25-05-2005, 02:44 PM
(This post was last modified: 26-05-2005, 07:50 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE
La 5e Réincarnation : 14e Episode
Chapitre III : Tani Hitokage
Si Otosan Uchi était au centre de l'univers, la Vallée des Esprits était l'endroit qui en était le plus éloigné.
A l'est de la profonde, impénétrable et mystérieuse forêt Shinomen, au pied des montagnes du sommet desquels tombait un vent froid venu des plaines gaijin, entre les terres de la Licorne au nord, et les terres du Crabe au sud, Tani Hitokage était un monde à l'écart. Il semblait que le reste de l'Empire aurait pu être bouleversé, et avant peu il le serait, sans que cela affecte du tout la vie du clan du Faucon.
Quand Shinjo Kohei, Isawa Ayame, Shiba Ikky et Riobe arrivèrent au sommet d'une colline boisée, ils dominèrent, dans la lumière orangée du soir sur les massifs verts, toute cette vallée qu'on disait autant peuplée de vivants que de fantômes. Des lampions étaient accrochées partout aux arbres, et des bougies brûlaient le long des routes. Cette féérie illuminait les villages plongés dans le crépuscule. Une rivière, non loin de la, murmurait des légendes.
Riobe était content d'être venu en ce lieu. Depuis toujours, les histoires de son ancien clan parlaient du culte des ancêtres, de la présence des esprits des morts autour de nous, de la surveillance qu'ils exercent sur nous. Et il se trouvait dans la vallée où les esprits abondaient comme le peuple dans les faubourgs d'Otosan Uchi, et c'était justement la nuit de la fête des morts, quand ceux-ci revenaient parler à leurs descendants. Décidément, cette atmosphère nocturne mystérieuse lui convenait parfaitement. Pourrait-il trouver des réponses concernant ce vieil homme qui lui était apparu chez les Licornes ?
Isawa Ayame regardait avec curiosité ce pays où elle n'avait jamais mis les pieds. Comme elles étaient loin, les bibliothèques de la famille Isawa. Même le pays des Licornes avait fini par lui sembler (un peu) familier, mais là, elle aurait beaucoup de mal à comprendre cet endroit où le monde des morts semble se déverser dans celui des vivants, pareil à l'affluent dans le fleuve.
Nos héros arrivèrent dans un charmant village. Toute la population était dehors. On chantait, on dansait. Des acteurs masquaient racontaient les légendes ancestrales ; d'autres contaient des histoires de fantômes rokugani, accompagnés par des musiciens qui jouaient une envoûtante mélopée. Des marchands vendaient toutes sortes de porte-bonheur, de moulins à prière, de fétiches, pour s'attirer les faveurs des morts.
Le chef du village, Toritaka Genzo accourut au-devant des visiteurs, et tomba à genoux devant eux, dans la rue principale du bourg. Nos héros reçurent ses politesses d'usage, et présentèrent les leurs en retour.
- Ce sont les Ancêtres qui vous envoient, honorables magistrats.
Shinjo Kohei s'inclina, se déclaré honoré d'arriver en ce jour particulier sur les terres de la famille Toritaka.
Nos héros furent logés dans une grande bâtisse, un peu à l'écart du village. Il y avait là deux bassins, de grandes pièces, un parc très délicatement décoré. Deux soldats gardaient en permanence les lieux. Fourbu, Kohei voyait avec délice les servantes préparer le bain et le lit. Il se plongea dans l'eau bouillante avec ravissement. Il ne tarda pas à s'assoupir comme un bienheureux.
Des licornes d'or couraient dans des plaines merveilleuses, graciles et célestes. De jolis geishas versaient des vases pleins de fleurs et mille cerisiers fleurissaient.
Soudain, un fleuve sortait de son lit, et noyait tout.
Kohei se débattut soudain, et remonta à la surface. Assoupi, il avait plongé dans l'eau jusqu'au nez. Il toussa, renifla, toussa encore, puis baîlla de toutes ses forces.
Son corps demandait un gros et profond sommeil.
Vêtu de son kimono du soir, il passa souhaiter bonsoir aux deux Phénix. Il vit alors Riobe dans le jardin, assis en tailleurs près du bassin.
- Riobe ? tu viens dormir ?
- J'arrive, Kohei-san. Je finissais... d'admirer le jardin.
Kohei baîlla à s'en décrocher la mâchoire, s'étira puis, sans insister, alla se plonger dans sa couche. Le vent du soir amenait le parfum entêtant des massifs de fleur du jardin, ainsi que, de la chambre d'Ayame, un parfum capiteux identique à celui qui s'était déversé sur Mimura au moment où Panda-san voyait sa malédiction levait. Kohei-san réalisa alors qu'il connaissait maintenant Isawa Ayame et Shiba Ikky depuis un an, depuis le tournoi des rônins de Yamasura. Un an que, régulièrement, lui et les autres surprenaient Ayame à consommer ces plantes narcotiques.
Une fine pluie se mit à tomber, et berça bientôt le sommeil des occupants des lieux.

La pluie tombait du ciel et alourdissait les feuilles des arbres. Quand il se créait un trop-plein, la branche cédait soudain, et déversait ses eaux sur la terre, puis balançait jusqu'à reprendre sa position initiale. Riobe, assis au bord du bassin rendu lumineux par la lune, écoutait la pluie mumurait à ses oreilles. L'eau se ridait parfois, et elle murmurait ce nom qu'il voulait oublier : Watanabe... Watanabe...
Riobe avait tant d'ancêtres à prier, tant de morts dont se souvenir, depuis la bataille d'Otosan Uchi, et ce moment où, seul vivant parmi les morts, il s'était relevé, et avait pris le chemin du clan du loup...
Toute la nuit, il la passa auprès des ancêtres, tâchant d'écouter leur message, et de rester fidèle à la voie d'honneur qu'ils avaient tracée.
Toute la nuit, Riobe pria, et ce n'est qu'au petit matin qu'il s'endormit malgré lui. Après leur bonne nuit de sommeil, Kohei, Ayame et Ikky le trouvèrent levé le premier.
- Bien dormi, Riobe ? demanda Kohei.
- Euh, oui, Kohei-sama, dit le rônin avec des cernes jusque sur les joues.
Tout le monde se prépara, et en fin de matinée, l'enquête pouvait commencer.
Nos héros commencèrent par aller rencontrer Toritaka Genzo. Il fallait commencer par en apprendre plus sur le témoin mort ici, Toritaka Bonugi.
Alignés face à Toritaka Genzo, qui finissait de faire infuser le thé, nos héros profitait de la douceur des lieux. Le soleil perçait au travers du couvert végétal, en grandes raies de lumière qui brisaient l'obscurité des sous-bois.
- Bunugi-san, pour tout vous dire, honorables magistrats, était un érudit qui vivait quelque peu à l'écart. Il était passionné par ces recherches sur les esprits, les revenants, ceux que nous appelons des yorei. Ils font partie intégrante de la vie de notre clan. Bonugi-san a trouvé la mort après la fin du procès Usagi. Les Lièvres étaient nos ennemis depuis longtemps. Ces mauvais samuraï nous ont plusieurs fois attaqués sans raison. Ils sont vindicatifs, hargneux... Nous n'avons pas hésité à envoyer un témoin quand ce procès leur est arrivé. Ils n'avaient que ce qu'ils méritaient.
- Qu'est-ce qui a décidé Bonugi-san à aller témoigner ?
- C'est un ami à lui, avec qui il a étudié pendant très longtemps -plus de vingt ans- qui l'a décidé à se présenter aux Scorpions. C'était un Inquisiteur de la famille Asako, lui aussi très intéressé par les recherches sur les yorei. Un certain Asako Nakiro. Il est mort lui aussi ici, peu avant Bonugi-san.
- Vous avez bien dit Asako Nakiro ? dit Ayame.
- Oui, lui-même. Il est mort très âgé. Il pouvait avoir plus de soixante-dix ans.
Nos samuraï eurent un mauvais pressentiment quant aux recherches véritables du témoin Faucon.
- Et comment est-mort Bonugi-san ?
- Violemment, à tout le moins. On pense qu'il a été attaqué par une bête féroce, affamée sans doute, qui se serait décidée à s'en prendre à un homme. On a retrouvé son corps mutilé.
Genzo-san baissa d'un ton :
- Entre nous, d'aucuns pensent aussi qu'il s'agit d'un esprit. A force de les côtoyer, Bonugi-san a pu finir par les fâcher. Qui sait ?... ils ont pu finir par emporter avec eux celui qui les a tant fréquentés...
- Vous dites qu'Asako Nakiro est mort peu avant Bonugi ? demanda Kohei-san.
- Oui, une semaine peut-être.
- C'était il y a combien de temps ?
- Oh, cela doit faire maintenant quatre ans. C'était après la destruction du clan du Lièvre, mais avant l'attaque du clan du Scorpion.
Or, nos héros avaient vu Nakiro, quatre mois auparavant, au village thermal, et plutôt vivant. Mort-vivant disons.
- Où habitait Bonugi-san ?
- Pas très loin d'ici, dans une grande maison appartenant à ses ancêtres. On a peu touché à cet endroit. Vous savez, si c'est un esprit qui a frappé, alors le lieu est sacré. Intouchable. Dans le doute, nous préférons ne pas attiser la colère des esprits.
- Bon, décida Kohei, nous irons visiter sans tarder cet endroit. Nous verrons bien ce que nous trouverons là-bas.
- Bonugi-san était un membre prestigieux de notre clan, ajouta Genzo-san. Il avait été formé à l'admirable école des sodan-senzo de la famille Kitsu, ceux qui parlent aux Ancêtres. C'est là une faveur immense que nous a faite le clan du Lion. C'est pour cela que personne n'osait vraiment interférer dans les recherches de Bonugi-san.
Dans l'après-midi, nos quatre samuraï se mirent en marche. Ils arrivèrent en fin de journée. Il était encore temps de faire le tour des lieux, et de faire une première recherche dans les lieux. Tout était propre et net. La maison était au pied d'une cascade qui plongeait dans un petit bassin, à la sortie d'un village dans cette forêt qui respirait la magie. Kohei et Riobe inspectèrent les alentours.
- C'est là que la présence de Ryu-san aurait été utile, se dit le Licorne.
Pendant ce temps, Ikky et Ayame allaient découvrir l'intérieur de la maison ; en particulier, la shugenja se doutait bien que Bonugi-san devait avoir une considérable bibliothèque. Elle frétillait déjà d'envie d'aller y fouiner.
L'opium calmait ses douleurs, mais les recherches érudites étaient le stimulant de sa vie.
Elle n'avait pas le temps, pour le moment, de se plonger dans la masse de papier accumulée par le shugenja pendant vingt ans.
Elle avisa un détail intéressant dans la chambre : de la peinture sur le mur, séchée, recouverte de poussière. Ayame se serait attendue à du sang, mais non. C'était bien de la peinture. C'était une prière, puis le dessin de douze portails porteurs de cloches. Intriguée, mais pressée, Ayame recopia soigneusement la chose. La shugenja déchiffra la prière : elle était écrite dans un langage codé, accessible aux shugenja débutants. Cela parlait de la manière de s'attirer les bonnes faveurs d'un gaki, de capter sa puissance, de se l'asservir.
Ayame frissonna. Elle avait entendu parler des gaki dans son clan. Ces démons sont comme des cousins des onis. A ceci près qu'au départ, ils sont souvent faibles. Mais ils peuvent se lier à plusieurs personnes, dévorant leur esprit avec une voracité qui augmente sans cesse. Véritables vampires psychiques, ces horreurs de l'Outremonde peuvent voir leur puissance augmenter à l'infini.
Après la nuit d'horreur du village thermal, Ayame avait entendu Isawa Kanera-senseï et Isawa Masanaga-sama converser. Pour eux, les miséreux et les malades dont on avait lié l'esprit à un démon pouvaient bien être asservis à un gaki précisément.
Et pour Ayame, les choses devenaient claires. Asako Nakiro et Toritaka Bonugi avaient étudié ici pendant des années, loin de tout, les pouvoirs du gaki, avant que l'Inquisiteur n'aille mettre en application son savoir, au village thermal. Il vaudrait la peine de revenir le lendemain.
Les deux samuraï-ko ressortirent. Dehors, Kohei humait l'air du soir, et Riobe piquait du nez : sa nuit blanche lui pesait sur les épaules.
[Bonus DVD, coupé au montage final :
Ayame revenait donc plutôt bredouille de ses recherches dans la bibliothèque. Ikky s'impatientait :
- Bon, écoute ma vieille. J'apprends des techniques de combat spécialement faites pour me prendre des coups à ta place, je te suis dans toutes tes enquêtes sur les pires menaces de Rokugan, et toi, tu te la coule douce.
Kohei était bien d'accord. Tous les quatre avaient parcouru des centaines de kilomètre dans cet arrière-pays oublié de tous, alors on allait pas repartir d'ici avant qu'Ayame n'ait constitué un dossier béton sur Bonugi-san, et prouvé que c'était bel et bien un maho-tsukaï.
"Comme ces gens sont mayyyychants ! se dit Ayame. Kohei-san, stait mieux aaaaaaaaaavant !"
]

Le soir, après s'être couché tôt, Riobe se releva au milieu de la nuit. Il éprouvait le besoin de parler aux ancêtres. Il alla de nouveau près d'un bassin, à côté de la maison de Bonugi. L'eau brillait d'une étrange lueur, qui ne devait pas toute sa clarté à la lune. Elle venait d'ailleurs. Et Riobe entendait son nom murmuré dans les frondaisons, et les buissons. Les esprits de la forêt et de la nuit prêtaient attention à lui.
- Watanabe... Watanabe...
C'était la voix du vieil homme, pas de doute. Riobe se mit à genoux. Il fallait être humble face aux Ancêtres pour ne pas les repousser.
- ... Watanabe... Je suis du pays des morts... Je suis mort sans honneur, mais toi, tu es un samuraï honorable. Et nous sentons que tu peux nous entendre...
Le rônin resta immobile, près du lac. Il osa souffler :
- Qui êtes-vous ?
Le vieil homme était tout prêt de lui, dans son dos.
- Samuraï, je veux que tu sauves mon fils, car tu as connu le même sort que lui...
- Comment se nomme votre fils, honorable Ancêtre ?
- Il se nomme... Ozaki.
Riobe soupira, soulagé. Il sourit presque. Le vieil homme était donc Usagi Oda, le daimyo du Lièvre.
- Je crois à son innocence, honorable Ancêtre. Je trouverai ceux qui s'acharnent sur lui. J'aiderai de toutes mes forces à rétablir son honneur.
Le spectre s'approcha un peu plus de Riobe :
- Tu ne sais pas la joie que tu me fais, noble guerrier... Mon fils... te devra... tant...
Il disparaissait déjà. Mais Riobe sentait que le vieux seigneur Oda n'était pas seul.
Il y avait également là quelqu'un que Riobe, avant de s'appeler Riobe, avait bien connu. Natsu-san, l'ami de la famille. Celui que Watanabe avait assisté dans son suicide.
- Que de chemin parcouru, Watanabe-san, depuis que tu as quitté ton domaine. Aurais-tu cru marcher autant, et rencontrer tant de gens ?
- Je n'aurais jamais cru survivre si longtemps à la vie de rônin, Natsu-san.
- C'est la voix que tu as choisie. La voie de l'inconnu, et des temps intéressants. Du pays des Ancêtres, nous sommes plusieurs à te regarder, et à te faire confiance. La route sera longue et épineuse pour toi, cependant.
- C'est la voie que j'ai choisie.
- Que de gens étonnants tu as rencontrés. Que de monstres tu as combattus. Et ce n'est pas fait pour s'arrêter. Ton kharma est tortueux. Pour le purifier, tu devras endurer la douleur. Nous savons qu'Akodo Watanabe se battra pour son honneur, pour la voie du samuraï.
- Avec vous à mes côtés, je défendrai toujours mon honneur, Natsu-sama.
- Tu as sacrifié beaucoup de choses, pour mener cette vie-là. Tu auras sans doute encore à en sacrifier d'autres pour garder ton honneur.
- Je le sais, Natsu-sama. "Les Akodo vivent ensemble et tombent ensemble".
Déjà, l'apparition spectrale disparaissait à son tour.
Longtemps encore, Riobe resta à méditer. Décidément, ce pays si particulier était peut-être peuplé de plus de morts que de vivants, et déjà, notre rônin sentait qu'il ne pourrait jamais tout à fait l'oublier...
A suivre...
La 5e Réincarnation : 14e Episode
Chapitre III : Tani Hitokage
Asako Nakiro Wrote:He who builds a life upon betrayal is already dead.
Si Otosan Uchi était au centre de l'univers, la Vallée des Esprits était l'endroit qui en était le plus éloigné.

A l'est de la profonde, impénétrable et mystérieuse forêt Shinomen, au pied des montagnes du sommet desquels tombait un vent froid venu des plaines gaijin, entre les terres de la Licorne au nord, et les terres du Crabe au sud, Tani Hitokage était un monde à l'écart. Il semblait que le reste de l'Empire aurait pu être bouleversé, et avant peu il le serait, sans que cela affecte du tout la vie du clan du Faucon.
Quand Shinjo Kohei, Isawa Ayame, Shiba Ikky et Riobe arrivèrent au sommet d'une colline boisée, ils dominèrent, dans la lumière orangée du soir sur les massifs verts, toute cette vallée qu'on disait autant peuplée de vivants que de fantômes. Des lampions étaient accrochées partout aux arbres, et des bougies brûlaient le long des routes. Cette féérie illuminait les villages plongés dans le crépuscule. Une rivière, non loin de la, murmurait des légendes.
Riobe était content d'être venu en ce lieu. Depuis toujours, les histoires de son ancien clan parlaient du culte des ancêtres, de la présence des esprits des morts autour de nous, de la surveillance qu'ils exercent sur nous. Et il se trouvait dans la vallée où les esprits abondaient comme le peuple dans les faubourgs d'Otosan Uchi, et c'était justement la nuit de la fête des morts, quand ceux-ci revenaient parler à leurs descendants. Décidément, cette atmosphère nocturne mystérieuse lui convenait parfaitement. Pourrait-il trouver des réponses concernant ce vieil homme qui lui était apparu chez les Licornes ?
Isawa Ayame regardait avec curiosité ce pays où elle n'avait jamais mis les pieds. Comme elles étaient loin, les bibliothèques de la famille Isawa. Même le pays des Licornes avait fini par lui sembler (un peu) familier, mais là, elle aurait beaucoup de mal à comprendre cet endroit où le monde des morts semble se déverser dans celui des vivants, pareil à l'affluent dans le fleuve.
Nos héros arrivèrent dans un charmant village. Toute la population était dehors. On chantait, on dansait. Des acteurs masquaient racontaient les légendes ancestrales ; d'autres contaient des histoires de fantômes rokugani, accompagnés par des musiciens qui jouaient une envoûtante mélopée. Des marchands vendaient toutes sortes de porte-bonheur, de moulins à prière, de fétiches, pour s'attirer les faveurs des morts.
Le chef du village, Toritaka Genzo accourut au-devant des visiteurs, et tomba à genoux devant eux, dans la rue principale du bourg. Nos héros reçurent ses politesses d'usage, et présentèrent les leurs en retour.
- Ce sont les Ancêtres qui vous envoient, honorables magistrats.
Shinjo Kohei s'inclina, se déclaré honoré d'arriver en ce jour particulier sur les terres de la famille Toritaka.
Nos héros furent logés dans une grande bâtisse, un peu à l'écart du village. Il y avait là deux bassins, de grandes pièces, un parc très délicatement décoré. Deux soldats gardaient en permanence les lieux. Fourbu, Kohei voyait avec délice les servantes préparer le bain et le lit. Il se plongea dans l'eau bouillante avec ravissement. Il ne tarda pas à s'assoupir comme un bienheureux.
Des licornes d'or couraient dans des plaines merveilleuses, graciles et célestes. De jolis geishas versaient des vases pleins de fleurs et mille cerisiers fleurissaient.
Soudain, un fleuve sortait de son lit, et noyait tout.

Kohei se débattut soudain, et remonta à la surface. Assoupi, il avait plongé dans l'eau jusqu'au nez. Il toussa, renifla, toussa encore, puis baîlla de toutes ses forces.
Son corps demandait un gros et profond sommeil.
Vêtu de son kimono du soir, il passa souhaiter bonsoir aux deux Phénix. Il vit alors Riobe dans le jardin, assis en tailleurs près du bassin.
- Riobe ? tu viens dormir ?
- J'arrive, Kohei-san. Je finissais... d'admirer le jardin.
Kohei baîlla à s'en décrocher la mâchoire, s'étira puis, sans insister, alla se plonger dans sa couche. Le vent du soir amenait le parfum entêtant des massifs de fleur du jardin, ainsi que, de la chambre d'Ayame, un parfum capiteux identique à celui qui s'était déversé sur Mimura au moment où Panda-san voyait sa malédiction levait. Kohei-san réalisa alors qu'il connaissait maintenant Isawa Ayame et Shiba Ikky depuis un an, depuis le tournoi des rônins de Yamasura. Un an que, régulièrement, lui et les autres surprenaient Ayame à consommer ces plantes narcotiques.
Une fine pluie se mit à tomber, et berça bientôt le sommeil des occupants des lieux.

La pluie tombait du ciel et alourdissait les feuilles des arbres. Quand il se créait un trop-plein, la branche cédait soudain, et déversait ses eaux sur la terre, puis balançait jusqu'à reprendre sa position initiale. Riobe, assis au bord du bassin rendu lumineux par la lune, écoutait la pluie mumurait à ses oreilles. L'eau se ridait parfois, et elle murmurait ce nom qu'il voulait oublier : Watanabe... Watanabe...
Riobe avait tant d'ancêtres à prier, tant de morts dont se souvenir, depuis la bataille d'Otosan Uchi, et ce moment où, seul vivant parmi les morts, il s'était relevé, et avait pris le chemin du clan du loup...
Toute la nuit, il la passa auprès des ancêtres, tâchant d'écouter leur message, et de rester fidèle à la voie d'honneur qu'ils avaient tracée.
Toute la nuit, Riobe pria, et ce n'est qu'au petit matin qu'il s'endormit malgré lui. Après leur bonne nuit de sommeil, Kohei, Ayame et Ikky le trouvèrent levé le premier.
- Bien dormi, Riobe ? demanda Kohei.
- Euh, oui, Kohei-sama, dit le rônin avec des cernes jusque sur les joues.
Tout le monde se prépara, et en fin de matinée, l'enquête pouvait commencer.
Nos héros commencèrent par aller rencontrer Toritaka Genzo. Il fallait commencer par en apprendre plus sur le témoin mort ici, Toritaka Bonugi.

Alignés face à Toritaka Genzo, qui finissait de faire infuser le thé, nos héros profitait de la douceur des lieux. Le soleil perçait au travers du couvert végétal, en grandes raies de lumière qui brisaient l'obscurité des sous-bois.
- Bunugi-san, pour tout vous dire, honorables magistrats, était un érudit qui vivait quelque peu à l'écart. Il était passionné par ces recherches sur les esprits, les revenants, ceux que nous appelons des yorei. Ils font partie intégrante de la vie de notre clan. Bonugi-san a trouvé la mort après la fin du procès Usagi. Les Lièvres étaient nos ennemis depuis longtemps. Ces mauvais samuraï nous ont plusieurs fois attaqués sans raison. Ils sont vindicatifs, hargneux... Nous n'avons pas hésité à envoyer un témoin quand ce procès leur est arrivé. Ils n'avaient que ce qu'ils méritaient.
- Qu'est-ce qui a décidé Bonugi-san à aller témoigner ?
- C'est un ami à lui, avec qui il a étudié pendant très longtemps -plus de vingt ans- qui l'a décidé à se présenter aux Scorpions. C'était un Inquisiteur de la famille Asako, lui aussi très intéressé par les recherches sur les yorei. Un certain Asako Nakiro. Il est mort lui aussi ici, peu avant Bonugi-san.
- Vous avez bien dit Asako Nakiro ? dit Ayame.
- Oui, lui-même. Il est mort très âgé. Il pouvait avoir plus de soixante-dix ans.
Nos samuraï eurent un mauvais pressentiment quant aux recherches véritables du témoin Faucon.
- Et comment est-mort Bonugi-san ?
- Violemment, à tout le moins. On pense qu'il a été attaqué par une bête féroce, affamée sans doute, qui se serait décidée à s'en prendre à un homme. On a retrouvé son corps mutilé.
Genzo-san baissa d'un ton :
- Entre nous, d'aucuns pensent aussi qu'il s'agit d'un esprit. A force de les côtoyer, Bonugi-san a pu finir par les fâcher. Qui sait ?... ils ont pu finir par emporter avec eux celui qui les a tant fréquentés...
- Vous dites qu'Asako Nakiro est mort peu avant Bonugi ? demanda Kohei-san.
- Oui, une semaine peut-être.
- C'était il y a combien de temps ?
- Oh, cela doit faire maintenant quatre ans. C'était après la destruction du clan du Lièvre, mais avant l'attaque du clan du Scorpion.
Or, nos héros avaient vu Nakiro, quatre mois auparavant, au village thermal, et plutôt vivant. Mort-vivant disons.
- Où habitait Bonugi-san ?
- Pas très loin d'ici, dans une grande maison appartenant à ses ancêtres. On a peu touché à cet endroit. Vous savez, si c'est un esprit qui a frappé, alors le lieu est sacré. Intouchable. Dans le doute, nous préférons ne pas attiser la colère des esprits.
- Bon, décida Kohei, nous irons visiter sans tarder cet endroit. Nous verrons bien ce que nous trouverons là-bas.
- Bonugi-san était un membre prestigieux de notre clan, ajouta Genzo-san. Il avait été formé à l'admirable école des sodan-senzo de la famille Kitsu, ceux qui parlent aux Ancêtres. C'est là une faveur immense que nous a faite le clan du Lion. C'est pour cela que personne n'osait vraiment interférer dans les recherches de Bonugi-san.
Dans l'après-midi, nos quatre samuraï se mirent en marche. Ils arrivèrent en fin de journée. Il était encore temps de faire le tour des lieux, et de faire une première recherche dans les lieux. Tout était propre et net. La maison était au pied d'une cascade qui plongeait dans un petit bassin, à la sortie d'un village dans cette forêt qui respirait la magie. Kohei et Riobe inspectèrent les alentours.
- C'est là que la présence de Ryu-san aurait été utile, se dit le Licorne.
Pendant ce temps, Ikky et Ayame allaient découvrir l'intérieur de la maison ; en particulier, la shugenja se doutait bien que Bonugi-san devait avoir une considérable bibliothèque. Elle frétillait déjà d'envie d'aller y fouiner.


Elle n'avait pas le temps, pour le moment, de se plonger dans la masse de papier accumulée par le shugenja pendant vingt ans.
Elle avisa un détail intéressant dans la chambre : de la peinture sur le mur, séchée, recouverte de poussière. Ayame se serait attendue à du sang, mais non. C'était bien de la peinture. C'était une prière, puis le dessin de douze portails porteurs de cloches. Intriguée, mais pressée, Ayame recopia soigneusement la chose. La shugenja déchiffra la prière : elle était écrite dans un langage codé, accessible aux shugenja débutants. Cela parlait de la manière de s'attirer les bonnes faveurs d'un gaki, de capter sa puissance, de se l'asservir.
Ayame frissonna. Elle avait entendu parler des gaki dans son clan. Ces démons sont comme des cousins des onis. A ceci près qu'au départ, ils sont souvent faibles. Mais ils peuvent se lier à plusieurs personnes, dévorant leur esprit avec une voracité qui augmente sans cesse. Véritables vampires psychiques, ces horreurs de l'Outremonde peuvent voir leur puissance augmenter à l'infini.
Après la nuit d'horreur du village thermal, Ayame avait entendu Isawa Kanera-senseï et Isawa Masanaga-sama converser. Pour eux, les miséreux et les malades dont on avait lié l'esprit à un démon pouvaient bien être asservis à un gaki précisément.
Et pour Ayame, les choses devenaient claires. Asako Nakiro et Toritaka Bonugi avaient étudié ici pendant des années, loin de tout, les pouvoirs du gaki, avant que l'Inquisiteur n'aille mettre en application son savoir, au village thermal. Il vaudrait la peine de revenir le lendemain.
Les deux samuraï-ko ressortirent. Dehors, Kohei humait l'air du soir, et Riobe piquait du nez : sa nuit blanche lui pesait sur les épaules.
[Bonus DVD, coupé au montage final :
Ayame revenait donc plutôt bredouille de ses recherches dans la bibliothèque. Ikky s'impatientait :
- Bon, écoute ma vieille. J'apprends des techniques de combat spécialement faites pour me prendre des coups à ta place, je te suis dans toutes tes enquêtes sur les pires menaces de Rokugan, et toi, tu te la coule douce.
Kohei était bien d'accord. Tous les quatre avaient parcouru des centaines de kilomètre dans cet arrière-pays oublié de tous, alors on allait pas repartir d'ici avant qu'Ayame n'ait constitué un dossier béton sur Bonugi-san, et prouvé que c'était bel et bien un maho-tsukaï.

"Comme ces gens sont mayyyychants ! se dit Ayame. Kohei-san, stait mieux aaaaaaaaaavant !"


Le soir, après s'être couché tôt, Riobe se releva au milieu de la nuit. Il éprouvait le besoin de parler aux ancêtres. Il alla de nouveau près d'un bassin, à côté de la maison de Bonugi. L'eau brillait d'une étrange lueur, qui ne devait pas toute sa clarté à la lune. Elle venait d'ailleurs. Et Riobe entendait son nom murmuré dans les frondaisons, et les buissons. Les esprits de la forêt et de la nuit prêtaient attention à lui.
- Watanabe... Watanabe...
C'était la voix du vieil homme, pas de doute. Riobe se mit à genoux. Il fallait être humble face aux Ancêtres pour ne pas les repousser.
- ... Watanabe... Je suis du pays des morts... Je suis mort sans honneur, mais toi, tu es un samuraï honorable. Et nous sentons que tu peux nous entendre...
Le rônin resta immobile, près du lac. Il osa souffler :
- Qui êtes-vous ?
Le vieil homme était tout prêt de lui, dans son dos.
- Samuraï, je veux que tu sauves mon fils, car tu as connu le même sort que lui...
- Comment se nomme votre fils, honorable Ancêtre ?
- Il se nomme... Ozaki.
Riobe soupira, soulagé. Il sourit presque. Le vieil homme était donc Usagi Oda, le daimyo du Lièvre.
- Je crois à son innocence, honorable Ancêtre. Je trouverai ceux qui s'acharnent sur lui. J'aiderai de toutes mes forces à rétablir son honneur.
Le spectre s'approcha un peu plus de Riobe :
- Tu ne sais pas la joie que tu me fais, noble guerrier... Mon fils... te devra... tant...
Il disparaissait déjà. Mais Riobe sentait que le vieux seigneur Oda n'était pas seul.
Il y avait également là quelqu'un que Riobe, avant de s'appeler Riobe, avait bien connu. Natsu-san, l'ami de la famille. Celui que Watanabe avait assisté dans son suicide.
Riobe,03/12/2003 à 19:14 Wrote:Quand aux samouraïs qui étaient restés défendre le domaine, la plupart s’étaient donnés la mort sans attendre, les autres étaient partis en tant que rônin. Il ne restait plus que le fidèle Natsu qui attendait en espérant toujours le retour de son maître. Watanabe alla le retrouver sur le pont de bois au fond du jardin. Natsu était assis au dessus de la rivière et contemplait ses tourbillons. Il leva les yeux mêlés de tristesse et de joie quand son maître s’approcha de lui en armure de lion. Ils restèrent en silence pendant un long moment à regarder l’eau couler. Les discours étaient inutiles, les âmes parlaient en silence. Watanabe fini par se tourner vers Natsu et ses seuls mots furent : « tu as mon autorisation, et mon assistance ». Mais d’assistance il n’y eut pas besoin, car Natsu était brave et ne faiblît pas.
- Que de chemin parcouru, Watanabe-san, depuis que tu as quitté ton domaine. Aurais-tu cru marcher autant, et rencontrer tant de gens ?
- Je n'aurais jamais cru survivre si longtemps à la vie de rônin, Natsu-san.
- C'est la voix que tu as choisie. La voie de l'inconnu, et des temps intéressants. Du pays des Ancêtres, nous sommes plusieurs à te regarder, et à te faire confiance. La route sera longue et épineuse pour toi, cependant.
- C'est la voie que j'ai choisie.
- Que de gens étonnants tu as rencontrés. Que de monstres tu as combattus. Et ce n'est pas fait pour s'arrêter. Ton kharma est tortueux. Pour le purifier, tu devras endurer la douleur. Nous savons qu'Akodo Watanabe se battra pour son honneur, pour la voie du samuraï.
- Avec vous à mes côtés, je défendrai toujours mon honneur, Natsu-sama.
- Tu as sacrifié beaucoup de choses, pour mener cette vie-là. Tu auras sans doute encore à en sacrifier d'autres pour garder ton honneur.
- Je le sais, Natsu-sama. "Les Akodo vivent ensemble et tombent ensemble".
Déjà, l'apparition spectrale disparaissait à son tour.
Longtemps encore, Riobe resta à méditer. Décidément, ce pays si particulier était peut-être peuplé de plus de morts que de vivants, et déjà, notre rônin sentait qu'il ne pourrait jamais tout à fait l'oublier...
A suivre...
