09-09-2004, 08:43 PM
JOURNAL DE LUCINIUS (suite)
J’ai gardé une cassette que Corso a oublié à Montmartre, la dernière nuit qu’il y a passé avant d’aller retrouver Kruegger. Il l’avait enregistrée avec son dictaphone. Ca devait être ça, les fois où il murmurait dans son coin. Il ne soliloquait pas. Il dictait ses mémoires. Je me souviens qu’il y était occupé dans l’avion qui nous ramenait du Canada.
Je suis sûr qu’il y a d’autres cassettes, mais à l’heure actuelle, j’ignore où elles se trouvent. Son bureau a été soigneusement vidé par les services du Prince. C’est eux qui ont dû les garder. Dommage. J’aurais aimé m’emparer de ce trésor de guerre.
Je ne parviendrai pas à oublier la voix de prédateur aux abois de Corso. Je m’écoute parfois sa cassette, en secret. Je fais des pauses, des rembobinages, et je l’oblige à me raconter une fois de plus notre voyage dans les Carpates et la réception au château de la Loire. J’ai toujours l’épée médiévale, authentique, offerte par mon grand’Sire. Evidemment, pour lui, ce n’était que de la ferraille. Il l’aurait balancée à la poubelle ce sagouin !
C’est ça, mon trésor de guerre. Une épée de décoration, et une cassette du détective privée le plus célèbre parmi le service d’ordre Brujah du Prince.
Pourquoi est-ce que Loren m’en veut quand j’écoute ses conversations privées, chez lui ? Pourquoi est-ce que Loren m’en veut de lui avoir caché que Corso est sans doute encore en vie ? Il est vrai que mentir devant le conseil Primogène réuni dans son entier n’est pas chose facile. J’apprends quand même que monsieur le Ventrue a vampirisé, à l’aide de Dieu sait qui, Léopold Orsini, le grand Sire de Grazielle de Valori. Et Massimo Orsini passe maintenant en procès pour diablerie. Non pas qu’il soit accusé à la place de Loren. Chacun sa diablerie, et les membres du Sabbat seront bien servis.
Mais Loren a des excuses : Ibn-Azul, son Sire, est à Paris. Et il est en ce moment détenu par les magistrats du Prince. Les stries de son aura ne laissent aucun doute : il a commis une diablerie récente sur un membre de la Camarilla. Noble et stoïque, Ibn-Azul refuse de se défendre. Il est prêt à subir son châtiment : la mort par exposition au soleil.
Loren sait qu’Ibn-Azul n’a pas commis cette diablerie sous le coup de la frénésie. Il y a autre chose que son Sire ne veut pas révéler. Par honneur, pour protéger quelqu’un. Sans doute le vrai coupable.
De toute façon, Loren a lui aussi son lot d’ennuis. Sa diablerie sur Léopold Orsini n’est pas passée inaperçue, et il risque le même sort qu’Ibn-Azul.
Après avoir aidé ma sorcière et sorbonnarde bien-aimée, Morgane, à dérober un vieux volume en latin appartenant aux Orsini, je me retrouve à Montparnasse, à la Coupole, aux alentours de trois heures du matin, à discuter avec mademoiselle de Valori.
Je me demande deux choses : qu’aurait-elle pensé de Corso ? pourquoi est-ce que je me sens obligé de faire la comparaison entre les deux ?
Elle a ce style particulier aux gens de race supérieure, plus noble, plus fine, qui, par l’injustice de l’histoire, se trouvent déchus du titre auxquels ils prétendent, aux profits de cousins barbares, abâtardis. Elle dit appartenir aux vrais Lasombra. Pas aux usurpateurs qui ont suivi Gratiano, celui qui a trahi Lasombra.
Je ne peux m’empêcher de lui demander :
- Mademoiselle de Valori, vous me dites que vous n’êtes pas de la même lignée que les Lasombra que nous connaissons. Mais alors, qu’est-ce qui vous distingue d’eux ?
La réponse ne se fait pas attendre. Elle doit le dire à tous ceux qui lui demandent…
- Nous sommes chassés de tous côtés, faits pour endurer plus que n’importe qui d’autre… Mais qu’attendriez-vous d’autre de ceux qui vous sont de loin supérieurs ? Ne vous laissez pas berner par ceux qui se font passer pour nous, car ils ne le sont pas. Si notre essence, à l’intérieur, peut paraître semblable, nous sommes deux choses différentes. Nous sommes meilleurs.
La prochaine fois, je lui ferai dire place des Doges, ou dans les jardins de l’Alcazar de Grenade. Ce sera parfait.
J’ai lu ailleurs que les Lasombra sont ce à quoi tous les autres clans aspirent. Et eux aspirent à la perfection. Ou mieux encore : ils sont nés avec.
Décidément, ils me plaisent de plus en plus.
Mais reprenons : j’ai accepté d’aider Loren et Ibn-Azul, parce que je sais qu’ils n’ont pas diabolisé n’importe qui, pour n’importe quelle raison, parce qu’Ibn-Azul est un grand homme, qui mène une juste lutte contre la Toute-Vie, et qu’il est hors de question de le laisser rôtir au soleil pour quelqu’un d’autre.
Morgane a ses propres services de renseignement. Très efficaces semblent-ils.
Quant à Graziella de Valori, elle est bien décidée à soutenir son Sire, Massimo Orsini, l’infant de Léopold, celui dont tout le sang est passé par l’œsophage de Loren… Elle joue cavalière seule.
Le procès Ibn-Azul va se dérouler à Versailles. Le Sire arabe est détenu dans les mêmes cachots où se trouvait il y a quelques mois encore Kruegger… Alors que Loren, Morgane et moi arrivons au château avec le précieux volume en latin, qui servira de pièce à conviction pour le procès, la lumière s’éteint.
Disons que nous nous retrouvons dans le noir, comme si on avait éteint la lumière dans une pièce sans fenêtre. Sauf que là, nous sommes dehors, sur le parvis du château.
Il fait soudain complètement noir, froid. Tous les bruits sont étouffés, distordus, comme dans un gigantesque et épais nuage de ouate noire. La peur qui nous assaille est semblable à celle que nous, Caïnites, éprouvons face au feu.
Nous nous mettons à courir dans le noir, tandis que ce qui était auparavant ombre se met à vivre spontanément, et prend la forme d’abominables tentacules d’ombres… comme si les abysses avaient des membres et des mains pour nous happer. Elles s’attaquent à moi, ces horreurs, pareilles à des monstres des profondeurs sous-marines d’une planète glaciale.
Nous engageons, la Tremere, le Ventrue et moi, une drôle de course de relais entre morts-vivants, au milieu de la noirceur complète des lieux. Alors que les tentacules m’agrippent, j’envoie le livre à Loren, qui, agrippé à son tour, passe le livre à Morgane, qui le repassera à Loren, avant que nous n’échappions à ces teignes de tentacules qui, c’est le comble, maintenant me filent des gifles comme des mégères mal apprivoisées !
Nous sortons du nuage d’obscurité, retrouvons la clarté de la nuit, et nous terminons notre course, victorieux, au passage de la grande entrée du château de Versailles, illuminé de tous ses feux. On aurait mérité les grandes eaux en notre honneur !
Un des serviteurs d’Ibn-Azul, le Gangrel Olaf, que j’avais croisé lors notre voyage au Moyen-Orient, arrive à Versailles, avec Massimo Orsini sur son épaules. Il a fallu amener le Lasombra de force. J’imagine que la ténébreuse Graziella doit être dans ses petits souliers. Qui d’autre, d’ailleurs, a pu nous plonger dans le noir complet, pour nous arracher le manuscrit latin ?

Nous entrons dans la salle du jugement. Tout le conseil Primogène est là, ainsi que l’accusé, Ibn-Azul. D’abord convoqué comme témoin, François Loren ne tarde pas à retrousser ses manches et à se transformer en avocat de son Sire. A l’issue d’une plaidoirie forte, argumentée, qui ne cède sur rien et maintient les arguments adverses en respect, il parvient à retourner l’avis de plusieurs membres du Primogène, dont la représentante du clan Nosfératu. Chamboulés, les vieux croûtons !
Je ne lui connaissais pas cette carrure d’orateur, à notre Ventrue. Ibn-Azul est acquitté. Massimo Orsini est placé en rééducation au sein de la Fondation Tremere. Pauvre Sire. Personne ne voudrait tomber entre les mains de ces teignes de Tremere, surtout pas sur ordre du Prince de Paris… Quant à son infant, Graziella de Valori, son sort n’est pas plus enviable : elle est placée sous la tutelle morale de François Loren.
Pauvres Lasombra. Si le Prince avait un peu de cœur, il adoucirait leur peine. Par exemple, en exécution capitale.
Nous sommes reçus par le Prince, qui note qu’une fois de plus, que je suis mêlé à cette affaire… Et il fait semblant de s’en étonner... Je cherchais juste à donner un coup de main, rien de plus... Soyez bons avec vos compatriotes mort-vivants...
Coolio Wrote:« As I walk to the valley of the shadow of death, I take a look at my life… »
J’ai gardé une cassette que Corso a oublié à Montmartre, la dernière nuit qu’il y a passé avant d’aller retrouver Kruegger. Il l’avait enregistrée avec son dictaphone. Ca devait être ça, les fois où il murmurait dans son coin. Il ne soliloquait pas. Il dictait ses mémoires. Je me souviens qu’il y était occupé dans l’avion qui nous ramenait du Canada.
Je suis sûr qu’il y a d’autres cassettes, mais à l’heure actuelle, j’ignore où elles se trouvent. Son bureau a été soigneusement vidé par les services du Prince. C’est eux qui ont dû les garder. Dommage. J’aurais aimé m’emparer de ce trésor de guerre.
Je ne parviendrai pas à oublier la voix de prédateur aux abois de Corso. Je m’écoute parfois sa cassette, en secret. Je fais des pauses, des rembobinages, et je l’oblige à me raconter une fois de plus notre voyage dans les Carpates et la réception au château de la Loire. J’ai toujours l’épée médiévale, authentique, offerte par mon grand’Sire. Evidemment, pour lui, ce n’était que de la ferraille. Il l’aurait balancée à la poubelle ce sagouin !
C’est ça, mon trésor de guerre. Une épée de décoration, et une cassette du détective privée le plus célèbre parmi le service d’ordre Brujah du Prince.
Pourquoi est-ce que Loren m’en veut quand j’écoute ses conversations privées, chez lui ? Pourquoi est-ce que Loren m’en veut de lui avoir caché que Corso est sans doute encore en vie ? Il est vrai que mentir devant le conseil Primogène réuni dans son entier n’est pas chose facile. J’apprends quand même que monsieur le Ventrue a vampirisé, à l’aide de Dieu sait qui, Léopold Orsini, le grand Sire de Grazielle de Valori. Et Massimo Orsini passe maintenant en procès pour diablerie. Non pas qu’il soit accusé à la place de Loren. Chacun sa diablerie, et les membres du Sabbat seront bien servis.
Mais Loren a des excuses : Ibn-Azul, son Sire, est à Paris. Et il est en ce moment détenu par les magistrats du Prince. Les stries de son aura ne laissent aucun doute : il a commis une diablerie récente sur un membre de la Camarilla. Noble et stoïque, Ibn-Azul refuse de se défendre. Il est prêt à subir son châtiment : la mort par exposition au soleil.
Loren sait qu’Ibn-Azul n’a pas commis cette diablerie sous le coup de la frénésie. Il y a autre chose que son Sire ne veut pas révéler. Par honneur, pour protéger quelqu’un. Sans doute le vrai coupable.
De toute façon, Loren a lui aussi son lot d’ennuis. Sa diablerie sur Léopold Orsini n’est pas passée inaperçue, et il risque le même sort qu’Ibn-Azul.
Après avoir aidé ma sorcière et sorbonnarde bien-aimée, Morgane, à dérober un vieux volume en latin appartenant aux Orsini, je me retrouve à Montparnasse, à la Coupole, aux alentours de trois heures du matin, à discuter avec mademoiselle de Valori.
Je me demande deux choses : qu’aurait-elle pensé de Corso ? pourquoi est-ce que je me sens obligé de faire la comparaison entre les deux ?
Elle a ce style particulier aux gens de race supérieure, plus noble, plus fine, qui, par l’injustice de l’histoire, se trouvent déchus du titre auxquels ils prétendent, aux profits de cousins barbares, abâtardis. Elle dit appartenir aux vrais Lasombra. Pas aux usurpateurs qui ont suivi Gratiano, celui qui a trahi Lasombra.
Je ne peux m’empêcher de lui demander :
- Mademoiselle de Valori, vous me dites que vous n’êtes pas de la même lignée que les Lasombra que nous connaissons. Mais alors, qu’est-ce qui vous distingue d’eux ?
La réponse ne se fait pas attendre. Elle doit le dire à tous ceux qui lui demandent…
- Nous sommes chassés de tous côtés, faits pour endurer plus que n’importe qui d’autre… Mais qu’attendriez-vous d’autre de ceux qui vous sont de loin supérieurs ? Ne vous laissez pas berner par ceux qui se font passer pour nous, car ils ne le sont pas. Si notre essence, à l’intérieur, peut paraître semblable, nous sommes deux choses différentes. Nous sommes meilleurs.
La prochaine fois, je lui ferai dire place des Doges, ou dans les jardins de l’Alcazar de Grenade. Ce sera parfait.
J’ai lu ailleurs que les Lasombra sont ce à quoi tous les autres clans aspirent. Et eux aspirent à la perfection. Ou mieux encore : ils sont nés avec.
Décidément, ils me plaisent de plus en plus.
Mais reprenons : j’ai accepté d’aider Loren et Ibn-Azul, parce que je sais qu’ils n’ont pas diabolisé n’importe qui, pour n’importe quelle raison, parce qu’Ibn-Azul est un grand homme, qui mène une juste lutte contre la Toute-Vie, et qu’il est hors de question de le laisser rôtir au soleil pour quelqu’un d’autre.
Morgane a ses propres services de renseignement. Très efficaces semblent-ils.
Quant à Graziella de Valori, elle est bien décidée à soutenir son Sire, Massimo Orsini, l’infant de Léopold, celui dont tout le sang est passé par l’œsophage de Loren… Elle joue cavalière seule.
Le procès Ibn-Azul va se dérouler à Versailles. Le Sire arabe est détenu dans les mêmes cachots où se trouvait il y a quelques mois encore Kruegger… Alors que Loren, Morgane et moi arrivons au château avec le précieux volume en latin, qui servira de pièce à conviction pour le procès, la lumière s’éteint.
Disons que nous nous retrouvons dans le noir, comme si on avait éteint la lumière dans une pièce sans fenêtre. Sauf que là, nous sommes dehors, sur le parvis du château.
Il fait soudain complètement noir, froid. Tous les bruits sont étouffés, distordus, comme dans un gigantesque et épais nuage de ouate noire. La peur qui nous assaille est semblable à celle que nous, Caïnites, éprouvons face au feu.
Nous nous mettons à courir dans le noir, tandis que ce qui était auparavant ombre se met à vivre spontanément, et prend la forme d’abominables tentacules d’ombres… comme si les abysses avaient des membres et des mains pour nous happer. Elles s’attaquent à moi, ces horreurs, pareilles à des monstres des profondeurs sous-marines d’une planète glaciale.
Nous engageons, la Tremere, le Ventrue et moi, une drôle de course de relais entre morts-vivants, au milieu de la noirceur complète des lieux. Alors que les tentacules m’agrippent, j’envoie le livre à Loren, qui, agrippé à son tour, passe le livre à Morgane, qui le repassera à Loren, avant que nous n’échappions à ces teignes de tentacules qui, c’est le comble, maintenant me filent des gifles comme des mégères mal apprivoisées !
Nous sortons du nuage d’obscurité, retrouvons la clarté de la nuit, et nous terminons notre course, victorieux, au passage de la grande entrée du château de Versailles, illuminé de tous ses feux. On aurait mérité les grandes eaux en notre honneur !
Un des serviteurs d’Ibn-Azul, le Gangrel Olaf, que j’avais croisé lors notre voyage au Moyen-Orient, arrive à Versailles, avec Massimo Orsini sur son épaules. Il a fallu amener le Lasombra de force. J’imagine que la ténébreuse Graziella doit être dans ses petits souliers. Qui d’autre, d’ailleurs, a pu nous plonger dans le noir complet, pour nous arracher le manuscrit latin ?

Nous entrons dans la salle du jugement. Tout le conseil Primogène est là, ainsi que l’accusé, Ibn-Azul. D’abord convoqué comme témoin, François Loren ne tarde pas à retrousser ses manches et à se transformer en avocat de son Sire. A l’issue d’une plaidoirie forte, argumentée, qui ne cède sur rien et maintient les arguments adverses en respect, il parvient à retourner l’avis de plusieurs membres du Primogène, dont la représentante du clan Nosfératu. Chamboulés, les vieux croûtons !
Je ne lui connaissais pas cette carrure d’orateur, à notre Ventrue. Ibn-Azul est acquitté. Massimo Orsini est placé en rééducation au sein de la Fondation Tremere. Pauvre Sire. Personne ne voudrait tomber entre les mains de ces teignes de Tremere, surtout pas sur ordre du Prince de Paris… Quant à son infant, Graziella de Valori, son sort n’est pas plus enviable : elle est placée sous la tutelle morale de François Loren.
Pauvres Lasombra. Si le Prince avait un peu de cœur, il adoucirait leur peine. Par exemple, en exécution capitale.
Nous sommes reçus par le Prince, qui note qu’une fois de plus, que je suis mêlé à cette affaire… Et il fait semblant de s’en étonner... Je cherchais juste à donner un coup de main, rien de plus... Soyez bons avec vos compatriotes mort-vivants...
