23-05-2006, 04:02 PM
(This post was last modified: 26-05-2006, 12:42 AM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

4e jour<!--/sizec-->
Ryu continuait son bonhomme de chemin dans la campagne ensoleillée et froide.
Elle reconnut la région : c'était celle de Mimura, le village aux miracles ! Notre héroïne repassa par ce village qui avait connu tant d'évènements bizarres, quelques mois auparavant. Le gouverneur Ekkaido, chef de ce village et de ceux alentours, la reçut bien volontiers ; il l'avait à peine aperçue la dernière fois, car il s'était entretenu avec Kakita Hiruya et Shinjo Kohei. Mais il fut content de passer un moment avec une jolie magistrate. Elle n'avait guère de conversations mais elle était si charmante qu'elle faisait oublier son quasi-mutisme.
Ekkaido-sama signala qu'il avait aperçu l'armée des Dragons quelques jours avant, et aussi celle des Crabes : la première allait vers le sud, la seconde remontait. Inévitablement, ils avaient dû finir par se croiser ! Mais ils étaient passés au large de Mimura.
Ryu-san remercia le gouverneur et poursuivit son chemin. Le soir, elle arrivait en vue du temple d'Osano-Wo, magnifique bâtiment célébrant la foudre, la guerre, les bushis, dans le cadre sauvage, spectaculaire, de l'orée de la forêt Shinomen, dans une région en permanence en proie aux orages et aux tempêtes pluvieuses ! Pays vivifiant, preque barbare, reculé, redoutable, où vivaient des hommes endurcis par la lutte contre les élèments et les chasses périlleuses dans l'immense forêt !
Ryu-san entra dans le village, les cheveux hérissés par les fortunes des éclairs, sur un tapis d'herbe frissonnant, sous un ciel en fer forgé ! Notre magistrate ne s'arrêta pas devant le temple de Krum, fortune mineure de la Forge

Ryu-san mit pied à terre et pénétra dans le temple, gardé par deux statues colossales, représentant Osano-Wo et son fils, tous deux légendaires bushi de la famille Hida des premiers temps de l'Empire ! Des hommes capables de renverser des armées à bout de bras, de gravir les montagnes en quatre enjambées et d'abattre des centaines de monstres par coup de tetsubo !
Ryu, comme il était de coutume ici, gardait son daisho et son armure dans le temple. Elle pria devant l'autel gardé par des statues de samuraï grimaçants, terrifiants. Elle sentit la vigueur et le courage d'Osano-Wo l'envahir, vibrer en elle. Elle était prête à repartir et à manger du Crabe au petit déjeûner, et en brochettes !
Ryu s'inclina une dernière fois devant le temple. Elle vit à côté d'elle un samuraï agenouillé. Il s'était approché en silence, pendant que Ryu communiait avec les forces de la Foudre. C'était Ozaki !
Ozaki-le-Borgne, le chef des rônins du Lièvre, le petit homme qui avait bravé les Scorpions, quatre ans d'errances, la traque d'un magistrat d'Emeraude, l'errance, le desespoir, la vengeance d'une secte de tsukaï conspirateurs et qui, maintenant, devait fuir face aux Crabes. Mais il ne desespérait toujours pas de redresser son clan. Il priait Reichin, son ancêtre, cet homme du peuple qui avait défendu Ryoko Owari contre l'armée des Adeptes du Sang.
Le Lièvre s'inclina bien bas face à Ryu et celle-ci lui rendit son salut.
- Je vous cherchais...
- Je suis honoré de revoir votre noble visage, Ryu-sama.
- J'ai une lettre pour vous.
- Je suis honoré de la recevoir.
- La voici. Lisez-là.
Ozaki déroula le rouleau envoyé par Miya Katsu, puis s'inclina.
- Je suis honoré par cette invitation. Je ne demande qu'à me rendre à la Cité des Mensonges. Mais je crains que l'armée du Crabe ne s'y oppose.
- Je repars avec vous. Il est trop tard maintenant, la nuit va tomber. Mais demain, nous prendrons des routes détournées et nous reviendrons à Ryoko Owari.
- Nous autres connaissons bien la région. Nous vous guiderons et nous leur échapperons !
Cette après-midi là, Ayame voulut à nouveau tenter le destin et retourner s’informer auprès du peuple, à propos de la rue des Saphir. Elle en fut quitte pour quelques heures à tourner en rond dans les rues encombrées, sans savoir par où s’y prendre. Stoïque, Ikky assistait à la scène, en écartant ceux qui avaient l’air de trop s’approcher, pour se sentir un peu utile dans cette situation.
Lassée, Ayame quitta ce quartier où il n’y avait vraiment rien à trouver !
En fin d’après-midi, le messager envoyé auprès de l’armée du Dragon était de retour. Hiruya le reçut, impatient d’apprendre ce qu’il avait à dire.
- Suivant vos ordres, honorable magistrat, j’ai chevauché jusqu’à retrouver cette armée. J’ai croisé une patrouille de ses éclaireurs, mais je n’ai pas vu le gros de l’armée lui-même.
- Où sont ces éclaireurs ?
- Non loin de la Cité, aux abords du palais Shosuro.
- Ils ont l’intention d’y être accueillis.
- Ils m’ont affirmé que les Scorpions acceptaient de les recevoir. Eux et toute l’armée.
- Et ensuite ?
- Le gros de l’armée est plus au sud. Ils ont affronté une avant-garde de l’armée des Crabes.
- Qui commande l’armée ?
- Le général Mirumoto Daini, seigneur.
- Daini ? Le frère de Hitomi en personne ?
- Oui, Hiruya-sama.
- Et quoi d’autre ?
- Cette armée revient du col de Beiden, où elle a combattu pendant plusieurs semaines l’armée du Crabe qui tentait de passer la Chaîne du Toit du Monde. L’armée du Dragon épaulait celle du Scorpion, et ils avaient le renfort de la cavalerie Licorne !
- Par Benten, tout ce monde !
- On signale aussi que combattaient avec eux les rônins engagés par les Crabes l’année dernière.
- L’armée de Toturi ?...
- Haï.
- C’est tout ?
- C’est tout ce qu’ils m’ont appris, magistrat. Ils m’ont affirmé qu’ils enverraient avant peu des nouvelles, dès qu’ils seront arrivés au palais Shosuro.
- Qu’en est-il de la situation au col de Beiden ?
- Le col est fermé, gardé par la cavalerie du clan de la Licorne.
- Je te remercie.
Hiruya n’en revenait pas de ce qu’il venait d’entendre. Une attaque massive du clan du Crabe, une bataille gigantesque au col de Beiden et maintenant les Dragons dans la région. Et il se demandait où en était Ryu de ses pérégrinations.
Notre magistrat prévint Jocho-san de la situation : il était temps de mettre la Garde du Tonnerre sur le pied de guerre et de vérifier l’état des défenses de la ville.

5e jour<!--/sizec-->
Mirumoto Ryu et les rônins du Lièvre quittèrent le temple d’Osano-Wo, sous un ciel lourd et bas, où roulaient d’inquiétants nuages mais où perçaient des raies de soleil très pures, alors que le vent soufflait et que la lumière d’Amaterasu, dans le chaos de ce monde, montrait le chemin jusqu’à la Cité des Mensonges, à travers la plaine que piétinaient (on le devinait) les armées du Crabe et du Dragon. Oui, sur cette vaste étendue d’herbe, derrière l’horizon, se trouvait l’armée envoyée par le Grand Ours, l’armée des Dragons et, sur les petits chemins trempés par les pluies de la nuit, une troupe d’une cinquantaine de bushis sans mon de clan, bien décidés à retourner dans leur château ancestral.
Après une journée de marche rapide à travers les sentiers boueux, le groupe aperçut l’arrière garde de l’armée Dragon. Celle-ci stoppa, fit prévenir le général, qui attendit avec un détachement léger, pendant que le gros des troupes continuait à avancer. Ce n’était pas une petite troupe de guerriers à pied qui pourrait inquiéter une telle armée, composée d’au moins 7000 hommes !
Les deux troupes étaient postées chacune sur une hauteur et on convint par signaux d’envoyer des représentants dans une petite cuvette. Ozaki et Ryu s’avancèrent et rencontrèrent l’un des bras droits du général Daini, qui fut honoré de rencontrer une représentante de la magistrature d’Émeraude.
Ryu n’eut pas de difficulté à obtenir que les Lièvres puissent rejoindre l’armée Dragon, s’ils étaient prêts à se battre le moment venu. Ozaki accepta sans hésiter.
Ryu se fit offrir une monture, pendant que les Lièvres marchaient à côté des autres troupes de rônins recrutés dans la région.
Notre Magistrate eut ainsi l’honneur de rencontrer le frère de son chef de famille, Mirumoto Daini. Celui-ci lui expliqua en quelques mots la situation : la guerre contre les Crabes et la bataille du col de Beiden.
Mais il y avait pire, et Ryu ne s’attendait pas à cela :
- Nous avons combattu plusieurs fois les Crabes, disait le général Daini, et maintenant, le doute ne nous est plu permis : les armées du Grand Ours ont fait alliance avec l’Outremonde ! Ils ont des régiments de gobelins à leurs côtés, ils invoquent des créatures démoniaques, ils utilisent la maho-tsukaï contre nous ! C’est l’abomination, honorable Magistrate ! Pour la première fois depuis mille ans, le clan du Crabe a trahi son serment de protéger l’Empire et s’est retourné contre lui !... Maintenant ils marchent sur la capitale, et s’ils ont échoué à passer par Beiden, ils progressent sur les terres du clan de la Grue ! Et ils vont essayer de passer par les montagnes au nord de Ryoko Owari et il est problable qu’ils vont vouloir raser la ville au passage, car ils la détestent !
Ryu n’osait pas croire ce que lui révélait le général Daini ! C’était pire que tout ce qu’elle avait appris ces derniers mois ! Pire que la destruction du clan du Blaireau, pire que le rétablissement du clan du Scorpion !
Et maintenant, il fallait même se réjouir de ce que les Scorpions aient été rétablis car ils mèneraient la guerre contre le clan du Crabe !
A la Cité des Mensonges, Hiruya, ignorant de ce que Ryu venait d’apprendre, recevait une missive envoyée par Bayushi Tomaru depuis Shutaï, annonçant que Yasuki Taka remontait la rivière et comptait séjourner dans la Cité, en y ouvrant un comptoir marchand. Notre magistrat rencontra à nouveau Jocho et d’autres dignitaires Scorpions, pour mettre au point la défense de la ville. Hiruya savait pertinemment que face à une armée du Crabe, la ville ne tiendrait jamais ; cependant, en la fortifiant au mieux, on pouvait espérer se préserver d’attaques de moindre envergure. Notre Magistrat se demandait à quel point les Scorpions étaient dupes de leur chance de résister. Ils savaient mentir aux autres, mais se mentaient-ils à eux-mêmes ? Face à la déferlante des forces du Grand Ours, il était illusoire d’espérer sauver la ville.

6e jour<!--/sizec-->
Après une étape dans la plaine, pour la nuit, l’armée de Mirumoto Daini atteignit le palais Shosuro en début d’après-midi. Il était construit sur une butte, au bord de la rivière et cerné d’une double rangée de remparts. Depuis la reconstruction du clan, il avait retrouvé sa splendeur d’antan et peut-être même plus encore : les étendards, bleu nuit et écarlates claquaient au vent, signe d’une menace mortelle qui attendait ceux qui voudraient défier la puissante famille Scorpion.
Les émissaires de la famille Shosuro attendaient l’arrivée du général Daini, qui se porta à l’avant avec ses officiers et Mirumoto Ryu, pour demander officiellement l’hospitalité.
Il faudrait la journée pour réussir à accueillir cette lourde armée dans le palais et autour de lui.
Ryu s’inclina devant le général et dit qu’elle devait partir sur le champ, rendre compte à la Cité des Mensonges de ce qu’elle avait appris sur les Crabes et l’Outremonde.
Daini-sama la salua, la pria de transmettre ses respects à la magistrature d’Émeraude et lui donna la route.
Sur la route, elle vit un village qu’une bande de pillards attaquait. A en juger par l’insigne qu’ils portaient, sorte d’imitation dérisoire de mon de clan, ils devaient appartenir à la même bande que celle dont Ryu avait tué cinq membres, quelques jours plus tôt.
Notre héroïne entra dans le village et les somma de cesser leurs pillages, au nom de l’Empereur !
Elle vit alors sortir d’un des bâtiments celui qui se proclamait le chef des bandits : c’était Yoshinao, le frénétique du sabre qui avait défié Ryu lors de la bataille de Mimura ! A l’époque, il faisait partie de ceux qui voulaient piller le village. Riobe avait dit à Ryu de ne pas accepter le défi de ce rônin !
Et notre héroïne se souvenait qu’il avait une technique très surprenante, qui lui avait permis d’anticiper les coups de Ryu. Yoshinao était accompagné de cinq hommes et ricana devant la magistrate, seule, qui comptait les défier. Mais notre Mirumoto ne prêta pas attention aux moqueries et injures du rônin. Elle dégaina ses sabres et se lança à l’attaque.
Elle frappa et tua deux des hommes, mais ceux-ci eurent le temps de la blesser. Mise en difficulté, elle fut confrontée à deux autres, qui n'eurent pas de mal à lui faire mettre un genou à terre, atteinte de plusieurs coups de lames.
Moqueur, Yoshinao s'approcha :
- Tu as surestimé tes forces !... Attachez-la, vous autres et emmenez-la dans la grange, elle sera un précieux otage !
Solidement ligotée, Ryu fut jetée dans la paille, avec d'autres villageois terrifiés. On allait pouvoir prendre soin de ses blessures, car les gens du peuple disposaient d'eaux et l'un d'eux savait recoudre les blessures. Mais notre héroïne se sentait humiliée : bien sûr les bandits étaient six, mais elle avait été capturée ! Elle ne pourrait pas rejoindre la Cité des Mensonges comme elle l'avait dit, elle ne pourrait pas prévenir les Magistrats et les Scorpions de la menace réelle que représentaient les Crabes ! Et quand Hiruya-sama allait apprendre cela !
Dans la soirée, Ryu apprit que Yoshinao avait envoyé un messager au palais Shosuro pour les avertir de la situation : il libérerait Ryu en échange du droit de partir par le fleuve, vers le sud. Et un second messager était parti vers la Cité des Mensonges, pour avertir la Magistrature.
Dans l'après-midi, remontant le fleuve, un gros navire, à la coque renforcée de plaques de fer, faisait son entrée dans la Baie de l'Honneur Noyé, au milieu d'une épaisse brume alourdie par la pluie. Cette brume étouffait les bruits, dont celui de l'orage qui grondait plus au nord, sur les contreforts des montagnes et la pluie faisait frissonner la baie tout entière.
Le mât du bateau émergea de la brume : à son sommet claquait un drapeau aux couleurs de la famille Yasuki ; le navire vint s'amarrer, jeta l'ancre et dans la pénombre tiède et pluvieuse du port, les deux Gardes du Tonnerre en faction entendirent de grosses soques claquer contre le ponton en bois et virent s'avancer un chapeau conique surmontant un petit homme, mains derrière le dos, courbé en deux. Un coup de vent chassa un moment le rideau de brume et les deux Gardes virent devant eux Yasuki Taka, qui levait les yeux sur eux, les toisait un moment de son regard perçant, passait, regardait un grand entrepôt et en ouvrait la grande porte, avec une vigueur qu'on aurait pas soupçonné chez un vieux petit homme comme lui.
A son âge, il avait encore les cheveux noirs et il ne se les teignait sans doute pas. Et des dizaines d'années sur les routes de l'Empire lui conservait une tonicité qu'avait perdue bien des gens plus jeunes que lui. Il pénétra dans le grand entrepôt, sombre et le contempla en y marchant, lentement : il en prenait possession, c'était son domaine maintenant. Déjà, son équipage était à la manoeuvre pour vider les cales et un autre amenait une échelle pour aller accrocher, triomphant, le drapeau Yasuki sur le toit du bâtiment !
- Allons, allons, dépêchez-vous de décharger ! Avec cette purée de poix, les ballots vont être trempés ! Vous allez nous pourrir toute la réserve de riz ! Je vous préviens que si vous me cassez quoi que ce soit, ça va barder, foi de Taka !... Les caisses de sake, au fond, dans un endroit bien sec ! Les bijoux, en dernier, dans la petite salle du fond et pareil pour les vases et les objets fragiles ! Allons, hâtez-vous, car il n'y en a plus que pour une heure de jour !
Il sentait cela d'instinct.
On disposa des lampes sur le port, car le brouillard étouffait le jour. D'autres hommes s'occupaient de nettoyer en vitesse la maison que Taka allait habiter. Mais pour ce soir, le vieux marchand allait sans doute encore profiter de sa cabine. Sur le port du quartier marchand, c'était l'agitation. L'arrivée de Yasuki Taka, le plus célèbre marchand de l'Empire, n'était pas une mince affaire. Ça promettait de l'agitation et des bouleversements avant peu. Le rusé Crabe n'avait pas que des amis dans cette ville, loin de là, mais personne ne se croyait assez fort pour ne pas le redouter !
Voyant que les homme s'organisaient et n'avaient plus besoin de lui, il remonta à bord, pour enlever ses habits d'homme du peuple et revêtir une tenue digne d'un daimyo de famille, car il était invité par les sommités de la ville le soir-même.
La magistrature d'Emeraude eut le droit à une belle bouteille de Daiginzyoo-syu ; on était heureux de revoir Taka-sama, mais les temps étaient durs. Et le vieux marchand, lui, savait déjà ce que préparait son clan, mais ce n'était certainement pas à lui d'en informer la Magistrature : le Grand Ours restait son daimyo, quoi qu'il fasse ! Et la Cité des Mensonges, avec les Dragons dans la région, serait au courant bien assez tôt. Taka avait fait étape chez Bayushi Tomaru, à Shutai, pour organiser une réunion des témoins du procès du Lièvre, afin d'organiser rapidement le rétablissement du clan Usagi.
En cette période difficile, nos héros tiraient une petite mine, mais grâce au sake en or du vieux marchand, on se dérida, on rit et ma foi, Shigeru n'était pas mécontent de goûter cette liqueur bénite.
- C'est Daikoku en culotte de velours, comme je dis toujours !
Et Taka lançait des clins d'oeil, faisait son sourire le plus large et le plus carnassier, plaisantait, faisait resservir l'assistance, poussait du coude Ikky qui avait l'air d'apprécier, et au bout d'une heure, on était les meilleurs amis du monde !
- Bon, samuraï, ce n'est pas que je m'ennuie en votre compagnie, mais les Scorpions m'ont invité à un repas, alors je dois y aller ! Le temps d'avaler ma fiole de contre-poison et je suis à eux !
Sacré Taka ! Il n'y avait qu'avec lui qu'on pouvait se permettre ces familiarités ! Chef d'une famille de samuraï ET marchand, quel personnage !
Hiruya le raccompagna à la porte et lui souhaita bonne nuit. Taka salua et il avait à peine tourné le dos et revisser son chapeau sur sa tête pour se protéger de la pluie, qu'il se mettait à parler dans sa barbe, que les affaires étaient les affaires, qu'on avait mauvais temps et que le magasin ne serait jamais ouvert à temps ; il était escorté de trois yojimbos, dont un qui lui tenait une ombrelle au-dessus de la tête et l'infatigable vieil homme partit dans la brume pluvieuse, jusqu'au palais Shosuro, rendu inquiétant, menaçant, dans la nuit et le brouillard et on entendit longtemps encore le bruit des socques du vieux Taka qui résonnaient dans les rues de la Cité des Mensonges...

7e jour<!--/sizec-->
En fin de mâtinée, un messager envoyé par Mirumoto Daini arriva à la Cité : en tant que représentant du général Dragon, il devait être considéré comme Daini-sama lui-même et demanda donc à être reçu par le Gouverneur de la ville, car il avait des choses d'importance à dire, qui concernait toute la Cité. On fit donc mander la magistrature d'Emeraude ; et tout le monde attendait de savoir ce qu'il en était des positions des armées du Dragon et du Crabe.
Le Gouverneur, sur son trône, agitait rapidement son éventail, car l'atmosphère, entre deux orages, était lourde. A ses côté, les chefs de famille : Shosuro Jocho et son air inquiétant ; Bayushi Korechika et son air menaçant ; Soshi Seiryoku et son air sinistre.
Le rapport du messager fut rapide, claire et sans hésitation. Ses derniers mots résonnèrent comme l'annonce de la fin des temps ! "Le Clan du Crabe est allié à l'Outremonde ! Le Grand Ours marche sur Otosan Uchi aux côtés de Fu-Leng ! Les chasseurs de sorciers invoquent des démons ! Les bushis Hida se battent côte à côte avec leurs frères d'armes onis !
- Tu mens, misérable je vais te pourfendre sur place !
Bayushi Otado, le bouillant fils de Korechika, avait déjà la main sur le katana. Son cri avait rompu, violemment, l'épais silence stupéfait des lieux.
- La paix, Otado-san !
Le père le remettait à sa place durement, bien que lui aussi, s'il avait eu l'âge de son fils, n'aurait pu se retenir de vouloir sauter à la gorge du Dragon.
Le silence était glacial.
- Tuez-moi, fit l'émissaire sans trembler, cela n'arrêtera pas l'armée qui est à vos portes et contre laquelle se bat mon général.
L'heure était même trop grave pour que le Dragon relèvât vraiment l'insulte. La salle resta longtemps silencieuse, avant qu'on n'ose à nouveau respirer, remuer, comme si le moindre geste allait attirer un démon au beau milieu de l'assistance.
Le messager finit par rompre l'immobilité de l'assemblée, comme brusquement statufiée, s'inclina et dit qu'il retournait auprès de Daini-sama. Il avait accompli sa mission : il n'était pas là pour savoir ce que pouvait en penser le Gouverneur ! Qu'elle se dise juste que si les Scorpions perdaient la bataille, sa Cité serait rayée de la carte !
Ryoko Owari, la ville-symbole du clan des Scorpions, la ville de la luxure, de l'opium, des mensonges, du vice, détruite, arasée, retournée comme un stupide champ de blé !
Avant cela, le messager avait indiqué que Daini-sama séjournerait au palais de la famille Shosuro, le long de la rivière. Il expliqua qu'une escarmouche avait eu lieu avec les Crabes mais qu'à l'heure actuelle, ils devaient se trouver à plus de trois jours du palais Shosuro, donc à presque cinq jours de la Cité des Mensonges.
Ce n'est qu'en ressortant du palais qu'une question vint à l'esprit de Hiruya : "mais que fait donc Ryu !"
Le messager avait signalé que son armée avait reçu la visite d'un magistrat d'Emeraude de leur clan.
Après une pareille annonce, Shigeru prit le prétexte d'un témoin à interroger dans le quartier des pêcheurs pour aller boire. Il ne savait plus où il habitait, qui vivait, qui mourait, où il se trouvait, qui croire et que faire ! Des paysans se souvinrent qu'il était rentré furieux, desespéré, dans la maison de sake, avec l'intention de se suicider au soshu ! En finir en beauté : se remplir comme une outre jusqu'à éclater !
En quelques heures, il but des près de cinq bouteilles. Il revint au palais, convoqué par Hiruya, dans un état lamentable, une vraie éponge à alcool. Il était allé vomir aux latrines et regardait le monde autour de lui, hébété, le regard hagard, la lèvre pendante, comme si l'Ordre Céleste venait de s'écrouler, détruit d'un coup de pied du Grand Ours !
Il tenait à peine assis. Il eut droit à une remarque sévère sur son comportement de la part de Hiruya-sama , qui n'en fit pas trop, étant donné la situation.
Nos héros avaient croisé Taka-sama en ville, qui leur avait appris que la cour d'hiver était annulée pour cette année. La famille Iuchi était indignée.
Evènement qui semblait bien bénin, bien dérisoire, en regard de ce qu'on venait d'apprendre. Et le vieux Taka avait parlé de cette cour pour ne pas aborder la question de sa fidélité au clan du Crabe. Il avait renforcé la garde autour de son entrepôt. Il ne fallait pas pousser certains pour qu'ils murmurent que le vieux marchand était un agent infiltré, qui repérait la ville et y introduisait des maho-tsukaï. De fait, Taka-sama fut poliment invité, avec ses hommes, à rester à sa demeure. Pour sa sécurité.
Quelques jours avant, la Cité des Mensonges semblait, comme à l'habitude, se soucier surtout de ses propres problèmes, vivre en autarcie et nettoyer son linge sale en familles. Mais maintenant, elle était au coeur de la tourmente qui traversait l'Empire. L'orgueilleuse Cité des Histoires ne pouvait plus faire comme si elle était le 2e centre du monde après Otosan Uchi. Elle était en danger de mort et devait compter sur l'extérieur pour se défendre : non seulement sur la famille Shosuro, mais aussi sur des Dragons.
Ce qui était arrivé à Ryu, nos héros ne tardirent pas à l'apprendre. La lettre envoyée par Yoshinao fut remise à Hiruya en fin d'après-midi.
Dans l'état actuel des choses, notre Magistrat n'avait même plus le coeur à enrager contre cette incapable de Ryu ! Qu'elle fût l'otage d'un groupe de bandits semblait si dérisoire en regard d'une invasion de l'Outremonde ! Que tous les démons emportent Hida Kisada !
- Il est évidemment impensable de négocier avec ces bandits, dit Hiruya devant ses assistants. Ayame, Ikky, Shigeru, vous allez vous rendre là-bas, dès demain matin et me délivrer Ryu !
Il fit un geste de balayage du bras, qui signifiait qu'il ne voulait plus rien entendre, qu'ils pouvaient s'y prendre n'importe comment, ils ne voulait pas le savoir ! S'ils pensaient qu'invoquer un Oni était une bonne chose, pourquoi pas, puisqu'un clan majeur se le permettait, maintenant !
Notre Magistrat, furieux, partit se coucher, pendant que ses assistants se regardaient, sceptiques, à se demander comment ils allaient s'y prendre...
A suivre...
