomba sur la corniche. Il refit un pas en arrière. Le deux vieux serviteurs gémirent.
- Qui va aller remettre cette tuile que le mauvais temps décroche, hein…
- Pas nous. Pas ce soir... Allez, viens, il doit rester un fond de vin de la réception d’hier…
- Béni soit l’Empereur d’en laisser pour ses humbles serviteurs…
- Il a pas fait exprès d’en laisser pour toi, mon pauvre vieux, c’est juste que l’attaque de ce rônin a dû Lui passer le goût des bonnes choses…
- Il était encore plus vieux et plus estropié que nous, il paraît.
- Et pourtant, c’est pas nous qu’on irait se frotter au shinsen-gumi.
- Tiens ta langue imbécile…
Ils fermèrent le grand panneau. Geki se retrouvait seul dehors. Les bourrasques cinglantes gênèrent sa progression sur la corniche. Il fixa une corde sur une statuette et se laissa descendre à terre, souple et silencieux. Plus personne ne sortirait maintenant. Ses traces de pas seraient effacées avant le matin. Il se plaqua contre le mur donnant sur les cuisines. Les deux petit vieux faisaient sauter des bouchons et ricanaient comme des ouistitis.
- Goûte un peu ce nectar…
- A la santé du Gozoku !
- Toi tu vas vraiment finir par avoir des problèmes…
Geki se rassura en se disant que la seule personne qui pouvait avoir la curiosité de le chercher en ce moment, c’était l’inquisiteur Tadao. De la salle de bibliothèque de la tour des Inquisiteurs, au cinquième étage, il avait une vue sur cette cour extérieure du palais. Peut-être qu'il l'observait en ce moment. Geki avança vers la porte qui donnait sur l’enceinte intérieure. Deux soldats Hida, qui connaissaient Yasashiro, entretenaient un feu dans une cahute tremblante.
- Tu vas voir que ça va souffler toute la nuit sans arrêt…
- On a les démons et on a la neige… Quand tu penses que chez les Phénix, ils ne connaissent ni l’un ni l’autre…
- Ils n’ont pas de neige chez eux ?
- Pfff, il paraît qu’ils utilisent la magie pour la disperser…
- Ils ont vraiment rien à faire de leurs esprits eux…
- Ben tiens !
Geki sauta au mur, se hissa à la force des bras sur le chemin de ronde. Il courut en équilibre sur la pierre glissante et étroite, redescendit de l’autre côté par l’échelle. Juste le temps de se cacher derrière un tonneau et une patrouille passait.
- Parait que cette fois, le capitaine Otomo Jukeï va rafler tous le rônins, pour l’exemple…
- Il a été humilié, à sa place je ferais pareil. C’est son truc lui, de traquer les sans-clans et de faire des exemples…
- Pourquoi ne pas plutôt les envoyer sur la Muraille ces rônins, hein ? A quoi ça sert de les pendre alors que nous on manque tellement de monde ? Ils pourraient se battre à nos côtés.
- A nos côtés ? Devant nous tu veux dire !
- Bien sûr.
Geki passa la seconde cour. Il arrivait à la porte du cellier. D’autres soldats faisaient leur ronde juste au-dessus. Quand ils furent éloignés, notre justicier nocturne frappa trois fois, comme convenu. La porte s’ouvrit en raclant sur la neige. Un serviteur, une torche en main, passa la tête et lui dit de rentrer.
Il repoussa la porte et ferma le verrou. Ils se trouvaient dans l’entrée des réserves. Un petit escalier descendait aux grains.
- C’est vous qui, alors ?...
- Oui, dit Geki.
- Vous cherchez le… le Lotus, hein ? murmura l'homme, d'un certain âge.
- Oui.
- Vous savez, on est nombreux à entendre ce nom, nous autres… Les samuraï l’ignorent mais…
- Je sais cela. Qu’avez-vous à me dire ?
- Il viendra ce soir, je le sais.
- La Grue Noire ?
- Oui, il sera dans le passage.
- Quel passage ?
- Nous, on appelle « passage » le chemin qui mène du château à la Muraille, sous le chemin de ronde qui sert presque jamais de l’extérieur, par le haut, mais dont on se sert en passant par l’intérieur. Même que ce serait par là que le vieux fou serait arrivé...
- Sazen ?
- Ouais, celui qui s’est attaqué à l’Empereur.
- Au Gozoku plutôt.
- Pour moi, vous savez…
- Où est l’entrée alors ?
- A l’autre bout de la cour, vous avez une entrée. Eux ils sont en fait sortis de l’autre côté du mur d’enceinte.
- La Grue Noire sera dans ce passage ce soir ?
- Oui, mais vous dire où exactement, c’est autre chose… C’est un sacré labyrinthe là-dessous. Personne n’a jamais tout exploré. Il y a des tas de couloirs qui tournent et qui sont des culs-de-sacs pour la plupart. Reste que pour celui qui connait, il y a de quoi se planquer.
Geki glissa quelques pièces au domestique.
- Vous pensez pouvoir les arrêter, tous ces comploteurs ?
- J’en ai fait le serment, dit Geki.
Il rouvrit la porte, inspecta la cour. La patrouille était loin. Il sortit et se plaqua au mur, puis il courut le long du mur, gêné par la neige. Il atteignit la porte d’entrée. Il ignorait, comme tout le monde, que c’était Yatsume qui avait ouvert la porte pour Sazen et ses hommes. Il y avait un soldat qui gardait de l’autre côté du premier mur ; il avait été mis là au cas où d’autres intrus essaieraient de pénétrer comme les rônins. Les Crabes savaient bien que c’était inutile de surveiller, car personne n’oserait refaire le même coup, mais il était impossible de le faire entendre aux courtisans. La porte de l'autre côté n’était pas gardée, heureusement. Geki pénétra dans le passage souterrain. Il trouva l’accès menant à la Muraille. Si les informations données par le serviteur étaient exactes, la Grue Noire devait se trouver aussi dans ces passages, ou ne tarderait pas à y entrer…

Notre héros découvrit le dédale de boyaux étroits, aussi emmêlés qu’une pelote de laine. Les passages principaux étaient entretenus, mais dès qu’on s’en éloignait, on arrivait dans un entrelacs humide, un repaire idéal pour qui voudrait se cacher juste sous le palais des Hida. Après avoir fait un tour, Geki revint près d’une des portes, qui n’avait pas bougé. Il refit un tour, plus avant dans les boyaux. Il tourna en rond, explora méthodiquement plusieurs embranchements.
Il découvrit les restes d’un campement. On ne devait plus être sous le palais, mais près de la rivière. Une cheminée naturelle avait permis de faire du feu sans être étouffé par la cheminée. Il ne restait rien d’identifiable autour des cendres.
Le passage continuait en s’enfonçant raide. Il y avait un embranchement à trois voies, d’autres voies à suivre qui pouvaient mener n’importe où, semblait-il. Geki n’avait pas la moindre idée de qui avait pu creuser ces dédales. On aurait dit un royaume ancien de Nezumi. Ce qui était sûr, c’est que plus personne n’y habitait, sauf cette personne qui était venue y faire du feu.
Geki revint en silence vers l’entrée. Il se plaqua vivement au mur car la porte s’ouvrait et se refermait. Il ne pouvait pas prendre le risque de regarder. Quelqu’un entrait dans le passage principal, celui qui menait vers la Muraille au sud. Ce nouveau venu ne s’y engagea pas ; Geki l’entendit partir par un autre couloir orienté vers l’est. Il lui laissa de l’avance et le poursuivit en usant de tout son art de la discrétion. Le vent qui balayait la ville faisait un bruit de fond suffisamment lourd pour couvrir ses pas.
Les deux silhouettes avancèrent dans ce passage tout droit. Geki savait approximativement qu’ils allaient toucher la rive de la baie des poissons morts. Une bifurcation les emmena vers le nord-est. Le terrain montait régulièrement. Ils sortaient sûrement des limites de la ville. Ils devaient se trouver au nord de la baie, donc aux abords de la falaise qui touche la lune, de sinistre mémoire. C’était au moins la preuve que Geki suivait la bonne personne... Il avançait sans plus voir l’autre, il faisait trop sombre. Il finit par réaliser qu’il n’y avait plus personne devant lui depuis quelques pas. Il se mit sur ses gardes car l’autre avait pu se mettre en embuscade dans un coin.
Il recula de plusieurs pas, sonda les murs à l’aveugle. Il sentit un courant d’air qui venait du haut. Le plafond était troué. Il prit le temps de s’habituer au peu de lumière du dehors. De grosses racines masquaient ce trou. Geki s’y agrippa, passa la tête. La silhouette continuait sur le chemin de la colline, sans se douter qu’elle était suivie. Notre héros sortit entièrement et se plaqua à terre. Puis il courut vers un arbre et continua son avancée en profitant des différents couverts.
Le chemin souterrain ne sortait vraiment pas loin du château de la pointe de la falaise.
Il courut le long du chemin pentu. Le ressac de la mer et le vent couvraient toujours le bruit de ses pas. Les vagues s’échouaient de toute leur force sur le granit, leur mugissement mêlé aux complaintes du vent.
Il arriva en vue du château. Des bougies étaient allumées dans la grande pièce. Geki approcha par l’aile ouest et attendit. Il se glissa par un panneau mal fermé et se plaqua sur le ventre à l’un des vieux tatamis humides.
Il entendait des pas au-dessus. Il se releva, avança en silence, monta l’escalier marche par marche. Une pièce était éclairée. Geki courut accroupi et colla l’oreille au panneau.
- … bien certain que nous pouvons en finir ?
- Oui, seigneur, j’ai entassé ce qui pouvait avoir été touché. Tout va être brûlé. J’ai pris soin de disposer de la poudre de cristal, au cas où des ombres accourraient.
- Alors descends ce qu’il faut dans le dojo. Dispose tout ce qui a pu être touché et viens me prévenir.
Geki recula en vitesse dans le couloir et entra dans la première pièce derrière. Son cœur battait à tout rompre. C’était bien la Grue Noire et Cristal qui parlaient !
Ils allaient brûler ce bâtiment maudit, ce qui était une bonne chose au vu de la magie sombre que Kokamoru, Petite Vérité et le troisième personnage y avaient pratiqué.
Il tendit l’oreille. Le panneau s’ouvrait ; Geki jeta un oeil : la Grue Noire sortait. Ce qui signifiait que Cristal restait seul !
Il attendit le départ de l’assassin, revint près de la pièce où se trouvait le conspirateur. Il n’entendait aucun autre bruit. Cristal était manifestement seul.
C’était les dieux qui lui offraient cette occasion ! La Grue Noire était un étage en-dessous. Geki passa deux doigts dans la fente du panneau et vit le conspirateur, dans sa robe noire, qui lui tournait le dos, assis au milieu de la pièce. Il vit que des poutres horizontales traversaient l’étage. Il alla dans la pièce en face, monta sur la plus grosse et retraversa le couloir, à quatre pattes. Il passait au-dessus du mur. Encore quelques pas et il serait au-dessus de Cristal. Il y a des exploits qui ne seront jamais reconnus publiquement, dont l’auteur ne tirera aucune gloire, alors même qu’ils sont véritablement héroïques ! Cette infiltration dans le château en faisait partie.
Yasashiro transpirait dans son costume ; il avait du mal à se prendre pour une terreur de la nuit, car il voyait que sa tentative n’allait tenir à rien. Il arrivait au-dessus de Cristal. Le conspirateur portait son masque d’ambre, il lisait des parchemins. Qui pouvait se cacher derrière ce personnage dangereux entre tous, complice de ceux qui voulaient renverser l’Empereur, mais acharné à combattre la magie de l’ombre ?
Geki s’accroupit sur la poutre ; il dut provoquer un léger grincement au-moment de bondir : il sauta mais Cristal s’écarta au dernier moment, et Geki roula à terre. Il se releva, affolé. Cristal était face à lui, tout haut de sa grande silhouette, rendue encore plus impressionnante par sa grande robe noire flottante ! Il avait tiré un poignard. La Grue Noire remontait en catastrophe. Geki se mit en garde. La Grue Noire arrivait au second étage. Elle allait surgir d’un moment à l’autre ; la partie était trop inégale, Geki bondit vers la fenêtre. Cristal ne tenta pas de le frapper. La Grue Noire ouvrit le panneau en grand, Geki passait par la fenêtre. Il atterrit dans des branchages. Il se releva et courut vers le bois à quelques pas de là. La Grue Noire sauta par la fenêtre. Geki avait déjà pris de l’avance. Il faisait nuit noire. Il s’enfonça entre les arbres morts, trouva un sentier qui longeait la falaise. Il sut que la Grue Noire ne pourrait pas l'y suivre.
Il avança prudemment, au bord de la falaise. Il reprit son souffle, après avoir eu la plus belle peur de sa vie, et avoir raté une occasion en or ! Il s'en mordrait les doigts longtemps !
Il se retourna et vit que le château était en feu. Cristal finissait sa sale besogne, dont on ne pouvait oublier qu'elle était pourtant bénéfique à l'Empire. C'était d'ailleurs troublant de penser que personne d'autre que Cristal n'aurait su protéger l'Empire de cette magie des ombres...
Il revint en ville avant l’aube. L’Inquisiteur Tadao venait de se lever au-moment où Geki entrait par l’entrée secrète dans les prisons de l’Inquisition. Le justicier nocturne raconta en quelques mots ce qu’il avait vu et il alla au lit, épuisé.
A suivre...
