16-06-2006, 01:07 PM
(This post was last modified: 18-06-2006, 01:39 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE
L'après-midi, Hiruya reçut Ayame seul à seul. C'était l'heure de Shiba, mais surtout l'heure du savon !
- Ayame, vous avez commis une faute dans la récitation des sutra, durant la bénédiction aux Ancêtres ! Et cela n'a pas échappé à vos voisins, parmi lesquels des Bayushi, qui se sont empressés de répandre la nouvelle !...
Ayame baissait les yeux.
Depuis la mort de Soshi Seiryoku, la magistrature d'Emeraude était, c'était le moins qu'on puisse dire, en froid avec le palais Shosuro. L'ambiance était glaciale et les rencontres s'étaient réduites au strict minimum, lors d'occasions officielles. Mais Hiruya ne rencontrait plus Jocho sur l'île de la Larme, pas plus qu'Ayame ne voyait Kimi.
En revanche, la popularité des Magistrats s'était accrue dans des proportions gigantesques chez les Licornes, qui avaient appris avec ravissement la destruction d'une des quatre familles Scorpions de la Cité ! Poliment, les Magistrats avaient décliné leur invitation, mais on avait entendu le clan de la Ki-rin faire la fête très tard, ce soir-là et le palais gaijin retentir de musiques, de danse et de chants !
Toutefois, l'action rapide et maîtrisée de Hiruya était incontestable : le senseï Soshi était bel et bien un maho-tsukaï. Du reste, notre Magistrat n'avait pas écrasé Jocho sous son triomphe : au fond, les choses s'étaient déroulées en famille et Hiruya avait laissé aux Scorpions le soin de présenter l'affaire comme ils l'entendaient.
- J'ai le sentiment, Ayame, que lorsque nos enquêtes ne touchent pas à quelque mystère malsain, vous y mettez bien moins d'ardeur... Comme une impression de distance, sinon de désinterêt...
- Je vous assure que c'est un hasard, Hiruya-sama. Je veux servir de mon mieux l'Empire, et combattre ce qui le menace. Et certaines pistes ne se révèlent importantes qu'après longtemps. Et les informations les plus difficiles à obtenir, les plus secrêtes, sont souvent les plus importantes pour servir l'Empire.
- Mais vous êtes inconsciente de ce que cela peut vous coûter ! Et coûter à la Magistrature d'Emeraude. Les Scorpions n'attendent qu'une occasion de nous faire perdre la face. Rendez-vous compte, Ayame, que vous passez tellement de temps en bibliothèque, que Ryu-san égale, sinon surpasse votre réputation !
Ayame, piquée à vif par l'argument, s'excusa platement et jura de sortir de sa bibliothèque. Elle n'irait que pour étudier les parchemins envoyés par Akitoki-sama. Elle n'ajouta pas, mais le pensa, qu'elle avait fini d'épuiser les secrets de cet endroit.
Maintenant, le seul endroit où elle pourrait en apprendre plus, ce serait l'imposant et tortueux palais Shosuro.
- Je ferai des efforts pour imiter Ryu-san.
Cette dernière phrase lui arracha la gorge mais elle savait qu'elle ferait plaisir à Hiruya.
Nos Magistrats oublièrent pour aujourd'hui l'affaire du jardinier Sourcils, le prétendu assassin. Dans la journée, Ayame était passée chez le vieil Asako Kinto-senseï, pour se renseigner sur les plantes cueillies par Sourcils et il n'y avait vu aucune malice. Des plantes médicinales, pour la plupart. Et on avait confirmé que Sourcils était herboriste dans le quartier du Petit Outremonde.

Le lendemain, Ryu était la première en ville : elle se rendait chez Sourcils. Il habitait non loin de l'endroit où elle avait arrêté le rônin Mâchoire. Elle connaissait un peu le quartier et certainement, on la connaissait !
Elle entra dans la bicoque misérable qui lui servait de toits. Elle y trouva des fioles, des herbiers, du petit matériel pour piler des plantes et extraire du jus, quelques effets personnels insignifiants. Elle interrogea plusieurs voisins, qui ne purent rien lui apprendre.
Elle se rendit ensuite à la maison du syndicat des Teinturiers : le patron, désolé, dut lui confirmer qu'ils n'avaient rien appris. Cette lettre anonyme n'avait rien à révéler. Il suggéra qu'il avait bien sous la main quelques coupables tout désignés, mais Ryu déclina l'offre. Au palais, Ayame, assistée de Pitoyables et ses assistants, avait examiné le corps de l'eta : une piqûre à la base du cou.
Sourcils cueillait des herbes dans les jardins de Daikoku, pendant la cérémonie et l'assassin avait frappé au moment où l'abbé Okawa récitait la dernière prière de la journée.
Ryu, découragée par ce début de journée, décida de se consacrer pour une fois à une affaire personnelle. L'avant-veille, elle était allée en bibliothèque. Ayame et Ikky s'y trouvaient et l'avait vue arriver, ahuries. Elle avait répondu évasivement quand on lui avait demandé ce qu'elle cherchait.
Elle venait en fait chercher des informations sur Kishidayu.
Kishidayu : l'assassin de son mari, juste avant le coup d'Etat du Scorpion.
A Morikage Toshi, elle avait évoqué ce nom devant Emmon, mais n'avait pas à l'époque les moyens de se payer ses services.
A la fin de la cour d'hiver, avant son départ chez les Daidoji, elle en avait parlé à Bayushi Bokkai, qui avait dit le connaître, mais était resté très vague. Mais un Bayushi trahirait-il jamais un membre de sa famille ?
Son mari, Mirumoto Isamu, avait été assassiné non loin de Heibetsu, dans une embuscade, dans une gorge étroite, par des assassins bien organisés. L'oncle de Ryu était aussi du voyage et en avait réchappé. Sans doute par fierté, celui qui venait de tuer Isamu avait dit son nom. Kishidayu !
Depuis, ce nom hantait Ryu. Si elle avait pris les armes, si elle avait choisi de suivre la voie du guerrier, c'était pour le retrouver, le défier et le tuer. Pour lui, elle avait quitté son pays, laissé sa fille Akiko et affronté la mort plusieurs fois. Même sa situation de samuraï d'Emeraude était de peu d'importance par rapport à sa quête de Kishidayu.
Elle ne savait presque rien de lui, de cet assassin haï, qui avait tué Mirumoto Isamu parce qu'il avait eu vent du danger représenté par les Scorpions pour le trône d'Emeraude. Né Matsu, Isamu avait rejoint le clan de son épouse, selon la tradition et de ce jour, il avait à peu près perdu ses relations avec le clan du Lion. On ignorait ce Matsu qui rejoignait le clan des méditatifs et étranges Dragons. A sa mort, la famille Matsu avait adressé une lettre de condoléance, polie mais sans plus.
Ryu était ressortie de la bibliothèque : elle tenait peut-être une piste.
Vaincue une fois de plus par la curiosité, Ayame était allée regarder à l'endroit où Ryu avait fouillé : elle vit que la Mirumoto avait mis son nez dans les registres Bayushi.
Et cette après-midi là, en sortant de chez les Teinturiers, Ryu se rendit dans un petit dojo, aux abords du quartier du Temple. Ce n'était pas le renommé dojo de Kitsuki Jotomon, où s'entraînait la délégation du général Daini.
C'était un dojo discret, au coin d'une charmante rue en pente, entre de petits temples austères et propres. Il y avait seulement un yoriki devant, martial. Ryu leva la tête pour lire le cartouche : Dojo des Mensonges Amers.
- Konnichi-wa. Mon nom est Mirumoto Ryu. Je désirerais rencontrer le senseï des lieux.
L'homme s'inclina et ouvrit la porte.
Une petite cour de graviers, des arbres dénudés, un puits puis le bâtiment. Ryu patienta dans l'antichambre, où on lui servit du thé et des fruits.
On entendait des étudiants s'entraîner dans la grande salle: les bokken claquaient et les combattants se déplaçaient sur le tatami.
Puis les bruits cessèrent.
- Non non non ! très mauvais ! très mauvais !
Une voix acariâtre, vraiment déçue et fâchée.
- Vous ne comprenez rien à la philosophie de mon dojo ! Vous n'en avez pas l'esprit ! Comment comptez-vous un jour maîtriser ma technique spéciale ? Allez, ouste ! Sortez, je ne veux plus vous voir !
- Pardon, senseï ! pardon !
Et Ryu vit passer dans la cour quatre jeunes samuraï, dépités.
Puis le maître des lieux entra. Il n'avait pas la trentaine. Fier, presque arrogant, peinant à prendre l'air modeste :
- Konnichi-wa, je suis Bayushi Tangen troisième du nom, senseï du dojo des Mensonges Amers !
Ryu en vint de suite à parler d'un certain Bayushi Kishidayu. Le senseï réfléchit quelques instants. Il n'était pas le petit vieillard barbichu et sadique qu'on se représente habituellement comme senseï. Il devait avoir une trentaine d'année, l'allure d'un guerrier au sommet de sa force.
- Le nom de Kishidayu-san me dit quelque chose, oui... Il a étudié dans mon dojo il y a quelques temps de cela.
- A quelle époque environ ?
- Je crois bien que c'est lorsque mon clan a retrouvé sa place dans l'Ordre Céleste.
Cela remontait donc à l'hiver dernier.
- Connaisse-vous quelqu'un qui pourrait me le faire rencontrer ?
- A vrai dire non, s'excusa le senseï. Je sais juste que Kishidayu-san m'avait été recommandé par Shosuro Gobei-sama.
Ce dernier était le frère de l'ancien magistrat Scorpion, donc le beau-frère de Shosuro Hyobu. Un des hommes les plus puissants de la ville, protecteur de nombreux riches marchands.
- Kishidayu-san était un fin bretteur, mais il n'a hélas pas réussi à maîtriser ma technique spéciale... la Sombre Epée des Mensonges Amers !
Et en prononçant ce nom, Tangen-senseï prenait un air grandiloquent. Qu'il en était fier de cette appellation !
- Personne n'a encore réussi à maîtriser parfaitement la Sombre Epée. Vous qui êtes une brillante duelliste, peut-être pourriez-vous y parvenir...
- Je vous remercie, mais je m'entraîne déjà au dojo de Jotomon-senseï.
Tangen retint une moue de dépit.
- Ah oui, Kitsuki Jotomon... Un grand maître d'armes. Elle a un jour honoré mon dojo de sa présence, mais même elle n'a pas réussi à saisir la finesse, la subtilité de ma technique ! Quel dommage !
- Vous savez, ajouta Ryu, je crois qu'un art du sabre se mesure au final au nombre de morts qu'il cause.
- Ah oui ? Vos conceptions me paraissent très proches de celles de la famille Matsu, est-ce que je me trompe ?
- C'est possible...
Et dans cette réponse était condensé l'art oratoire de Ryu : avait-elle répondu qu'il était possible qu'elle soit proche des Matsu dans sa philosophie, ou qu'il était possible que Tangen se trompe ?
Et elle le disait d'un ton détaché, nonchalant, qui interdisait en douceur toute réplique.
Par politesse, Ryu resta encore un peu à écouter ce vantard de Tangen. Qu'avait-elle donc de si exceptionnel cette technique ?
- Savez-vous, Ryu-san, qu'un insolent Licorne a osé se moquer de mon dojo, voici deux mois ? Et je viens d'obtenir l'autorisation du Gouverneur pour me battre contre lui ! Le duel aura lieu d'ici trois jours.
- Je serai honorée d'y assister.
Ah, elle ne pouvait pas lui faire davantage plaisir ! On sentait que tout ce qui touchait à la Sombre Epée des Mensonges Amers lui tenait beaucoup à coeur et on devinait combien il était impatient de faire démonstration de ses talents, devant le gratin de la ville !
- Merci, Ryu-san !
Il s'inclina, extrêmement flatté de cette proposition spontanée. Il fallait qu'il ait quelque chose de particulier, Bayushi Tangen, pour obtenir cette promesse d'une des femmes les plus belles et les plus muettes du clan du Dragon !

Ce même jour s'était tenu au palais de la magistrature d'Emeraude un évènement de grande importance, bien qu'on y ait donné peu de publicité : la réhabilitation du clan du Lièvre.
Seppun Fumihi, magistrate d'Emeraude, femme dans la fleur de l'âge, rigide et responsable, était arrivée à la Cité, directement d'Otosan Uchi. Miya Katsu présidait la cérémonie. Il avait fait asseoir Fumihi-sama à sa droite. Sur les côtés, Yasuki Taka et Bayushi Tomaru, les deux derniers témoins du procès. Face à Katsu, Kakita Hiruya, Isawa Ayame et Shiba Ikky, ainsi que les représentants des Licornes, de la Grue et des familles Scorpions.
Au centre de la salle, front à terre, Ozaki.
On prit le temps qu'il fallut pour rééxaminer point par point les minutes du procès du Lièvre, les chefs d'accusation. Seppun Fumihi était des plus procédurières : elle appliquait la loi aussi strictement que dans la Cité Interdite. Miya Katsu aurait préféré un déroulement plus rapide, mais force était de se plier aux exigences traditionnelles. D'autant que l'affaire était d'importance.
S'étant entretenu avec les témoins auparavant, Katsu-sama avait fait en sorte que Taka et Tomaru n'aient pas à perdre la face : leur rétractation fut brève ; ils récitèrent ce qu'on leur avait dit.
- J'ai ici le témoignage signé du dernier témoin, Daidoji Unoko, qui n'a hélas pu venir, dit Seppun Fumihi.
Et pour cause, la malheureuse avait été rendue folle par son frère ! Mais ceci ne fut nullement mentionné.
On se contenta de rappeler les méfaits perpétrés par Soshi Seiryoku ; on mentionna brièvement Asako Nakiro (qui avait témoigné de la présence de maho-tsukaï chez les Lièvres) et Daidoji Dajan (reconnu coupable d'extorsions de fonds sur la famille Soshi) et tout fut dit.
Les énoncés décisifs étaient noyés dans du jargon juridique opaque, si bien que quelqu'un d'inattentif aurait pu croire que rien de grave ne s'était passé, que la destruction du clan du Lièvre était une regrettable méprise.
- En vertu de la justice de l'Empereur assis sur le Trône d'Emeraude, lui le Fils du Ciel tout-puissant et clairvoyant, je déclare nulle et non-avenue la condamnation du clan du Lièvre !
Seppun Fumihi avait parlé.
Miya Katsu énonça aussitôt :
- Au nom du Champion d'Emeraude, je déclare donc rétabli le clan du Lièvre : qu'il retrouve son honneur, son renom et ses terres ! Ozaki, tu reprends le nom de ton père, Usagi et tu es nommé daimyo de ton clan ! Honore la mémoire de ton ancêtre, Reichin, combats pour l'Empereur et la gloire de ton clan.
A son tour, Ozaki prononça les remerciements rituels, puis Katsu-sama s'avança et lui tendit l'insigne du Lièvre.
Eclatant de joie, rayonnant, ce fut Usagi Ozaki qui sortit de la salle du palais d'Emeraude. On offrit une collation aux témoins des familles, qui félicitèrent le maître des Lièvres et l'assurèrent de leur bienveillance envers lui.
L'ancien rônin alla s'incliner devant Kakita Hiruya, qui avait mené l'enquête décisive ayant abouti à la bataille des Cloches de la Mort.
- Vous serez toujours le bienvenu chez nous, sans avoir à prévenir et nous honorerons votre nom et celui de votre famille.
Notre Magistrat remercia. L'ambiance était à la réconciliation : même l'inimitié entre Bayushi Tomaru et Usagi Ozaki semblait n'avoir pas droit de cité.
Et ce fut aussi une des premières apparitions publiques d'Ayame et Ikky depuis longtemps. La shugenja, pour honorer sa promesse à Hiruya, avait profité de cette occasion pour se montrer.
En fin de journée, ceux qui étaient arrivés rônins repartirent comme des samuraï avec, face à eux, un avenir honorable, mais dangereux : puisque Shiro Usagi était voué à servir de poste avancé pour la Cité des Mensonges, c'est à dire aussi à essuyer le premier une attaque du clan du Crabe !
Le soir, tous nos Magistrats se retrouvèrent sur l'île de la Larme. En fin de journée, une délégation du clan de la Grue venait d'arriver : une vingtaine de samuraï qui étaient partis en direction de Shiro Iuchi, où aurait dû se tenir la cour d'hiver (et où, du reste, s'était déroulé le procès Kumanosuke) et qui, en chemin, avaient appris que l'Empereur ne sortirait pas de la Cité cet hiver. Si bien qu'ils s'étaient déroutés pour venir à la Cité des Histoires, où ils comptaient sur l'île de la Larme pour servir de compensation !
Parmi eux se trouvaient le brillant et séduisant Doji Itto, l'éternel courtisan, l'homme qui connaissait au moins une geisha de renom par grande cité et avec lui, Asahina Masumi, l'artiste renommée. Les deux Grues saluèrent nos magistrats et ne manquèrent pas de s'incliner devant ceux qui étaient maintenant des magistrats d'Emeraude.
Kakita Hiruya emmena ce beau monde à la Maison de l'Etoile du Matin, où on but à la santé du clan. Hélas, l'humeur de l'artiste et du courtisan n'était pas excellente : ils ne cachèrent pas la situation desespérante dans laquelle se trouvait la Main Gauche de l'Empereur. Au sud, les Crabes avançaient impitoyablement ; au nord-ouest, les Lions continuaient leurs assauts impitoyables ; au centre du pays, la peste décimait la population ; qui plus est, Doji Hoturi avait disparu !
Et même en tant que Champion d'Emeraude, Kakita Toshimoko avait du mal à aider son clan. Il espérait obtenir un décret impérial imposant une trève pour l'hiver au clan du Lion. A mi-mots, les Grue durent avouer qu'ils en étaient à compter sur l'aide de l'armée de Toturi. Ils disaient que le clan engageraient ces rônins dès qu'il le pourrait mais on savait bien ce qu'il en était : c'est le Lion Noir qui, on l'espérait, serait le sauveur du clan face aux Crabes !
Mais pour cela, il fallait que les Licornes acceptent d'ouvrir le col de Beiden. Depuis des mois, Toturi luttait pour échapper aux Matsu au lieu d'affronter la horde de l'Outremonde.
Les tourments qui secouaient l'Empire, loin de prendre fin, s'aggravaient de semaine en semaine et le pire n'était jamais certain...
A suivre...
