24-04-2006, 10:51 PM
(This post was last modified: 10-05-2006, 08:09 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE
<span style="color:green">La 5e Réincarnation : 16e Episode</span><!--/sizec-->
Coq 1127
La Cité des Mensonges<!--/sizec-->
Miya Katsu s'épongea le front rapidement et fit signe à son serviteur d'agiter plus vite l'éventail. Par la fenêtre entrait un beau soleil de matin d'automne. Un de ces matins qui annonce la puissance du jour, quand l'été est encore proche et l'hiver paraît encore bien lointain ; quand la nature a tout juste fini de verdir et s'apprête seulement à déployer ses mille rougeoiements.
Le magistrat toussota, relut un morceau du parchemin étalé devant lui, le roula et le fit disparaître dans les plis de son kimono. Il s'assura que l'on avait fait disposer de l'eau et des fruits dans la salle.
Puis il fit signe de faire entrer.
Entrèrent alors Kakita Hiruya, Isawa Ayame, Shiba Ikky, Hida Shigeru et Mirumoto Ryu, qui vinrent s'asseoir devant lui et s'inclinèrent respectueusement.
- Konnichi-wa, samuraï, dit Katsu-sama. Soyez les bienvenus à Ryoko Owari Toshi, la Cité des Histoires !
"Par la volonté de l'Empereur, nous voici à nouveau réunis. Et cette fois sans doute pour longtemps. Puisque j'ai eu l'honneur de recevoir cette charge de Magistrat d'Emeraude dans cette cité, je n'ai pas manqué de faire appeler auprès de moi mes assistants.
"Hiruya-san, j'ai reçu et lu votre rapport concernant cette petite affaire dont j'avais souhaité que vous vous occupassiez..."
Katsu-sama maniait la litote avec une maîtrise confirmée : l'affaire en question, le procès Ozaki, lui avait coûté plus de quatre ans d'efforts et il s'était rongé d'angoisses en attendant de voir si nos héros pourraient la résoudre. Et quand il avait appris que ladite "petite" affaire s'était terminée par une bataille rangée contre une armée de l'Outremonde...
- J'espère que votre séjour à la cour d'été du vénérable Champion d'Emeraude a été pour vous période de réjouissance et de gloire.
- Tout à fait, affirma Hiruya.
- Réjouissons-nous également du départ de Shinjo Kohei et Bayushi Bokkai à la guerre. Car nous savons combien ces guerriers font honneur à l'Empire. Puissent-ils y combattre et y magnifier les vertus du bushido, tout en couvrant leurs clans de gloire.
- Nous le souhaitons, Katsu-sama.
- La tâche qui nous attend, samuraï, est parmi les plus nobles et les plus dignes qu'on puisse confier à des hommes. Elle exige des samuraï accomplis, sûrs d'eux-mêmes, fiers et humbles à la fois, prêts à se dévouer de toutes leurs forces, fermes dans leurs décisions et attentifs dans leurs choix. Ceci est dans l'ordre des choses et ce n'est qu'à des samuraï de haute naissance comme vous que peuvent échoir ces tâches.
- Nous en serons dignes, affirma Hiruya.
Le Magistrat se fit apporter un parchemin, toussota et lut à nos héros la charte de la magistrature d'Emeraude, qui détaillait la juridiction, les devoirs, les droits et les limites de leurs pouvoirs.
- L'autre autorité en ville est celle du Gouverneur. Traditionnellement, elle est assumée par le clan du Scorpion, le plus puissant en ville. L'actuel Gouverneur est Shosuro Hyobu, veuve du précédent Gouverneur. Son fils, Shosuro Jocho, n'a pas encore formulé le voeu de la remplacer à ce poste ; il commanda la Garde du Tonnerre, l'élite des soldats de la ville. Le second clan le plus important est celui de la Licorne, que dirige Ide Baranato. Les autres clans sont moins importants politiquement.
"Mon prédécesseur au poste de Magistrat d'Emeraude fut l'honorable Matsu Shigeko. A la suite de désaccords profonds avec le Gouverneur, elle fut appelée à d'autres responsabilités.
"Avant elle, le poste fut occupé par Ashidaka Naritoki, du clan de la Grue... qui fut assassiné... Et le coupable n'a pas été trouvé. Autrement dit, le retrouver est une tâche primordiale : il en va de la réputation de la magistrature.
"L'autre tâche qui nous concerne au premier chef est la question de l'opium...
Ayame fit alors un gros effort pour avoir l'air parfaitement neutre sur cette question.
- L'opium est cultivé parfaitement légalement, autour de la Cité, à des fins médicinales. Elle calme en effet les douleurs. Ce n'est qu'une fois qu'elle est traitée et modifiée par des techniques infâmes qu'elle se transforme en poison et devient une drogue, l'un des pires fléaux de l'Empire. La Magistrature a toujours essayé d'endiguer ce mal, mais rien n'y fait. Evidemment, un tel commerce ne pourrait se faire sans le soutien de personnages bien placées. Mais on n'a jamais trouvé de témoins assez puissants pour que leur témoignage soit suffisants.
"Mais avant de vous attaquer à ces tâches redoutables, samuraï, vous êtes dès ce soir invités par les dignitaires de la ville. A savoir le clan de la Licorne et le clan du Scorpion. Les deux invitations viennent d'arriver séparément. Aussi ce sera une première tâche pour vous, Hiruya-san, de savoir comment vous y répondrez. Irez-vous tous chez l'un ou l'autre, refuserez-vous les deux ou bien vous partagerez-vous les invitations ? A vous de décider... Et ce n'est pas une moindre décision, car souvenez-vous : on n'a pas deux fois l'occasion de faire une première bonne impression !"

Le palais de la famille Shosuro était la plus imposante bâtisse des quartiers nobles de la ville : il projetait son ombre sur les rues et les bâtisses alentours et on le voyait de presque partout en ville, solide et robuste.
L'intérieur était tortueux, étroit, inquiétant.
Kakita Hiruya, Hida Shigeru et Mirumoto Ryu avançaient, suivis et précédés de samuraï qui marchaient à pas feutrés dans cette antre qu'ils avaient l'air de connaître si bien et qui étaient labyrinthique pour nos héros. On n'entrait de cet endroit, et surtout on n'en sortait !, que si les Scorpions le voulaient bien. Les hôtes ne manquèrent pas de montrer cet humour si grinçant qui fait leur réputation : des serviteurs en habits noirs, rappelant les fameux ninjas s'esquivaient au coin d'un couloir ; d'autres semblaient sortir d'un panneau dérobé ou surgir brusquement d'un coin de pénombre...
Quand le panneau en bois s'ouvrit sur la salle de réception, nos héros sentirent une grosse boule leur remonter dans la gorge. Une dizaine de membres du clan se trouvait là, vêtue des habits bleus nuits et des masques sinistres, souriant en tentant d'être aimables, mais avec une pointe de rictus qui vous faisait plutôt frissonner.
Le Gouverneur Shosuro Hyobu, une femme d'une cinquantaine d'années, un voile sur le bas du visage, agitait un éventail en toisant les visiteurs d'un regard sévère.
Autour d'elle, les trois chefs de famille du clan.
Shosuro Jocho, son fils, beau brun ténébreux au regard perçant et au sourire ironique.
Bayushi Korechika, homme dans la force de l'âge, au masque finement travaillé, respirant l'assurance relevée d'une pointe de menace.
Soshi Seiryoku, femme d'une trentaine d'années, au masque lui couvrant tout le visage, aux doigts fins légérement crispés et aux ongles longs, peints en violet foncés et taillés en pointe.
Nos héros avaient beau se répéter que ceci n'était qu'une mascarade habituelle des Scorpions, destinée à épater et effrayer les nouveaux arrivants, ils n'en éprouvaient pas moins, devant cette scène théâtrale sur laquelle il entrait, une appréhension dont leurs hôtes devaient se délecter.
La soirée fut pourtant agréable, les Scorpions étant maîtres dans l'art de paraître agréables et sournois à la fois, de façon à ce que leurs invités n'aient aucune raison tangible de se plaindre de leurs manières sans pouvoir se défaire d'un sentiment de menace imminente. Le Gouverneur ne manqua pas de faire remarquer qu'elle s'attendait à recevoir également deux honorables Phénix. Kakita Hiruya dut expliquer franchement qu'il avait dû répondre aussi à l'invitation des Licornes. Occasion en or pour les Scorpions de ricaner sur le compte des fils de Shinjo et reprocher tacitement à Hiruya sa politique de la poire coupée en deux.
Le saké était excellent, même pas additionné à du curare ou autre poison du genre et les plats très fins, servis par des domestiques, qui n'étaient pas vêtus de noir et qui ne tentaient pas de vous étrangler entre chaque plat.
En fin de repas, Shoruo Jocho proposa de faire visiter la ville le lendemain aux magistrats, accompagnés de la Garde du Tonnerre. Kakita Hiruya se déclara honoré par cette proposition. Jocho-san et lui avaient à peu près le même âge : le Grue sentait qu'il pourrait peut-être s'entendre avec lui...
C'est encore Jocho qui raccompagna les visiteurs à la porte, et il leur sembla bien que le chemin pris pour sortir n'était pas le même que celui de l'allée...
Il faisait nuit noire quand nos héros rentrèrent au palais de la magistrature, à quelques rues de là, et le bâtiment Shosuro apparaissait encore plus comme une antre de cauchemar, vouée aux malédictions, aux complots et aux ombres...

Isawa Ayame et Shiba Ikky arrivèrent dans le palais de la Licorne, étrange bâtisse qui se distinguait de toutes les autres, avec sa haute tour et son mirador bombé et pointu au sommet, ses briques de couleur marron, ses étoffes attachées au mur, gaijin et ses fresques de récits de batailles à cheval. D'un coup, c'était comme avoir voyagé de centaines de lis et se retrouver au coeur des grandes plaines de l'Ouest.
Plusieurs membres du clan, en grande tenue, à côté des superbes destriers du clan, accueillirent les deux visiteuses, qui furent à peu près certaines que certains garçons d'écuries étaient des gaijins...
Aux regards qu'on lui jeta, Ikky comprit que ses yeux verts n'avaient échappé à personne et que ses origines étrangères étaient bien vues ici.
Ide Baranato, chef du clan dans la Cité, allait sur la cinquantaine. L'air d'un grand-père protecteur, aimable mais préocuppé, il se déclara honoré de la visite des deux Phénix, représentantes d'un clan ami du leur, mais ne manqua pas de signifier sa déception de ne recevoir que deux assistants du Magistrat d'Emeraude sur les cinq attendus ! Belle manière de lui confirmer que les Licornes passaient en second derrière les Scorpions...
Ayame, connaissant un peu les Licornes, laissa passer l'orage, car ce clan n'a pas l'habitude de laisser aigrir les rancoeurs et préfère dire une fois ce qu'il a sur le coeur, puis passer à autre chose.
Il y avait là tous les membres du clan. Les deux Phénix n'auraient pas pu affirmer qu'elles se trouvaient chez des amis, car les Licornes y avaient mis les formes de façon très strictes, mais en pensant à Hiruya et aux autres, en plein dans le nid des Scorpions, elles se dirent qu'elles étaient en bonne compagnie.
Rapidement, la conversation en vint à tourner autour du clan des traîtres. Ide Baranato prenait sur lui d'insinuer à mots à peines couverts que les Scorpions dirigeaient le trafic d'opium dans la ville et empoisonnaient ainsi quotidiennement la Cité et l'Empire entier. Il comptait bien sur la Magistrature d'Emeraude pour mettre fin à un si abominable commerce !
Les deux Phénix durent bien s'engager, au nom de Miya Katsu, à réprimer ce commerce.
Elles apprirent également à cette occasion que nombres de samuraï de la cité patronnaient des commerçants, leur assurant protection et des ressources en cas de besoin, en échange d'une dîme, s'élevant au dixième de leurs bénéfices. Les Scorpions étaient les patrons les plus puissants ; les Licornes eux aussi avaient ces accords, grâce aux produits de leurs caravanes venues de loin.
Et comme, selon eux, les manières du clan protecteur déteignaient sur le commerçant, les marchands du Scorpions étaient de fieffés escrocs et ceux de la Licorne de braves vendeurs des caravanes de l'Ouest !
Les deux Phénix remercièrent les Licornes pour leur accueil.
En repartant, elles furent approchées en vitesse par une jeune femme au regard pénétrant, au visage exprimant la certitude parfaite, nommée Iuchi Sadako, qui vint leur assurer que les Scorpions tissaient des dizaines de conspirations en ville et qu'elle serait heureuse de mettre la magistrature au courant de ses idées à ce sujet.
Isawa Ayame la remercia, par pure formalité, puis elle prit congé de ses hôtes avec Ikky.
Le soir, tous nos héros se réunirent et se racontèrent leur soirée. Shigeru buvait un coup pour se remettre de ses heures passées parmi les plus perfides samuraï de Rokugan, pendant qu'Ikky buvait pour saluer le bon saké offert par les Licornes !

Le lendemain, Shosuro Jocho se présentait en armure à la porte du palais de la Magistrature, escorté de la Garde du Tonnerre au grand complet : une cinquantaine de bushis d'élite, avec leurs naginatas, leurs masques et leurs grandes plumes rouges.
La visite commença par les quartiers nobles : le palais Shosuro, merveilleux endroit d'hospitalité et d'honneur ; le palais du Gouverneur, symbole de justice et d'harmonie ; les jardins Shosuro, incarnations de la grâce et de la beauté ; le palais des Licornes, sans intérêt.
Puis les quartiers des temples, avec celui de la Déesse du Soleil, petit, humble mais radieux ; le temple de Daikoku, Fortune de la Richesse, très grand, imposant, très riche, abritant un ordre de moines ayant fait voeu de pauvreté.
Les quartiers marchands, avec le jardin de Daikoku puis ses rues bruyantes et animées.
[Ikky, lunettes de soleil et short, mâchait un chewing-gum et prenait des photos : "Très sympas, ces échoppes traditionnelles. Ca rappelle un peu la Cité du Repos Confiant. Faut que j'achète des timbres pour écrire à Akitoki. Je me demande si on peut acheter des statuettes de Daikoku. Si je demandais aux moines ? Ils doivent bien vendre des bibelots dans leur boutique de souvenirs...
Des vendeurs passaient, panier à la main : "Bonbons, poisons, amulettes, onis !..."]
Puis vint le quartier des pêcheurs, de l'autre côté de la Baie de l'Honneur Noyé, qui sentait la marée, avec ses grands pontons, ses hommes de peines qui chargeaient et déchargeaient ses navires, sa vente à la criée et ses petites rues étroites, plus calmes que dans le quartier marchand.
Partout où ils passaient, nos samuraï voyaient le peuple tomber à genoux, front à terre. Ils rencontrèrent rapidement les chefs des syndicats de pompiers, qui luttaient vaillamment contre le feu et, au jour le jour, se chargeaient de la petite justice de rue afin de décharger les samuraï de ces tâches ingrates.
A chaque fois qu'il le pouvait, Jocho soulignait avec fierté la puissance, la force, de la Cité, que ce soit pour les remparts, les soldats la protégeant, la noblesse de ses habitants, qui recevaient l'excellent exemple du clan du Scorpion, bref combien la Cité était la plus illustre de l'Empire -après la capitale toutefois !
La troupe évita les quartiers etas, en bordure de ville, sans intérêt et au coucher du soleil, rejoignit l'embarcadère qui menait sur l'Ile de la Larme, le Monde Flottant qui avait fait la réputation de la Cité.
Le crépuscule dorait le Quartier Réservé, quand nos héros arrivèrent dans une bâtisse fortifiée, où un solide personnage, appelé Kado, torse nu, musclé, tatoué, les accueillit, bras croisés, menton fier, et leur demanda poliment s'il pouvait garder leur sabre pendant le temps de leur séjour sur l'île. Il était de tradition de venir désarmé dans ce lieu.
Dans cet endroit, les samuraï pouvaient se décharger du fardeau d'être des membres de l'Ordre Céleste : montrer ses émotions, oublier les différences de rangs, boire à l'excès, s'amuser avec des geishas... étaient choses permises.
Les hommes furent invités par Jocho dans la Maison de l'Etoile du Matin, le plus grand établissement du lieu pendant que les femmes étaient conduites par Kimi (la soeur de Jocho) dans l'établissement appelé la Fleur Envoûtante.
Hiruya passa une bonne soirée, qui lui permit de s'assurer qu'il pouvait bien s'entendre avec Jocho lui-même, soldat fier, guerrier sans rudesse, malin et pénétrant. Shigeru aidant, ils burent copieusement et plaisantèrent, entraînés par les geishas qui dansaient et jouaient de la musique pour les seigneurs de la ville !
Pendant ce temps, les femmes passaient une soirée très bonne aussi, mais dans une autre atmosphère. Ryu, ascète rigoriste, ne se mêla à aucun des plaisirs et resta dans son coin, droite, stoïque, impassible. Ikky, elle, buvait sans se priver, pendant que Kimi et Ayame, déjà très complices, allumaient des pipes remplies de tabac, puis bientôt passaient dans une arrière-salle, où elles bourrèrent le culot d'une autre plante, qui ne tarda pas à dégager des vapeurs narcotiques en brûlant, plongeant les deux femmes dans une torpeur épaisse, dans laquelle on entendait le rythme entêtant de guitares et de tambours...
Au petit matin, Jocho et nos héros quittèrent l'Île et revinrent dans le monde commun, chacun, encore titubant, s'apprêtant à reprendre sa place dans l'Ordre Céleste.

Ce jour-là, dans l'après-midi, après avoir récupéré de sa nuit blanche, la Magistrature d'Emeraude se mettait au travail, emmenée par l'énergie de Ryu, qui s'était précipitée vers les archives du palais. Elle cherchait les dossiers les plus récents, grâce à la technique du Nazodo consistant à chercher lesquels étaient les moins poussiéreux. Et comme on était à Ryoko Owari Toshi, elle chercha aussi si des dossiers n'avaient pas disparu. Elle était persuadée que des ninjas s'étaient introduits pour en dérober, soit en se faisant passer pour des serviteurs, soit en passant à travers les murs, soit par corruption ou autre piège du même genre.
Ayame trouvait que Ryu allait un peu vite en besogne : elle n'avait pas de preuve concrête, pour le coup, de ses assertions...
Quoiqu'il en soit, Ryu sortit plusieurs piles de dossiers, rédigés sur la demande des précédents magistrats. Il lui semblait que les plus importants concernaient le trafic d'opium, l'assassinat d'Ashidaka Naritoki-sama, les duels entre samurai (mais autoriser ou refuser ces duels ne concernaient pas la Magistrature), les accusations de maho-tsukaï et enfin les "exploits" d'un Ninja, qui aurait tué des pêcheurs et volé des samuraï.
- Intéressants, tout cela, dit Hiruya. Nous allons nous répartir les tâches pour voir de quoi il retourne, concernant ces différentes affaires.
Il avait l'accord de Miya Katsu pour débroussailler ces sujets.
Ayame était déjà en bibliothèque, plus encore en manque de secrets que de drogue ; Hida Shigeru allait visiter le quartier des pêcheurs ; Mirumoto Ryu se renseigner sur la mort du magistrat et Kakita Hiruya rencontrer les membres de son clan.

L'enquête de Ryu la ramena à l'embarcadère des bateaux qui menaient sur l'île de la Larme. C'était là en effet que le Magistrat Ashidaka Naritoki avait été assassiné, en même temps que son homme de confiance, le rônin Parole d'Honneur. Ryu put apprendre auprès du clan Doji que le Magistrat s'apprêtait à partir vers le Monde Flottant, quand son bateau avait pris feu. Ni lui ni Parole d'Honneur n'avait pu en réchapper ; pourtant, selon le frère du magistrat, ce dernier savait nager. Alors pourquoi n'avait-il pas sauté à l'eau ? Ryu pensait qu'il était peut-être déjà mort, car d'autres témoins parlaient de tirs de flèches vers le bateau. Ces flèches (enflammées ?) avait-elles seulement mis le feu au bateau ou bien avaient-elles aussi tué le Magistrat ?
Après réunion avec les autres assistants de Miya Katsu, Ryu exposa ce qu'elle avait découvert ; nos héros soupçonnaient fortement l'opium d'être responsable de cet assassinat.
En effet, Kakita Hiruya, en visite chez les membres de son clan dans la ville, apprit que Naritoki-sama avait entrepris de lutter contre les cartels de l'opium.
Hiruya rencontra Doji Sukemara, honorable Grue dans la force de l'âge. Longtemps il avait été fasciné par le pouvoir de l'argent et avait parrainé de nombreux marchands. Mais depuis l'assassinat du Magistrat, quatre ans auparavant, il avait compris la vanité de ces biens, qui souillaient son karma et le détournaient de l'illumination.
Lors d'une première visite de nos héros, il leur offrit une belle composition d'ikebana, exprimant l'harmonie et la paix. Puis, quand Kakita Hiruya revint le voir, cette fois précisément pour les besoins de l'enquête, il assura qu'il ferait tout pour l'aider à retrouver l'assassin.
Ashidaka Michitaka, le frère de Naritoki-sama, était un bushi ventru, avec de grosses moustaches ; vêtu de blanc, il avait juré de porter le deuil jusqu'à ce qu'on mette la main sur l'assassin. Lui aussi, le jour de la mort de son frère, avait compris que la gloire ne lui permettrait pas de s'avancer sur la voie de la purification. Car lorsqu'il était encore le frère d'un Magistrat d'Emeraude, il était courtisé et reconnu ; du jour où Naritoki était mort, il était redevenu un petit samuraï dont personne ne s'occupe. Il faisait des dons importants au temple de Daikoku, car il savait que les moines là-bas ne l'utilisaient pas pour eux et ainsi cet argent servirait-il à la Gloire des Fortunes et pas au profit personnel d'un marchand.
Isawa Ayame ne tarda pas à s'enfermer dans la bibliothèque de la Magistrature. Elle passa une après-midi à chercher des traces du passage de Hagetaka-sama [Maitre Condor] à Ryoko Owari. Elle savait en effet que Matsu Bashô avait pris ici sous son chantage le général Bayushi Tomaru. Or, Bashô ayant été certainement le bras droit de Condor... Mais elle fit chou-blanc. Du reste, elle ignorait qui était vraiment ce Condor. Kakita Hiruya ne lui avait en effet rien dit de ce qu'il avait appris : que Condor s'était appelé Daidoji Dajan ; qu'il avait été un ami de son père, Kakita Takaaki ; que c'était lui qui avait envoyé le gaki tuer le père de Hiruya, après avoir été reconnu comme la Grue Noire, tueur de la Péninsule du clan. Déchu de son nom, Dajan s'était associé avec le tsukaï Asako Nakiro, qui l'aida à déployer la puissance du Shimushigaki.
Ayame savait, par le rapport officiel remis par Hiruya, que Daidoji Unoko était la soeur de Daidoji Dajan et que c'est ce dernier qui s'était fait appelé Maître Condor. Hiruya, ayant appris cela, était alors persuadé que l'homme qu'il avait combattu à Heibetsu était Dajan.
L'histoire retiendrait que c'était Hiruya qui avait combattu et tué Condor. Point.
Les recherches quant aux cas signalés de Souillure furent plus intéressantes : des marchands ayant été patronnés par un certain Kuni Isao avaient été soupçonnés d'être contaminés par la marque de l'Outremonde. Le samuraï Crabe avait été retrouvé pendu chez lui, quelques mois auparavant, au printemps -mort deshonorable s'il en était, puisqu'au lieu de s'élever vers Dame Soleil, il serait au contraire condamner à errer parmi le monde des vivants, comme un Yorei [fantôme].
Les marchands qu'il avait patronnés se trouvaient dans le quartier des pêcheurs, rue du Wasabi. Hida Shigeru proposa d'enquêter sur les lieux. C'est ainsi qu'il commença à explorer méthodiquement les tavernes du coin, à payer des coups aux uns et autres, à faire exprès de perdre au go et à faire ami-ami avec les membres des syndicats de pompiers, yakuzas qui s'occupaient des surveillances de voisinage.
A suivre...
<span style="color:green">La 5e Réincarnation : 16e Episode</span><!--/sizec-->
Coq 1127
La Cité des Mensonges<!--/sizec-->
Miya Katsu s'épongea le front rapidement et fit signe à son serviteur d'agiter plus vite l'éventail. Par la fenêtre entrait un beau soleil de matin d'automne. Un de ces matins qui annonce la puissance du jour, quand l'été est encore proche et l'hiver paraît encore bien lointain ; quand la nature a tout juste fini de verdir et s'apprête seulement à déployer ses mille rougeoiements.
Le magistrat toussota, relut un morceau du parchemin étalé devant lui, le roula et le fit disparaître dans les plis de son kimono. Il s'assura que l'on avait fait disposer de l'eau et des fruits dans la salle.
Puis il fit signe de faire entrer.
Entrèrent alors Kakita Hiruya, Isawa Ayame, Shiba Ikky, Hida Shigeru et Mirumoto Ryu, qui vinrent s'asseoir devant lui et s'inclinèrent respectueusement.
- Konnichi-wa, samuraï, dit Katsu-sama. Soyez les bienvenus à Ryoko Owari Toshi, la Cité des Histoires !
"Par la volonté de l'Empereur, nous voici à nouveau réunis. Et cette fois sans doute pour longtemps. Puisque j'ai eu l'honneur de recevoir cette charge de Magistrat d'Emeraude dans cette cité, je n'ai pas manqué de faire appeler auprès de moi mes assistants.
"Hiruya-san, j'ai reçu et lu votre rapport concernant cette petite affaire dont j'avais souhaité que vous vous occupassiez..."
Katsu-sama maniait la litote avec une maîtrise confirmée : l'affaire en question, le procès Ozaki, lui avait coûté plus de quatre ans d'efforts et il s'était rongé d'angoisses en attendant de voir si nos héros pourraient la résoudre. Et quand il avait appris que ladite "petite" affaire s'était terminée par une bataille rangée contre une armée de l'Outremonde...
- J'espère que votre séjour à la cour d'été du vénérable Champion d'Emeraude a été pour vous période de réjouissance et de gloire.
- Tout à fait, affirma Hiruya.
- Réjouissons-nous également du départ de Shinjo Kohei et Bayushi Bokkai à la guerre. Car nous savons combien ces guerriers font honneur à l'Empire. Puissent-ils y combattre et y magnifier les vertus du bushido, tout en couvrant leurs clans de gloire.
- Nous le souhaitons, Katsu-sama.
- La tâche qui nous attend, samuraï, est parmi les plus nobles et les plus dignes qu'on puisse confier à des hommes. Elle exige des samuraï accomplis, sûrs d'eux-mêmes, fiers et humbles à la fois, prêts à se dévouer de toutes leurs forces, fermes dans leurs décisions et attentifs dans leurs choix. Ceci est dans l'ordre des choses et ce n'est qu'à des samuraï de haute naissance comme vous que peuvent échoir ces tâches.
- Nous en serons dignes, affirma Hiruya.
Le Magistrat se fit apporter un parchemin, toussota et lut à nos héros la charte de la magistrature d'Emeraude, qui détaillait la juridiction, les devoirs, les droits et les limites de leurs pouvoirs.
- L'autre autorité en ville est celle du Gouverneur. Traditionnellement, elle est assumée par le clan du Scorpion, le plus puissant en ville. L'actuel Gouverneur est Shosuro Hyobu, veuve du précédent Gouverneur. Son fils, Shosuro Jocho, n'a pas encore formulé le voeu de la remplacer à ce poste ; il commanda la Garde du Tonnerre, l'élite des soldats de la ville. Le second clan le plus important est celui de la Licorne, que dirige Ide Baranato. Les autres clans sont moins importants politiquement.
"Mon prédécesseur au poste de Magistrat d'Emeraude fut l'honorable Matsu Shigeko. A la suite de désaccords profonds avec le Gouverneur, elle fut appelée à d'autres responsabilités.
"Avant elle, le poste fut occupé par Ashidaka Naritoki, du clan de la Grue... qui fut assassiné... Et le coupable n'a pas été trouvé. Autrement dit, le retrouver est une tâche primordiale : il en va de la réputation de la magistrature.
"L'autre tâche qui nous concerne au premier chef est la question de l'opium...
Ayame fit alors un gros effort pour avoir l'air parfaitement neutre sur cette question.

- L'opium est cultivé parfaitement légalement, autour de la Cité, à des fins médicinales. Elle calme en effet les douleurs. Ce n'est qu'une fois qu'elle est traitée et modifiée par des techniques infâmes qu'elle se transforme en poison et devient une drogue, l'un des pires fléaux de l'Empire. La Magistrature a toujours essayé d'endiguer ce mal, mais rien n'y fait. Evidemment, un tel commerce ne pourrait se faire sans le soutien de personnages bien placées. Mais on n'a jamais trouvé de témoins assez puissants pour que leur témoignage soit suffisants.
"Mais avant de vous attaquer à ces tâches redoutables, samuraï, vous êtes dès ce soir invités par les dignitaires de la ville. A savoir le clan de la Licorne et le clan du Scorpion. Les deux invitations viennent d'arriver séparément. Aussi ce sera une première tâche pour vous, Hiruya-san, de savoir comment vous y répondrez. Irez-vous tous chez l'un ou l'autre, refuserez-vous les deux ou bien vous partagerez-vous les invitations ? A vous de décider... Et ce n'est pas une moindre décision, car souvenez-vous : on n'a pas deux fois l'occasion de faire une première bonne impression !"

Le palais de la famille Shosuro était la plus imposante bâtisse des quartiers nobles de la ville : il projetait son ombre sur les rues et les bâtisses alentours et on le voyait de presque partout en ville, solide et robuste.
L'intérieur était tortueux, étroit, inquiétant.
Kakita Hiruya, Hida Shigeru et Mirumoto Ryu avançaient, suivis et précédés de samuraï qui marchaient à pas feutrés dans cette antre qu'ils avaient l'air de connaître si bien et qui étaient labyrinthique pour nos héros. On n'entrait de cet endroit, et surtout on n'en sortait !, que si les Scorpions le voulaient bien. Les hôtes ne manquèrent pas de montrer cet humour si grinçant qui fait leur réputation : des serviteurs en habits noirs, rappelant les fameux ninjas s'esquivaient au coin d'un couloir ; d'autres semblaient sortir d'un panneau dérobé ou surgir brusquement d'un coin de pénombre...
Quand le panneau en bois s'ouvrit sur la salle de réception, nos héros sentirent une grosse boule leur remonter dans la gorge. Une dizaine de membres du clan se trouvait là, vêtue des habits bleus nuits et des masques sinistres, souriant en tentant d'être aimables, mais avec une pointe de rictus qui vous faisait plutôt frissonner.
Le Gouverneur Shosuro Hyobu, une femme d'une cinquantaine d'années, un voile sur le bas du visage, agitait un éventail en toisant les visiteurs d'un regard sévère.
Autour d'elle, les trois chefs de famille du clan.
Shosuro Jocho, son fils, beau brun ténébreux au regard perçant et au sourire ironique.
Bayushi Korechika, homme dans la force de l'âge, au masque finement travaillé, respirant l'assurance relevée d'une pointe de menace.
Soshi Seiryoku, femme d'une trentaine d'années, au masque lui couvrant tout le visage, aux doigts fins légérement crispés et aux ongles longs, peints en violet foncés et taillés en pointe.
Nos héros avaient beau se répéter que ceci n'était qu'une mascarade habituelle des Scorpions, destinée à épater et effrayer les nouveaux arrivants, ils n'en éprouvaient pas moins, devant cette scène théâtrale sur laquelle il entrait, une appréhension dont leurs hôtes devaient se délecter.
La soirée fut pourtant agréable, les Scorpions étant maîtres dans l'art de paraître agréables et sournois à la fois, de façon à ce que leurs invités n'aient aucune raison tangible de se plaindre de leurs manières sans pouvoir se défaire d'un sentiment de menace imminente. Le Gouverneur ne manqua pas de faire remarquer qu'elle s'attendait à recevoir également deux honorables Phénix. Kakita Hiruya dut expliquer franchement qu'il avait dû répondre aussi à l'invitation des Licornes. Occasion en or pour les Scorpions de ricaner sur le compte des fils de Shinjo et reprocher tacitement à Hiruya sa politique de la poire coupée en deux.
Le saké était excellent, même pas additionné à du curare ou autre poison du genre et les plats très fins, servis par des domestiques, qui n'étaient pas vêtus de noir et qui ne tentaient pas de vous étrangler entre chaque plat.
En fin de repas, Shoruo Jocho proposa de faire visiter la ville le lendemain aux magistrats, accompagnés de la Garde du Tonnerre. Kakita Hiruya se déclara honoré par cette proposition. Jocho-san et lui avaient à peu près le même âge : le Grue sentait qu'il pourrait peut-être s'entendre avec lui...
C'est encore Jocho qui raccompagna les visiteurs à la porte, et il leur sembla bien que le chemin pris pour sortir n'était pas le même que celui de l'allée...
Il faisait nuit noire quand nos héros rentrèrent au palais de la magistrature, à quelques rues de là, et le bâtiment Shosuro apparaissait encore plus comme une antre de cauchemar, vouée aux malédictions, aux complots et aux ombres...

Isawa Ayame et Shiba Ikky arrivèrent dans le palais de la Licorne, étrange bâtisse qui se distinguait de toutes les autres, avec sa haute tour et son mirador bombé et pointu au sommet, ses briques de couleur marron, ses étoffes attachées au mur, gaijin et ses fresques de récits de batailles à cheval. D'un coup, c'était comme avoir voyagé de centaines de lis et se retrouver au coeur des grandes plaines de l'Ouest.
Plusieurs membres du clan, en grande tenue, à côté des superbes destriers du clan, accueillirent les deux visiteuses, qui furent à peu près certaines que certains garçons d'écuries étaient des gaijins...
Aux regards qu'on lui jeta, Ikky comprit que ses yeux verts n'avaient échappé à personne et que ses origines étrangères étaient bien vues ici.
Ide Baranato, chef du clan dans la Cité, allait sur la cinquantaine. L'air d'un grand-père protecteur, aimable mais préocuppé, il se déclara honoré de la visite des deux Phénix, représentantes d'un clan ami du leur, mais ne manqua pas de signifier sa déception de ne recevoir que deux assistants du Magistrat d'Emeraude sur les cinq attendus ! Belle manière de lui confirmer que les Licornes passaient en second derrière les Scorpions...
Ayame, connaissant un peu les Licornes, laissa passer l'orage, car ce clan n'a pas l'habitude de laisser aigrir les rancoeurs et préfère dire une fois ce qu'il a sur le coeur, puis passer à autre chose.
Il y avait là tous les membres du clan. Les deux Phénix n'auraient pas pu affirmer qu'elles se trouvaient chez des amis, car les Licornes y avaient mis les formes de façon très strictes, mais en pensant à Hiruya et aux autres, en plein dans le nid des Scorpions, elles se dirent qu'elles étaient en bonne compagnie.
Rapidement, la conversation en vint à tourner autour du clan des traîtres. Ide Baranato prenait sur lui d'insinuer à mots à peines couverts que les Scorpions dirigeaient le trafic d'opium dans la ville et empoisonnaient ainsi quotidiennement la Cité et l'Empire entier. Il comptait bien sur la Magistrature d'Emeraude pour mettre fin à un si abominable commerce !
Les deux Phénix durent bien s'engager, au nom de Miya Katsu, à réprimer ce commerce.
Elles apprirent également à cette occasion que nombres de samuraï de la cité patronnaient des commerçants, leur assurant protection et des ressources en cas de besoin, en échange d'une dîme, s'élevant au dixième de leurs bénéfices. Les Scorpions étaient les patrons les plus puissants ; les Licornes eux aussi avaient ces accords, grâce aux produits de leurs caravanes venues de loin.
Et comme, selon eux, les manières du clan protecteur déteignaient sur le commerçant, les marchands du Scorpions étaient de fieffés escrocs et ceux de la Licorne de braves vendeurs des caravanes de l'Ouest !
Les deux Phénix remercièrent les Licornes pour leur accueil.
En repartant, elles furent approchées en vitesse par une jeune femme au regard pénétrant, au visage exprimant la certitude parfaite, nommée Iuchi Sadako, qui vint leur assurer que les Scorpions tissaient des dizaines de conspirations en ville et qu'elle serait heureuse de mettre la magistrature au courant de ses idées à ce sujet.
Isawa Ayame la remercia, par pure formalité, puis elle prit congé de ses hôtes avec Ikky.
Le soir, tous nos héros se réunirent et se racontèrent leur soirée. Shigeru buvait un coup pour se remettre de ses heures passées parmi les plus perfides samuraï de Rokugan, pendant qu'Ikky buvait pour saluer le bon saké offert par les Licornes !

Le lendemain, Shosuro Jocho se présentait en armure à la porte du palais de la Magistrature, escorté de la Garde du Tonnerre au grand complet : une cinquantaine de bushis d'élite, avec leurs naginatas, leurs masques et leurs grandes plumes rouges.
La visite commença par les quartiers nobles : le palais Shosuro, merveilleux endroit d'hospitalité et d'honneur ; le palais du Gouverneur, symbole de justice et d'harmonie ; les jardins Shosuro, incarnations de la grâce et de la beauté ; le palais des Licornes, sans intérêt.
Puis les quartiers des temples, avec celui de la Déesse du Soleil, petit, humble mais radieux ; le temple de Daikoku, Fortune de la Richesse, très grand, imposant, très riche, abritant un ordre de moines ayant fait voeu de pauvreté.
Les quartiers marchands, avec le jardin de Daikoku puis ses rues bruyantes et animées.
[Ikky, lunettes de soleil et short, mâchait un chewing-gum et prenait des photos : "Très sympas, ces échoppes traditionnelles. Ca rappelle un peu la Cité du Repos Confiant. Faut que j'achète des timbres pour écrire à Akitoki. Je me demande si on peut acheter des statuettes de Daikoku. Si je demandais aux moines ? Ils doivent bien vendre des bibelots dans leur boutique de souvenirs...
Des vendeurs passaient, panier à la main : "Bonbons, poisons, amulettes, onis !..."]
Puis vint le quartier des pêcheurs, de l'autre côté de la Baie de l'Honneur Noyé, qui sentait la marée, avec ses grands pontons, ses hommes de peines qui chargeaient et déchargeaient ses navires, sa vente à la criée et ses petites rues étroites, plus calmes que dans le quartier marchand.
Partout où ils passaient, nos samuraï voyaient le peuple tomber à genoux, front à terre. Ils rencontrèrent rapidement les chefs des syndicats de pompiers, qui luttaient vaillamment contre le feu et, au jour le jour, se chargeaient de la petite justice de rue afin de décharger les samuraï de ces tâches ingrates.
A chaque fois qu'il le pouvait, Jocho soulignait avec fierté la puissance, la force, de la Cité, que ce soit pour les remparts, les soldats la protégeant, la noblesse de ses habitants, qui recevaient l'excellent exemple du clan du Scorpion, bref combien la Cité était la plus illustre de l'Empire -après la capitale toutefois !
La troupe évita les quartiers etas, en bordure de ville, sans intérêt et au coucher du soleil, rejoignit l'embarcadère qui menait sur l'Ile de la Larme, le Monde Flottant qui avait fait la réputation de la Cité.
Le crépuscule dorait le Quartier Réservé, quand nos héros arrivèrent dans une bâtisse fortifiée, où un solide personnage, appelé Kado, torse nu, musclé, tatoué, les accueillit, bras croisés, menton fier, et leur demanda poliment s'il pouvait garder leur sabre pendant le temps de leur séjour sur l'île. Il était de tradition de venir désarmé dans ce lieu.
Dans cet endroit, les samuraï pouvaient se décharger du fardeau d'être des membres de l'Ordre Céleste : montrer ses émotions, oublier les différences de rangs, boire à l'excès, s'amuser avec des geishas... étaient choses permises.
Les hommes furent invités par Jocho dans la Maison de l'Etoile du Matin, le plus grand établissement du lieu pendant que les femmes étaient conduites par Kimi (la soeur de Jocho) dans l'établissement appelé la Fleur Envoûtante.
Hiruya passa une bonne soirée, qui lui permit de s'assurer qu'il pouvait bien s'entendre avec Jocho lui-même, soldat fier, guerrier sans rudesse, malin et pénétrant. Shigeru aidant, ils burent copieusement et plaisantèrent, entraînés par les geishas qui dansaient et jouaient de la musique pour les seigneurs de la ville !
Pendant ce temps, les femmes passaient une soirée très bonne aussi, mais dans une autre atmosphère. Ryu, ascète rigoriste, ne se mêla à aucun des plaisirs et resta dans son coin, droite, stoïque, impassible. Ikky, elle, buvait sans se priver, pendant que Kimi et Ayame, déjà très complices, allumaient des pipes remplies de tabac, puis bientôt passaient dans une arrière-salle, où elles bourrèrent le culot d'une autre plante, qui ne tarda pas à dégager des vapeurs narcotiques en brûlant, plongeant les deux femmes dans une torpeur épaisse, dans laquelle on entendait le rythme entêtant de guitares et de tambours...
Au petit matin, Jocho et nos héros quittèrent l'Île et revinrent dans le monde commun, chacun, encore titubant, s'apprêtant à reprendre sa place dans l'Ordre Céleste.

Ce jour-là, dans l'après-midi, après avoir récupéré de sa nuit blanche, la Magistrature d'Emeraude se mettait au travail, emmenée par l'énergie de Ryu, qui s'était précipitée vers les archives du palais. Elle cherchait les dossiers les plus récents, grâce à la technique du Nazodo consistant à chercher lesquels étaient les moins poussiéreux. Et comme on était à Ryoko Owari Toshi, elle chercha aussi si des dossiers n'avaient pas disparu. Elle était persuadée que des ninjas s'étaient introduits pour en dérober, soit en se faisant passer pour des serviteurs, soit en passant à travers les murs, soit par corruption ou autre piège du même genre.
Ayame trouvait que Ryu allait un peu vite en besogne : elle n'avait pas de preuve concrête, pour le coup, de ses assertions...
Quoiqu'il en soit, Ryu sortit plusieurs piles de dossiers, rédigés sur la demande des précédents magistrats. Il lui semblait que les plus importants concernaient le trafic d'opium, l'assassinat d'Ashidaka Naritoki-sama, les duels entre samurai (mais autoriser ou refuser ces duels ne concernaient pas la Magistrature), les accusations de maho-tsukaï et enfin les "exploits" d'un Ninja, qui aurait tué des pêcheurs et volé des samuraï.
- Intéressants, tout cela, dit Hiruya. Nous allons nous répartir les tâches pour voir de quoi il retourne, concernant ces différentes affaires.
Il avait l'accord de Miya Katsu pour débroussailler ces sujets.
Ayame était déjà en bibliothèque, plus encore en manque de secrets que de drogue ; Hida Shigeru allait visiter le quartier des pêcheurs ; Mirumoto Ryu se renseigner sur la mort du magistrat et Kakita Hiruya rencontrer les membres de son clan.

L'enquête de Ryu la ramena à l'embarcadère des bateaux qui menaient sur l'île de la Larme. C'était là en effet que le Magistrat Ashidaka Naritoki avait été assassiné, en même temps que son homme de confiance, le rônin Parole d'Honneur. Ryu put apprendre auprès du clan Doji que le Magistrat s'apprêtait à partir vers le Monde Flottant, quand son bateau avait pris feu. Ni lui ni Parole d'Honneur n'avait pu en réchapper ; pourtant, selon le frère du magistrat, ce dernier savait nager. Alors pourquoi n'avait-il pas sauté à l'eau ? Ryu pensait qu'il était peut-être déjà mort, car d'autres témoins parlaient de tirs de flèches vers le bateau. Ces flèches (enflammées ?) avait-elles seulement mis le feu au bateau ou bien avaient-elles aussi tué le Magistrat ?
Après réunion avec les autres assistants de Miya Katsu, Ryu exposa ce qu'elle avait découvert ; nos héros soupçonnaient fortement l'opium d'être responsable de cet assassinat.
En effet, Kakita Hiruya, en visite chez les membres de son clan dans la ville, apprit que Naritoki-sama avait entrepris de lutter contre les cartels de l'opium.
Hiruya rencontra Doji Sukemara, honorable Grue dans la force de l'âge. Longtemps il avait été fasciné par le pouvoir de l'argent et avait parrainé de nombreux marchands. Mais depuis l'assassinat du Magistrat, quatre ans auparavant, il avait compris la vanité de ces biens, qui souillaient son karma et le détournaient de l'illumination.
Lors d'une première visite de nos héros, il leur offrit une belle composition d'ikebana, exprimant l'harmonie et la paix. Puis, quand Kakita Hiruya revint le voir, cette fois précisément pour les besoins de l'enquête, il assura qu'il ferait tout pour l'aider à retrouver l'assassin.
Ashidaka Michitaka, le frère de Naritoki-sama, était un bushi ventru, avec de grosses moustaches ; vêtu de blanc, il avait juré de porter le deuil jusqu'à ce qu'on mette la main sur l'assassin. Lui aussi, le jour de la mort de son frère, avait compris que la gloire ne lui permettrait pas de s'avancer sur la voie de la purification. Car lorsqu'il était encore le frère d'un Magistrat d'Emeraude, il était courtisé et reconnu ; du jour où Naritoki était mort, il était redevenu un petit samuraï dont personne ne s'occupe. Il faisait des dons importants au temple de Daikoku, car il savait que les moines là-bas ne l'utilisaient pas pour eux et ainsi cet argent servirait-il à la Gloire des Fortunes et pas au profit personnel d'un marchand.
Isawa Ayame ne tarda pas à s'enfermer dans la bibliothèque de la Magistrature. Elle passa une après-midi à chercher des traces du passage de Hagetaka-sama [Maitre Condor] à Ryoko Owari. Elle savait en effet que Matsu Bashô avait pris ici sous son chantage le général Bayushi Tomaru. Or, Bashô ayant été certainement le bras droit de Condor... Mais elle fit chou-blanc. Du reste, elle ignorait qui était vraiment ce Condor. Kakita Hiruya ne lui avait en effet rien dit de ce qu'il avait appris : que Condor s'était appelé Daidoji Dajan ; qu'il avait été un ami de son père, Kakita Takaaki ; que c'était lui qui avait envoyé le gaki tuer le père de Hiruya, après avoir été reconnu comme la Grue Noire, tueur de la Péninsule du clan. Déchu de son nom, Dajan s'était associé avec le tsukaï Asako Nakiro, qui l'aida à déployer la puissance du Shimushigaki.
Ayame savait, par le rapport officiel remis par Hiruya, que Daidoji Unoko était la soeur de Daidoji Dajan et que c'est ce dernier qui s'était fait appelé Maître Condor. Hiruya, ayant appris cela, était alors persuadé que l'homme qu'il avait combattu à Heibetsu était Dajan.
L'histoire retiendrait que c'était Hiruya qui avait combattu et tué Condor. Point.
Les recherches quant aux cas signalés de Souillure furent plus intéressantes : des marchands ayant été patronnés par un certain Kuni Isao avaient été soupçonnés d'être contaminés par la marque de l'Outremonde. Le samuraï Crabe avait été retrouvé pendu chez lui, quelques mois auparavant, au printemps -mort deshonorable s'il en était, puisqu'au lieu de s'élever vers Dame Soleil, il serait au contraire condamner à errer parmi le monde des vivants, comme un Yorei [fantôme].
Les marchands qu'il avait patronnés se trouvaient dans le quartier des pêcheurs, rue du Wasabi. Hida Shigeru proposa d'enquêter sur les lieux. C'est ainsi qu'il commença à explorer méthodiquement les tavernes du coin, à payer des coups aux uns et autres, à faire exprès de perdre au go et à faire ami-ami avec les membres des syndicats de pompiers, yakuzas qui s'occupaient des surveillances de voisinage.
A suivre...
