21-11-2005, 07:11 PM
(This post was last modified: 22-11-2005, 12:23 AM by Darth Nico.)
Vampire 2006 - #6
23 janvier 2006
Tôt dans la nuit, Loren arriva devant un hôtel de la porte de Bagnolet, dans le 20e. La Bourgmestre Satomé lui avait demandé de s'y rendre en quatrième vitesse, car une goule y avait signalé une infraction à la Mascarade.
Loren s'était juré que c'était la dernière fois que Satomé lui donnait un ordre.
L'hôtel de Bagnolet avait un confort et une fraîcheur conforme à des standards Nosferatu : défraîchi, crasseux, se détachant à peine de l'ennui de cette portion de ville coincée entre des HLM et le périphérique, il n'évoquait rien d'autre qu'un dimanche d'ennui à traîner en ville avant d'y échouer par desespoir : certaines chambres étaient louées à l'année à un Gangrel qui y faisait travailler quelques filles. Loren entra sans tarder dans l'établissement. Une goule l'avait rapidement mis au courant des faits : en début de nuit, une Caïnite identifiée comme étant la Lasombra Strasbourgeoise Béatrice l'Angou s'y était rendu, en compagnie du Ventrue George Leblond. Loren n'avait aucune envie d'avoir de nouveau affaire à ce rejeton de la branche des Parvenus, à ses combines minables et à ses travailleurs clandestins.
L'adjoint de Satomé le trouva au lit, dormant profondément.
- Debout, Leblond !
L'endroit suintait l'humidité et la grisaille. Le Parvenu se réveilla brusquement. Il était nu comme un ver. Loren se retourna le temps qu'il s'habille en vitesse, humilié d'être découvert dans un boui-boui pareil.
En débardeur, Leblond s'assit au bord du lit.
- J'ai soif, feula t-il, la tête dans les mains.
- Que s'est-il passé ? Elle t'a emmené ici ?
- Je ne la connaissais pas, maugréa Leblond. Je l'ai croisé chez la Valori. Elle m'avait jeté des regards aguicheurs, plusieurs fois. En début de nuit, elle m'a appelé et m'a donné rendez-vous ici... Des années que je n'avais pas connu ça...
Loren se demandait ce qu'on pouvait bien trouver à un type comme Leblond.
- Où est-elle, maintenant ?
- Je n'en sais rien. Quand j'étais avec elle, j'ai eu des hallucinations. Pourtant, j'ai rien sniffé ou fumé... Mais il y avait des flash de lumière, des créatures qui dansaient dans l'air, c'était la folie... Et maintenant, j'ai tellement soif.
- Une dernière question et je te laisse partir en chasse. Tu as son numéro de téléphone ?
Leblond fouilla dans la poche de sa veste, alluma son téléphone et envoya le numéro de l'Angou sur le portable de Loren.
- Bien. Tu peux y aller maintenant. Tu t'es rendu complice d'une infraction mineure à la Mascarade. Je passe pour cette fois, avec ce qui s'est passé la nuit dernière. Mais maintenant, c'est terminé. Tout rentre dans l'ordre, compris ?
Leblond se leva et partit, furieux et assoiffé. Loren le toisa pendant qu'il s'éloignait. Il jeta un coup d'oeil à la chambre, puis sortit à son tour. Il décrocha son propre portable et composa un numéro.
- Allô, monsieur le Lapin de Garenne ? Comment allez-vous ? Vous me raconterez comment s'est passé la nuit dernière pour vous... Pour moi ? Bien. J'ai décapité quelques vilains Tzymisce... Oui, dites-moi, mon cher Anatole, un petit service à vous demander... Me localiser un portable. Une broutille pour vous... Je vous envoie le numéro... C'est ça, j'attends votre coup de fil.
Loren raccrocha et alla à sa voiture. Il monta à l'arrière et dit à James :
- Roule, vers n'importe où pour le moment, mais je ne reste pas une minute de plus dans ce quartier...
Au coin d'une rue, il aperçut Leblond mordre au cou une fille en mini-jupe de cuir. A côté, le Gangrel comptait ses billets, pendant que la fille tombait doucement dans les pommes.
Le téléphone sonna :
- Allô, Anatole ? Vous avez la localisation ?... Oui ? parfait. Où se trouve l'appareil ?... Là-bas, vous êtes sûrs ? Certain ?... Entendu... Vous verrez avec James pour votre paiement, bien sûr... Bonne nuit, merci.
Loren n'en revenait pas. Il sourit, à la fois très amusé et excité dans sa méchanceté : si le Lapin de Garenne ne s'était pas trompé, à l'heure actuelle, Béatrice l'Angou (ou au moins son téléphone) se trouvait près des Buttes-Chaumont, dans un des manoirs de Pierre-Emmanuel de Pompignan, l'ennemi intime de Loren, le grand seigneur qui avait été l'adversaire de Villon, avant que le jeune Loren ne lui prenne sa place au Primogène.
- Aux Buttes-Chaumont, James ! Nous allons dans le monde !
Lui qui pensait commencer sa nuit en pistant une délinquante vis-à-vis des lois de la Mascarade, il allait pénétrer dans le repaire de cet Ancêtre de Pompignan : on allait bien rire !

Graziella avait demandé à se faire réveiller dès le coucher du soleil. Pas une minute à perdre, sachant qu'à 5h30 dernier carat, elle devait avoir retrouvé Béatrice l'Angou et l'avoir amené chez Santi. Peut-être trouverait-elle à la contacter rapidement, mais dans le doute, mieux valait prévoir la nuit entière. Et avant ça, il y avait Camille.
Aussitôt qu'elle fut habillée, de Valori alla frapper à la porte de la chambre de son hôte.
- Je m'inquiétais de savoir si vous étiez réveillé. Nous avons une longue nuit devant nous.
- Entrez !
Graziella poussa la porte.
- Je suis dans la salle de bains, j'arrive.
Elle perçut une détresse profonde dans la voix de Camille, qu'il avait essayé de masquer par une formule banale. Elle savait que c'était peut-être dur, qu'il allait sans doute avouer des choses pénibles, mais c'était ainsi : il ne pouvait plus se dérober.
- Je vous en prie, Camille, prenez le temps de finir de vous préparer.
- Graziella, écoutez...
Il y avait dans sa voix un accent déchirant, une tristesse à vous froisser le coeur.
- Qui y a t-il ?
- Ecoutez, Graziella, je vais sortir vous voir, mais vous feriez mieux de vous asseoir. J'ai peur de vous causer un choc.
Incrédule, l'Italienne fut piquée dans sa curiosité. Elle s'approcha de la salle de bains pour y jeter un oeil. Elle se rejeta en arrière brusquement, stupéfaite, prise par la fascination et une peur inexplicable face à la créature qui sortit devant elle : c'était le grand échalas haut de plus de deux mètres, à l'apparence fantastique, qu'elle avait poursuivi avec Loren, au village suisse. Sa peau était fine, presque transparente, son visage allongé, blême et ses yeux d'un bleu très profond, comme s'ils pouvaient regarder sur une galaxie lointaine et abandonnée. Graziella avait porté la main à sa bouche. La créature se planta devant elle, ses grands bras ballants, comme gênée par ce corps trop grand dont elle ne savait que faire. Elle voulut faire un pas vers Graziella mais celle-ci recula, de peur d'être touchée par ces grandes mains maigres.
- C'est moi, Camille... Vous me voyez sous ma vraie forme... C'est moi qui était au village suisse hier... J'étais mort de peur, à cause de la folie de Shrek...
Cet épouvantail lunaire, cet être surnaturel, semblable à un humain grotesquement étiré et amaigri, c'était la vraie apparence de Camille, le gentil jeune érudit aux yeux bleus, le gendre idéal ?
- Je crois qu'il serait préférable que je reprenne l'apparence que vous me connaissez habituellement...
- Oui, j'aimerais bien, si la chose est possible.
Graziella se sentait chavirer, comme dans la chambre de l'Angou, comme dans la boutique de déguisement.
La créature repartit dans la salle de bains, en avalant une potion de couleur violacée. Graziella grimaça en entendant des bruits de craquements d'os et de déglutitions répugnants. Dans quel état allait-elle retrouver Camille ?
C'est soulagée qu'elle le vit revenir, avec sa taille habituelle, son physique avantageux sans être si remarquable, sa peau normalement rose et son regard doucement bleuté.
- Je suis vraiment désolé Graziella. Il fallait bien qu'un jour ou l'autre nous en arrivions à ça... Mon histoire remonte à loin dans le temps. Il faut partir de l'époque du Haut Moyen-Age, peut-être même avant, dans les derniers temps de l'Empire romain, quand les Barbares piétinaient les ruines bâties par les empereurs, quand les forêts repoussaient...
Stupéfaite, de Valori toisait Camille.
- Mais je tiens à vous dire, sourit ce dernier, que je n'ai pas été Etreint à cette époque. Pas du tout. J'ai rejoint le monde de la nuit en 1982. Non, je vous parle des origines de ma lignée... Donc, dans ces temps oubliés, un Lasombra du nom de Marconius étudiait les créatures de la nuit. C'était un érudit, solitaire, initié à de nombreux mystères qui ont peut-être disparu avec les profondes forêts de cette époque. On dit que Marconius avait appris le langage des lupins et d'autres créatures dont notre monde moderne ne soupçonne pas l'existence. Lui et deux membres de son clan étaient en fait parvenus à entrer en contact avec les fées.
"Vous avez vu chez moi des volumes consacrés à ces êtres mystérieux. Marconius avait affaire à des Fées de la Cour Unseelie. Pour vous décrire rapidement, ce sont des fées nocturnes, taciturnes, en rapport avec les ombres et la lune, contrairement à leurs cousines, du royaume des étoiles et du jour, de la fête et de la gaieté. Quoiqu'il en soit, Marconius finit un jour par diaboliser une de ces fées.
- J'ignorais qu'une telle chose était possible, murmura Graziella.
- Possible, certainement. Recommandable, je ne sais pas. Le sang de la Fée nocturne, une Sidhe, passa dans le sang de Marconius. Au bout d'un certain, celui-ci reprit ses esprits, après avoir été assailli par des hallucinations fantasmagoriques délirantes ! Et Marconius avait acquis un nouveau don de vision : il pouvait apercevoir, dans certaines conditions, le monde des Fées !
- Le monde des fées ?
- Les fées entretiennent avec notre monde un rapport conflictuel. Elles qui sont merveilleuses, elles dépérissent vite dans un environnement banal, prosaïque comme nos villes. Elles peuvent survivre dans des environnements privilégiés. Parmi les Toreador par exemple, qui exercent un art, ou dans les lieux de pratiques magiques des Tremere. Bref, dans des lieux séduisants, dédiés à la beauté ou à l'extraordinaire.
Et Graziella pensa automatiquement :
- Donc pas chez François Loren :ahah: .
- En outre, Marconius subit des déformations physiques importantes. Il devint... enfin comme vous m'avez vu. Bien plus grand que la normale, les yeux bleus, la peau blanche... Et, en plus de savoir manipuler les Ombres, il avait accès à une partie du pouvoir des Fées. Il était devenu un Kyasid : littéralement, un tueur de Sidhe. La lignée disparut pendant des siècles, avant de réapparaître à Strasbourg, au 14e siècle, où ils prirent le pouvoir aux Ventrue.
- Une bonne chose, ça. :ahah:
- Depuis, les Kyasid sont connus, quand ils sont connus, pour être des solitaires érudits, un peu comme moi... sourit Camille. A ceci près qu'ils ont généralement rejoint le Sabbat. Ils sont passionnés par des connaissances si ténébreuses qu'ils finissent par renoncer à leur humanité pour la conquérir. Béatrice l'Angou fait partie de la même lignée. La plupart du temps, elle se comporte en humaine, mais je la soupçonne de fricoter avec l'Archêveque Alfredo...
Graziella prenait le temps de "digérer" ce qu'elle venait d'entendre. Elle n'en perdait pas complétement le nord : elle savait quand c'était l'occasion de se moquer de Loren, mais pour le reste, elle n'en croyait pas ses oreilles.
Etourdie, elle murmura :
- Allons boire une coupe de sang.
- Volontiers, sourit Camille.
Il était encore gêné d'avouer ce qu'il était mais fier de son récit, plein de mystère et d'occultisme comme on l'aime chez les fins connaisseurs.
Et maintenant Graziella allait courir après une nymphomane !
A suivre...
23 janvier 2006
Tôt dans la nuit, Loren arriva devant un hôtel de la porte de Bagnolet, dans le 20e. La Bourgmestre Satomé lui avait demandé de s'y rendre en quatrième vitesse, car une goule y avait signalé une infraction à la Mascarade.
Loren s'était juré que c'était la dernière fois que Satomé lui donnait un ordre.
L'hôtel de Bagnolet avait un confort et une fraîcheur conforme à des standards Nosferatu : défraîchi, crasseux, se détachant à peine de l'ennui de cette portion de ville coincée entre des HLM et le périphérique, il n'évoquait rien d'autre qu'un dimanche d'ennui à traîner en ville avant d'y échouer par desespoir : certaines chambres étaient louées à l'année à un Gangrel qui y faisait travailler quelques filles. Loren entra sans tarder dans l'établissement. Une goule l'avait rapidement mis au courant des faits : en début de nuit, une Caïnite identifiée comme étant la Lasombra Strasbourgeoise Béatrice l'Angou s'y était rendu, en compagnie du Ventrue George Leblond. Loren n'avait aucune envie d'avoir de nouveau affaire à ce rejeton de la branche des Parvenus, à ses combines minables et à ses travailleurs clandestins.
L'adjoint de Satomé le trouva au lit, dormant profondément.
- Debout, Leblond !
L'endroit suintait l'humidité et la grisaille. Le Parvenu se réveilla brusquement. Il était nu comme un ver. Loren se retourna le temps qu'il s'habille en vitesse, humilié d'être découvert dans un boui-boui pareil.
En débardeur, Leblond s'assit au bord du lit.
- J'ai soif, feula t-il, la tête dans les mains.
- Que s'est-il passé ? Elle t'a emmené ici ?
- Je ne la connaissais pas, maugréa Leblond. Je l'ai croisé chez la Valori. Elle m'avait jeté des regards aguicheurs, plusieurs fois. En début de nuit, elle m'a appelé et m'a donné rendez-vous ici... Des années que je n'avais pas connu ça...
Loren se demandait ce qu'on pouvait bien trouver à un type comme Leblond.
- Où est-elle, maintenant ?
- Je n'en sais rien. Quand j'étais avec elle, j'ai eu des hallucinations. Pourtant, j'ai rien sniffé ou fumé... Mais il y avait des flash de lumière, des créatures qui dansaient dans l'air, c'était la folie... Et maintenant, j'ai tellement soif.
- Une dernière question et je te laisse partir en chasse. Tu as son numéro de téléphone ?
Leblond fouilla dans la poche de sa veste, alluma son téléphone et envoya le numéro de l'Angou sur le portable de Loren.
- Bien. Tu peux y aller maintenant. Tu t'es rendu complice d'une infraction mineure à la Mascarade. Je passe pour cette fois, avec ce qui s'est passé la nuit dernière. Mais maintenant, c'est terminé. Tout rentre dans l'ordre, compris ?
Leblond se leva et partit, furieux et assoiffé. Loren le toisa pendant qu'il s'éloignait. Il jeta un coup d'oeil à la chambre, puis sortit à son tour. Il décrocha son propre portable et composa un numéro.
- Allô, monsieur le Lapin de Garenne ? Comment allez-vous ? Vous me raconterez comment s'est passé la nuit dernière pour vous... Pour moi ? Bien. J'ai décapité quelques vilains Tzymisce... Oui, dites-moi, mon cher Anatole, un petit service à vous demander... Me localiser un portable. Une broutille pour vous... Je vous envoie le numéro... C'est ça, j'attends votre coup de fil.
Loren raccrocha et alla à sa voiture. Il monta à l'arrière et dit à James :
- Roule, vers n'importe où pour le moment, mais je ne reste pas une minute de plus dans ce quartier...
Au coin d'une rue, il aperçut Leblond mordre au cou une fille en mini-jupe de cuir. A côté, le Gangrel comptait ses billets, pendant que la fille tombait doucement dans les pommes.
Le téléphone sonna :
- Allô, Anatole ? Vous avez la localisation ?... Oui ? parfait. Où se trouve l'appareil ?... Là-bas, vous êtes sûrs ? Certain ?... Entendu... Vous verrez avec James pour votre paiement, bien sûr... Bonne nuit, merci.
Loren n'en revenait pas. Il sourit, à la fois très amusé et excité dans sa méchanceté : si le Lapin de Garenne ne s'était pas trompé, à l'heure actuelle, Béatrice l'Angou (ou au moins son téléphone) se trouvait près des Buttes-Chaumont, dans un des manoirs de Pierre-Emmanuel de Pompignan, l'ennemi intime de Loren, le grand seigneur qui avait été l'adversaire de Villon, avant que le jeune Loren ne lui prenne sa place au Primogène.
- Aux Buttes-Chaumont, James ! Nous allons dans le monde !
Lui qui pensait commencer sa nuit en pistant une délinquante vis-à-vis des lois de la Mascarade, il allait pénétrer dans le repaire de cet Ancêtre de Pompignan : on allait bien rire !

Graziella avait demandé à se faire réveiller dès le coucher du soleil. Pas une minute à perdre, sachant qu'à 5h30 dernier carat, elle devait avoir retrouvé Béatrice l'Angou et l'avoir amené chez Santi. Peut-être trouverait-elle à la contacter rapidement, mais dans le doute, mieux valait prévoir la nuit entière. Et avant ça, il y avait Camille.
Aussitôt qu'elle fut habillée, de Valori alla frapper à la porte de la chambre de son hôte.
- Je m'inquiétais de savoir si vous étiez réveillé. Nous avons une longue nuit devant nous.
- Entrez !
Graziella poussa la porte.
- Je suis dans la salle de bains, j'arrive.
Elle perçut une détresse profonde dans la voix de Camille, qu'il avait essayé de masquer par une formule banale. Elle savait que c'était peut-être dur, qu'il allait sans doute avouer des choses pénibles, mais c'était ainsi : il ne pouvait plus se dérober.
- Je vous en prie, Camille, prenez le temps de finir de vous préparer.
- Graziella, écoutez...
Il y avait dans sa voix un accent déchirant, une tristesse à vous froisser le coeur.
- Qui y a t-il ?
- Ecoutez, Graziella, je vais sortir vous voir, mais vous feriez mieux de vous asseoir. J'ai peur de vous causer un choc.
Incrédule, l'Italienne fut piquée dans sa curiosité. Elle s'approcha de la salle de bains pour y jeter un oeil. Elle se rejeta en arrière brusquement, stupéfaite, prise par la fascination et une peur inexplicable face à la créature qui sortit devant elle : c'était le grand échalas haut de plus de deux mètres, à l'apparence fantastique, qu'elle avait poursuivi avec Loren, au village suisse. Sa peau était fine, presque transparente, son visage allongé, blême et ses yeux d'un bleu très profond, comme s'ils pouvaient regarder sur une galaxie lointaine et abandonnée. Graziella avait porté la main à sa bouche. La créature se planta devant elle, ses grands bras ballants, comme gênée par ce corps trop grand dont elle ne savait que faire. Elle voulut faire un pas vers Graziella mais celle-ci recula, de peur d'être touchée par ces grandes mains maigres.
- C'est moi, Camille... Vous me voyez sous ma vraie forme... C'est moi qui était au village suisse hier... J'étais mort de peur, à cause de la folie de Shrek...
Cet épouvantail lunaire, cet être surnaturel, semblable à un humain grotesquement étiré et amaigri, c'était la vraie apparence de Camille, le gentil jeune érudit aux yeux bleus, le gendre idéal ?
- Je crois qu'il serait préférable que je reprenne l'apparence que vous me connaissez habituellement...
- Oui, j'aimerais bien, si la chose est possible.
Graziella se sentait chavirer, comme dans la chambre de l'Angou, comme dans la boutique de déguisement.
La créature repartit dans la salle de bains, en avalant une potion de couleur violacée. Graziella grimaça en entendant des bruits de craquements d'os et de déglutitions répugnants. Dans quel état allait-elle retrouver Camille ?
C'est soulagée qu'elle le vit revenir, avec sa taille habituelle, son physique avantageux sans être si remarquable, sa peau normalement rose et son regard doucement bleuté.
- Je suis vraiment désolé Graziella. Il fallait bien qu'un jour ou l'autre nous en arrivions à ça... Mon histoire remonte à loin dans le temps. Il faut partir de l'époque du Haut Moyen-Age, peut-être même avant, dans les derniers temps de l'Empire romain, quand les Barbares piétinaient les ruines bâties par les empereurs, quand les forêts repoussaient...
Stupéfaite, de Valori toisait Camille.
- Mais je tiens à vous dire, sourit ce dernier, que je n'ai pas été Etreint à cette époque. Pas du tout. J'ai rejoint le monde de la nuit en 1982. Non, je vous parle des origines de ma lignée... Donc, dans ces temps oubliés, un Lasombra du nom de Marconius étudiait les créatures de la nuit. C'était un érudit, solitaire, initié à de nombreux mystères qui ont peut-être disparu avec les profondes forêts de cette époque. On dit que Marconius avait appris le langage des lupins et d'autres créatures dont notre monde moderne ne soupçonne pas l'existence. Lui et deux membres de son clan étaient en fait parvenus à entrer en contact avec les fées.
"Vous avez vu chez moi des volumes consacrés à ces êtres mystérieux. Marconius avait affaire à des Fées de la Cour Unseelie. Pour vous décrire rapidement, ce sont des fées nocturnes, taciturnes, en rapport avec les ombres et la lune, contrairement à leurs cousines, du royaume des étoiles et du jour, de la fête et de la gaieté. Quoiqu'il en soit, Marconius finit un jour par diaboliser une de ces fées.
- J'ignorais qu'une telle chose était possible, murmura Graziella.
- Possible, certainement. Recommandable, je ne sais pas. Le sang de la Fée nocturne, une Sidhe, passa dans le sang de Marconius. Au bout d'un certain, celui-ci reprit ses esprits, après avoir été assailli par des hallucinations fantasmagoriques délirantes ! Et Marconius avait acquis un nouveau don de vision : il pouvait apercevoir, dans certaines conditions, le monde des Fées !
- Le monde des fées ?
- Les fées entretiennent avec notre monde un rapport conflictuel. Elles qui sont merveilleuses, elles dépérissent vite dans un environnement banal, prosaïque comme nos villes. Elles peuvent survivre dans des environnements privilégiés. Parmi les Toreador par exemple, qui exercent un art, ou dans les lieux de pratiques magiques des Tremere. Bref, dans des lieux séduisants, dédiés à la beauté ou à l'extraordinaire.
Et Graziella pensa automatiquement :
- Donc pas chez François Loren :ahah: .
- En outre, Marconius subit des déformations physiques importantes. Il devint... enfin comme vous m'avez vu. Bien plus grand que la normale, les yeux bleus, la peau blanche... Et, en plus de savoir manipuler les Ombres, il avait accès à une partie du pouvoir des Fées. Il était devenu un Kyasid : littéralement, un tueur de Sidhe. La lignée disparut pendant des siècles, avant de réapparaître à Strasbourg, au 14e siècle, où ils prirent le pouvoir aux Ventrue.
- Une bonne chose, ça. :ahah:
- Depuis, les Kyasid sont connus, quand ils sont connus, pour être des solitaires érudits, un peu comme moi... sourit Camille. A ceci près qu'ils ont généralement rejoint le Sabbat. Ils sont passionnés par des connaissances si ténébreuses qu'ils finissent par renoncer à leur humanité pour la conquérir. Béatrice l'Angou fait partie de la même lignée. La plupart du temps, elle se comporte en humaine, mais je la soupçonne de fricoter avec l'Archêveque Alfredo...
Graziella prenait le temps de "digérer" ce qu'elle venait d'entendre. Elle n'en perdait pas complétement le nord : elle savait quand c'était l'occasion de se moquer de Loren, mais pour le reste, elle n'en croyait pas ses oreilles.
Etourdie, elle murmura :
- Allons boire une coupe de sang.
- Volontiers, sourit Camille.
Il était encore gêné d'avouer ce qu'il était mais fier de son récit, plein de mystère et d'occultisme comme on l'aime chez les fins connaisseurs.

A suivre...
