26-10-2006, 04:55 PM
(This post was last modified: 04-11-2006, 12:46 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE
Ikky était fière d'Ayame !
Disons même qu'elle était bien assez fière de sa shugenja pour que ce que ça comptait pour Ayame ! Notre héroïne ne put éviter le sermon de sa yojimbo, sur le dévouement, le courage, l'abnégation, le rejet des plaisirs matériels pour mieux se vouer à l'honneur etc.
Ayame la remercia et déclara qu'elle aussi était contente d'avoir perdu cette dépendance pénible. C'en était donc fini, des sorties nocturnes honteuses dans les quartiers rouges des villes, des soirées humiliantes passées avec la lie des samuraï, des fausses justifications à donner, des matins dégrisés et amers... Ikky savait que protéger Ayame n'en deviendrait pas pour autant une sinécure mais du moins n'aurait-elle plus à la suivre dans des maisons empestées par les vapeurs bleuâtres...
Et comme le beau temps ne dure jamais, Ikky était fâchée dès le lendemain matin. Pendant la nuit, le visiteur nocturne qui se faisait appeler Ninja voulut visiter Ayame mais Ikky montait une garde vigilante et soupçonna fortement une tentative d'intrusion dans la chambre. La shugenja nia en bloc. Ikky soupçonnait maintenant un jeune moine de faire sa cour à la shugenja ! Et notre héroïne moquait gentiment l'excessive attention que lui portait Ikky.
- Tu te fais des idées pour moi... Comment peux-tu croire que je laisserais un moine me regarder ?...
Bref, l'ambiance redevenait douce-amère entre les deux femmes, Ikky victime une fois de plus de son excès de dévouement et Ayame de sa réputation sulfureuse...

La yojimbo accepta de se faire moins de mouron.
Elle n'avait pas plus tôt le dos tournée, pour aller faire ses ablutions matinales, que le Ninja rendait visite à la shugenja, qui l'avait vu se cacher derrière un panneau de la case à jardinage.
- Des menaces pèsent sur la ville, Ayame-san, murmurait l'agile visiteur, tapi dans la pénombre.
- Des menaces ?...
- Sur le palais des Shosuro... Il faut nous tenir prêts...
- "Nous" ?
- Oui, nous.
- Je veux bien agir s'il le faut. Mais pas sur de simples présomptions...
- ... les présomptions d'un Ninja, c'est ça ?
- Je n'ai pas dit ça. J'ai dit "présomptions" tout court.
- Puisse votre "honneur" ne pas vous empêcher d'agir le moment venu.
- Je ne veux pas abandonner l'honneur pour l'action. Il faudra être perspicace le moment venu.
- Belles paroles, Ayame-san... Mais cela ne me convainc plus depuis longtemps.
Sa voix se chargeait de menaces. Ayame aurait pu appeler Ikky à l'aide, mais le Ninja avait déjà eu nombre d'occasions de la trucider, s'il l'avait voulu...
- Je vais vous raconter une histoire, Ayame-san, qui m'en a bien plus appris que tous les codes d'honneur de cet Empire. C'était un puissant samuraï, noble et respecté de tous, qui a laissé mourir sa femme pour respecter ce code, justement. Sa femme est morte et il n'a rien fait contre.
- Il ne faut pas négliger l'honneur entièrement. Chacun doit trouver ses limites...
Mais le Ninja avait déjà disparu.

Dans la forêt Shinomen, Hiruya et Jotomon croisèrent trois vieillards qui passaient, sans mot dire et qui semblaient pressés de continuer leur chemin. Etaient-ils des esprits des Ancêtres ?... On ne savait jamais, avec les voyageurs croisés sur les routes... Ils montèrent leur campement non loin de la clairière où nos deux samurai s'arrétèrent pour la nuit.
Jotomon prit le premier tour de garde. Hiruya s'était à peine endormi qu'il entendit le senseï gémir. Notre magistrat, horrifié, vit un des vieillards en train d'étrangler Jotomon ! Plus exactement, la tête et les boyaux du vieillard s'étaient échappés de son corps, et la créature serrait la gorge du senseï avec ses intestins ! Elle avait des canines pointues, prêtes à s'enfoncer dans la jugulaire de sa victime. Hiruya bondit de sa couchette, attrapant son sabre au passage et dans le même geste, le dégaina et trancha les tripes de ce monstre ! [Fredo fait 51 pour toucher, Hiruya vient donc du Pastis Dojo ! ^^]
Les deux autres vieillards étaient bien les mêmes horreurs : des têtes au bout des viscères frémissant, prêts à bondir et leurs cadavres, abandonnés plus loin. En garde, les deux samuraï, haletant, firent face à leurs adversaires. Les katanas frappèrent et les monstres, qui avaient bondi, retombèrent, tranchés.
Nos deux samuraï reculèrent, de peur d'être souillés par la seule proximité avec ces êtres.
Maintenant, ils ne pourraient plus dormir...
- Autant continuer notre route.
Leur marche les mena plus profond encore dans Shinomen, au coeur de cet endroit mystérieux, inquiétant, où la végétation régnait en maître.
Sur une branche, un oiseau les observait.
Ils avancèrent entre les arbres millénaires. Encore un oiseau, puis un deuxième, un troisième et bientôt, des dizaines, des centaines d'oiseau vinrent se percher autour d'eux, descendus du grand ciel nocturne violet. Et la forêt bruissait tout autour d'eux, feuilles et plumes...
- Ce sont les messagers des Kenkus, murmura Jotomon. Nous sommes proches... L'entrée de Sakkaku ne peut plus être loin...
Ils avancèrent doucement et les oiseaux s'ébrouèrent.
Un bec plus grand apparut et projeta son ombre démesurée sur la clairière que la lune éclairait. Perché sur une haute branche, c'était le milieu d'un homme et d'un oiseau, avec un grand regard curieux, fascinant comme celui d'un chat. Il était vêtu d'un grand kimono uni et toisait nos héros.
Hiruya s'avança vers lui et les oiseaux s'envolèrent au fur et à mesure. Le Kenku recula, sauta de branches en branches. Notre héros fit encore quelques pas, puis plus vite et se mit à courir après le grand volatile, qui s'enfuyait souplement, à l'aise parmi les arbres comme un singe, rapide comme un jaguar !
Le sang lui montant à la tête, Hiruya courut à travers la forêt, le long d'une pente encombrée de racines, de taillis et de buissons. Il n'entendait déjà plus la voix de Jotomon, qui lui criait de s'arrêter, de revenir !
Brusquement, notre héros s'arrêta : il était à deux pas d'un gouffre !
Et le Kenku s'était envolé, et tournoyait à bonne distance, narguant clairement notre héros ! Il le défiait de sauter ! Hiruya le comprenait intuitivement.
Le fond du gouffre n'était que nuit. Des milliers d'oiseaux poussaient des cris entêtants autour de lui. La forêt entière vibrait d'une même vie et les étoiles palpitaient dans le ciel. Hiruya prit une forte inspiration, pria Kakita, Benten et ses Ancêtres, fit un pas en avant puis sauta dans le vide où il disparut dans un grand cri.

Ryu était sur le chemin du retour avec les maigres contingents de son armée qui avaient survécu à la bataille. Sur une centaine d'homme, il en restait moins de vingt. Prise de dégoût, vainqueur aujourd'hui mais au fond traumatisée par ces horreurs et par les sacrifices nécessaires à la victoire, Ryu en voulait au monde entier. Elle, Bokkai et sa troupe passèrent au château des Lièvres, où on narra aussitôt l'exploit de la vaillante Mirumoto. Mais celle-ci ne partagea pas cette enthousiasme : elle haïssait ceux qui l'avaient envoyé se battre. Ou bien peut-être détestait-elle ses ennemis. Ou elle-même, de n'avoir pas su garder en vie plus de ses hommes, morts souillés par les griffes et les sabres des Crabes.
De retour à la Cité, ses exploits furent pareillement rapportés à Miya Katsu mais bien vite, Ryu trouva un prétexte pour s'isoler. Elle voulait prier ses Ancêtres, se recueillir en elle-même... A peine entendit-elle que les tractations avec les Licornes, pour obtenir d'eux un nouvel assistant de la Magistrature, étaient en cours. C'était Hiruya qui l'avait requis, depuis l'internement des deux Phénix. La famille Iuchi, bien disposée envers nos Magistrats depuis le procès Kumanosuke, avait promis d'envoyer rapidement un de leurs shugenjas.

Hiruya se réveilla, estourbi, comme s'il venait de prendre un léger coup sur la tête. En réalité, il se souvenait plutôt qu'il avait fait le grand saut dans un gouffre sans fond. Il regarda autour de lui : il faisait jour. Il était au sortir de la forêt, en surplomb d'une grande vallée couverte d'une épaisse forêt tropicale. Il se trouvait au bord d'une falaise de granit rose. Avait-il chuté de là-haut ?... Il ne connaissait pas cet endroit, mais il était sûr de ne plus être dans Shinomen. Il ne voyait pas Kitsuki Jotomon.
A quelques pas de lui, l'entrée d'une grotte. Il en vit sortir un homme âgé de plus de quarante ans : cheveux noirs grisonnants, barbe bien taillée, kimono aux couleurs de la Grue, mais abîmé. Un air de guerrier vétéran, qui a beaucoup vu et beaucoup vécu. Un port noble mais des mains rudes. Hiruya se releva et se présenta. Il jeta un oeil au saya précieux attaché à la ceinture du personnage. L'autre lui rendit son salut, comme si les deux hommes se trouvaient dans une noble cour impériale :
- Enchanté de vous connaître, Magistrat. Mon nom est Kakita Kagetoki, du dojo du Lac des deux Grues.
Hiruya retint son souffle : c'était bien lui qu'il était venu chercher, l'homme qui possédait l'Epée de Cristal !...

La nuit tombait sur la Cité des Histoires. Ayame savourait son premier soir de liberté. Bien qu'emprisonnée dans ce temple, elle sentait que le ciel entrait l'entourait et vivait en elle, qu'elle n'avait rien à redouter et que les étoiles ce soir étaient comme des amies, des confidentes pour elle.
Elle avait pris soin d'avertir, à tout hasard, le palais de la Magistrature et le palais Shosuro, qu'il fallait renfocer la surveillance dans la ville. Ce n'était jamais perdu et c'était une manière de se rappeler à leur bon souvenir ! Après plus d'un mois passé chez les moines, on ne devait plus guère parler d'elle !
Nouvel échec social : nulle part elle ne serait une femme de cour connue et appréciée. Elle serait toujours le vilain petit canard, alors que s'il y avait bien quelqu'un dans cet empire qui ne respirait que pour servir l'Ordre Céleste, qui se dévouait à sa tâche au péril de sa vie (et plus souvent encore, de son honneur !

Après un dernier tour au jardin, Ayame entra dans sa chambre, où Ikky lisait sur sa couche. C'était un beau soir d'hiver, aussi que la journée qui l'avait précédée.
Ayame s'allongea, lasse soudain, mais d'une fatigue plus saine, comme elle n'en avait pas connu peut-être depuis sa jeunesse, quand elle pouvait profiter du foyer après une journée d'enquête auprès du magistrat qu'elle servait à l'époque.
On entendit un bruit à la porte. Quelqu'un toquait. Ayame eut peur que ce fût le Ninja qui, pour de bon, décidait de se montrer. Ikky, mue par un réflexie de protection, se releva et prit ses sabres.
Une visqueuse main noire surgit du parquet et agrippa la cheville d'Ikky et la fit chuter. Une forme humaine, une ombre épaisse, vivante, s'arracha du bois et se leva lentement, fixant Ayame de ses trous noirs. La shugenja n'eut même pas le temps de frissonner. Surmontant la peur atroce qui la prit, elle invoqua les kamis du feu : la créature inhumaine prit feu et sans un bruit, s'écroula à terre.
On frappa de nouveau à la porte. C'était Yogo Jinnai :
- Attention ! on nous signale que la Cité est attaquée ! Barricadez-vous, honorables Phénix !
Ikky se releva, le menton saignant, et attacha son saya à sa ceinture. Un cri déchirant, un cri de femme, transperça la nuit. Les deux femmes pensèrent qu'il venait du palais des Scorpions ! On entendait des cloches d'alarme sonner dans les quartiers nobles et la Garde du Tonnerre s'agiter.
Le cadavre d'ombre finissait de brûler lentement et à la lumière irréelle du feu, les deux Phénix virent que les listes de noms sur le mur s'étaient allongées !
En-dessous des noms de Shosuro Hyobu et Miya Katsu, Gouverneur et Magistrat d'Emeraude, était apparut un seul nom... GOJU ...

