02-11-2004, 04:36 PM
9e Episode : Cour d'hiver
4e journée
La première invitée de ce soir-là fut la shugenja Kitsu Kameko, médecin du vénérable senseï Akodo Kage. C'était une de ces femmes dont le regard est puissant comme la foudre. Ses longs cheveux, attachés très serrés, étaient plus les poils d'une crinière de lionne. Kameko-sama avait cette force magnétique des femmes de son clan, comme si Matsu Tsuko devenait une dame de cour, en intériosant sa fureur guerrière et en la contenant dans les limites de la politesse. Mais la contenant et la maitrisant, Kameko-sama l'avait également aiguisé comme un tranchant de sabre.
Elle et Ikoma Tsuyoshi se connaissaient bien. Mais on osait murmurer des ragots sur leur compte que quand ils se trouvaient très loin l'un de l'autre. La famille Ikoma n'est pas la plus crainte du clan du Lion, et on associe généralement les shugenja de l'eau à l'idée de douceur -mais peu de personne auraient défié Tsuyoshi en duel, et Kameko savait en imposer même aux shugenja du feu.
Le médecin était depuis longtemps une ennemie intime de l'artiste Asahina Masumi. N'étaient les conventions, parfois si fragiles, de la vie de cour, les deux femmes se seraient aisément sauté à la gorge. Elles se saluèrent ce premier soir, comme se salueraient deux duellistes, puis le reste du temps, elle se tinrent à distance l'une de l'autre. Elle auraient facilement allumé le feu de la discorde et de la haine aux milieux des jardins sinueux, délicats, aquatiques de notre beau palais.
Il y avait eu un frisson dans l'assistance quand Kameko-sama était entrée, comme quand vous approchez d'un fauve. Puis, la politesse aidant, le médecin sut passer pour un tranquille félin. Qui savait ne pas s'y tromper se doutait que ses griffes restaient affûtées, prêtes à jaillir. Du reste, le sabre d'Ikoma Tsuyoshi était inconditionnellement au service de Kitsu Kameko.
Certains frissonnaient de plaisir en songeant à la rivalité entre l'artiste Grue et la shugenja Lion. D'autres frissonnaient tout court.
L'invité suivant fut accueilli par nous avec plus d'assurance. Il s'agissait de Doji Itto, le célèbre courtisan, apprécié pour sa courtoisie, son grand esprit, son goût pour les plaisirs et sa largesse dans les offrandes. Nombre de gens lui devaient un ou deux services - de ces services qu'on s'honore de rendre, sans être écrasé par leur poids. Ses terres étaient très riches, et les artisans qui vivaient sur son domaine étaient réputées. Aussi Itto-sama distribuaient-ils souvent sans compter les cadeaux autour de lui.
A ceux qu'ils connaissaient mieux (j'en étais), il proposait des cadeaux plus spéciales et plus raffinées, en les prenant à part, et en faisant bien comprendre qu'il s'agissait de faveurs réservées à ses "bons amis". Il connaissait ces temps-ci une courtisane voluptueuse, qui se languissait depuis que son favori était partie à la guerre. Elle se languissait d'une présence masculine près d'elle, et, à en croire Itto, ses soupirs languissants auraient poussé n'importe quel bushi, si fier et si réservé soit-il, à se jeter à ses pieds pour la consoler. Itto-sama, avant même le début de la cour d'hiver, avait pensé à des prétendants potentiels pour sa geisha, et nous verrons plus loin quel fut l'heureux élu...
Je savais par ailleurs qu'Itto-sama avait un faible pour Mirumoto Ryu. Comme nous tous, il avait noté sa très grande beauté, mais jusqu'ici, Ryu-san avait répondu par des paroles allusives autant qu'énigmatiques à certaines avances du courtisan. Par ailleurs, la pagode du palais n'était pas un lieu propice aux propositions feutrées, et Shiba sait que Ryu-san y passait le plus clair de ses journées !
Son arrivée séparée de celle de Kitsu Kameko par celle de Doji Itto, Asahina Masumi se présenta ensuite à la porte du Phénix. Elle entrait enfin dans la cour d'hiver, cette si célèbre artiste, aux talents si développées et si vastes comme des cerisiers en fleur ! Vêtue d'un magnifique kimono, dont elle avait elle-même commandé la confection, elle entra dans ce monde qui était vraiment le sien, celui où elle s'épanouissait comme une fleur au printemps. Pour des femmes comme elle, il aurait fallu que la cour impériale durât d'un bout à l'autre de l'année !
Qui ne connaissait pas sa réputation en musique, en origami et en confection de kimono n'était vraiment qu'un rustre. C'est dans ce dernier art qu'elle avait acquis sa renommée, et c'est un kimono qu'elle avait offert à Masanaga-sama pour le remercier de son invitation. Et c'est encore un kimono de Masumi-sama que Doji Itto portait ce soir-là. Je le soupçonnais d'ailleurs d'en avoir passé commande d'un autre pour sa courtisane préférée. Mais passons sur ce détail...
Comme j'ai dit, le moment où Masumi-sama alla saluer Kameko-sama fut plein de cette tension que l'on ressent avant que l'orage n'éclate.
Au fait, demanderez-vous, quelle était l'origine de cette rivalité ?
Par Shiba, elle n'était pas bien belle, et je m'abstiendrai d'en dire plus. Il n'est pas convenable d'évoquer ces aspects déplaisants au sujet de ces deux dames.
Le dernier invité fut Mirumoto Munetaka, médecin de Mirumoto Akuma, daimyo de la vallée d'Heibetsu. Qu'on se représente un homme solide, montagnard, moins que rude mais pas non raffiné. Un tempérament affirmé, des manières travaillées, faites pour plaire à tous, une manière pragmatique de considérer les choses. Autant de qualités qu'on ne retrouve pas toujours chez les membres du clan du Dragon... Le docteur, disait-on, avait bien de la peine à guérir les humeurs foudroyantes de son daimyo, l'honorable Akuma-sama, surnommé par mon clan "le ciel noir" en raison de ses colères redoutables et brusques, sans signes annonciateurs. Il est vrai que la riante vallée d'Heibetsu avait subi des désagréments nombreux depuis l'été dernier. Kakita Hiruya, Shinjo Kohei, Mirumoto Ryu, Isawa Ayame et Shiba Ikky étaient de ceux qui avaient contribué à aider le daimyo.
C'est ce soir-même qu'eut lieu le premier incident social de cette cour. En effet, Mirumoto Munetaka, à peine arrivé parmi nous, dut prendre un coup au coeur en entendant distinctement Ryu-san lui parler des incidents à Heibetsu.
Par Isawa, il m'est pénible de rapporter des paroles si indignes. Il est vrai que Ryu-san avait pris la précaution élémentaire de parler au docteur à l'écart. Mais les mots qu'elle prononça étaient si deshonorants que nous ne pouvions pas ne pas entendre.
En substance, elle disait que la famille Bayushi (par Isawa, j'en tremble...) avait attaqué son daimyo, avait humilié son clan, et qu'il fallait détruire ces Scorpions !
Elle bravait ainsi la décision impériale de bannir ce clan de l'Empire et des archives et des mémoires !
Il y eut un silence très lourd, très soudain. Tout le monde baissa la tête, d'autres osaient à cette occasion afficher leur effroi. Tous savaient déjà que ces paroles appelaient réparation.
Qui allait s'en charger ?
Mirumoto Onitsugu ? Non, le kensaï n'allait pas affronter une bushi de son clan.
Kakita Hiruya ? Il avait rendu service au clan du Dragon. Il n'allait pas maintenant l'affronter.
Devant l'hésitation de tous, et face à l'urgence de la situation, celui qui réagit et alla defié Ryu-san en duel fut Ikoma Tsuyoshi.
- Vous avez offensé notre divin Empereur par vos paroles, Mirumoto Ryu. J'en demande réparation.
Sans délai, Masanaga-sama ordonna la tenue du duel. Mirumoto Munetaka n'eut qu'à acquiescer, ainsi que Kitsu Kameko, supérieurs respectifs des deux duellistes, et nous sortîmes devant le palais, dans le grand jardin recouvert d'un épais manteau de neige.
Je rendai aux deux bushis leur daisho, et ils se mirent en garde, alors que de petits flocons de neige dansaient et virevoltaient partout dans la nuit.
La tension du cérémoniel de iaijutsu fut de courte durée. Tsuyoshi-san était à n'en pas douter un futur senseï de cet art. Mirumoto Ryu s'inclina face à lui.
Masanaga-sama déclara que nous acceptions les excuses de Ryu-san. Les deux adversaires se saluèrent et se séparèrent.
Tsuyoshi-san passa près d'Ayame-san, Hiruya-san et Yugoki-san.
- Je crois que c'était la seule chose honorable à faire, samuraï, et je l'ai faite.
Les trois samuraï hochèrent la tête d'approbation.
La fin de soirée se passa à discuter de choses et d'autres, et à évoquer à demi-mots l'honneur, les traditions. Je crois que Mirumoto Ryu avait déjà rejoint la pagode et implorait le pardon des Fortunes.
A suivre...
4e journée
La première invitée de ce soir-là fut la shugenja Kitsu Kameko, médecin du vénérable senseï Akodo Kage. C'était une de ces femmes dont le regard est puissant comme la foudre. Ses longs cheveux, attachés très serrés, étaient plus les poils d'une crinière de lionne. Kameko-sama avait cette force magnétique des femmes de son clan, comme si Matsu Tsuko devenait une dame de cour, en intériosant sa fureur guerrière et en la contenant dans les limites de la politesse. Mais la contenant et la maitrisant, Kameko-sama l'avait également aiguisé comme un tranchant de sabre.
Elle et Ikoma Tsuyoshi se connaissaient bien. Mais on osait murmurer des ragots sur leur compte que quand ils se trouvaient très loin l'un de l'autre. La famille Ikoma n'est pas la plus crainte du clan du Lion, et on associe généralement les shugenja de l'eau à l'idée de douceur -mais peu de personne auraient défié Tsuyoshi en duel, et Kameko savait en imposer même aux shugenja du feu.
Le médecin était depuis longtemps une ennemie intime de l'artiste Asahina Masumi. N'étaient les conventions, parfois si fragiles, de la vie de cour, les deux femmes se seraient aisément sauté à la gorge. Elles se saluèrent ce premier soir, comme se salueraient deux duellistes, puis le reste du temps, elle se tinrent à distance l'une de l'autre. Elle auraient facilement allumé le feu de la discorde et de la haine aux milieux des jardins sinueux, délicats, aquatiques de notre beau palais.
Il y avait eu un frisson dans l'assistance quand Kameko-sama était entrée, comme quand vous approchez d'un fauve. Puis, la politesse aidant, le médecin sut passer pour un tranquille félin. Qui savait ne pas s'y tromper se doutait que ses griffes restaient affûtées, prêtes à jaillir. Du reste, le sabre d'Ikoma Tsuyoshi était inconditionnellement au service de Kitsu Kameko.
Certains frissonnaient de plaisir en songeant à la rivalité entre l'artiste Grue et la shugenja Lion. D'autres frissonnaient tout court.
L'invité suivant fut accueilli par nous avec plus d'assurance. Il s'agissait de Doji Itto, le célèbre courtisan, apprécié pour sa courtoisie, son grand esprit, son goût pour les plaisirs et sa largesse dans les offrandes. Nombre de gens lui devaient un ou deux services - de ces services qu'on s'honore de rendre, sans être écrasé par leur poids. Ses terres étaient très riches, et les artisans qui vivaient sur son domaine étaient réputées. Aussi Itto-sama distribuaient-ils souvent sans compter les cadeaux autour de lui.
A ceux qu'ils connaissaient mieux (j'en étais), il proposait des cadeaux plus spéciales et plus raffinées, en les prenant à part, et en faisant bien comprendre qu'il s'agissait de faveurs réservées à ses "bons amis". Il connaissait ces temps-ci une courtisane voluptueuse, qui se languissait depuis que son favori était partie à la guerre. Elle se languissait d'une présence masculine près d'elle, et, à en croire Itto, ses soupirs languissants auraient poussé n'importe quel bushi, si fier et si réservé soit-il, à se jeter à ses pieds pour la consoler. Itto-sama, avant même le début de la cour d'hiver, avait pensé à des prétendants potentiels pour sa geisha, et nous verrons plus loin quel fut l'heureux élu...
Je savais par ailleurs qu'Itto-sama avait un faible pour Mirumoto Ryu. Comme nous tous, il avait noté sa très grande beauté, mais jusqu'ici, Ryu-san avait répondu par des paroles allusives autant qu'énigmatiques à certaines avances du courtisan. Par ailleurs, la pagode du palais n'était pas un lieu propice aux propositions feutrées, et Shiba sait que Ryu-san y passait le plus clair de ses journées !
Son arrivée séparée de celle de Kitsu Kameko par celle de Doji Itto, Asahina Masumi se présenta ensuite à la porte du Phénix. Elle entrait enfin dans la cour d'hiver, cette si célèbre artiste, aux talents si développées et si vastes comme des cerisiers en fleur ! Vêtue d'un magnifique kimono, dont elle avait elle-même commandé la confection, elle entra dans ce monde qui était vraiment le sien, celui où elle s'épanouissait comme une fleur au printemps. Pour des femmes comme elle, il aurait fallu que la cour impériale durât d'un bout à l'autre de l'année !
Qui ne connaissait pas sa réputation en musique, en origami et en confection de kimono n'était vraiment qu'un rustre. C'est dans ce dernier art qu'elle avait acquis sa renommée, et c'est un kimono qu'elle avait offert à Masanaga-sama pour le remercier de son invitation. Et c'est encore un kimono de Masumi-sama que Doji Itto portait ce soir-là. Je le soupçonnais d'ailleurs d'en avoir passé commande d'un autre pour sa courtisane préférée. Mais passons sur ce détail...
Comme j'ai dit, le moment où Masumi-sama alla saluer Kameko-sama fut plein de cette tension que l'on ressent avant que l'orage n'éclate.
Au fait, demanderez-vous, quelle était l'origine de cette rivalité ?
Par Shiba, elle n'était pas bien belle, et je m'abstiendrai d'en dire plus. Il n'est pas convenable d'évoquer ces aspects déplaisants au sujet de ces deux dames.
Le dernier invité fut Mirumoto Munetaka, médecin de Mirumoto Akuma, daimyo de la vallée d'Heibetsu. Qu'on se représente un homme solide, montagnard, moins que rude mais pas non raffiné. Un tempérament affirmé, des manières travaillées, faites pour plaire à tous, une manière pragmatique de considérer les choses. Autant de qualités qu'on ne retrouve pas toujours chez les membres du clan du Dragon... Le docteur, disait-on, avait bien de la peine à guérir les humeurs foudroyantes de son daimyo, l'honorable Akuma-sama, surnommé par mon clan "le ciel noir" en raison de ses colères redoutables et brusques, sans signes annonciateurs. Il est vrai que la riante vallée d'Heibetsu avait subi des désagréments nombreux depuis l'été dernier. Kakita Hiruya, Shinjo Kohei, Mirumoto Ryu, Isawa Ayame et Shiba Ikky étaient de ceux qui avaient contribué à aider le daimyo.
C'est ce soir-même qu'eut lieu le premier incident social de cette cour. En effet, Mirumoto Munetaka, à peine arrivé parmi nous, dut prendre un coup au coeur en entendant distinctement Ryu-san lui parler des incidents à Heibetsu.
Par Isawa, il m'est pénible de rapporter des paroles si indignes. Il est vrai que Ryu-san avait pris la précaution élémentaire de parler au docteur à l'écart. Mais les mots qu'elle prononça étaient si deshonorants que nous ne pouvions pas ne pas entendre.
En substance, elle disait que la famille Bayushi (par Isawa, j'en tremble...) avait attaqué son daimyo, avait humilié son clan, et qu'il fallait détruire ces Scorpions !
Elle bravait ainsi la décision impériale de bannir ce clan de l'Empire et des archives et des mémoires !
Il y eut un silence très lourd, très soudain. Tout le monde baissa la tête, d'autres osaient à cette occasion afficher leur effroi. Tous savaient déjà que ces paroles appelaient réparation.
Qui allait s'en charger ?
Mirumoto Onitsugu ? Non, le kensaï n'allait pas affronter une bushi de son clan.
Kakita Hiruya ? Il avait rendu service au clan du Dragon. Il n'allait pas maintenant l'affronter.
Devant l'hésitation de tous, et face à l'urgence de la situation, celui qui réagit et alla defié Ryu-san en duel fut Ikoma Tsuyoshi.
- Vous avez offensé notre divin Empereur par vos paroles, Mirumoto Ryu. J'en demande réparation.
Sans délai, Masanaga-sama ordonna la tenue du duel. Mirumoto Munetaka n'eut qu'à acquiescer, ainsi que Kitsu Kameko, supérieurs respectifs des deux duellistes, et nous sortîmes devant le palais, dans le grand jardin recouvert d'un épais manteau de neige.
Je rendai aux deux bushis leur daisho, et ils se mirent en garde, alors que de petits flocons de neige dansaient et virevoltaient partout dans la nuit.
La tension du cérémoniel de iaijutsu fut de courte durée. Tsuyoshi-san était à n'en pas douter un futur senseï de cet art. Mirumoto Ryu s'inclina face à lui.
Masanaga-sama déclara que nous acceptions les excuses de Ryu-san. Les deux adversaires se saluèrent et se séparèrent.
Tsuyoshi-san passa près d'Ayame-san, Hiruya-san et Yugoki-san.
- Je crois que c'était la seule chose honorable à faire, samuraï, et je l'ai faite.
Les trois samuraï hochèrent la tête d'approbation.
La fin de soirée se passa à discuter de choses et d'autres, et à évoquer à demi-mots l'honneur, les traditions. Je crois que Mirumoto Ryu avait déjà rejoint la pagode et implorait le pardon des Fortunes.
A suivre...
