29-05-2006, 02:08 PM
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CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

Yasuki Taka, entouré de ses gardes du corps et suivi des deux Phénix, arriva dans une petite rue du quartier des joailliers, non loin de la rue du Saphir où avait été découverte la cache du Condor.
Taka fit un petit signe à deux solides gaillards, torses nus, tatoués, qui gardaient un bâtiment imposant, coincé entre de petites échoppes.
- C'est la maison du syndicat des tailleurs de pierre, dit le marchand, comme pour s'excuser. Je vous ai dit que les gens que je pouvais vous faire rencontrer n'étaient pas des gens d'honneur, mais ils savent des choses que les samuraï ignorent...
- Entendu, fit Ayame, décidée. Je te remercie de ton aide, Yasuki Taka-sama.
- Je vous attends dehors, à la maison de thé d'en face.
Le petit homme s'inclinait en reculant. Les deux gardes s'écartèrent devant les deux Phénix et leur ouvrirent le panneau en bois.
A l'intérieur, une luxueuse pièce avec un tapis rouge, un petit autel à Daikoku et des peintures délicates de paysage, de l'époque de Hantei XXXII.
Une femme dont la jeunesse commence seulement à disparaître, avec juste un peu trop de maquillage, aux couleurs un peu trop prononcés (violet, noir, rouge), avec un collier fascinant des terres de la Licorne et quelques bagues aux pierres un peu trop grosses, et du rouge à lèvres incarnat (un peu trop de rouge à lèvres !

- Konnichi-wa, honorable magistrate, mon nom est Chinoko et je suis la patronne du Syndicat des Tailleurs de Pierre.
- Konnichi-wa. Mon nom est Isawa Ayame et voici Shiba Ikky, ma yojimbo. Nous venons vous voir sur la recommandation de Yasuki Taka. Le connaissez-vous ?
- En effet. Quel marchand de l'Empire n'a pas un jour traité avec lui ?
- L'honorable vieil homme nous assure que vous pouvez nous fournir des renseignements concernant une organisation appelée le Condor. Il nous dit que votre Syndicat a des yeux et des oreilles là où les samuraï n'en ont pas.
- Dans une certaine mesure, oui, honorable magistrate. Nous avons entendu parler du Condor et nous pensons qu'il s'agit d'une dangereuse société secrête. Car nous connaissons bien les autres syndicats de la ville, et les plus importants syndicats et corporations de par l'Empire, mais le Condor n'a pas de localisation précise, pas de membres reconnus, pas de patronnage spécifique. A se demander si ce n'est qu'une légende. Et pourtant, le fait est que certaines personnes se réclamant du Condor essaient, depuis quelques années, de faire chanter des gens. Les rumeurs arrivent rarement à nos oreilles, mais les bruits se précisent. Le Condor a des moyens d'action puissants, le Condor sait beaucoup de choses sur chacun de nous, le Condor vous a peut-être déjà repéré et viendra vous voir le moment venu, le Condor se dissimule pour mieux faire croire à son inexistence... Voilà quels sont les bruits qui courent.
- En somme, un syndicat qui ne se fait pas connaître des autres.
- C'est cela. Et nous savons que plusieurs incendies, meurtres, vols, ici ou là, ont pu être imputés au Condor, comme on les attribue aussi bien aux ninjas il est vrai. Explication bien commode. Toutefois, à plusieurs reprises, la marque du Condor a été vue. De plus en plus, elle est connue de mes gens et des autres syndicats. Mais qui peut se plaire ainsi à signer ses crimes ?...
- En savez-vous plus sur certaines personnes qui pourraient être membre de cette organisation ?
- J'en ai connue qui avait été "approchées", mais elles sont mortes ces dernières années. Je pourrai vous donner quelques adresses en ville, là où ces personnes ont vécu. Je puis aussi vous recommander de parler à un marchand qui va arriver en ville, d'ici peu de temps.
- De qui s'agit-il ?
- Il se nomme Jin. Il commerce sur son bateau, en navigant sur les fleuves de l'Empire. Il connaît bien la Cité des Mensonges, depuis plus longtemps que moi. Et je sais qu'il a entendu parler du Condor ailleurs qu'ici.
- Quand sera t-il en ville ?
- Après-demain je pense. Il accostera dans la Baie, au ponton du Jais. Ce n'est pas loin d'ici.
- Alors j'irez lui parler. Je vous remercie de votre aide, Chinoko.
- C'est un honneur d'aider la magistrature d'Emeraude, dit froidement la patronne du Syndicat.
Nos deux magistrates retrouvèrent Yasuki Taka à la maison de thé, de l'autre côté de la rue. Elles burent avec lui, sans reparler de leur entretien avec Chinoko. Mais Ayame, en regardant dans le vague dans sa tasse, repensait à l'entretien ; elle était impatiente de rencontrer le marchand.

Le lendemain, Kakita Hiruya et Miya Katsu étaient de retour dans la Cité. Les deux importants magistrats réunirent les assistants pour faire le point de la situation en ville. Ayame dit qu'elle avait sans doute une piste intéressante concernant le Condor. Shigeru continuait à se faire bien voir du peuple et se créait un petit groupe d'indics fiables, fidèles au poste, quand il s'agissait de se faire offrir une petite liqueur de fruits. Et Ryu fréquentait toujours le dojo de Kitsuki Jotomon
La journée du lendemain passa bien lentement au goût d'Ayame, qui attendait qu'on lui fît signe à propos du marchand. Elle tenta de s'abstraire dans les occupations du quotidien, les prières, les lectures, les rituels, mais elle se sentait occupée uniquement par la promesse d'informations à venir. Elle reçut en milieu de journée un petit mot de Taka-sama, qui apaisa un moment sa curiosité puis en réalité l'attisa : "Honorable Ayame, Chinoko me fait dire que le marchand du fleuve accostera ce soir dans la Baie, au ponton du Santal."
Et dès le coucher du soleil, la shugenja et sa yojimbo étaient au lieu dit ; Ayame regardait la baie, impatiente, sans même se distraire pour regarder le beau et majestueux crépuscule qui s'étendait paisiblement sur l'eau. Elle scrutait chaque bateau et tâchait de reconnaître celui annoncé, "le Lamantin".

Les deux femmes se promenèrent le long des quais, dans le nord du quartier marchand, près du pont de l'Honneur Noyé. Le fleuve qui avait dégringolé, furieux, des montagnes arrivait lentement en ville pour se déverser dans la baie, amenant avec lui des bateaux, en provenance du palais de la famille Soshi. Du sud arrivaient les bateaux des terres du Scorpion, qui passaient sous le pont du Dragon.
Les embarcations légères de la Garde du Tonnerre sillonnaient la baie, pour arrêter au hasard des navires et vérifier les cales. Il faisait bien calme, au pied des jetées. Les marins fumaient la pipe dans les maisons d'alcool ; des gamins jouaient aux osselets ; on entendait une algarade, plus loin, entre joueurs avinés, à laquelle la patrouille des pompiers venait mettre fin.
L'air du soir apportait la fraîcheur inquiétante de la nuit, celle qui annonce qu'il va falloir faire son deuil du jour et l'oublier.
Les bateaux du soir avaient généralement navigué dans l'après-midi, le moment où les taxes sont les plus basses. Il y a avait plusieurs petits ports, au sud et au nord de la Cité des Mensonges, où l'on faisait étape, de façon à payer les taxes du soir à la Cité, ce qui représentait encore une somme considérable.
Ayame vit arriver par le nord de la Baie plusieurs solides navires, sans couleur de clan. C'était inhabituel, d'après ce qu'en disait deux soldats Scorpions à proximité, car les navires du nord étaient généralement ceux de la famille Soshi.
Les deux Phénix virent s'approcher Yasuki Garou, le neveu de Taka, qui annonça que le navire du marchand Jin faisait son entrée dans la Baie et allait accoster plus au sud.
On vit les navires du nord accoster et aussitôt, on entendit, dans l'obscurité à peine éclairée par les lumières du port, une bagarre éclater, puis des cris, et la cloche d'alerte retentir. D'abord on crut à des affrontements entre équipages de marins, ou entre marins et citadins, mais le feu se déclencha en plusieurs endroits, et depuis d'un autre navire, des flèches enflammées partirent en direction du quartier des marchand, et d'un troisième, en direction du quartier des pêcheurs, juste au niveau du Pont de l'Honneur Noyé. La panique s'était déclenché : il s'agissait d'une attaque en règle de rônins !
Et au sud de la ville, l'alerte était déclenchée. Le feu avait pris dans les champs du sud et les tours de guet envoyaient le signal de l'attaque ennemie !
Ayame et Ikky ne comprenaient pas ce qui se passait, ou plutôt elles ne pouvaient se préocupper de l'attaque : Ayame VOULAIT rencontrer le marchand Jin et Ikky devait avant tout penser à protéger la shugenja. Les deux femmes quittèrent le bord de l'eau, pour éviter de prendre un mauvais coup. La Garde du Tonnerre était prise au dépourvu, en pleine nuit, malgré le renforcement d'effectif exigé par Shosuro Jocho. Les deux attaques avaient été bien combinées.
Les deux Phénix durent parcourir presque toute la longueur de la Baie, du nord au sud, pendant que les rônins se heurtaient enfin aux soldats d'élite Scorpion. Ayame suivait le navire de Jin, qui manoeuvrait au milieu de la Baie. Il était sur le point d'être contrôlé par la douane flottante, quand l'attaque avait été déclenchée. Si bien que les douaniers, pris au dépourvu, avait interdit au navire d'accoster et l'avait forcé à rejoindre le milieu de la Baie. Ayame et Ikky passèrent près d'un des navires ennemis, qui manoeuvrait péniblement pour approcher du rivage. La shugenja sortit un parchemin du Feu : Ikky lui tendit pour qu'elle le lise. Elle tendit le bras, mais il ne s'échappa de son bras qu'une petite fumerole. Sa yojimbo la regarda, dubitative, et Ayame, agacée, ordonna à Ikky de la suivre.
Elle faisait rarement appel aux Fortunes du Feu, et avec ce temps humide et le port qui était lourd... Bref, il devait bien y avoir une explication !
Après avoir encore bien couru, Ayame ressortit le parchemin. Le navire ennemi manoeuvrait encore et les douaniers ne parvenaient pas à lui mettre le grappin dessus. Elle sentait que son aide serait vraiment bienvenue, car le signal de l'attaque retentissait toujours au sud, et au nord, les combats continuaient. Même manoeuvre : Ikky tendit le parchemin, Ayame le lut et cette fois-ci, un météore enflammé partit de sa main et alla s'écraser dans la voilure du bateau. Le mât prit feu et ce fut la panique à bord.
Satisfaite, la shugenja continua. Essoufflées, les deux femmes arrivèrent au ponton du Jais. Le bateau de Jin venait d'y accoster. Deux hommes de Chinoko attendaient et servirent d'intermédiaire : les deux Phénix furent invitées à monter à bord.

Au moment où l'alerte était déclenchée au sud, les combats se déroulaient déjà au nord, mais du palais d'Emeraude, on n'entendait à peine cette première cloche. En revanche, quand celles du sud retentirent, Hiruya fut tiré de son sommeil, en même temps que Shigeru et Ryu. Il s'habilla rapidement, sans l'aide de ses serviteurs. On vint le prévenir que des créatures maléfiques attaquaient la ville !
- En nombre ?
- Une bonne troupe, seigneur !
- A quoi ressemblent-ils ?
- Qu'on amène mon armure ! Que Ryu et Shigeru s'équipent en vitesse !
Et pendant qu'il attachait ses pièces, il essayait de comprendre comment Jocho et la Garde du Tonnerre avaient pu ne pas voir arriver une troupe, même de nuit !
Dans la salle de réception du palais, il retrouva Ryu et Shigeru, équipés.
- Où sont les deux Phénix ?
- Je crois qu'elles devaient rencontrer quelqu'un ce soir, dit le Crabe.
- Ah oui, c'est vrai, soupira Hiruya. Tant pis, allons-y !
Ayame l'avait prévenu de cette rencontre. Il ordonna à cinq samuraï d'Emeraude de les suivre et ils coururent vers la porte de la ville. En chemin, il se mit au courant de la situation.
- Les cloches ont retenti quand les créatures attaquaient déjà, seigneur ! La Garde du Tonnerre n'a rien vu venir ! Les Licornes ont déployé des troupes, et Bayuchi Korechika s'est porté au premier rang de l'attaque avec ses hommes. Il est soutenu par Shosuro Jocho et la Garde du Tonnerre.
Les champs, parsemés de tours de garde, resssortaient à peine de l'obscurité nocturne. Menant sa troupe, Hiruya courut sur le chemin. C'était plus un ensemble d'escarmouches qu'une bataille rangée. Mais plus on progressait, plus les groupes ennemis devenaient nombreux, comme s'ils étaient filtrés à mesure de leur avancée. On se battait dans les rizières, dans les champs de blé. Les shugenja avaient eu interdiction d'utiliser leurs sorts de Feu pour ne pas créer un gigantesque incendie !
Enfin, les samuraï d'Emeraude se heurtèrent à une forte troupe, face à laquelle les Bayuchi et les Shosuro faisaient front commun ; les Grue prêtaient main forte, et les Licornes effectuaient des razzia à cheval.
Les créatures étaient des gobelins semblables à ceux qui avaient menacé Kyuden Miya. Ils étaient vêtus de caricatures d'armures et de mauvais sabres brisés, mais ils n'en restaient pas moins des adversaires dangereux. Ryu en détruisit un bon nombre, tandis que Shigeru avait l'autorisation de jouer du tetsubo contre eux ! Les crânes explosaient, les membres craquaient, les tripes sortaient, les têtes volaient !...
Les affrontements, larvés, durèrent une bonne partie de la nuit. Au milieu des ténèbres, les cruels petits monstres aux yeux rouges étaient dans leur domaine ; c'était comme si l'Outremonde suintait sur la Cité, menaçait de venir s'écouler en elle, charriant ses miasmes purulents !
Après avoir essuyé plusieurs mauvais coups, Ryu se retira du combat, le souffle court, vaincue par la douleur. Shigeru, enragé, continuait son avance terrifiante, se frayant un chemin parmi les gobelins à coups de tetsubo sanglant ! Hiruya menait sa petite garde, puis dut à son tour reculer. D'ailleurs, l'ennemi était en déroute : abattu par les Bayushi, frappé dans le dos par les Shosuro, pietiné sous les sabots des Licornes, c'en était fini de lui !
Les gobelins décampèrent dans la nuit, aussi vite qu'ils étaient arrivés.
Et lorsque les samouraï revinrent en ville, ils apprirent que des combats avaient eu lieu au nord : des rônins, cachés dans des navires, avaient effectué un raid en profondeur. Aucun d'entre eux n'en avait réchappé.
Ivres de la fureur des combats, Hiruya, Ryu et Shigeru retournèrent au palais, où on leur appliqua quelques soins magiques. Le jour se léverait bientôt.

Les deux Phénix furent amenés à la cabine du capitaine Jin. L'endroit était décoré de nombreuses armes du clan de la Mante, d'armes et d'objets inconnus à Rokugan, de cartes sur des peaux de bête, ainsi que d'une grosse sphère peinte en marron et bleu, avec des indications en langage gaijin.
Jin était un grand Rokugani, portant un mempo sans marque de clan et un kimono aussi indifférencié. Il avait les cheveux attachés en arrière et la peau bronzée.
- Vous êtes Jin, dit Ayame. Le chef du Syndicat des Tailleurs, Chinoko, m'a conseillé de venir vous voir. Il paraît que vous connaissez des choses sur la secte du Condor.
- En effet, honorable magistrate. J'ai entendu parler plusieurs fois de cette organisation, au cours de mes voyages. Je parcours les fleuves de notre Empire, surtout entre la Cité des Histoires et Otosan Uchi. Je rencontre beaucoup de mondes. J'ai les oreilles bien ouvertes quand on me raconte des choses intéressantes.
- Que sais-tu du Condor ?
- Que c'est une organisation puissante, très bien organisée, et dont aucun membre n'est connu, aucun territoire, aucune activité. Ils sont très secrets.
- Et tu connais des gens qui ont eu affaire à eux ?
- J'ai connu des gens qui savaient des bribes de choses sur eux, mais ils sont morts depuis... Et ce n'est pas une coïncidence.
- Et tu ne connais personne qui soit affilié à cette organisation ?
- J'en ai soupçonné certaines, mais elles sont mortes...
- Toutes, vraiment toutes ?
Ayame était découragé. Les portes s'ouvraient un moment, puis se refermaient aussitôt. A se demander si, pour le coup, Jin ne la menait pas en bateau !
- Je connais quelques personnes, oui, dans cette ville. Je peux vous fournir quelques adresses. Mais je pense que le Condor est trop malin et ces personnes sont sans doute mortes...
Ayame se fit écrire la liste malgré tout.
Les deux femmes revinrent à l'aube au palais d'Emeraude, alors que les combats se terminaient. C'était assez iréel de voir arriver les deux femmes, comme si de rien n'était, alors qu'on venait de repousser une avant-garde de l'Outremonde !
Néanmoins, Hiruya ne fit pas d'observation, puisque les deux femmes tenaient peut-être une piste concernant le Condor et qu'Ayame avait envoyé par le fond un navire ennemi.
A suivre...
