11-09-2004, 11:56 AM
JOURNAL DE LUCINIUS (suite)
La situation est pour le moment la suivante. La comtesse de Bathory et sa clique veulent mettre à exécution leur projet de réunir des vierges des différentes lignées Caïnites, afin d’obtenir, par fusion de leur sang, je ne sais trop quel artefact bien… sanguinolent. Loren a dégotté un agent double parmi les membres de la secte. Un Sang-Clair, un 14e génération, qui ne comprend pas grand-chose au monde des vampires, mais que le Ventrue a entièrement pris sous son influence.
Grâce à des Nosfératus, Loren a pu pirater le système de vidéosurveillance des sous-sols de la BNF. Je consulte la liste des membres de la société de Léonard qui se terrent pour le moment sous la bibliothèque : il y a du beau monde là-dessous. Lisbeth est bien sûr entre les mains de sa Dame.
Puis viennent les noms des collaborateurs eux-mêmes. A commencer par Benedict le Brujah.
Quand il nous a quittés, au Canada, nous savions, Loren, Corso et moi, qu’il était déjà sensible aux idéaux de la Toute-Vie. Il a basculé complètement.
Autre nom, que Loren à cacher à la principale intéressée : Massimo Orsini soi-même. Le Sire Lasombra avait été confié aux bons soins des Tremere, qui devaient le transférer à leur fondation de Vienne. Or, en arrivant sous la bibliothèque nationale, la Comtesse et ses acolytes ont proprement viré tous les Tremere qui y créchaient. Quatre morts au moins à compter chez les sorciers… Non pas que ça nous émeuve, mais ça en dit long sur la force de frappe de la secte. Bref, Massimo Orsini est une fois de plus soumis à une influence malsaine. Et cette fois, je me demande ce qui lui arrivera si on le sort non-vivant de là-dessous.
Le jour ne va pas tarder à se lever. Je vais aller me trouver une planque pour jusqu’à demain soir. Nous nous retrouverons au même endroit. D’ici là, j’éteins mon portable, que personne ne vienne me déranger ou m’annoncer une nouvelle catastrophe. Il sera bien assez tôt demain pour l’apprendre.
Je connais un coin bien, à Saint-Mandé, un hôtel de charme, dans la cave duquel squattent de jeunes Toréadors qui pervertissent la jeunesse doré de ce petit village propre sur lui.
Et ils me reconnaissent d’entrée de jeu, les jeunes Camaristes, quand je pose ma valise dans leur repaire. Il faut dire qu’ils m’admirent, qu’ils connaissent quelques-uns de mes exploits. Ah mais c’est que je suis tout de même le premier parmi les Toréadors de 13e génération !
Par malheur pour eux, je ne suis pas d’humeur à parler. Je vais vite aller dormir. Pas pour me reposer, nous n’en avons pas besoin. Non, juste pour oublier mes ennuis quelques heures. J’ordonne à mon fan-club de surveiller le repaire.

Le lendemain, je me réveille vers 21h. Premier réflexe (conditionné ?) : je consulte mes messages sur le portable. Graziella de Valori m’a appelé hier soir pour savoir si je pouvais lui procurer un repaire pour la nuit. Je me mors les doigts d’avoir été aux abonnés absents, d’autant plus qu’elle est allé demander ensuite à Loren. Mon orgueil de mâle en prend un coup.
Heureusement, pas d’autre mauvaise nouvelle.
J’ai à peine le temps de m’abreuver pour la journée que les jeunots m’annoncent qu’un visiteur veut me voir.
Désormais, et à compter de ce soir, je me sens prêt à suivre la doctrine du Juste Milieu de Bouddha : ne pas s’attacher au monde, ne pas nous laisser posséder par les objets extérieurs dont la possession est éphémère, ne pas se rendre malheureux en voulant pour l’éternité ce qui ne nous échoit que pour que de brefs moments. Vivre dans le monde, mais ne pas avoir besoin de lui.
Les shakras tous ouverts, un grand flux d’ondes positives et géodésiques traversant les nœuds énergétiques de mon corps.
Un vrai petit saint, quoi.
Donc je demande que ce visiteur entre.
C’est Benedict.
J’ai dit que j’étais prêt à tout, je tiens parole.
Je suis juste surpris qu’il se jette à genoux devant moi. Ca m’agace. Si ça continue, je vais monter ma propre secte.
- Lucinius, je te le demande à genoux. Je t’en supplie. Je sais que tu n’es pas comme les autres. Toi aussi tu es capable de comprendre nos idéaux. Rejoins-nous.
Allons bon, on veut débaucher la concurrence…
- Rejoins-nous, ou je serai obligé de me battre avec toi.
Hum, concurrence déloyale.
D’une part, je n’ai aucune envie de rejoindre leur groupe de tarés suicidaires ; d’autre part, Benedict est fort comme un buffle en charge. Une tonne de poussée dans chaque poing, les soirs où il n’a bu que du sang de végétarien…
Donc l’alternative est simple. Ou je me rends à eux, où je me fais démonter la tête à coups de poings par le Brujah.
Je croise les bras, je regarde Benedict et je lui dis calmement :
- Je crois plutôt que tu vas t’asseoir gentiment, me parler, et venir avec moi quand je te le dirai.
- Très bien, Lucinius. Comme tu voudras.
Pourquoi se compliquer la vie ?
J’appelle aussitôt Loren.
- Allô, François ? Figurez-vous que j’ai une bonne nouvelle. Extraordinaire, non ?
- Effectivement. Vous permettez que je vous rappelle ? Je vais passer sur une ligne sécurisée.
Pourquoi ? Il n’a pas envie de passer en direct sur toutes les radio Nosfératu de France et de Navarre ?
Loren rappelle, et entends ceci au bout du fil :
- Allô, François Loren. C’est Benedict. Je suis agenouillé face à Lucinius, car il est mon maître et j’obéis à tous ses ordres.
Un vrai gourou que je suis, je vous dis !
Mais alors même que je voudrais rire, je sens également combien il est sombre, froid, mortifère, de soumettre ainsi un être, d’en faire un sujet obéissant, docile. Scrupule moral qui n’effleurerait pas un Ventrue, certes.
- Merveilleux, Lucinius, me dit Loren. Rejoignez-moi vite au Louvre, nous avons à parler. Moi j’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer.
- Quoi donc ?
- Votre relation au Louvre, Pietro, le mousquetaire. Il s’est précipité hier soir chez Graziella de Valori, avec des intentions de meurtre selon sa servante. Elle a réussi à lui balancer une lampe à huile dessus, et à y mettre le feu. Il n’en reste plus que des cendres…
Je raccroche, assommé par cette révélation. J’ai peine à croire ça. Pietro, membre de la Société de Léonard ? Ca ne tient pas debout. Ou alors quelqu’un a pris possession de son esprit. Mais Pietro n’est pas tombé de la dernière pluie. On a pas pu l’utiliser comme une marionnette, comme moi avec Benedict…
J’essaye de récupérer tous mes morceaux et j’intime à Benedict l’ordre de me suivre. Nous allons prendre une voiture, il va nous conduire prudemment là où je lui dirai.

Le trajet se passe bien (pas de bombe au phosphore ni de Kuei-Jin sur la route), nous arrivons au Louvre en une demi-heure.
Un PC de crise est réuni dans un petit bâtiment souterrain. Loren est là, avec des boss du service d’ordre du Prince. Un Ventrue, Sergio, et plusieurs Brujah. J’ai déjà croisé rapidement ces loustics en Turquie, me semble t-il. Taillés comme des malabars américains, costumes époque Prohibition. Il y a également Olaf, le Gangrel d’Ibn-Azul, collaborateur de Loren.
Tout ce beau monde est décidé à prendre d’assaut le repaire de la comtesse. Le Sang-Clair a apporté de nouvelles informations.
Je mène l’interrogatoire de Benedict. Rien à voir avec l’interrogatoire de Felias… Le Brujah étant soumis à ma volonté, il répond à tout ce que je lui demande. Pas besoin donc de retomber dans les méthodes moyenâgeuses…
Il en ressort que la comtesse a détruit les anciens dirigeants de la Toute-Vie, pour s’attribuer le poste suprême. Elle a pris sous son commandement Benedict, qui dirigeait tout le réseau en France. D’autres agents du même grade que Benedict coordonnait les opérations ailleurs dans le monde.
J’ai donc ferré le gros poisson en soumettant Benedict. Il ne s’attendait certainement pas à tomber sous ma domination.
L’idéologie de la Toute-Vie repose sur la lutte contre la Bête. Selon eux, en provoquant cette apocalypse de sang, ils détruiraient les Caïnites les plus dangereux, et réduiraient drastiquement le besoin de sang des non-vivants. Ce qui permettrait de vivre en bonne communauté avec les humains.
Le sang des jeunes vierges, une fois fusionné, doit aider à activer une amulette puissante, qui conférera à la Comtesse un sang d’une pureté presque parfaite. Elle a mis l’amulette en sécurité dans son estomac. Mais les Brujah n’ont pas prévu d’emmener d’anesthésiant pour l’extraction…
Parmi eux, nous retrouvons Menace, le gars du parc de Thoiry, qui avait planqué Kruegger avant son départ pour l’Australie avec Lisbeth…
J’ai écoute l’exposé de Benedict sans trop le contredire. Du reste, je n’ai pas envie de me lancer dans des arguties dialectiques stériles. Loren essaye bien de montrer à Benedict que ses idées sont irréalistes, irréalisables. Rien n’y fait.
Peu importe maintenant. Le Prince a ordonné l’ouverture d’une Chasse au Sang contre les membres de la société de Léonard. Les dés en sont jetés : aucun d’entre eux ne ressortira vivant des souterrains de la bibliothèque nationale.
Je me trouve embarqué dans leur galère, bien conscient que nous allons naviguer de Charybde en Scylla d’ici peu. Et nous n’avons aucune nouvelle de Graziella. Sait-elle déjà que son Sire est avec la comtesse ?...
Quelques heures après, nous arrivons près de la bibliothèque. Le « 14e » de Loren nous ouvre la porte, et nous pénétrons dans le repaire, Loren, Benedict, moi, deux Gangrel et une dizaine de Brujah. Or selon Benedict, il y a une cinquantaine de Caïnites là-dedans. Ca promet de faire un beau raffut d’ici peu. Le Ventrue et moi soumettons à notre pouvoir mental plusieurs humains, puis quelques Caïnites, que nous envoyons surveiller une porte sans importance. Guidé à l’oreillette par ses Nosfé, Loren nous mène directement vers une cellule où est détenue Graziella. La secte appelle ça une « chambre de réflexion ». Orsini, soumis à la comtesse, a expédié son infant dans ce cachot.
La Lasombra nous remercie de l’avoir délivré. Elle a eu la visite de Lisbeth, qui n’est pas décidé à se soumettre à la comtesse. Elles ont du caractère ces deux-là.
Dans les minutes qui suivent, la situation s’accélère plus vite que le rythme cardiaque d’un épileptique.
Des Caïnites ennemis passent à l’attaque : les Gangrel et la plupart des Brujah engagent le combat, pendant que nous décrochons vers un autre couloir.
Nous ne tardons pas à trouver la chambre de sacrifice des vierges. Elles sont toutes attachées, prêtes à subir une transfusion sanguine. Ne manquerait qu’un Alexandre Corso pour planter les aiguilles…
En pénétrant dans cette vaste pièce, une idée me traverse l’esprit : on a vraiment fait une connerie en emmenant Benedict avec nous. Mon verrou mental ne tiendra jamais face aux pouvoirs de la comtesse.
Mon intuition se confirme bientôt. La comtesse est assise sur son trône. Massimo Orsini à sa droite, Lisbeth à sa gauche.
S’ensuit une pagaille indescriptible. Graziella entre dans l’arène, et nous plonge dans le noir complet, abyssal, comme elle avait fait à l’entrée du château de Versailles. Son Sire doit en faire autant, et les deux commencent à s’affronter à coups de tentacules. Pendant ce temps, la comtesse ordonne à Benedict de me tuer. Le Brujah me saute dessus, et je me retrouve comme écrasé par un bloc de ciment. Mais c’est à ce moment-là que le noir se fait. Je sors du coltard, je me remets sur pied. Benedict s’est précipité sur Lisbeth, et commence à la boxer. Je cours vers lui, fou de rage.
Le noir se fait à nouveau, puis encore la lumière. Loren ouvre le feu avec son pistolet automatique sur la comtesse. J’en fais autant, et deux rafales viennent lui transpercer la tête. Elle s’écroule au moment où je m’apprêtais à lui en mettre en rab.
Je serre Lisbeth dans mes bras, pendant que les combats se poursuivent furieusement. Mais en quelques minutes, la secte est détruite par les Gangrel enragés.

Je partirai bien à la renverse dans les pommes, s’il n’y avait soudain une puissante odeur de sang qui se répandait dans les lieux. Je ne parle pas du sang des divers sous-fifres humains ou non.
Non, il s’agit du sang de la comtesse elle-même. Vieux comme un bon vin millésimé, rouge vif, alléchant, désirable comme milles femmes lascives… C’est une vraie torture de ne pas se jeter sur lui, et de le laper entièrement.
Lisbeth et Loren me regardent. C’est moi qui ai le sang le plus faible, et ils ont l’air prêt à me laisser ma chance. Une affreuse et délicieuse envie de plonger mes canines dans le corps et la chair gouleyante de la comtesse me remplit peu à peu. Si je la dévore, je deviendrai d’un coup beaucoup plus puissant. Mon sang acquerra une pureté nouvelle, et j’en imposerai à tout mon entourage, une fois le sang de la comtesse entièrement passé dans mon sang.
Cette flaque rouge, légèrement visqueuse, dont les formes semblent dessiner des danses de séduction, respire un fumet si appétissant… Un mortel affamé face à un festin ne serait pas autrement tenté que moi.
Loren et Lisbeth me regardent toujours, prêts à bondir.
- Ca suffit, Lisbeth, allons-nous en. J’en ai assez vu ici.
Je la prends fermement par la main. Nous tournons le dos à cette pièce, et à tous ces morts. Les vierges ont été délivrées. Graziella a planté un magnifique katana dans la poitrine de son Sire. Elle ressort en le portant sur son épaule. J’aurais dû me douter qu’elle ne maniait pas que des armes d’escrime française… Quelle race tout de même !
Sur le parvis de la bibliothèque, à la sortie du repaire souterrain maintenant dératisé, les Brujah du Prince s’agitent, alignant les cadavres, pendant que la police boucle le secteur, et que commence la ronde de la Mascarade, qui maquillera cette tuerie brève et impitoyable en accident d’une canalisation de gaz.

Alignés comme des automates qu’on repose après la représentation, les cadavres des séides de la comtesse sont encore gorgés de sang. Désirables comme des outres pour un bédouin. Je serre très fort la main de Lisbeth.
- Allez, Lucinius, mordez dedans. Ne vous dégonflez pas.
C’est Benedict. Il s’est sorti de cet enfer, lui…
- Montrez-moi donc que vous êtes un vrai vampire. Vous avez gagné. Alors ne faites pas la lopette, et videz-moi un de ces gars-là…
Il commence à sérieusement m’énerver. C’est moi en début de nuit, au Louvre, qui lui ai fait la morale : que ses principes stupides d’humanité le mettent à côté de la plaque, que ses idéaux de bien et d’harmonie dans le monde conduisent à des massacres et des cruautés sans nom, qu’il se prétend indépendant d’esprit et qu’il léchait les bottes de la Comtesse à la demande…
J’en ai assez d’être un tocard, d’être entouré d’emmerdeurs, et de me retrouver chahuté à hue et à dia, au gré des caprices des autres.
- Allez, mordez dedans…
Il m’énerve, il m’énerve…
J’en attrape un, un Toréador, qui a l’air encore frais, comme on choisit un beau fruit au marché, et je te me le vide d’un trait, et je le repose, sec comme un chardon.
Je hoquette, je m’essuie la bouche et le col, et je regarde Benedict.
- C’est bien, vous m’avez prouvé que vous n’êtes pas un dégonflé… Peut-être qu’on se reverra un jour.
- Ce n’était pas désagréable de vous avoir sous mon commandement, à mes ordres. Un moment jouissif comme j’en ai rarement !
Il me salue, et se grouille de disparaître.
Lisbeth, Graziella, François et moi sommes convoqués au Louvre. J’apprends en chemin que le repère de Morgane, sous la Sorbonne, a aussi été attaqué. J’espère qu’elle sen est bien tirée.
Loren n’est plus tout à fait le même homme. Il faut dire qu’en quelques jours, il a avalé coup sur coup Léopold Orsini, puis Constance de Bathory ! Ca doit drôlement lui chahuter les intérieurs !
Le Prince est content de nous voir. Il constate que nous nous sommes bien tirés de cette périlleuse épreuve. Il nous félicite avec une sincérité inhabituelle de notre exploit. Il constate que je me m’améliore. Après divers péripéties de « loseur », c’est lui qui emploie le mot !, je sers beaucoup mieux la Mascarade.
Du coup, distribution générale de récompenses ! Lisbeth se voit octroyé un domaine à choisir parmi le parc immobilier des fondations Toréadors –autant dire qu’elle va devenir châtelaine ma Ventrue !
Graziella est délivrée de la tutelle de Loren. Ce derner maintenant la charge de son Sang-Clair, et il se voit autorisé à créer un Infant. De même pour moi. Ce qui monte à deux mes infants potentiels. Lisbeth m’a avoué qu’elle m’avait joué la comédie pendant des mois : elle simulait l’apathie pour déjouer des espions de la comtesse. Finie la culture de racines et d’orties ! Je retrouve ma vraie Ventrue.
J'imagine déjà Corso, s'il était là, qui ricanerait de me voir dans ma belle propriété, avec mes infants qui gambadent dans le parc : une vraie petite famille modèle !
La situation est pour le moment la suivante. La comtesse de Bathory et sa clique veulent mettre à exécution leur projet de réunir des vierges des différentes lignées Caïnites, afin d’obtenir, par fusion de leur sang, je ne sais trop quel artefact bien… sanguinolent. Loren a dégotté un agent double parmi les membres de la secte. Un Sang-Clair, un 14e génération, qui ne comprend pas grand-chose au monde des vampires, mais que le Ventrue a entièrement pris sous son influence.
Grâce à des Nosfératus, Loren a pu pirater le système de vidéosurveillance des sous-sols de la BNF. Je consulte la liste des membres de la société de Léonard qui se terrent pour le moment sous la bibliothèque : il y a du beau monde là-dessous. Lisbeth est bien sûr entre les mains de sa Dame.
Puis viennent les noms des collaborateurs eux-mêmes. A commencer par Benedict le Brujah.
Quand il nous a quittés, au Canada, nous savions, Loren, Corso et moi, qu’il était déjà sensible aux idéaux de la Toute-Vie. Il a basculé complètement.
Autre nom, que Loren à cacher à la principale intéressée : Massimo Orsini soi-même. Le Sire Lasombra avait été confié aux bons soins des Tremere, qui devaient le transférer à leur fondation de Vienne. Or, en arrivant sous la bibliothèque nationale, la Comtesse et ses acolytes ont proprement viré tous les Tremere qui y créchaient. Quatre morts au moins à compter chez les sorciers… Non pas que ça nous émeuve, mais ça en dit long sur la force de frappe de la secte. Bref, Massimo Orsini est une fois de plus soumis à une influence malsaine. Et cette fois, je me demande ce qui lui arrivera si on le sort non-vivant de là-dessous.
Le jour ne va pas tarder à se lever. Je vais aller me trouver une planque pour jusqu’à demain soir. Nous nous retrouverons au même endroit. D’ici là, j’éteins mon portable, que personne ne vienne me déranger ou m’annoncer une nouvelle catastrophe. Il sera bien assez tôt demain pour l’apprendre.
Je connais un coin bien, à Saint-Mandé, un hôtel de charme, dans la cave duquel squattent de jeunes Toréadors qui pervertissent la jeunesse doré de ce petit village propre sur lui.
Et ils me reconnaissent d’entrée de jeu, les jeunes Camaristes, quand je pose ma valise dans leur repaire. Il faut dire qu’ils m’admirent, qu’ils connaissent quelques-uns de mes exploits. Ah mais c’est que je suis tout de même le premier parmi les Toréadors de 13e génération !
Par malheur pour eux, je ne suis pas d’humeur à parler. Je vais vite aller dormir. Pas pour me reposer, nous n’en avons pas besoin. Non, juste pour oublier mes ennuis quelques heures. J’ordonne à mon fan-club de surveiller le repaire.

Le lendemain, je me réveille vers 21h. Premier réflexe (conditionné ?) : je consulte mes messages sur le portable. Graziella de Valori m’a appelé hier soir pour savoir si je pouvais lui procurer un repaire pour la nuit. Je me mors les doigts d’avoir été aux abonnés absents, d’autant plus qu’elle est allé demander ensuite à Loren. Mon orgueil de mâle en prend un coup.
Heureusement, pas d’autre mauvaise nouvelle.
J’ai à peine le temps de m’abreuver pour la journée que les jeunots m’annoncent qu’un visiteur veut me voir.
Désormais, et à compter de ce soir, je me sens prêt à suivre la doctrine du Juste Milieu de Bouddha : ne pas s’attacher au monde, ne pas nous laisser posséder par les objets extérieurs dont la possession est éphémère, ne pas se rendre malheureux en voulant pour l’éternité ce qui ne nous échoit que pour que de brefs moments. Vivre dans le monde, mais ne pas avoir besoin de lui.
Les shakras tous ouverts, un grand flux d’ondes positives et géodésiques traversant les nœuds énergétiques de mon corps.
Un vrai petit saint, quoi.
Donc je demande que ce visiteur entre.
C’est Benedict.
J’ai dit que j’étais prêt à tout, je tiens parole.
Je suis juste surpris qu’il se jette à genoux devant moi. Ca m’agace. Si ça continue, je vais monter ma propre secte.
- Lucinius, je te le demande à genoux. Je t’en supplie. Je sais que tu n’es pas comme les autres. Toi aussi tu es capable de comprendre nos idéaux. Rejoins-nous.
Allons bon, on veut débaucher la concurrence…
- Rejoins-nous, ou je serai obligé de me battre avec toi.
Hum, concurrence déloyale.
D’une part, je n’ai aucune envie de rejoindre leur groupe de tarés suicidaires ; d’autre part, Benedict est fort comme un buffle en charge. Une tonne de poussée dans chaque poing, les soirs où il n’a bu que du sang de végétarien…
Donc l’alternative est simple. Ou je me rends à eux, où je me fais démonter la tête à coups de poings par le Brujah.
Je croise les bras, je regarde Benedict et je lui dis calmement :
- Je crois plutôt que tu vas t’asseoir gentiment, me parler, et venir avec moi quand je te le dirai.
- Très bien, Lucinius. Comme tu voudras.
Pourquoi se compliquer la vie ?
J’appelle aussitôt Loren.
- Allô, François ? Figurez-vous que j’ai une bonne nouvelle. Extraordinaire, non ?
- Effectivement. Vous permettez que je vous rappelle ? Je vais passer sur une ligne sécurisée.
Pourquoi ? Il n’a pas envie de passer en direct sur toutes les radio Nosfératu de France et de Navarre ?
Loren rappelle, et entends ceci au bout du fil :
- Allô, François Loren. C’est Benedict. Je suis agenouillé face à Lucinius, car il est mon maître et j’obéis à tous ses ordres.
Un vrai gourou que je suis, je vous dis !
Mais alors même que je voudrais rire, je sens également combien il est sombre, froid, mortifère, de soumettre ainsi un être, d’en faire un sujet obéissant, docile. Scrupule moral qui n’effleurerait pas un Ventrue, certes.
- Merveilleux, Lucinius, me dit Loren. Rejoignez-moi vite au Louvre, nous avons à parler. Moi j’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer.
- Quoi donc ?
- Votre relation au Louvre, Pietro, le mousquetaire. Il s’est précipité hier soir chez Graziella de Valori, avec des intentions de meurtre selon sa servante. Elle a réussi à lui balancer une lampe à huile dessus, et à y mettre le feu. Il n’en reste plus que des cendres…
Je raccroche, assommé par cette révélation. J’ai peine à croire ça. Pietro, membre de la Société de Léonard ? Ca ne tient pas debout. Ou alors quelqu’un a pris possession de son esprit. Mais Pietro n’est pas tombé de la dernière pluie. On a pas pu l’utiliser comme une marionnette, comme moi avec Benedict…
J’essaye de récupérer tous mes morceaux et j’intime à Benedict l’ordre de me suivre. Nous allons prendre une voiture, il va nous conduire prudemment là où je lui dirai.

Le trajet se passe bien (pas de bombe au phosphore ni de Kuei-Jin sur la route), nous arrivons au Louvre en une demi-heure.
Un PC de crise est réuni dans un petit bâtiment souterrain. Loren est là, avec des boss du service d’ordre du Prince. Un Ventrue, Sergio, et plusieurs Brujah. J’ai déjà croisé rapidement ces loustics en Turquie, me semble t-il. Taillés comme des malabars américains, costumes époque Prohibition. Il y a également Olaf, le Gangrel d’Ibn-Azul, collaborateur de Loren.
Tout ce beau monde est décidé à prendre d’assaut le repaire de la comtesse. Le Sang-Clair a apporté de nouvelles informations.
Je mène l’interrogatoire de Benedict. Rien à voir avec l’interrogatoire de Felias… Le Brujah étant soumis à ma volonté, il répond à tout ce que je lui demande. Pas besoin donc de retomber dans les méthodes moyenâgeuses…
Il en ressort que la comtesse a détruit les anciens dirigeants de la Toute-Vie, pour s’attribuer le poste suprême. Elle a pris sous son commandement Benedict, qui dirigeait tout le réseau en France. D’autres agents du même grade que Benedict coordonnait les opérations ailleurs dans le monde.
J’ai donc ferré le gros poisson en soumettant Benedict. Il ne s’attendait certainement pas à tomber sous ma domination.
L’idéologie de la Toute-Vie repose sur la lutte contre la Bête. Selon eux, en provoquant cette apocalypse de sang, ils détruiraient les Caïnites les plus dangereux, et réduiraient drastiquement le besoin de sang des non-vivants. Ce qui permettrait de vivre en bonne communauté avec les humains.
Le sang des jeunes vierges, une fois fusionné, doit aider à activer une amulette puissante, qui conférera à la Comtesse un sang d’une pureté presque parfaite. Elle a mis l’amulette en sécurité dans son estomac. Mais les Brujah n’ont pas prévu d’emmener d’anesthésiant pour l’extraction…
Parmi eux, nous retrouvons Menace, le gars du parc de Thoiry, qui avait planqué Kruegger avant son départ pour l’Australie avec Lisbeth…
J’ai écoute l’exposé de Benedict sans trop le contredire. Du reste, je n’ai pas envie de me lancer dans des arguties dialectiques stériles. Loren essaye bien de montrer à Benedict que ses idées sont irréalistes, irréalisables. Rien n’y fait.
Peu importe maintenant. Le Prince a ordonné l’ouverture d’une Chasse au Sang contre les membres de la société de Léonard. Les dés en sont jetés : aucun d’entre eux ne ressortira vivant des souterrains de la bibliothèque nationale.
Je me trouve embarqué dans leur galère, bien conscient que nous allons naviguer de Charybde en Scylla d’ici peu. Et nous n’avons aucune nouvelle de Graziella. Sait-elle déjà que son Sire est avec la comtesse ?...
Quelques heures après, nous arrivons près de la bibliothèque. Le « 14e » de Loren nous ouvre la porte, et nous pénétrons dans le repaire, Loren, Benedict, moi, deux Gangrel et une dizaine de Brujah. Or selon Benedict, il y a une cinquantaine de Caïnites là-dedans. Ca promet de faire un beau raffut d’ici peu. Le Ventrue et moi soumettons à notre pouvoir mental plusieurs humains, puis quelques Caïnites, que nous envoyons surveiller une porte sans importance. Guidé à l’oreillette par ses Nosfé, Loren nous mène directement vers une cellule où est détenue Graziella. La secte appelle ça une « chambre de réflexion ». Orsini, soumis à la comtesse, a expédié son infant dans ce cachot.
La Lasombra nous remercie de l’avoir délivré. Elle a eu la visite de Lisbeth, qui n’est pas décidé à se soumettre à la comtesse. Elles ont du caractère ces deux-là.
Dans les minutes qui suivent, la situation s’accélère plus vite que le rythme cardiaque d’un épileptique.
Des Caïnites ennemis passent à l’attaque : les Gangrel et la plupart des Brujah engagent le combat, pendant que nous décrochons vers un autre couloir.
Nous ne tardons pas à trouver la chambre de sacrifice des vierges. Elles sont toutes attachées, prêtes à subir une transfusion sanguine. Ne manquerait qu’un Alexandre Corso pour planter les aiguilles…
En pénétrant dans cette vaste pièce, une idée me traverse l’esprit : on a vraiment fait une connerie en emmenant Benedict avec nous. Mon verrou mental ne tiendra jamais face aux pouvoirs de la comtesse.
Mon intuition se confirme bientôt. La comtesse est assise sur son trône. Massimo Orsini à sa droite, Lisbeth à sa gauche.
S’ensuit une pagaille indescriptible. Graziella entre dans l’arène, et nous plonge dans le noir complet, abyssal, comme elle avait fait à l’entrée du château de Versailles. Son Sire doit en faire autant, et les deux commencent à s’affronter à coups de tentacules. Pendant ce temps, la comtesse ordonne à Benedict de me tuer. Le Brujah me saute dessus, et je me retrouve comme écrasé par un bloc de ciment. Mais c’est à ce moment-là que le noir se fait. Je sors du coltard, je me remets sur pied. Benedict s’est précipité sur Lisbeth, et commence à la boxer. Je cours vers lui, fou de rage.
Le noir se fait à nouveau, puis encore la lumière. Loren ouvre le feu avec son pistolet automatique sur la comtesse. J’en fais autant, et deux rafales viennent lui transpercer la tête. Elle s’écroule au moment où je m’apprêtais à lui en mettre en rab.
Je serre Lisbeth dans mes bras, pendant que les combats se poursuivent furieusement. Mais en quelques minutes, la secte est détruite par les Gangrel enragés.

Je partirai bien à la renverse dans les pommes, s’il n’y avait soudain une puissante odeur de sang qui se répandait dans les lieux. Je ne parle pas du sang des divers sous-fifres humains ou non.
Non, il s’agit du sang de la comtesse elle-même. Vieux comme un bon vin millésimé, rouge vif, alléchant, désirable comme milles femmes lascives… C’est une vraie torture de ne pas se jeter sur lui, et de le laper entièrement.
Lisbeth et Loren me regardent. C’est moi qui ai le sang le plus faible, et ils ont l’air prêt à me laisser ma chance. Une affreuse et délicieuse envie de plonger mes canines dans le corps et la chair gouleyante de la comtesse me remplit peu à peu. Si je la dévore, je deviendrai d’un coup beaucoup plus puissant. Mon sang acquerra une pureté nouvelle, et j’en imposerai à tout mon entourage, une fois le sang de la comtesse entièrement passé dans mon sang.
Cette flaque rouge, légèrement visqueuse, dont les formes semblent dessiner des danses de séduction, respire un fumet si appétissant… Un mortel affamé face à un festin ne serait pas autrement tenté que moi.
Loren et Lisbeth me regardent toujours, prêts à bondir.
- Ca suffit, Lisbeth, allons-nous en. J’en ai assez vu ici.
Je la prends fermement par la main. Nous tournons le dos à cette pièce, et à tous ces morts. Les vierges ont été délivrées. Graziella a planté un magnifique katana dans la poitrine de son Sire. Elle ressort en le portant sur son épaule. J’aurais dû me douter qu’elle ne maniait pas que des armes d’escrime française… Quelle race tout de même !
Sur le parvis de la bibliothèque, à la sortie du repaire souterrain maintenant dératisé, les Brujah du Prince s’agitent, alignant les cadavres, pendant que la police boucle le secteur, et que commence la ronde de la Mascarade, qui maquillera cette tuerie brève et impitoyable en accident d’une canalisation de gaz.

Alignés comme des automates qu’on repose après la représentation, les cadavres des séides de la comtesse sont encore gorgés de sang. Désirables comme des outres pour un bédouin. Je serre très fort la main de Lisbeth.
- Allez, Lucinius, mordez dedans. Ne vous dégonflez pas.
C’est Benedict. Il s’est sorti de cet enfer, lui…
- Montrez-moi donc que vous êtes un vrai vampire. Vous avez gagné. Alors ne faites pas la lopette, et videz-moi un de ces gars-là…
Il commence à sérieusement m’énerver. C’est moi en début de nuit, au Louvre, qui lui ai fait la morale : que ses principes stupides d’humanité le mettent à côté de la plaque, que ses idéaux de bien et d’harmonie dans le monde conduisent à des massacres et des cruautés sans nom, qu’il se prétend indépendant d’esprit et qu’il léchait les bottes de la Comtesse à la demande…
J’en ai assez d’être un tocard, d’être entouré d’emmerdeurs, et de me retrouver chahuté à hue et à dia, au gré des caprices des autres.
- Allez, mordez dedans…
Il m’énerve, il m’énerve…
J’en attrape un, un Toréador, qui a l’air encore frais, comme on choisit un beau fruit au marché, et je te me le vide d’un trait, et je le repose, sec comme un chardon.
Je hoquette, je m’essuie la bouche et le col, et je regarde Benedict.
- C’est bien, vous m’avez prouvé que vous n’êtes pas un dégonflé… Peut-être qu’on se reverra un jour.
- Ce n’était pas désagréable de vous avoir sous mon commandement, à mes ordres. Un moment jouissif comme j’en ai rarement !
Il me salue, et se grouille de disparaître.
Lisbeth, Graziella, François et moi sommes convoqués au Louvre. J’apprends en chemin que le repère de Morgane, sous la Sorbonne, a aussi été attaqué. J’espère qu’elle sen est bien tirée.
Loren n’est plus tout à fait le même homme. Il faut dire qu’en quelques jours, il a avalé coup sur coup Léopold Orsini, puis Constance de Bathory ! Ca doit drôlement lui chahuter les intérieurs !
Le Prince est content de nous voir. Il constate que nous nous sommes bien tirés de cette périlleuse épreuve. Il nous félicite avec une sincérité inhabituelle de notre exploit. Il constate que je me m’améliore. Après divers péripéties de « loseur », c’est lui qui emploie le mot !, je sers beaucoup mieux la Mascarade.
Du coup, distribution générale de récompenses ! Lisbeth se voit octroyé un domaine à choisir parmi le parc immobilier des fondations Toréadors –autant dire qu’elle va devenir châtelaine ma Ventrue !
Graziella est délivrée de la tutelle de Loren. Ce derner maintenant la charge de son Sang-Clair, et il se voit autorisé à créer un Infant. De même pour moi. Ce qui monte à deux mes infants potentiels. Lisbeth m’a avoué qu’elle m’avait joué la comédie pendant des mois : elle simulait l’apathie pour déjouer des espions de la comtesse. Finie la culture de racines et d’orties ! Je retrouve ma vraie Ventrue.
J'imagine déjà Corso, s'il était là, qui ricanerait de me voir dans ma belle propriété, avec mes infants qui gambadent dans le parc : une vraie petite famille modèle !
