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20e Episode : Trois contes d'hiver
#6
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

Les trois jours qui suivirent furent calmes.
Hiruya veilla à l'installation des invités de son clan et passa du temps avec eux à parler des Fortunes, du Tao, des incertitudes du monde, de la richesse et des splendeurs passées de la Grue...
Ayame et Ikky prièrent les Fortunes, tandis que Ryu se renseignait sur Shosuro Gobei : elle ne glana hélas pas de renseignement intéressant.
Quant à Shigeru, il avait perdu, après la destruction des Soshi, la plupart de ses indics : les Scorpions avaient dû passer des consignes strictes, car plus personne n'acceptait un petit verre de liqueur en échange de quelques informations. Le Crabe avait perdu des semaines d'installation dans les milieux populaires : on ne lui faisait plus confiance, il se sentait étranger et sa maison favorite, le Sanglier qui Rit, avait déménagé Shinsei sait où !
Il devait reprendre du début, pour se refaire un petit groupe d'indics fiables. Mais il ne retrouverait certainement jamais son implantation dans le quartier des pêcheurs.

Samurai

Ce matin-là, nos samuraï se levèrent tôt pour être prêt à l'heure : on ne parlait plus que de ça depuis au moins deux jours ! Bayushi Tangen allait se battre en duel contre un insolent Licorne et pas n'importe où : sur le pont de l'Honneur Noyé, l'endroit le plus prestigieux de la ville pour un affrontement au sabre.
Les dignitaires s'étaient tous déplacés pour assister au spectacle. Le navire du Gouverneur avait approché du pont et, bien au chand dans une cabine de palanquin, Shosuro Hyobu et les chefs de famille Scorpions allaient assister au duel, depuis le bateau.
Sur la rive du quartier marchand, les Licornes s'étaient installés, au plus près du pont et de l'autre côté, avec les Grues à leur côté.
Le senseï Kitsuki Jotomon avait été choisie comme arbitre de la rencontre : on connaissait son impartialité et sa clarté de jugement. Elle discutait avec les deux adversaires, rappelant les règles du iaijutsu, les traditions, l'importance de l'honneur et les règles à respecter en toutes occasions.
Bayushi Tangen s'avança sur le pont, le torse bombé, en toisant les membres de son clan qui le regardaient durement : il mettait sur la sellette l'honneur du clan !
Le Licorne discutait avec les membres de son clan, dont Ide Baranato qui lui parlait à voix basse, qui l'encourageait et lui prodiguait quelques conseils.
Un petit navire aux couleurs de la magistrature d'Emeraude s'approcha de celui des Scorpions : Miya Katsu salua les dignitaires de la ville.
Le Gouverneur Hyobu agita son éventail : le senseï Jotomon fit signe qu'elle avait vu ; elle rappela l'insulte lancée à Tangen-senseï :
- "Charlatan de manieur de cure-dents !"
puis elle jeta une écharpe blanche à l'eau :
- Hajime !

Les deux hommes avancèrent de quelques pas, jusqu'à se frôler.
Bayushi Tangen, concentré, approcha la main de son sabre, doucement. Face à lui, le Licorne bouillait de colère et peinait à se retenir. Il détestait tellement ce vaniteux Scorpion qui n'avait jamais su apprendre sa prétendue technique à qui que ce soit !
Et Tangen souriait d'avance de la bonne correction qu'il allait infliger à son ennemi !

Le vent soufflait, froid, sur le pont et ridait l'eau de la baie. Les navires remuaient lentement sur le clapotis de l'eau et le silence s'était fait : même le peuple, devant cet évènement solennel, avait cessé son travail. Deux samuraï s'affrontant, tout ce mélange de férocité, d'art, de dureté, de haine, c'était si rare !
Hiruya observait, prêt à juger du style des combattants et Bayushi Korechika, sur le navire à côté, murmurait ses propres commentaires à Shosuro Jocho, qui souriait d'un air entendu.
Impassible, Kitsuki Jotomon attendait l'issue du combat.

On entendit Tangen gronder puis lancer, de façon complétement inattendue :
- Par la Sombre Epée des Mensonges Amers !...
Excédé, le Licorne attaqua : son sabre sortit le premier, avec une avance nettement perceptible, mais son coup se perdit dans l'air. Tangen avait attaqué : sa lame sortit et entailla vivement le bras du Licorne.
Ceux qui s'y connaissaient avaient senti que le Scorpion n'avait pas retenu son coup et avait frappé non pas tant pour infliger une blessure à vie, qu'une blessure particulièrement douloureuse sur le moment !
Le Licorne poussa un gémissement pitoyable : il en avait les larmes aux yeux.
C'était une belle humiliation !
Le sourire aux lèvres, Tangen rengaina, conscient que tous étaient impressionnés par sa victoire. Il redescendit du pont au moment où les dignitaires Scorpions mettaient pied à terre.
- Magnifique, Tangen-senseï ! Vous avez tailladé ce Licorne comme il le méritait !
- Quel art du sabre ! Nous savions que vous auriez la victoire sans difficulté !

Nos magistrats avaient mis pied à terre à leur tour. Les Licornes rentraient sans tambour ni trompette vers leurs quartiers, pendant que le vainqueur se pavanait au milieu des siens.
Nos héros regardaient cette scène typique du théâtre du monde Scorpion ; Hiruya vint faire son petit compliment, sans en rajouter. Manière de se rappeler au bon souvenir des Scorpions et à Jocho le premier qui avait vu ses propres talents contre Seiryoku...
Ayame attendait l'heure de rentrer en pensant à ce qu'elle allait faire en bibliothèque. Ikky se sentait piquée à nouveau par l'aiguillon de la jalousie : elle aurait tant voulu devenir une grande duelliste ! Etre entraînée à donner des coups plutôt qu'à les éviter !
Shigeru se demandait si on n'allait pas boire un petit canon, pour fêter l"évènement.
Ryu serrait les poings, en colère contre elle-même, et contre le monde.
On la vit s'avancer brusquement, venue de nulle part, au moment où Hiruya disait au revoir aux Scorpions.
- Konnichi-wa, honorables Scorpions ! Mon nom est Mirumoto Ryu.
Un souffle glacée passa sur la nuque des autres magistrats, qui craignaient le pire ! Ryu, seule face aux Scorpions !
- Je m'excuse de vous déranger mais je souhaiterais savoir si vous connaissez quelqu'un du nom de Bayushi Kishidayu.

Elle serrait les poings très fort, pour réprimer un tremblement. Rarement on l'avait vu aussi déterminée. Elle dont on se moquait si facilement, le jour était venu de la prendre au sérieux !
Le nom de Kishidayu résonna dans l'air frais de la Baie et il semblait que toute la ville avait pu l'entendre.
Ce n'était pas vraiment une question que Ryu avait posé. Elle signifiait plutôt aux Scorpions qu'elle voulait, qu'elle exigeait !, de le retrouver.
Elle s'inclina, les larmes aux yeux et repartit avant de perdre la face pour de bon.
On sentait une grande dignité en elle et la douleur, résultat de l'effort qu'elle avait produit.
C'est peut-être ce qu'on retint de ce jour-là, plus encore que la facile victoire de Tangen. Et celui-ci en eut après Ryu, de lui avoir presque complétement volé la vedette.

Samurai

Le soir, Kakita Hiruya invitait les dignitaires de la Grue à dîner au palais d'Emeraude. Nos magistrats, en souvenir de leur prestation lors de la première réception au Chêne Pâle, firent des cadeaux aux invités : Ryu un petit ikebana, Ayame une belle calligraphie et Hiruya une très fine origami.
Asahina Masumi s'excusa de n'avoir pas invité Ayame au printemps dernier, comme elle l'avait promis à la cour d'hiver. Ayame s'inclina pour la remercier. La soirée se poursuivit et on sentait que la shugenja, ainsi que Ryu, n'étaient pas "avec" les invités.
Ryu peinait à se remettre du souvenir douloureux de son mari assassiné. Elle avait enfoui ce souvenir si longtemps et il rejaillissait d'un coup maintenant. Et la shugenja était plongée comme à l'habitude dans ses recherches de bibliothèque : malgré les promesses répétées à Hiruya, elle ne parvenait pas à se défaire de sa passion pour l'époque du Gozoku, quand ce n'était pas des sujets pires.
Les Grues ne prolongèrent pas leur soirée : ils partirent de bonne heure, sans tellement masquer leur déception. Hiruya, qui se réjouissait de leur venue, ressentit avec amertume l'échec de cette soirée. Mais à quoi bon les inviter si cela ennuyait manifestement Ayame et Ryu !

Le soir, Ikky vint frapper à la porte du Magistrat :
- Hiruya-sama, je m'excuse de vous déranger, mais je voulais vous dire que je suis très inquiète pour Ayame-san.
- Tu as bien fait de venir, Ikky-san, car je t'aurais convoquée avant peu.
"D'abord la faute dans la récitation des sutra, ensuite ce soir une attitude déplorable, inexcusable !... J'ignore quoi faire pour nous éviter de perdre la face une bonne fois pour toute ! Passe encore pour Ryu, qui a toujours eu des manières curieuses en société. Mais c'est une Dragon et les Grues pourraient l'excuser en souriant. Mais pour Ayame ! Une représentante du clan le plus traditionnaliste de l'Empire ! Son attitude est inqualifiable !
La yojimbo et le magistrat se regardèrent longuement, graves et silencieux, en pensant au mauvais coton que filait la shugenja.

Samurai

Le lendemain, Hiruya alla présenter ses excuses auprès d'Asahina Masumi et Doji Itto. Il prétexta toutes sortes de tracas pour expliquer la mauvaise attitude de la shugenja : des paperasseries, des enquêtes en cours, des choses de ce genre, évidemment. Il n'allait pas raconter qu'Ayame pensait plus aux secrets des ténèbres et des ombres qu'aux règles élémentaires de l'étiquette !
Les Grues acceptèrent les excuses. Hiruya comptait bien sur Doji Sukemara et Ashidaka Michitake, chez qui les arrivants logeaient, pour faire l'éloge de la Magistrature d'Emeraude et insister sur l'excellence du dévouement de Hiruya.

A son retour au palais, notre Magistrat fut convoqué par Miya Katsu (qui était tenu autant que possible ignorant des bévues de ses assistants) :
- Hiruya-san, nous allons partir en voyage tous les deux. Le clan de la Licorne va rencontrer des émissaires de Toturi, au château de ma famille et ils ont besoin de diplomates pour assister à la rencontre et les conseiller. Mes supérieurs m'écrivent qu'ils font confiance à la famille Miya et ils requièrent ma présence lors des négociations. Ce n'est rien moins que le passage par Beiden que les envoyés du Lion Noir veulent obtenir. Vous m'accompagnerez.

Ca ne pouvait pas mieux tomber, par Benten !
Hiruya aurait pu sauter de joie : il allait s'éloigner de cette ville malsaine, putride, où ses assistaient s'avilissaient, se tenir loin des deshonorables Ayame et Ryu, du poivrot de Shigeru et entrer dans le monde de la noble politique !
Shigeru tiendrait son rôle pendant ce temps : au moins le Crabe serrerait-il la vis à Ayame !

Dans la journée, la shugenja, accompagnée d'Ikky, se rendit dans le Petit Outremonde. Elle voulait se faire pardonner ses bourdes de la veille. Elle reprenait l'enquête sur Sourcils. Ses recherches furent plus fructueuses que celles de Ryu quelques jours avant.
Elle apprit du voisinage que Sourcils l'herboriste fréquentait l'île de la Larme, à l'époque du conflit de l'opium. Il servait de "guérisseur" pour les samuraï, ce qui signifie qu'il leur vendait toutes sortes de potions, drogues, crèmes de beautés, médecines, philtres d'amour... Et l'intermédiaire entre l'eta et la noblesse était le fils d'Ide Baranato, celui qui (comme nos Magistrats l'avaient appris) avait été tué par Dajan.
Ayame et Ikky rencontrèrent celui qui avait été l'assistant de Sourcils, un vieillard appelé Edenté. Il portait bien son nom, avec ses lèvres rentrées et sa voix éraillée. Il était au service de l'herboriste depuis huit ans.
Il raconta comment Sourcils s'était fait connaître auprès de quelques samuraï, avant de devenir en peu de temps une des curiosités de l'île de la Larme : il était admis parmi la noblesse, non pas comme égal, mais enfin, il était déjà admis et on lui parlait, ce qui était un destin exceptionnel pour un homme du non-peuple. Pour Edenté, c'était la grande époque alors ! Et un tel succès n'avait pas manqué d'attirer des jalousies dans le Petit Outremonde. Mais Sourcils n'oubliait pas les siens : il versait de grosses sommes à la communauté, ainsi qu'au temple de Daikoku. Ainsi il faisait un peu taire les rancoeurs et les ragots sur son compte.

Les deux Phénix rencontrèrent aussi le fournisseur de Sourcils, une femme borgne, d'une trentaine d'années, appelée capitaine Kiiro (Jaune). Elle fumait la pipe près du pont du Dragon, pendant qu'on chargeait son navire. Elle prenait un air inquiet quand on lui parlait. On la sentait sur la défensive. Elle fournit quelques renseignements sur l'approvisionnement de Sourcils, mais rien de bien suspect.
Allons, au pire l'herboriste avait trempé dans l'opium, pour en fournir à la noblesse, et encore ce n'était pas certain !
Décidément, rien qui en fasse le meurtrier du Magistrat d'Emeraude.
Il n'y avait d'ailleurs aucun lien entre les deux hommes.
Sinon que Sourcils et Parole d'Honneur, le rônin du Magistrat, était proches voisins. Mais en dehors de cela ? Sourcils avait la clientèle de gens prestigieux, tels les Scorpions, Shiba Shonagon ou encore des Licornes.

Bref, les deux Phénix ne voyaient rien à redire à la conduite de cet eta. Elles signalèrent ce qu'elles avaient trouvé à Shigeru et Ryu.
Le Crabe se renseigna sur le capitaine Jaune : elle avait servi de fournisseur aux Scorpions, à la famille Bayushi comme à la famille Shosuro.
Ryu alla parler aux moines. Elle fut reçue par Jirohei le comptable : il confirma que, pour un eta, Sourcils avait fait des dons somptueux au temple. Et il apprit à Ryu que l'herboriste fournissait également Bayushi Otado, le fils de Korechika.

Ce dernier fut convoqué le lendemain. Il se souvenait encore de Ryu allant exiger du patron de la maison de jeu qu'il "protégeait" qu'il l'assiste dans son enquête !
Et cette fois encore, il ne fit pas le voyage pour rien. Ryu attaqua franc-jeu sur Sourcils. Otado confirma qu'il avait eu recours à ses services. Et puisque Ryu semblait n'avoir rien à ajouter :
- Je suis honoré de m'être déplacé pour parler d'un eta.
Notre enquêtrice avisée sentit qu'Otado en savait plus, mais à voir comment elle s'y était prise, elle ne pouvait guère espérer plus.
Ayame termina la journée par un passage sur l'île de la Larme : le soleil se couchait à peine. Elle se rendit à la Maison de l'Etoile du Matin, l'établissement fréquenté par Hiruya depuis son arrivée, le plus important du monde flottant. La tenancière, ancienne geisha bien trop maquillée vivant dans des pièces surchargées de décorations, confirma que Sourcils passait à l'époque dans chaque établissement de l'île, le soir, pour rencontrer ses clients. Et il reversait une partie de ses gains aux maisons.
- Est-ce que Shiba Shonagon était une cliente de Sourcils ?
- Oh oui, je crois bien, honorable magistrate. Mais il ne la rencontrait pas souvent dans mon établissement.
- Où donc alors ?
- Chez cette, comment dire...
- Magda ?
- Voilà.
Elle aurait préféré cracher que prononcer ce nom.
Ayame se rendit donc à la Maison des Histoires Etrangères.
- Je suis grandement contentée de revoir vous !
La grande femme aux cheveux d'or raconta qu'outre Shonagon, Sourcils rencontrait aussi Jocho ici. En outre, Ayame se souvint que, selon cette pipelette de Iuchi Sadako, Jocho avait réussi à emmener Shonagon dans son lit.
Certes, mais après ? A part découvrir les ragots de la noblesse de la Cité, à quoi arrivait-elle ?
Jocho couche avec Shonagon, qui fréquente le fils Licorne, qui n'est peut-être pas insensible aux charmes de Kimi qui elle-même... Et Sourcils fréquente ce beau linge, connaît les petits secrets et problèmes des uns et des autres.
Mais quel lien avec le magistrat d'Emeraude ?

Alors que la nuit tombait, à l'heure où l'île s'anime, les deux Phénix la quittèrent.
- L'entrevue avec Bayushi Otado s'est bien passée, Ryu-san ?
- Non.
Cette bonne vieille franchise Dragon !
- Vous n'avez obtenu aucun renseignement ?
Ryu était toujours en colère. Après elle-même, après les Scorpions, après Kishidayu.
- Je l'ai interrogé et j'ai réussi à ne pas casser de table.
C'était la manie de Ryu, face aux prisonniers déjà "préparés" par Pitoyable ou sur le point de l'être : faire sa méchante en brisant une table d'un coup de pieds. Elle se défoulait ainsi.
Ayame sentit une grosse fatigue, sur elle et sur Ryu : on n'avançait pas. Qui plus est, Ayame imaginait déjà Otado de retour, pour se plaindre à nouveau.
Dans sa chambre, Hiruya avait tout entendu. Il ricanait presque de la déconfiture de ses assistants. Il s'était déjà occupé de faire faire ses bagages, pour partir loin de cette maudite Cité et laisser ses assistants barboter dans les ennuis !

Samurai

Le lendemain, Miya Katsu et Kakita Hiruya montaient en selle et quittaient la Cité par la porte de la Licorne, sur le chemin menant à Kyuden Miya.
Avant le départ, Hiruya avait réuni ses assistants pour leur laisser quelques consignes :
- Interrogez les Licornes. Ils seront trop heureux de nous voir lutter contre l'opium. Ensuite, insistez sur la mort du Magistrat. Il faut faire le lien entre son assassinat et le trafic. Les deux sont forcément liés ! Donc Ayame, vous irez parler aux Scorpions et Ryu aux Licornes ! Prenez rendez-vous avec eux. Shigeru, tu continues à interroger le peuple. Il sait des choses.
Les assistants s'inclinèrent bien bas. Ils sentaient surtout que, sans Hiruya en ville, ils allaient pouvoir respirer quelques jours !
De fait, ils décidèrent tacitement que cette première journée allait être passée à attendre des signes du destin. :baton:Sans l'énergique magistrat pour les remuer, les cravacher, ils semblaient pouvoir entrer doucement en torpeur. Shigeru passa la journée à boire des petits coups dans sa nouvelle adresse, la Coupe à Moitié Pleine.

Ce n'est que le lendemain qu'ils furent à pied d'oeuvre.
Ryu alla au palais des Licornes, où elle fut reçue par Ide Baranato. Dès qu'elle eut dit qu'elle cherchait des renseignements sur le trafic d'opium, elle eut droit à une belle diatribe contre les Scorpions :
- Bayushi Korechika est le notoire patron du trafic en ville ! Tout le monde le sait bien, mais nul ne peut le toucher, car il est protégé par le Gouverneur. Et pourtant, c'est bien lui qui contrôle la production et le commerce de ce poison !
- Pensez-vous que le Magistrat Naritoki ait été assassiné à cause de cela ?
- C'est plus que probable. Ashidaka Naritoki était un homme droit, qui voulait plus de justice dans cette ville corrompue. Korechika ne pouvait que le considérer comme son ennemi personnel.
C'était bien et bel affirmé, mais Ryu ne recueillait aucune piste concrête. Elle apprit autre chose, qui l'intéressait à titre personnel : au moment du rétablissement de leur clan, les membres du clan du Scorpion étaient venus en masse à la Cité des Histoires pour retrouver leur nom. Ce qui expliquait le passage de Bayushi Kishidayu à cette époque.

Ayame se rendit au palais Shosuro : elle y fut reçue par Jocho. Poliment, la shugenja s'enquit de la santé des uns et des autres, par pure formalité. Elle n'osait reparler directement de la destruction des Soshi mais on sentait l'idée bien présente, bien pesante, à l'arrière-plan.
Elle en vint à parler de Sourcils, dont Jocho avait été l'un des clients.
- Sourcils ? J'ai appris qu'il avait trouvé la mort, quel dommage. Je crois que les écrits anonymes de qui vous savez parlent de lui. Peut-être que vous pourriez y jeter un oeil.
Il n'apprenait rien à Ayame : si ces écrits étaient bien de la main de Shiba Shonagon, ils confirmeraient juste que celle-ci avait eu recours aux potions de l'herboriste. Mais qui sait s'il ne s'y trouvait pas d'autres détails ?
- A propos, vous ne voyez plus Kimi-san ? Elle m'a dit que vous étiez vraiment à l'aise sur l'île de la Larme.
C'était Jocho qui posait les questions maintenant.
- Je n'ai plus l'occasion de la croiser récemment, non, dit Ayame. J'espère qu'elle n'est pas fâchée contre moi.
Jocho avait l'air de changer imperceptiblement d'expression en un instant. Et il venait de passer du sourire ironique à la crispation presque haineuse. Jouait-il un rôle ou bien contenait-il ses émotions ?
Au fond, il avait le visage voulu par le clan du Scorpion : un air menaçant en permanence, mais aussi charmeur, vénéneux ; et dans la situation actuelle, de la haine rentrée contre la Magistrature d'Emeraude pour le deshonneur des Soshi.
Jocho détourna la conversation : il parla de l'artiste Asahina Masumi, de retour à la Cité ; à la grande époque, elle fréquentait le monde flottant.
- Une grande femme déjà, mais qui avait besoin de moins de maquillage à l'époque... Si délicate, si raffinée comme artiste, mais pas dans tous les aspects de sa vie...
Ayame l'écouta parler : était-elle curieuse d'en apprendre pour son enquête, ou bien désireuse de récolter des ragots ?
Jocho parlait des grandes soirées sur l'île, des réceptions costumées, de certaines nuits réservées à un très petit nombre, où il fallait venir travesti... Jocho en parlait avec l'air de se replonger dans des souvenirs délicieux.
Il donnait l'impression d'en connaître beaucoup sur l'époque de la guerre de l'opium. De fait, il avait au centre du monde flottant durant ce temps. Ayame et les Magistrats arrivaient après la bataille. Comment recréer ce qui avait disparu depuis quatre ans ?

Samurai

Miya Katsu et Kakita Hiruya voyagèrent à cheval pendant toute la journée.
Que c'était bon de respirer le grand air, de sortir des miasmes de Ryoko Owari. Les deux magistrats ne se l'étaient jamais dit, mais maintenant ils sentaient combien cette Cité était corrompue, décadente, combien elle pouvait pervertir les âmes des plus forts samuraï : même les plus robustes moralement ne pouvaient résister bien longtemps. Ils ne dirent que quelques mots à propos de la Cité, mais ils se comprenaient. Ils savaient que ce n'était vraiment pas une Cité comme les autres : seule Otosan Uchi pouvait prétendre être plus célèbre, mais peut-être pas plus captivante.

Ils arrivèrent le lendemain à Kyuden Miya, en fin de mâtinée.
Une troupe de Shiotome de la famille Otaku maneouvrait aux abords du château : déjà ils avaient dressé un camp au pied du château. Et une troupe portant la bannière du Lion Noir descendait l'abrupte sentier de la colline.
- Nous arrivons à temps, dit Katsu-sama.
L'intérieur du château était bien chauffé, ce qui était appréciable en cette saison : l'hiver était tout proche et c'était toute la campagne qui tombait en hibernation.
Katsu-sama passa le début de journée avec les dignitaires de sa famille, assisté de Hiruya qui eut l'occasion de découvrir la famille des porte-paroles de l'Empereur, famille connue pour sa bonté d'âme envers le peuple.
Et en milieu d'après-midi, Katsu fut amené dans une petite salle de réception, où lui et d'autres diplomates assisteraient à la rencontre entre Licornes et envoyés de Toturi. Hiruya s'assit à côté de son supérieur. Comme l'atmosphère ici était différente de la Cité ! On y respirait la paix et le calme, dans cette région reculée mais pas non plus oubliée de tous. On se sentait entouré de samuraï nobles et justes, soucieux de défendre la parole de l'Empereur et pas leurs vils petits intérêts.

Entrèrent d'abord de gaillardes Vierges de Batailles, en armure, casque à la main : leur chef était Otaku Tetsuko, la tante du daimyo de la famille, Otaku Kamoko. Elle était accompagnée de trois de ses guerrières. C'était la première fois que Hiruya voyait de près les célèbres Shiotome et il sentit aussitôt qu'elles formaient une race à part. Fières, le regard d'airain, une finesse étonnante de mouvements allié à un sentiment d'énergie contenue, on les sentait prêtes à défier le tonnerre d'Osano-Wo !
Tetsuko-sama s'assit et salua les honorables diplomates. Entrèrent ensuite les envoyés de Toturi : il étaient trois et parmi eux, Hiruya reconnut Otawara l'éclaireur, croisé dans la Vallée d'Inchu, ainsi que Sasuke, avec qui Riobe avait eu des mots durs.
Les rônins s'assirent et saluèrent à leur tour, puis les diplomates présentèrent la situation :
- Depuis deux mois, les samuraï du Maître des Quatre Vents, Shinjo Yokatsu, défendent le col de Beiden contre l'invasion des séides de l'Outremonde. Au sud, les Scorpions défendent avec honneur leur terre et au nord, les puissants Lion sont en guerre. Or, sur les terres de ceux-ci se trouvent l'armée du général rônin Toturi, qui souhaite obtenir un accord avec le clan de la Licorne pour passer le col.
- Mais il se trouve, continua un autre diplomate, que le Maître des Quatre Vents a passé un accord avec le daimyo Matsu Tsuko, qui prévoit en particulier que les Licornes protègent le col et empêchent tout passage. En échange, les Licornes ont été autorisés à protéger les terres occidentales du clan du Lion, pendant que ceux-ci mènent la guerre à l'est. A vous de parler à présent, honorables émissaires.

Voyant qu'Otaku Tetsuko ne disait rien, Sasuke prit la parole, et on le sentait impatient de s'exprimer :
- La situation a été très clairement exposé par Miya-sama. Or, nous ne comprenons pas la volonté de Yokatsu-sama de nous interdire le passage par le col de Beiden. Mon maître Toturi a combattu au col de Beiden face aux hordes de l'Outremonde. Et maintenant, nous ne pouvons plus passer le col que nous avons tenu !
- Vous avez tenu ce col, dit Tetsuko sur le ton du constat, mais c'est la cavalerie de mon clan qui a permis de remporter la victoire. Dès lors, c'est à nous de dicter nos conditions.
- Mais vous ne pouvez pas insinuer que mon maître aurait perdu sans vous !
- Je dis simplement que nous avons hâté la victoire et que ton maître peut nous être reconnaissant de lui avoir évité de perdre beaucoup de mondes. Nul ne peut rivaliser avec la puissance de notre cavalerie.
- Personne ne pourra le nier, Otaku-sama. Mais il n'en demeure pas moins que nous avons combattu à vos côtés. Et maintenant, au lieu de nous battre contre les ennemis de l'Empire, nous sommes harcelés par la famille Matsu. A quoi bon ces combats contre des samuraï quand les monstres de Celui-Qui-Ne-Doit-Pas-Être-Nommé marchent sur Rokugan ? Pouvez-vous nous expliquer cela ?
- Un rônin, si valeureux fût-il, et vous l'êtes sans doute, n'a pas à demander d'explication au Maître des Quatre Vents. Un accord passé avec le daimyo des Lions surpassera toujours une alliance avec des rônins.
- Nous ne demandons que le droit de passer. Une fois sur les terres du Scorpion, nous nous battrons les premiers !
- C'est bien là que gît le problème, rônin. Les Scorpions considèrent les rônins comme indésirables sur leurs terres.
- Par Osano-Wo, il n'y a pas si longtemps qu'ils l'étaient encore !
Un des Miya intervint :
- Cette remarque ne peut être acceptée, rônin. Le Divin Empereur a dit que les Scorpions faisaient partie de l'Ordre Céleste. Désormais, ils n'ont jamais déchu.
Sasuke baissa les yeux :
- Bien.

Les discussions reprirent, mais aucune entente ne semblait pouvoir se dégager. Les deux parties campaient sur leur position. Hiruya intervint pour dire que les Dragons avaient fait alliance avec Toturi : et puisque les Dragons combattaient chez les Scorpions, il n'y avait pas de raison d'empêcher Toturi d'arriver chez les Scorpions. Ceux-ci seraient trop malins pour refuser l'aide d'une armée de rônins pour défendre leurs terres. Si les Dragons pouvaient appuyer la requête de Toturi, les Licornes pourraient infléchir leur décision et permettre le passage de cette armée.
- Mais il s'agit, ajouta Miya Katsu, rien moins que d'une affaire qui concerne les trois daimyo de la Licorne, du Lion et du Scorpion ! Pourrons-nous les aider à tomber d'accord ?
- Je crois que plus les armées de l'Outremonde approcheront et plus l'accord devra se faire vite.
- Par Akodo, tu dis vrai, Kakita-sama !
Sasuke était encore à la limite de la convenance, mais il le savait parfaitement, en jurant par Akodo.

Les négociations prirent fin pour aujourd'hui, mais Miya Katsu avait réussi à obtenir une nouvelle rencontre, à Shiro Shosuro cette fois, en présence du général Mirumoto Daini.
Dans la cour du palais, Otaku Tetsuko vint s'enquérir de la situation dans la Cité des Mensonges.
- Hélas, Tetsuko-sama, il est difficile de manier les contraires et Ryoko Owari est la Cité de toutes les contradictions !
- Comment se porte l'honorable Ide Baranato ?
- Ma foi, plutôt bien.
Kakita Hiruya raconta en deux mots le sort de Soshi Seiryoku et de sa famille.
- Des maho-tsukaï ? Par Otaku, c'est à peine si je suis surprise de l'apprendre !
Elle salua et rejoignit ses troupes. Les fières Shiotome repartaient vers leur château ancestral, en attendant d'envoyer des émissaires au château des Shosuro.

A suivre...Samurai

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20e Episode : Trois contes d'hiver - by sdm - 13-06-2006, 09:01 PM
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20e Episode : Trois contes d'hiver - by sdm - 20-06-2006, 10:11 PM

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