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Les Contes de la Canine #3 : Histoire de Mathias Naundorff
#8
HISTOIRE DE MATHIAS NAUNDORFF (suite) Kopikol

[b]HOULGATE, LE JOUR


Quote:Demain, d?s l?aube, ? l?heure o? l?aube blanchit la campagne?

Tu es parti avec le train, qui passe dans les tunnels sales, puis quitte l??touffante cuvette parisienne pour rejoindre la campagne qui hiverne. Tu as dormi dans le compartiment, puis, vaseux, tu t?es r?veill?, tu as pris l?air dans le couloir, et tu as observ?, fatigu?, la campagne qui roule, recouverte de neige grise.
Tu arrives ? Lisieux en fin de matin?e. De l?, tu ne prends pas le temps d?admirer la basilique, et tu montes dans le premier car ? destination de Houlgate. Tu es en pleine morte saison.
Enfin la mer, grise comme un plateau d?argent, sous un ciel d?Angleterre. Quelques cerfs-volants se battent en altitude contre les bourrasques de vents qui frisent la mer de vagues nerveuses. Tu entends les fils des drapeaux qui choquent leur poteau, et tu regardes la plage, endormie du port de Cabourg aux roches noires qui pointent vers Deauville. A l?horizon, un b?timent affronte les vagues montagneuses. Le cri des mouettes, qui secouent leurs plumes au couleur de nuage sal?e, se perd dans ce fracas.

Pas un chat dans les rues. Dans l?art?re principale, qui va de l?agence immobili?re au casino, tu ach?tes le journal et des cigarettes. Tu t?offres la pizzeria, puis tu fais le tour du pays ? pied. La gare d?saffect?e en cette saison, les riches demeures ? l??cart du centre, le gar?on qui plie les tables du casino, le marchand de cerfs-volants qui pr?parent de nouvelles m?thodes de glisse r?volutionnaire, et un groupe d??tudiants en vacances.
A c?t? du parking et du poste de secours vide, des cabines t?l?phoniques. Tu appelles ta secr?taire rapidement : tu tombes sur le r?pondeur, tu laisses un message et le num?ro de la cabine. Tu te renseignes ? la mairie sur les lieux ? voir.
Muni d?une carte, tu montes sur les hauteurs, et tu arrives ? un point de vue, avec une table d?orientation presque effac?e. Vu d?ici, la mer est un plus grand rectangle, et la c?te est un sinuosit? profonde, qui caresse les villes de loin en loin. En montant encore, tu arrives dans un bois, qui doit servir de refuge aux clochards, et sans doute de pissoti?re?
Tu refais un tour sur la promenade le long de la plage. Pour un peu, les toboggans et les balan?oires abandonn?es, dont le bois craque au vent, te donnerait le cafard. Les cabines de bains grelottent de froid.
Tu as pris une chambre ? l?h?tel, au-dessus du casino et du parcours de mini-golf. Tu restes dans ta chambre pour laisser couler la fin de l?apr?s-midi, dans un robinet d?images de t?l? et de volutes de tabac? Tu t?endors doucement, berc? par le souvenir du roulis du train et par le tangage que le vent imprime ? la ville.
Tu te r?veilles, tu prends une douche pour te sortir de la torpeur, tu te rases, et tu descends demander au patron de l?h?tel l?adresse que tu es venu chercher. Tu n?es pas quelqu?un de presser, tu prends ton temps. Tu laisses le temps rouler comme une vague charg?e d??cume.
Le patron r?fl?chit un moment, puis pointe un lieu sur ta carte. C?est ? cinq minutes d?ici. Il te propose de t?attendre pour le d?ner : ce soir, tu es le seul client.
Tu le remercies, et tu pars visiter le lieu. Tu longes la plage, traverse la voie de chemin de fer pr?s de la plage. Tu passes devant une boutique calcin?e.
- Tous ceux qui ont voulu mettre un commerce dans cette bicoque ont fait faillite?. Comment vous voulez faire des affaires, c?est ? l??cart de tout ?
Tu te souviens bien des paroles de l?h?telier. Tu passes ? c?t? de la bicoque, et derri?re, tu trouves un chemin qui monte la pente, vers une autre colline. C?est le chemin des Douaniers, qui doit servir de pissoti?re ?galement?
En haut, de l?autre c?t? de la rue, tu trouves un alignement de maison. Tu sonnes ? l?une d?elle, chez un certain Bernard.
Il doit avoir ses sept d?cennies bien tap?es, et ses quelques litrons de rouge par jour. Au bout du chemin, pr?s d?une grande haie, plusieurs voitures sont gar?es. La maison que tu cherches est ? c?t?. C?est une maison aux murs blancs, ? un ?tage. Les volets sont clos. Tu demandes aux autres voisins s?il n?y a personne, o? si les occupants sont sortis.
Ces voisins te rappellent la famille Groseille : la m?re s?occupe des trois lardons, de toutes les t?ches m?nag?res, pendant que le p?re est devant la t?l?, ? boire des bi?res et ? gueuler si le d?ner n?est pas servi ? temps.
La m?re te dit qu?elle ne sait pas. Tu la remercies, et passes ? la maison en haut du petit chemin ; un vrai petit manoir. A entendre le reggae qui cogne ? l?int?rieur, tu imagines d?j? qu?il est occup? par une bande de jeunes qui passent leur journ?e ? fumer du cannabis.
Tu sonnes, tu dis que tu cherches untel ; tu entends qu?on baisse la musique, et un grand ?chalas avec des dreadlocks blondes vient te r?pondre : il te dit qu?il a vu du monde r?cemment, le soir surtout, mais qu?il ignore s?ils sont encore l?.
Tu le remercies, tu lui assures que tu n?es pas de la police, et que tu ne vas pas aller les d?noncer pour leur herbe.
Tu d?cides de rentrer dans le jardinet de la maison. Les voisins ? groseilles ? sont tous ? table, ils ne te voient pas enjamber la grille.
Tu as demand? aux voisins quelle ?tait leur voiture ? chacun, et tu en d?duis que la 4e voiture gar?e ne peut appartenir qu?? d??ventuelles occupants de la maison aux murs blancs.
Tu es dans le jardin. Il fait d?j? nuit noire, tu fr?les un grand sapin, et tu arrives devant l?entr?e.
Tout est ferm? : tu prends le risque d?allumer ta lampe de poche, mais tu ne d?couvres rien de probant. Il y a un petit escalier qui descend vers la cave, ? laquelle on doit acc?der par une porte vermoulue. Tu ne t?attardes pas plus, et tu quittes les lieux.

HOULGATE, LA NUIT

Tu retournes ? l?h?tel, pas f?cher de te diriger vers une bonne nuit de sommeil.
Mais d??u malgr? tout. Est-ce que tes indics t?auraient orient? vers une mauvaise piste ? Tu as peine ? t?y r?soudre. Tu d?nes frugalement avec l?h?telier. Vous discutez de la pluie et du mauvais temps.
Un coup de t?l?phone interrompt votre discussion. Le patron d?croche, dit quelques mots, puis bouche l'?couteur de sa main, et te dis que c?est pour toi. Surpris, tu prends le combin?. A l?autre bout du fil, une voix apeur?e, h?sitante, pr?te ? s?effondrer en pleurs.
C?est Raymond Chandeleur. Il te dit qu?il se trouve ? la presqu??le de Cabourg et te supplies de venir le chercher. Puis ?a raccroche.
La voix blanche de Chandeleur t?a rendu livide. Ton sang s?emballe, et tu as soudain tr?s peur pour ton indic. Un hideux frisson te prend dans tout le corps.
Sans cacher ton affolement, tu demandes au patron o? se trouve cette presqu??le.
- Si c?est celle qui est ? c?t? de Port Guillaume, elle est ? au moins une demi-heure ? pied.
- Emmenez-moi l?-bas en voiture !? c?est extr?mement important.
- A cette heure-ci ? ?a peut pas attendre demain matin ?
- Non, maintenant. Si vous voulez, pr?tez la moi ! Je vous laisse mon passeport comme caution !?
- Non, ?a va venez ! je vous emm?ne !
Il enfile son manteau. Tu montes dans ta chambre prendre ton pistolet, et tu le rejoins dehors, dans la nuit o? mugit le vent. L?h?telier d?marre aussit?t, sur la route de sable et de sel, baign?e dans la lumi?re orang?e.
- Mais il faut que je vous pr?vienne : on peut pas aller l?-bas en voiture. Apr?s ?tre arriv? au port de Dives, il faut finir ? pied, passer le pont et aller au bout de la presqu??le envahie par les herbes !
- C?est pas grave ! Vous m?attendrez au port, et j?irai seul.
- Si vous voulez !
Tu soup?onnes l?h?telier de ne pas ?tre un foudre de guerre : il a compris que quelque chose de louche guettait sur la presqu??le.
La voiture est ? peine arr?t?e que tu en sors comme un beau diable. Tu as enregistr? le chemin ? prendre.
Tu cours sur le port d?sert battu par le vent, tu passes sur le pont qui enjambe un canal envahi d?algue et de boue, tu arrives en vue de la plage de Cabourg, et tu te mets ? courir sur l?herbe, vers le bout de la presqu??le, qui referme l?entr?e de Port Guillaume.
Tu ralentis en arrivant ? la pointe recouverte d?arbres maigres. Tu allumes ta lampe de poche, et tu cries le nom ? Chandeleur ?, sans pouvoir r?primer la vive peur qui t?enlaces. A tes cris seul r?pond le vent temp?tueux.
Tu descends de la butte envahie d?herbe vers les arbres, le faisceau lumineux braqu? devant toi, le pistolet dans l?autre main.
Tu approches du couvert v?g?tal, de l?obscurit? v?g?tale sous la vasque bleue de la nuit. Tu marches sur du sable plein de salet?s, de d?tritus ?et encore une pissoti?re !
Tu braques ta lampe en toutes directions.
Et tu croises un arbre, et ta lumi?re vient soudain frapper le visage de Chandeleur, convuls? par la douleur, qui se balance au bout d?un arbre, battu par le vent comme un gros fruit.
Tu recules de quelques pas, saisi d?une peur ignoble ?celle qu?on dit bleue !
Tu vois soudain quelqu?un d?taler dans les taillis. Sans h?siter, sachant que les bourrasques de vent et le grondement de la mer te couvrent, tu tires plusieurs balles dans la direction du fuyard.
Tu te mets en chasse, tu vois les feuillages ?clabouss?s de sang dans la nuit, tu d?bouches sur une plage : le fuyard est quelques m?tres devant toi ; il est bless? ? l??paule, il titube, mais continue ? courir. Tu braques ton faisceau sur lui, tu lui tires dans les jambes. Tu le rates. L?h?telier t?a pr?venu que le bout de la presqu??le est fait de sables mouvants, et ton fuyard courent en plein vers eux. Tu sens d?j? le sable boueux sous tes semelles, tu vois le type continuer de courir, et soudain, comme bu par une immonde bouche cach?e sous le sable, il s?enfonce, se d?bat. Tu veux t?avancer, mais tu mets soudain le pied dans l?eau. En quelques coups de vagues, le type, enfonc? jusqu?au tronc, est emport? par le courant le long de la digue qui m?ne au port. Il dispara?t comme un bouchon au bout d?une canne ? p?che, happ? par les vagues mordantes.
Tu rebrousses chemin, affol?. Tu ne repasses pas devant Chandeleur, tu cours le long de la plage.
Dix minutes plus tard, tu arrives ? la voiture de l?h?telier. Tu t?engouffres ? l?int?rieur, ? l?arri?re. Il est ? l?avant, et tu lui demandes de t?emmener ? la maison de la colline.

Il se retourne vers toi, et te dis :
- Ecoutez voir, je vais pas faire le taxi toute la nuit !? Vous avez trouv? ce que vous vouliez l?-bas ?
A ce moment, tes nerfs te l?chent : tu braques ton pistolet sur sa nuque et tu cries :
- Emmenez-moi l?-bas et vite !?
Il d?marre aussi sec.
Tu t?assois ? l?arri?re, et tu avales une bonne gorg?e de la bouteille de gn?le que tu portes toujours dans la poche int?rieure de ton imper. La voiture fonce sur la route. Vous arrivez au carrefour au pied de la colline, pr?s de la bicoque calcin?e. Tu lui dis qu?il peut te laisser l?.
Tu t?excuses pour les emmerdements, tu lui files sans y r?fl?chir plusieurs billets de cent francs, tu lui ordonnes de rentrer ? son h?tel. Il ne se le fait pas dire deux fois.
Le vent souffle, plein de rage, et la nuit est un squelette qui tremble. Tu montes au pas de course le chemin des Douaniers, lampe-torche et flingues braqu?s en avant. Tu arrives en vue de la maison aux murs blancs.
Elle a perdu son aspect rassurant de bonne demeure normande. La pleine lune ?claire de ses lueurs argent?es et tragiques les murs de cette maison, comme envelopp?e d?une aura fantomatique. Tu entends Bernard qui ronfle, le p?re groseille qui engueule sa famille, le reggae qui cogne comme un sourd dans le manoir. Fracas du vent, vacarmes des hommes.
Tu p?n?tres dans le jardin, o? t?accueille, g?ant inqui?tant, le sapin.
Il y a de la lumi?re dans la maison, et une lueur jaun?tre qui transpire de la cave. Et m?me le gazon et le lierre semblent frissonner de peur.
Et l?, tu voudrais te r?veiller sur ton canap? moelleux, devant ta cuisine o? cuit ton omelette, mais tu n?es qu?un pantin tremblant de peur. La porte de la maison s?ouvre.
En jaillit une hideuse cr?ature, une horreur au visage de chauve-souris, comme le vampire Nosf?ratu. Elle brandit un couteau, et son regard est mang? par la nuit. Tu lui exp?dies deux balles en pleine t?te. Elle tombe en arri?re, en poussant un cri strident.
A l?int?rieur, une assembl?e de pareilles horreurs, ?parses dans leur laideur, morceaux d?hommes coll?s ensemble, assis ? une table envahie d?instruments inqui?tants, et au mur, des peintures hideuses, dont les tons ne sont plus ceux de la vie ; des fleurs de cimeti?re, des portraits comme des tombes.
Les horreurs vont te sauter dessus.
Tu vides ton chargeur sur elles, et elles vont s?affaler sur la table, la poitrine crev?e. Tu n?as pas le temps d?inspecter les horribles chiottes, et tu descends vers la cave, qui transpire de lumi?re pisseuse.
Tu enfonces la porte d?un coup de pied. Tu rentres dans un petit couloir humide, qui donne sous le s?jour o? sont ?tal?s les Nosf?ratus. A ta gauche, une petite pi?ce. Tu flanques un coup de pied dedans : l?int?rieur est un fourbi inextricable. Tu repars dans le couloir, au bout duquel ronronne une chaudi?re vieille comme une sorci?re.
Et dans la petite pi?ce envahie d?articles de plage et de jardinage, se balancent trois pendus. Tu te retournes : au bout du couloir, la porte s?ouvre en grand, laissant entrer le vent lunaire, et la silhouette d?une affreuse cr?ature au visage comme une gueule cass?e de la Grande Guerre. Plusieurs coups de feu partent.
Tu as plong? sur le c?t?, sous les pendus dont les cordes grincent. Tu t?allonges, tu tires dans le couloir. Tu entends la cr?ature s?affaler.
Tu te pr?cipites vers la sortie, o? le vent hurle en s?engouffrant. Et la porte du fourbi s?ouvre. Un humano?de blanch?tre te saute dessus. Tu butes sur le corps de la gueule cass?e, tu te cognes contre le mur. Pris d?un violent sursaut d??nergie (tu veux vivre encore !), tu repousses l?agresseur vampire, et tu lui loges ta derni?re balle dans la poitrine.

Les voisins groseille sont sortis, affol?s. Tu passes devant eux sans y pr?ter attention. Tu arrives sur la route qui passes devant le manoir des amateurs de reggae. Une voiture est l?, dont le moteur tourne. Elle est tout phares ?teints. Le conducteur te crie de venir.
Tu n?as plus de balles dans le pistolet. Le conducteur se braque alors une lampe-torche sous le menton : tu reconnais le domestique de Saint-Luc !
Il te crie de venir encore. Tu cherches un moyen de t?enfuir. Dans ton dos accourent soudain d?autres Nosf?ratus, qui vont te sauter dessus comme des loups enrag?s.
Mourir pour mourir, tu sautes dans la voiture du domestique de Saint-Luc, qui d?marre en trombe, juste avant que les Nosf?ratus n?agrippent la voiture. Il fait demi-tour devant le manoir, il rentre dans plusieurs horreurs, les voisins hurlent. Le p?re groseille tire un coup de carabine dans la voiture. Les vitres auraient d? exploser : elles sont blind?es.
La voiture o? tu es est une petite Mercedes, fauteuil en cuir. Et le domestique persiste ? rouler tous feux ?teints. Vous descendez la colline, passez la plage, l?h?tel, ? la vitesse folle o? la peur te prend dans tout le corps.

Il t?avertit que vous allez rouler jusqu?? Paris, et qu?il a d?j? r?cup?r? tes affaires ? l?h?tel.
Le vent semble se calmer, et maintenant, de gros paquets s?abattent du ciel, et viennent taper contre la carrosserie du v?hicule, comme si tous les nuages d?versaient maintenant des tombereaux de pleurs. L?autoroute est longue et noire. Vous ne dites pas un mot, avec le domestique, et tu ne peux fermer l??il du voyage.

Au bout de la route, Paris est une grande flaque illumin?e, scintillante, et tu as ?chapp? ? l?antre des Nosf?ratus, o? il fait froid comme la mort, toute l?ann?e.

NAUFRAGE

Tu t?es laiss? reconduire jusqu?? Paris, ?treint par une torpeur hypnotique qui t?a saisi quand tu as crois? le regard de b?te du domestique de Saint-Luc. Frapp? en tout ton ?tre de la rage animal que recelaient ces yeux, la stupeur t?a transform? en patin, et tu n?a plus pip? mot du voyage.
La nuit se d?lite peu ? peu, comme les mailles us?es d?un gilet, et bient?t, le jour percera cette fine trame de p?nombre.
La voiture s?arr?te au carrefour du boulevard Max Elskamp et de l?impasse Saint-Paul. Tu en descends, perinde ac cadaver, guid? par le domestique au visage destructur?. Tu montes p?niblement l??tage, soutenu par ton guide. Tu as froid, tu as faim, tu as soif, tu es lourd, et tu t??tonnes ? peine d?entendre le domestique murmurer :
- Ah vous les hommes, vous ?tes si faibles, vous avez si peu de ressources?
Le domestique ouvre la porte d?entr?e, sur laquelle tu t??tais appuy?, et tu t?effondres comme une grosse ?ponge gorg?e d?eau sale, sur le beau tapis de Saint-Luc.
Tu es vigoureusement soulev? par deux hommes.

- Vite, ramasse-le, Pasipha? !? Cette chiffe molle pourrait nous claquer entre les bras !
- Oui, mon sire.
- Tu vas le mettre dans le bureau pour le moment. Les autres pi?ces sont occup?es.
- Oui, mon sire.
- Vu l??tat dans lequel il est, il faut agir. Je n?ai pas envie d?aller ? le sauver de la mort?
- Entendu mon sire. Mais o? trouver de quoi le soigner ? cette heure-ci ?
- Pr?pare-lui une d?coction appropri?e. Demande ? la Torche de t?aider.

A ce moment l?, tu trouves la force d?articuler :
- Mais qui est la Torche ?? qui ?tes-vous Saint-Luc ?
- Silence, Naundorff ! tu vas m?ob?ir, tu comprends ! L? regarde-moi dans les yeux. L?, fixe cette belle lueur rouge? tr?s bien? emplis-toi de mon regard. Et maintenant, tiens-toi tranquille !? Assieds-toi sur ce si?ge, et ne bouge plus. J?ai ? discuter avec mon domestique, Pasipha?, l?homme qui a sauv? ta pauvre vie, tu comprends ??
- Ma?tre, me revoici. J?ai la d?coction. La Torche en avait en r?serve.
Un troisi?me personnage s?approche de toi : ce n?est ni Saint-Luc, ni le domestique. Tes yeux roulent librement dans tes orbites, tu fais ? ce moment une moue stupide, tu esquisses un sourire et tu dis :
- Mais je vous connais !? Vous ?tes le gitan de la gare Montparnasse? Je vous ai parl?, vous vous souvenez ?
- Malheur mon Sire. Il se souvient de moi.
- C?est sans importance. De toute fa?on, si nous voulons nous servir encore de lui, il faudra le mettre au courant. Pasipha?, fais-lui avaler cette d?coction, et allonge-le sur le canap?.
- Oui, mon sire. Mais croyez-vous que son estomac soit fait pour avaler cela ?
- S?il est sorti vivant de l?antre des Nosf?ratus, il a le ventre pour avaler ?a !? Bon, la Torche, nous n?avons plus besoin de toi ici. Tu vas raccompagner le troupeau chez lui. Et d?p?che-toi : le soleil va bient?t se lever.
- Oui ma?tre.
- Ma?tre, je crois que Naundorff s?est endormi.
- Quoi d??tonnant apr?s toutes ces ?preuves? Raconte-moi ce qui s?est pass?.
- Quand je suis arriv? devant la maison d?Houlgate, Naundorff ?tait en train de d?camper. Pendant le trajet, je l?ai interrog? apr?s l?avoir plong? sous hypnose. Si j?en crois ce qu?il me dit, il a abattu tous les Nosf??
- Quoi ? Impossible !?
- Je puis pourtant garantir la sinc?rit? de son propos. Il ?tait trop groggy pour mentir.
- Cet humain est ?tonnant ! Nous avons p?ch? un sacr? sp?cimen? Et quoi d?autre ?
- Son indic, Chandeleur, a bien ?t? pendu par les cr?atures de la Comtesse.
- Ce qui veut dire qu?ils ont tous donn? dans le panneau. C?est parfait.
- Oui, mon sire. En portant votre choix sur ce Naundorff, vous avez eu une judicieuse intuition. Il a r?ussi ? tromper le clan Bathory ! et en toute bonne foi !
- Oui, la Comtesse doit ?cumer de rage. Je vois ?a d?ici !? Et le manuscrit ?
- Nous l?avons r?cup?r? mon ma?tre? La place ?tait libre. Tous les limiers de la Comtesse ?tait aux trousses de Naundorff et de son indic? Tous en Normandie !? Et maintenant, nous avons le manuscrit, vous rendez-vous compte !
- Oui, c?est fabuleux, Pasipha?. Proprement fabuleux. Le Prince Villon va me regarder d?un autre ?il maintenant ! As-tu pr?venu Tropovitch ?
- Non, mon sire. Le fallait-il ?
- Pas du tout. Laissons-le dans ses partitions !? Une si belle pi?ce n?est pas ? partager, m?me avec mes alli?s les plus proches?
- Mais que vont dire les Sethites ?
- Qu?importe ce qu?ils en penseront ! Ne pensons pas ? ces choses d?sagr?ables maintenant. Occupons-nous plut?t de la comtesse Bathory. Il faudra bien finir par prouver sa f?lonie !
- Oh oui? Et quel plaisir ce jour-l? mon sire !
- Un d?lice !? Et Villon en avalera ses canines !?. Allons, cessons de r?vasser. Tu vas r?veiller Naundorff, et lui donner des instructions en cons?quences.
- Oui mon ma?tre.

Tu ronflais pendant ce dialogue, et quelques claques te r?veillent rapidement. Soudain, tu sens un affreux go?t te remonter dans l??sophage. Tes int?rieurs se tordent comme des sorci?res au sabbat, et tu cours plonger la t?te dans les toilettes. Tu vomis le breuvage et ta nuit de meurtre et de pluie.
- Alors, Naundorff ? La d?coction de La Torche ne te pla?t pas ?
- ?a me rappelle la penderie qui sentait le camphre chez la grand-m?re !?
Ta voix r?sonne ? l?int?rieur de la cuvette.
- Un d?tective comme toi doit se poser mille questions?
On ne peut rien vous cacher. Saint-Luc est assis ? son bureau, comme la premi?re fois que tu es venu chez, dans cette froide rue. Tu attends impatiemment les explications qui te sont dues.
- ?a vous d?range si je fume ?
Tu n?attends pas la permission, et tu allumes une cigarette, savoureuse comme une bouff?e d?air frais apr?s des miasmes empoisonn?s.

PARIS, AU POINT DU JOUR

Quote:Il est cinq heures, Paris s??veille? Il est cinq heures, je n?ai pas sommeil?

Alors que la nuit vire au gris clair, que quelques voitures commencent ? rouler dans les rues, que l?air frais t?accueille alors que tu quittes le boulevard Elskamp, tu peines ? reprendre pied sur terre.
Tu ne t?es pas retourn? vers le manoir de Saint-Luc, d?o? je te regardais, dans l?ouverture des rideaux cramoisis. Tu as march? sur le long trottoir du boulevard, et tout au bout, tu as bifurqu? pour retrouver la rue du Bac, puis le Panth?on.
Il te semble que les morts c?l?bres frissonnent ? cause de ce petit vent aigre qui suinte dans les rues, et cette bruine mesquine qui te trempe les cheveux.
Tu fumes une cigarette mouill?e. Sa cendre se liqu?fie rouge. Tu as ?cout? mes explications sans rien dire. Tu ?tais abattu. Tu croyais y voir clair, plus ou moins, dans l?existence, et voil? que je te parles de mascarade, de faux-semblants, d?intrigues et d?hypocrisie.
Tu sais que je sais tout de toi, Mathias Naundorff. Tu sais que je n?ob?is qu?? mon ma?tre, dont par trois fois j?ai bu le sang. Nous ne t?avons pas laiss? repartir intact : tu es ? notre service maintenant.
Tu es une goule toi aussi. Un peu du sang de mon sire coule dans tes veines, et ton c?ur le pompe et l?expulse. Le soleil ne tardera pas ? se lever. La torpeur commence ? m??treindre, et pour toi, la journ?e commence.
Tu vas retrouver ton bureau, appeler ta secr?taire. Tu sais que les flics ne viendront pas te poser de question. Mon ma?tre y veillera. Du reste, toute trace de meurtre doit avoir d?j? disparu ? Houlgate. Les voisins tiendront leur langue? ou bien on leur arrachera, en attendant mieux !
Il est cinq heures, tes ?ufs blanchissent d?j? dans la po?le, et tes yeux sont jaunes comme ton imper est gris. Tu es affal? sur une chaise.
Que peut penser un mortel comme toi, quand il vient d?entrer dans la mascarade, la ballade des pendus, sur le territoire de chasse de mon sire, le pr?dateur et l?illusionniste, le fauve et l?ensorceleur? Hieronymus Lucien ! ?le prochain Prince de la Camarilla parisienne [size=18]?
...

diablotin diablotin diablotin

Fr?res humains qui apr?s nous vivez,
N'ayez les cuers contre nous endurcis,
Car, se piti? de nous povres avez,
Dieu en aura plus tost de vous mercis.
Vous nous voiez cy attachez cinq, six:
Quant de la char, que trop avons nourrie,
Elle est pie?a devoree et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et pouldre.
De nostre mal personne ne s'en rie;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre!

Fr?res humains qui nous survivez,
N'ayez pas vos coeurs durcis ? notre ?gard,
Car si vous avez piti? de nous, pauvres,
Dieu aura plus t?t mis?ricorde de vous.
Vous nous voyez ici attach?s, cinq, six:
Pour ce qui est de la chair, que nous avons trop nourrie,
Elle est depuis longtemps d?vor?e et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poussi?re.
De notre malheur que personne ne se moque,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre!

Se vous clamons, freres, pas n'en devez
Avoir desdaing, quoy que fusmes occis
Par justice. Toutefois, cous s?avez
Que tous hommes n'ont pas bon sens rassis;
Excusez nous, puis que sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa gr?ce ne soit pour nous tarie,
Nous preservant de l'infernale fouldre.
Nous sommes mors, ame ne nous harie;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre!

Si nous vous appelons fr?res, vous n'en devez
Avoir d?dain, bien que nous ayons ?t? tu?s
Par justice. Toutefois vous savez
Que tous les hommes n'ont pas sens bien rassis.
Excusez-nous, puisque nous sommes tr?pass?s,
Aupr?s du fils de la Vierge Marie,
De fa?on que sa gr?ce ne soit pas tarie pour nous,
Et qu'il mous pr?serve de la foudre infernale.
Nous sommes morts, que personne ne nous tourmente,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre!

La pluye nous a buez et lavez,
Et le soleil dessechiez et noircis;
Pies, corbeaulx nous ont les yeux cavez,
Et arrachi? la barbe et les sourcis.
Jamis nul temps nous ne sommes assis;
Puis ?a, puis la, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charie,
Plus becquetez d'oyseaulx que dez a couldre.
Ne soiez donc de nostre confrarie;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre!


Fran?ois Villon, L'?pitaphe Villon, dite La Ballade des Pendus



Emperor [i]A suivre dans le prochain conte? Strygger

Terreur
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Les Contes de la Canine #3 : Histoire de Mathias Naundorff - by Darth Nico - 07-03-2003, 02:01 AM

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