20-12-2004, 03:42 AM
Seb, lis la fin du msg précédent. 
Journal d'Aladax Lucinius
EPILOGUE
La grande allée des peintures italiennes est bien déserte, sombre et silencieuse. Graziella de Valori est à mon bras, et nous avançons, entouré par les tableaux de maîtres, et nos pas résonnent dans l'obscurité, sur le beau plancher ciré.
- Je crois que la Camarilla pourra être satisfaite de ma courte Régence... Grâce à l'appui de François Loren, la Camarilla est unie, il a fallu non pas des décennies pour remplir le pacte de Vienne, mais moins de deux semaines, les Tzymisce sont vaincus, les Lasombra ont été refoulés, les Gangrel ont un territoire à eux, maintenant, et Sire Ibn-Azul vient d'être élu à l'unanimité Prince de Paris. Quant à moi, la place de Sénéchal me convient parfaitement. Il a fallu en passer par un procès en coutumace de Sire d'Orsini, mais c'était nécessaire.
"Quant à Roméo de Montaigu, on a rien pu prouver contre lui finalement. Il est plus vraisemblable que Massimo d'Orsini, se sachant bientôt désigné coupable de tous ses forfaits passés, par celui-là même qui l'avait defendu naguère au procès Ibn-Azul, l'a poussé au desespoir, et qu'il a préféré en finir par le soleil, plutôt que de subit un déballage en règle de son passé...
L'ex-Prince Villon est le perdant des premières élections de l'histoire de la Camarilla parisienne. Après avoir trompé le Primogène, et envoyé trois de ses membres dans une chasse sanguinaire au lupin, il a été laissé dans la torpeur où il était tombé après sa frénésie au Père-Lachaise.
"J'en reviens à Roméo de Montaigu, le soi-disant dévoué Ventrue. Vous comme moi savons qui il est vraiment. Il n'a pas 700 ans... Il en aurait plutôt : 7000... Quel effroi, toute cette histoire, tout ce passé derrière ! Lui, le fondateur de votre lignée, les quelques 2% qui se disent authentiques, face aux 98% de vendus au Sabbat ! Quel panache ! Vous êtes différents, ne nous y trompons pas : vous êtes meilleurs !... 7000 ans, et pourtant, il est encore frais et dispos, après tout ce temps. Je l'ai connu, à la fin du 19e siècle, avant que mon Sire et moi ne venions à Paris. Nous étions alliés avec Sire Ibn-Azul, nous avons fait de grandes choses avec lui. Mais Sire Lucien n'avait qu'une seule conquête qui l'intéressât vraiment : Paris, Paris, "il n'est de bon bec que Paris". Il savait que tôt ou tard, il irait affronter Villon...
- Il est touchant de voir combien tous deux, malgré leur âge, sont restés très jeunes dans leur tête. Ils se sont battus comme de vrais gamins, en somme...
- Oui, exactement. Je pense que mon Sire s'est introduit au Louvre, pas dupe de la supercherie de son vieux rival, et l'a provoqué à se battre. Ils sont allés régler leur affaire au Père-Lachaise entre hommes. J'ai reçu une lettre de Morgane, de la fondation de Vienne. Elle m'envoie les plans de cette fontaine que Sire Villon a tant aimée. Elle dit qu'elle va séjourner longtemps à Vienne, que ses devoirs et ses études la retiennent là-bas. Et elle finit sa lettre en s'excusant d'avoir brûlé mon Sire.... A quelques minutes près, c'est trop bête. Je devais être en train de me pomponner pendant qu'elle invoquait sa damnée thaumaturgie... Je crois que j'ai horreur de cette magie, vraiment...
- Quel âge avez-vous, en réalité, Signor Loucinious la Coquélouche ?
- Pfff... mais je suis bien trop vieux pour une jeune et jolie demoiselle comme vous ! Je pourrais être votre plusieurs-fois-arrière-grand-père !... Néanmoins, en votre compagnie, j'ai le plaisir de faire et défaire la mode à Paris. Si j'étais humain, je ne serais qu'un vieux riche qui entretient la jeune provinciale qui veut se faire un nom dans la capitale !... Voyez si c'est dérisoire au fond !...
- Je vois, je vois... Allons, signore Loucinius !... comme on dit chez vous : "En garde !" 8)
Les portraits fruitiers, légumiers, végétaux et saisonniers d'Arcimboldo nous sourient et nous grimacent. Nous voici face à face, en chemise, rapière à la main, pour notre belle.
- Nous sommes dans mon domaine, signora de Valori : le Louvre ! Mais nous sommes aussi dans le votre : les ombres !... En garde ! 8)
Fier-à-bras, je lance un assaut, et plusieurs coups très offensifs, à répétition. La signora recule, et nos pas martèlent le plancher. Baldassare Castiglione sourit de nous voir ferrailler ; j'ai trop pris l'avantage, j'ouvre trop ma garde, et Graziella n'a pas dit son dernier mot : elle contre-attaque pour de bon, et me met à mon tour en difficulté. Encore quelques passes et nos lames s'entrecroisent violemment. Presque nez à nez, les deux rapières comme fondues l'une dans l'autre, nous luttons physiquement pour nous imposer.
Impossible : nous nous dégageons.
Nous reculons de quelques pas. Salut, mise en garde à nouveau. Un dernier assaut pour nous départager. J'invoque les esprits du chevalier Saint-George, de d'Artagnan, de Saint-Evremond ! Ventre Saint-Gris !
Nous nous lançons brusquement, comme deux espadons perçant les flots !
La pointe de la signora me pique un instant trop tôt. Je dois concéder ma défaite. Une défaite comme on a plaisir à en connaître. C'est trop rageant, mais quelle panache ! Strette ! Maestoso ! Adagio ! Bravi, bravissimo ! Coqueluchissimo !
Nous saluons, et nous nous quittons, devant la Vierge au Rocher, ce double parfait de Graziella, pour elle qui n'a pas de reflet, mais tant d'ombre à la place.
Cette fois encore, aucune caméra, aucun appareil photo n'a pu saisir la signora, et aucun bain en chambre noire ne la "révélera". On croira que j'ai rêvé, dans une folie, que j'ai ferraillé seul, que j'ai combattu un fantôme de mon imagination, que je me suis perdu dans un bain d'ombres limpides, dans la transparence du noir ! Quel don-quichottisme !
Les Arcimboldo me saluent encore, seuls témoins de mon duel. Graziella a disparu, dans le sfumato de la pénombre, et je ne sais plus si elle était là, ou si elle a été soudain gommée, comme un coup de crayon, un dessin.
Adieu... adieu pour ce soir ! adieu à Paris, à tous mes voyages, à la Mascarade, aux lupins et aux contes, aux villes et aux hommes
et à nous tous qui fîmes quelques temps partie de l'étrange côterie
des passagers de la nuit...
8)

FIN

Journal d'Aladax Lucinius
EPILOGUE
La grande allée des peintures italiennes est bien déserte, sombre et silencieuse. Graziella de Valori est à mon bras, et nous avançons, entouré par les tableaux de maîtres, et nos pas résonnent dans l'obscurité, sur le beau plancher ciré.
- Je crois que la Camarilla pourra être satisfaite de ma courte Régence... Grâce à l'appui de François Loren, la Camarilla est unie, il a fallu non pas des décennies pour remplir le pacte de Vienne, mais moins de deux semaines, les Tzymisce sont vaincus, les Lasombra ont été refoulés, les Gangrel ont un territoire à eux, maintenant, et Sire Ibn-Azul vient d'être élu à l'unanimité Prince de Paris. Quant à moi, la place de Sénéchal me convient parfaitement. Il a fallu en passer par un procès en coutumace de Sire d'Orsini, mais c'était nécessaire.
"Quant à Roméo de Montaigu, on a rien pu prouver contre lui finalement. Il est plus vraisemblable que Massimo d'Orsini, se sachant bientôt désigné coupable de tous ses forfaits passés, par celui-là même qui l'avait defendu naguère au procès Ibn-Azul, l'a poussé au desespoir, et qu'il a préféré en finir par le soleil, plutôt que de subit un déballage en règle de son passé...
L'ex-Prince Villon est le perdant des premières élections de l'histoire de la Camarilla parisienne. Après avoir trompé le Primogène, et envoyé trois de ses membres dans une chasse sanguinaire au lupin, il a été laissé dans la torpeur où il était tombé après sa frénésie au Père-Lachaise.
"J'en reviens à Roméo de Montaigu, le soi-disant dévoué Ventrue. Vous comme moi savons qui il est vraiment. Il n'a pas 700 ans... Il en aurait plutôt : 7000... Quel effroi, toute cette histoire, tout ce passé derrière ! Lui, le fondateur de votre lignée, les quelques 2% qui se disent authentiques, face aux 98% de vendus au Sabbat ! Quel panache ! Vous êtes différents, ne nous y trompons pas : vous êtes meilleurs !... 7000 ans, et pourtant, il est encore frais et dispos, après tout ce temps. Je l'ai connu, à la fin du 19e siècle, avant que mon Sire et moi ne venions à Paris. Nous étions alliés avec Sire Ibn-Azul, nous avons fait de grandes choses avec lui. Mais Sire Lucien n'avait qu'une seule conquête qui l'intéressât vraiment : Paris, Paris, "il n'est de bon bec que Paris". Il savait que tôt ou tard, il irait affronter Villon...
- Il est touchant de voir combien tous deux, malgré leur âge, sont restés très jeunes dans leur tête. Ils se sont battus comme de vrais gamins, en somme...

- Oui, exactement. Je pense que mon Sire s'est introduit au Louvre, pas dupe de la supercherie de son vieux rival, et l'a provoqué à se battre. Ils sont allés régler leur affaire au Père-Lachaise entre hommes. J'ai reçu une lettre de Morgane, de la fondation de Vienne. Elle m'envoie les plans de cette fontaine que Sire Villon a tant aimée. Elle dit qu'elle va séjourner longtemps à Vienne, que ses devoirs et ses études la retiennent là-bas. Et elle finit sa lettre en s'excusant d'avoir brûlé mon Sire.... A quelques minutes près, c'est trop bête. Je devais être en train de me pomponner pendant qu'elle invoquait sa damnée thaumaturgie... Je crois que j'ai horreur de cette magie, vraiment...
- Quel âge avez-vous, en réalité, Signor Loucinious la Coquélouche ?
- Pfff... mais je suis bien trop vieux pour une jeune et jolie demoiselle comme vous ! Je pourrais être votre plusieurs-fois-arrière-grand-père !... Néanmoins, en votre compagnie, j'ai le plaisir de faire et défaire la mode à Paris. Si j'étais humain, je ne serais qu'un vieux riche qui entretient la jeune provinciale qui veut se faire un nom dans la capitale !... Voyez si c'est dérisoire au fond !...
- Je vois, je vois... Allons, signore Loucinius !... comme on dit chez vous : "En garde !" 8)
Les portraits fruitiers, légumiers, végétaux et saisonniers d'Arcimboldo nous sourient et nous grimacent. Nous voici face à face, en chemise, rapière à la main, pour notre belle.
- Nous sommes dans mon domaine, signora de Valori : le Louvre ! Mais nous sommes aussi dans le votre : les ombres !... En garde ! 8)
Fier-à-bras, je lance un assaut, et plusieurs coups très offensifs, à répétition. La signora recule, et nos pas martèlent le plancher. Baldassare Castiglione sourit de nous voir ferrailler ; j'ai trop pris l'avantage, j'ouvre trop ma garde, et Graziella n'a pas dit son dernier mot : elle contre-attaque pour de bon, et me met à mon tour en difficulté. Encore quelques passes et nos lames s'entrecroisent violemment. Presque nez à nez, les deux rapières comme fondues l'une dans l'autre, nous luttons physiquement pour nous imposer.
Impossible : nous nous dégageons.
Nous reculons de quelques pas. Salut, mise en garde à nouveau. Un dernier assaut pour nous départager. J'invoque les esprits du chevalier Saint-George, de d'Artagnan, de Saint-Evremond ! Ventre Saint-Gris !
Nous nous lançons brusquement, comme deux espadons perçant les flots !

La pointe de la signora me pique un instant trop tôt. Je dois concéder ma défaite. Une défaite comme on a plaisir à en connaître. C'est trop rageant, mais quelle panache ! Strette ! Maestoso ! Adagio ! Bravi, bravissimo ! Coqueluchissimo !

Nous saluons, et nous nous quittons, devant la Vierge au Rocher, ce double parfait de Graziella, pour elle qui n'a pas de reflet, mais tant d'ombre à la place.
Cette fois encore, aucune caméra, aucun appareil photo n'a pu saisir la signora, et aucun bain en chambre noire ne la "révélera". On croira que j'ai rêvé, dans une folie, que j'ai ferraillé seul, que j'ai combattu un fantôme de mon imagination, que je me suis perdu dans un bain d'ombres limpides, dans la transparence du noir ! Quel don-quichottisme !
Les Arcimboldo me saluent encore, seuls témoins de mon duel. Graziella a disparu, dans le sfumato de la pénombre, et je ne sais plus si elle était là, ou si elle a été soudain gommée, comme un coup de crayon, un dessin.
Adieu... adieu pour ce soir ! adieu à Paris, à tous mes voyages, à la Mascarade, aux lupins et aux contes, aux villes et aux hommes
et à nous tous qui fîmes quelques temps partie de l'étrange côterie
des passagers de la nuit...
8)

FIN