07-07-2004, 08:54 PM
VIII : La gazelle mystérieuse
Le soir était tombé, et sous la voûte étoilé, la grande armée de Kagataï Khan avait dressé son campement sur un plateau rocheux, dont les herbes sèches frissonnaient sous le vent. Les feux brûlaient entre les tentes et les chariots.
La chevauchée avait été éprouvante : la grosse chaleur n’épargnait personne, et en fin de journée, les pièces d’armure bouillaient, et leurs samouraï avec. Une odeur particulièrement forte de chevaux et d’hommes en sueur montait de tout le campement, comme une grosse fumée épaisse qui se répandait sur tout le plateau.
On pouvait suivre l’armée du Khan autant à la vue qu’au bruit ou à l’odeur… Et on lavait les chevaux avant de laver les hommes.
Le vent soufflait comme une rumeur lointaine murmurée dans une langue inconnue.
Zenzaûro-san et ses fils passaient au-dessus du feu des brochettes de viande, transportés salées dans les chariots de nourriture. Le jus de la viande crépitait en goûtant sur les cendres, et l’odeur piquante de la chair d’animal ouvrait l’appétit des Licornes. Des serviteurs faisaient cuire le riz dans de grandes jarres en terre cuite, puis passaient auprès des samouraï pour leur servir.
- Père, demanda Kenzan, pourquoi sommes-nous assis à cet endroit, près de la troupe d’intendance, et pas aux côtés du Khan lui-même, ou au moins avec ses hommes ?
- Du calme, mon fils, dit Zenzabûro-san. Je comprends ton étonnement, mais tu dois savoir que dans son armée, c’est le Khan qui est le maître absolu. Ce soir, il nous fait l’honneur de nous accueillir. Mais nous restons auprès des serviteurs. Demain, nous mangerons aux côtés des guerriers. Et la nuit suivante, il nous accueillera auprès de lui et nous considérera comme des frères.
Le daïmyo avala quelques bouchées de riz.
- Ainsi en a décidé Moto Kagataï. Nous devons nous plier à ses coutumes.
- Est-ce vrai qu’il s’est donné le titre de daïmyo des Sables Brûlants ?
- Oui, c’est exact. On ignore si c’est par dérision ou s’il est fier de ce titre. J’imagine que l’un a été vrai après l’autre. Toujours est-il qu’il considère les Sables Brûlants comme son royaume…
- C’est grotesque, dit Iwazuni. Il n’est que le roi d’un amas de pierres et de sables. Qui voudrait d’un pareil endroit pour le gouverner ? Et qui sont ses sujets ? Des barbares sans honneur, sans patrie, sans destin ? La belle affaire… Il n’y a pas d’orgueil à se pavaner dans ce pays hostile et oublié des kami.
- Peut-être, dit Zenzabûro en pointant ses baguettes vers son fils, mais le Khan est notre hôte ce soir. Nous mangeons son riz et sa viande et buvons son eau. Et dans ce pays, la nourriture vaut plus que l’or.
- Je suis tout de même surpris, dit Kenzan, que notre puissant daïmyo, Shinjo Yokatsu, laisse agir le Khan à sa guise.
- Le Khan est un ami de Yokatsu-sama. Déjà enfants, ils étaient amis. Et avant son gempukku, vous savez que notre daïmyo a visité les Sables Brûlants. Je pense qu’il a galopé longuement aux côtés de Kagatai-sama. Et puis qui pourrait reprocher au Khan de vouloir conquérir ces terres, si hostiles qu’elles soient ? Que ce voyage nous apprenne à concevoir les choses différemment de ce que nous pensions.
- Père, dit Kohei, je crois que vous parlez comme Tonbo Toryu, le daïmyo du clan de la Libellule.
- Que dit donc Toryu-sama pour que j’ai l’honneur d’être du même avis que lui ?
- Que toutes choses changent, et qu’il faut sentir le changement de l’intérieur… Ou quelque chose approchant. Ne m’en demandez pas plus, je ne comprends presque rien à toute cette mystique des Dragons.
Les Licornes finirent de manger leur viande grillée.
- Décidément, dit Kenzan, je ne comprendrai jamais comment nos frères des autres clans peuvent refuser la viande rouge. Ils ignorent ce qu’ils manquent !
- Et encore, ils ne connaissent pas la viande à la manière Kagatai, dit Zenzabûro-san en souriant.
- Quelle est cette recette ? demanda Kenzan.
- Parfois, ils mangent leur viande crue. Parfois aussi, ils la font cuire en la plaçant sous leur selle le matin. Ainsi, après une journée de cheval, ils retrouvent bien tannée et cuite à point.
- Par Moto, dit Kohei, tous les samuraï de la Grue vomiraient rien qu’à imaginer cela.
- Parfois, ajouta le père des samouraï, ils mangent leur viande crue en gobant un œuf.
- Un œuf cru ? dit Iwazuni, avec une expression visible de dégoût. C’est répugnant !
- Je trouve aussi, dit Kohei, mais nos frères Rokugani disent la même chose rien qu’en sachant que nous mangeons de la viande cuite.
Iwazuni baîlla longuement et s’étira.
- Par Shinjo, je tombe de sommeil. Je vais m’endormir dans peu de temps.
- Nous avons bien avancé aujourd’hui, jugea Zenzabûro-san. Je ne pensais pas que nous rencontrerions l’armée du Khan. Nous allons pouvoir voyager jusqu’à Medinat Al’Salaam sans craindre d’être attaqués par des indigènes du désert.
Le père traça avec la pointe d’un bâton quelques dessins au sol.
- Voici une carte approximative de la région. D’après ce que j’avais prévu, nous aurions dû dormir près de ce tertre que nous avons croisé à l’heure de Shiba (16-18h). Or, nous sommes maintenant beaucoup plus au sud-ouest. Ici sur ce plateau. Nous avons gagné presque deux heures de voyage. Et je gage que demain nous en gagnerons au moins le double. Nous pouvons espérer avoir gagné plus d’une journée à notre arrivée à la cour du sultan Al-Qasim.
En écoutant parler leur père, les trois fils s’étaient allongés. Leurs paupières se fermaient d’elles-mêmes. Ils retirèrent leurs habits de voyage, s’enroulèrent dans leurs peaux de bête et se souhaitèrent bonne nuit. Des ashigaru veillaient sur tout le campement.
Les quatre Licornes tombèrent dans un sommeil amplement mérité, et aussi bien savouré.
Le lendemain, aux premiers rayons du soleil, tout les lourds ronflements cessèrent presque ensemble, laissant place à l'agitation du matin. Les rudes bushi Moto couraient sur le plateau à la recherche de leurs montures, gueulant et lançant des jurons à faire rougir une bande de Crabes avinés. C'était un spectacle rare de voir les Moto agripper les chevaux avec rudesse, leur donner une tape sur le cuir, grogner après eux, puis grimper sur eux et leur rappeler qui est le maître. Pendant ce temps, les heimin commençaient à plier le camp. Les chariots grinçaient de leurs premiers tours de roue, les tentes disparaissaient sous les bâches, on étouffait les feux de camp, les cavaliers s'alignaient dans un soulèvement de poussière et dans un concert de salutations matinales viriles et franches. Le cliquetis de toutes les armures retentissait, tandis que l'astre doré montait lentement sur son royaume.
Kohei se réveilla le dernier, encore agité par l'excitation de ses rêves. Il avait la bouche pâteuse, des picotements dans les membres et il peinait à ouvrir les yeux.
- Par Shinjo, dirent ses deux frères visiblement amusés, tu as découvert les indigènes du pays, Kohei ?
Le benjamin se frotta le visage.
- Je vous demande pardon ?
Zenzabûro-san tendit à ses fils leurs bols de riz en disant :
- Par Otaku, nous ne pensions pas que ta femme te manquait à ce point ?
Kohei commençait, à son corps défendant, à se souvenir de ce qui s'était passé pendant la nuit. Même son père ne retenait pas un sourire complice avec ses deux autres fils.
- Je me souviens assez mal de cette nuit, balbutia Kohei...
- Allons, allons, dit Kenzan, le nez dans son bol, les Licornes ne sont pas en bois. Et en pays gaijin, on peut se permettre des petits écarts, n'est-ce pas, père ?
- Par Shinjo, sourit Zenzabûro-san, je ne gronderai pas mon fils d'être tiraillé par de vigoureux besoins... Lui seul n'était pas assez fatigué pour remarquer la caravane à l'arrière du convoi... Il faut d'ailleurs croire, Kohei, que la Fortune de la Fécondité a particulièrement voulu te tenir éveillé, car tes frères et moi nous sommes endormis comme des souches.
- Oui, sourit Iwazuni, tu nous surprends... Enfin, je suppose qu'avec une gaijin, cela n'atteint en rien à l'honneur de ta femme, la belle et aimable Shizuka.

Le pauvre Kohei ne savait plus où donner de la tête. L'affolement le gagnait. Il se souvenait brusquement de ses frasques de la nuit. Il n'avait pu trouver le sommeil. Il s'était relevé, avait marché dans le camp, et il avait fini par approcher d'une tente d'où sortait l'odeur délicieuse. A l'intérieur, une belle gaijin et son vieux grand-père buvait un thé aux arômes charmantes. Kohei avait discuté avec eux, il avait bu du thé, puis le grand-père avait laissé les deux jeunes gens seuls.
Kohei secoua la tête. Son sang ne fit qu'un tour. Il retrouvait nettement tout ce qui s'était passé !
Avant peu, la jeune femme se retrouvait nue contre Kohei, et entreprenait de défaire tous les habits du Licorne qui, nigaud au possible, avait fini par se laisser faire... La tente avait menacé de s'écrouler sous leurs assauts vigoureux...
- C'est le thé qu'elle m'a fait boire ! Elle m'a droguée pour profiter de moi !
Et sa famille d'éclater aussitôt de rire.
- Mon pauvre Kohei, dit Kenzan en riant aux éclats, tu devrais voir la tête que tu fais !... Tu t'es laissé séduire comme le premier adolescent venu ! A croire que tu avais brusquement oublié tout ce que tu savais sur les femmes !
- Oui, heureusement que le vieil homme a vite compris de quoi il retournait ! ajouta Iwazuni. Lui ne s'y est pas trompé !
- Quoi ? vous voulez dire que ?
- Allons, Kohei, tu nous as raconté ton aventure avant de t'endormir, rit Kenzan. Nous ne te demanderons pas tous les détails de tes chevauchées nocturnes !
- Par Shinjo, s'exclama Kohei, c'était comme dans un rêve ! Elle m'a dit s'appeler la gazelle du désert, et avoir succombé à un charme puissant qui depuis toujours m'unissait à moi !
- Allons, dit Zenzabûro-san en tapant sur l'épaule de Kohei, je vois qu'elle avait pris soin de préparer un texte... toutes ne le font pas !
Les deux frères éclatèrent de rire, puis se levèrent et commencèrent à enfiler leurs armures.
Moins d'une heure après, alors que l'armée du grand Khan se remettait en route, Kohei-san n'en revenait toujours pas de son aventure nocturne. Il ne parvenait pas à croire que c'était réellement arrivé. Ce genre de souvenir ne prêtait pourtant guère à confusion. Dans les jours qui suivirent, il rechercha cette jeune fille ensorcelante, cette gazelle du soir : inutile de préciser qu'elle avait disparu, comme par enchantement.
A suivre...
Le soir était tombé, et sous la voûte étoilé, la grande armée de Kagataï Khan avait dressé son campement sur un plateau rocheux, dont les herbes sèches frissonnaient sous le vent. Les feux brûlaient entre les tentes et les chariots.
La chevauchée avait été éprouvante : la grosse chaleur n’épargnait personne, et en fin de journée, les pièces d’armure bouillaient, et leurs samouraï avec. Une odeur particulièrement forte de chevaux et d’hommes en sueur montait de tout le campement, comme une grosse fumée épaisse qui se répandait sur tout le plateau.
On pouvait suivre l’armée du Khan autant à la vue qu’au bruit ou à l’odeur… Et on lavait les chevaux avant de laver les hommes.
Le vent soufflait comme une rumeur lointaine murmurée dans une langue inconnue.
Zenzaûro-san et ses fils passaient au-dessus du feu des brochettes de viande, transportés salées dans les chariots de nourriture. Le jus de la viande crépitait en goûtant sur les cendres, et l’odeur piquante de la chair d’animal ouvrait l’appétit des Licornes. Des serviteurs faisaient cuire le riz dans de grandes jarres en terre cuite, puis passaient auprès des samouraï pour leur servir.
- Père, demanda Kenzan, pourquoi sommes-nous assis à cet endroit, près de la troupe d’intendance, et pas aux côtés du Khan lui-même, ou au moins avec ses hommes ?
- Du calme, mon fils, dit Zenzabûro-san. Je comprends ton étonnement, mais tu dois savoir que dans son armée, c’est le Khan qui est le maître absolu. Ce soir, il nous fait l’honneur de nous accueillir. Mais nous restons auprès des serviteurs. Demain, nous mangerons aux côtés des guerriers. Et la nuit suivante, il nous accueillera auprès de lui et nous considérera comme des frères.
Le daïmyo avala quelques bouchées de riz.
- Ainsi en a décidé Moto Kagataï. Nous devons nous plier à ses coutumes.
- Est-ce vrai qu’il s’est donné le titre de daïmyo des Sables Brûlants ?
- Oui, c’est exact. On ignore si c’est par dérision ou s’il est fier de ce titre. J’imagine que l’un a été vrai après l’autre. Toujours est-il qu’il considère les Sables Brûlants comme son royaume…
- C’est grotesque, dit Iwazuni. Il n’est que le roi d’un amas de pierres et de sables. Qui voudrait d’un pareil endroit pour le gouverner ? Et qui sont ses sujets ? Des barbares sans honneur, sans patrie, sans destin ? La belle affaire… Il n’y a pas d’orgueil à se pavaner dans ce pays hostile et oublié des kami.
- Peut-être, dit Zenzabûro en pointant ses baguettes vers son fils, mais le Khan est notre hôte ce soir. Nous mangeons son riz et sa viande et buvons son eau. Et dans ce pays, la nourriture vaut plus que l’or.
- Je suis tout de même surpris, dit Kenzan, que notre puissant daïmyo, Shinjo Yokatsu, laisse agir le Khan à sa guise.
- Le Khan est un ami de Yokatsu-sama. Déjà enfants, ils étaient amis. Et avant son gempukku, vous savez que notre daïmyo a visité les Sables Brûlants. Je pense qu’il a galopé longuement aux côtés de Kagatai-sama. Et puis qui pourrait reprocher au Khan de vouloir conquérir ces terres, si hostiles qu’elles soient ? Que ce voyage nous apprenne à concevoir les choses différemment de ce que nous pensions.
- Père, dit Kohei, je crois que vous parlez comme Tonbo Toryu, le daïmyo du clan de la Libellule.
- Que dit donc Toryu-sama pour que j’ai l’honneur d’être du même avis que lui ?
- Que toutes choses changent, et qu’il faut sentir le changement de l’intérieur… Ou quelque chose approchant. Ne m’en demandez pas plus, je ne comprends presque rien à toute cette mystique des Dragons.
Les Licornes finirent de manger leur viande grillée.
- Décidément, dit Kenzan, je ne comprendrai jamais comment nos frères des autres clans peuvent refuser la viande rouge. Ils ignorent ce qu’ils manquent !
- Et encore, ils ne connaissent pas la viande à la manière Kagatai, dit Zenzabûro-san en souriant.
- Quelle est cette recette ? demanda Kenzan.
- Parfois, ils mangent leur viande crue. Parfois aussi, ils la font cuire en la plaçant sous leur selle le matin. Ainsi, après une journée de cheval, ils retrouvent bien tannée et cuite à point.
- Par Moto, dit Kohei, tous les samuraï de la Grue vomiraient rien qu’à imaginer cela.
- Parfois, ajouta le père des samouraï, ils mangent leur viande crue en gobant un œuf.
- Un œuf cru ? dit Iwazuni, avec une expression visible de dégoût. C’est répugnant !
- Je trouve aussi, dit Kohei, mais nos frères Rokugani disent la même chose rien qu’en sachant que nous mangeons de la viande cuite.
Iwazuni baîlla longuement et s’étira.
- Par Shinjo, je tombe de sommeil. Je vais m’endormir dans peu de temps.
- Nous avons bien avancé aujourd’hui, jugea Zenzabûro-san. Je ne pensais pas que nous rencontrerions l’armée du Khan. Nous allons pouvoir voyager jusqu’à Medinat Al’Salaam sans craindre d’être attaqués par des indigènes du désert.
Le père traça avec la pointe d’un bâton quelques dessins au sol.
- Voici une carte approximative de la région. D’après ce que j’avais prévu, nous aurions dû dormir près de ce tertre que nous avons croisé à l’heure de Shiba (16-18h). Or, nous sommes maintenant beaucoup plus au sud-ouest. Ici sur ce plateau. Nous avons gagné presque deux heures de voyage. Et je gage que demain nous en gagnerons au moins le double. Nous pouvons espérer avoir gagné plus d’une journée à notre arrivée à la cour du sultan Al-Qasim.
En écoutant parler leur père, les trois fils s’étaient allongés. Leurs paupières se fermaient d’elles-mêmes. Ils retirèrent leurs habits de voyage, s’enroulèrent dans leurs peaux de bête et se souhaitèrent bonne nuit. Des ashigaru veillaient sur tout le campement.
Les quatre Licornes tombèrent dans un sommeil amplement mérité, et aussi bien savouré.

Le lendemain, aux premiers rayons du soleil, tout les lourds ronflements cessèrent presque ensemble, laissant place à l'agitation du matin. Les rudes bushi Moto couraient sur le plateau à la recherche de leurs montures, gueulant et lançant des jurons à faire rougir une bande de Crabes avinés. C'était un spectacle rare de voir les Moto agripper les chevaux avec rudesse, leur donner une tape sur le cuir, grogner après eux, puis grimper sur eux et leur rappeler qui est le maître. Pendant ce temps, les heimin commençaient à plier le camp. Les chariots grinçaient de leurs premiers tours de roue, les tentes disparaissaient sous les bâches, on étouffait les feux de camp, les cavaliers s'alignaient dans un soulèvement de poussière et dans un concert de salutations matinales viriles et franches. Le cliquetis de toutes les armures retentissait, tandis que l'astre doré montait lentement sur son royaume.
Kohei se réveilla le dernier, encore agité par l'excitation de ses rêves. Il avait la bouche pâteuse, des picotements dans les membres et il peinait à ouvrir les yeux.
- Par Shinjo, dirent ses deux frères visiblement amusés, tu as découvert les indigènes du pays, Kohei ?
Le benjamin se frotta le visage.
- Je vous demande pardon ?
Zenzabûro-san tendit à ses fils leurs bols de riz en disant :
- Par Otaku, nous ne pensions pas que ta femme te manquait à ce point ?
Kohei commençait, à son corps défendant, à se souvenir de ce qui s'était passé pendant la nuit. Même son père ne retenait pas un sourire complice avec ses deux autres fils.
- Je me souviens assez mal de cette nuit, balbutia Kohei...
- Allons, allons, dit Kenzan, le nez dans son bol, les Licornes ne sont pas en bois. Et en pays gaijin, on peut se permettre des petits écarts, n'est-ce pas, père ?
- Par Shinjo, sourit Zenzabûro-san, je ne gronderai pas mon fils d'être tiraillé par de vigoureux besoins... Lui seul n'était pas assez fatigué pour remarquer la caravane à l'arrière du convoi... Il faut d'ailleurs croire, Kohei, que la Fortune de la Fécondité a particulièrement voulu te tenir éveillé, car tes frères et moi nous sommes endormis comme des souches.
- Oui, sourit Iwazuni, tu nous surprends... Enfin, je suppose qu'avec une gaijin, cela n'atteint en rien à l'honneur de ta femme, la belle et aimable Shizuka.

Le pauvre Kohei ne savait plus où donner de la tête. L'affolement le gagnait. Il se souvenait brusquement de ses frasques de la nuit. Il n'avait pu trouver le sommeil. Il s'était relevé, avait marché dans le camp, et il avait fini par approcher d'une tente d'où sortait l'odeur délicieuse. A l'intérieur, une belle gaijin et son vieux grand-père buvait un thé aux arômes charmantes. Kohei avait discuté avec eux, il avait bu du thé, puis le grand-père avait laissé les deux jeunes gens seuls.
Kohei secoua la tête. Son sang ne fit qu'un tour. Il retrouvait nettement tout ce qui s'était passé !
Avant peu, la jeune femme se retrouvait nue contre Kohei, et entreprenait de défaire tous les habits du Licorne qui, nigaud au possible, avait fini par se laisser faire... La tente avait menacé de s'écrouler sous leurs assauts vigoureux...
- C'est le thé qu'elle m'a fait boire ! Elle m'a droguée pour profiter de moi !
Et sa famille d'éclater aussitôt de rire.
- Mon pauvre Kohei, dit Kenzan en riant aux éclats, tu devrais voir la tête que tu fais !... Tu t'es laissé séduire comme le premier adolescent venu ! A croire que tu avais brusquement oublié tout ce que tu savais sur les femmes !
- Oui, heureusement que le vieil homme a vite compris de quoi il retournait ! ajouta Iwazuni. Lui ne s'y est pas trompé !
- Quoi ? vous voulez dire que ?
- Allons, Kohei, tu nous as raconté ton aventure avant de t'endormir, rit Kenzan. Nous ne te demanderons pas tous les détails de tes chevauchées nocturnes !
- Par Shinjo, s'exclama Kohei, c'était comme dans un rêve ! Elle m'a dit s'appeler la gazelle du désert, et avoir succombé à un charme puissant qui depuis toujours m'unissait à moi !
- Allons, dit Zenzabûro-san en tapant sur l'épaule de Kohei, je vois qu'elle avait pris soin de préparer un texte... toutes ne le font pas !
Les deux frères éclatèrent de rire, puis se levèrent et commencèrent à enfiler leurs armures.
Moins d'une heure après, alors que l'armée du grand Khan se remettait en route, Kohei-san n'en revenait toujours pas de son aventure nocturne. Il ne parvenait pas à croire que c'était réellement arrivé. Ce genre de souvenir ne prêtait pourtant guère à confusion. Dans les jours qui suivirent, il rechercha cette jeune fille ensorcelante, cette gazelle du soir : inutile de préciser qu'elle avait disparu, comme par enchantement.
A suivre...
![[Image: fatale2.gif]](http://membres.lycos.fr/wilhelm2051/Smileys/fatale2.gif)