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23e Episode : Le dojo des mains coupées
#4
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

Loin dans les plaines de l'ouest, dans un pays trop imprévisible, trop étrange, trop soudainement étranger pour être décrit, la forteresse de Bugaisha se dressait, plus semblable à un gros roc sauvage qu'à un palais. De la grosse pierre, à peine dégrossie, à tel point qu'on l'aurait crue taillé à même la montagne, pas de couleurs de clans visibles : Bugaisha était le dernier poste avancé du clan de la Licorne avant les Sables Brûlants, de même que les anciennes terres du clan du Blaireau constituaient la frontière nord de l'Empire.
Nos héros ne s'attardèrent pas en ces lieux : Shizuka semblait ne voir que mauvais présage à passer près de ce lieu. En réalité, Bugaisha était défendue par une garnison de samuraï qui, pour n'être pas des rônin, n'en avaient pas moins perdu tout espoir de revenir dans leur famille. Ils étaient exilés en cet endroit, pour un sort pire que la mort : la longue attente, à la lisière du désert, d'une improbable attaque qui ne viendrait jamais, car nul ne pouvait vivre dans ces étendues rendues floues par la fournaise et Bugaisha ne permettait de contempler que des étendues de minéraux, de mort et de soleil dément.
Nos héros finirent donc par tourner le dos à la forteresse, en bifurquant vers le nord.

Un peu plus loin, à moins d'une demi-journée de marche, se trouvait le village que Rukya avait reconnu sur la carte. A flanc de montagne, il avait été bâti près d'une source, providentielle dans cette région aride.
Nos Magistrats furent à peine reçus par les gens du lieu, qui étaient si rustres qu'ils ignoraient à qui ils avaient affaire. Pour les habitants, ils étaient des samuraï parmi d'autres. Avaient-ils seulement entendu parler d'autres clans ?
Nos héros apprirent sans peine la légende locale : celle d'une dame blanche ne se montrant qu'aux hommes les plus vertueux.
Comme chaque fois, Ayame prenait avec distance ces histoires. Elle voyait bien que derrière ces grossières superstitions se cachaient des esprits bien plus hauts mais qui, à ces paysans, n'apparaissaient que sous un aspect simpliste. On crut d'abord que cette dame était l'esprit de la source (il était évident que les paysans devaient vénérer cette eau, car ils n'auraient pu vivre sans) mais il devait s'agir d'autre chose.
Cette dame apparaissait dans les montagnes, le plus souvent au crépuscule. Les paysans avaient entendu parler de la légende de l'Epée de Cristal, qui aurait été forgée non loin d'ici.
Au coucher du soleil, Hiruya se rendit dans les hauteurs du village, en compagnie du Moine Tadakune, et attendit de voir le soleil descendre à l'horizon. Face à eux, ce n'était que le pays des Sables Brûlants, un autre monde, qui n'inspirait -au mieux- que de l'indifférence aux samuraï de l'Empire d'Emeraude.
Ayame apprit des anciens du lieu qu'on parlait du retour, un jour prochain, de l'Epée de Cristal dans le village.
Sur les montagnes, alors que le soleil devenu rouge allait passer derrière les barrières rocheuses ocres, l'Epée, que Hiruya tenait à la main, s'enflamma, comme si les rayons du soleil coulait en elle. Une grande silhouette, blanche, cristalline, presque translucide, apparut non loin des deux hommes. Etait-ce vraiment une femme ? C'était un être haut de plus de deux mètres, presque nuageux, qui semblait fragile comme un rideau de soie : elle tendit sa longue main vers l'Epée. Hiruya la tendit et l'Epée retourna dans les mains de son forgeron. Le soleil jetait ses derniers rayons. Quand il disparut, pour laisser la nuit libre de s'étendre sur le monde, un grand rayon lunaire jaillit de la lame de l'Epée, s'envola vers le haut du ciel et retomba, loin derrière l'horizon. Tout le monde fut ébloui de ce phénomène magnifique. L'Epée enchantée revint doucement dans les mains de Hiruya, portée par le vent.
Le Moine, à côté de Hiruya, et Rukya, au village, observèrent quant le rayon de la dame blanche avec des yeux différents. Ils se précipitèrent sur des parchemins et dessinèrent en vitesse le ciel.
Hiruya et le Moine revinrent au village : Tadakune et Rukya confrontèrent leurs cartes astrologiques, tracées à la hâte. Déjà le rayon s'était évanoui et les villageois émerveillés surent que la prédiction s'était réalisée. Ils ne regardaient plus nos héros que comme des envoyés des Fortunes.
- Que signifiaient ces plans tracés ? demanda enfin Kagetoki.
- C'est simple, sourit le Moine, nous avons observé la position des étoiles et nous avons pu, grâce à quelques mesures simples, et avec l'aide des Fortunes (il fit un petit clin d'oeil), nous avons vers quel endroit ce rayon faisait signe... Ce n'est pas le village d'à côté. C'est bien plus loin à l'est de l'Empire, sur les terres du Phénix.
Ayame aurait pu finir elle-même la phrase de Tadakune :
- La dame blanche nous dit que nous devons nous rendre dans la Forêt des Ombres.

Samurai

Ainsi toujours poussés vers de nouvelles terres, nos samuraï quittèrent les régions arides de Bugaisha. Et cette fois, ils allaient vers l'Est, l'Océan et le Soleil Levant. Ils traversèrent donc les provinces de la famille Shinjo, puis arrivèrent à la Cité de la Grenouille Riche. Ils n'y firent pas étape et embarquèrent sur un navire qui remontait la rivière du marchand noyé. Ils passèrent ainsi au nord de la vallée d'Inchu, puis sur la frontière nord des territoires Lions. Au bout de quatre jours de navigation, ils dépassaient ce qui restait de la Cité des Apparences et entrèrent sur les territoires Phénix. Ils continuèrent à pied et, remontant vers le nord-est, ils entrèrent dans la Forêt des Ombres.

Samurai

Il faisait encore grand jour et les arbres décharnés n'empêchaient nulle lumière de passer et de se réfléchir sur l'épaisse neige. Nos héros s'enfonçaient jusqu'aux genoux dans le lourd manteau blanc qui couvrait la terre. Les vapeurs de leurs haleines se perdaient dans l'air bleu et glacé. L'année 1127 toucherait à sa fin dans quelques jours.
Etait-ce une illusion due à ce soleil d'après-midi éblouissant ? Les taches brillantes sur la neige délimitaient des formes étranges, qui devenaient obsédantes : des esquisses de visage, tordus par un cri silencieux, qui apparaissaient sous un certain angle et disparaissaient au bout de quelques pas, pour laisser place à d'autre. Ces bouches avaient l'innocence de la neige mais inspirait une peur qui ne se vit que la nuit.
Ayame se frottait les yeux pour ne plus voir ces faces. Rukya n'osait pas regarder. Ces grands yeux blancs et ces bouches d'or semblaient sur le point de se déchirer sous le coup de la terreur.

Plus loin, la neige reprenait son aspect uniforme, naturel. Mais à présent, il semblait que les arbres avaient de longs bras tordus et de frêles doigts crochus. Sur certains troncs, les noeuds, les veines et les torsions du bois formaient des visages, les mêmes que ceux de la neige. Visages errants qui fuyaient en silence mais se trouvaient immobiles, prisonniers des blancheurs ou du bois torturé.
Un cri : Rukya !
Elle levait les bras, affolée, son cri étouffé par la chute : elle venait de s'enfoncer jusqu'à la poitrine dans la neige. Kagetoki et Tadakune arrivèrent à la rescousse. Plus de peur que de mal. Mais Ikky avait mis la main sur la garde de son sabre, tandis que Hiruya observait les alentours. Le coeur d'Ayame avait fait un bond mais elle essayait de n'en rien montrer.

Au bout d'une petite demi-heure de marche, nos héros aperçurent un grand bâtiment en bois, entouré d'un petit mur d'enceinte. Nos héros étaient déjà passés par cette forêt, l'année précédente, mais ne se souvenaient pas de l'avoir aperçu. Quelques arbres projetaient leurs ombres difformes sur les lieux. Et parmi les taches sombres, on apercevait une aura lunaire, invisible sous le soleil, qui nimbait cet endroit : la pointe du rayon de la dame blanche...
Nos samuraï firent le tour de la bâtisse : d'après la plaque à l'entrée, vieille, usée, il s'agissait d'un dojo. Mais le nom avait été effacé. Nul bruit n'en sortait. L'endroit semblait désert. La porte s'ouvrait sans peine. Un courant d'air la fit grincer et s'entrouvrir.
D'un regard circulaire, Hiruya consulta ses compagnons de voyage. Allons, pas à hésiter, il fallait visiter cet endroit !
On entendit alors, non loin de là, mais pas dans le bâtiment, des pas. Quelque chose courait. Nos héros se mirent dos au mur et observèrent les sous-bois faméliques.
Tadakune pointa un monticule, à quelques mètres d'eux.
- J'ai vu quelque chose plonger derrière !
Kagetoki approcha doucement : il sauta sur le monticule. Il n'y avait rien derrière.
- Entrons, fit Hiruya.
Dans la cour intérieur, la neige se transformait en vilaine gadoue. Il y avait de nombreuses files de pas boueux. On entendit alors des pas, à l'extérieur.
- J'ai vu quelqu'un passer ! cria Rukya, c'était une silhouette humaine, j'en suis sure !
Ikky s'approchait d'Ayame. Kagetoki et Hiruya regardèrent à l'extérieur : personne.
- S'il le veut, il se montrera, trancha notre Magistrat.
Il était temps de pénétrer dans le bâtiment. Construit en bois clair, il était propre et sec, sans une trace de boue ni de neige. Et les visiteurs comprirent vite qu'il était complétement vide. Aucun meuble, aucune décoration aux murs. Les panneaux en bois étaient bien en place. Mais ils ouvraient sur de grandes pièces vides.
Nos héros firent deux groupes : le Moine, Rukya, Tadakune et Shizuka d'un côté. Hiruya, Ayame et Ikky de l'autre. Le groupe du Moine visita les pièces qui auraient pu servir de dortoir, de cuisine, de cellier, mais l'endroit ne portait aucune trace d'usure. Pas d'odeur qui aurait imprégné les lieux avec le temps.
Le groupe de Hiruya fit le tour de la grande salle d'entraînement. Pas de tatami au sol. Aux murs, de grandes draperies, des fresques, qui sont souvent des récits de batailles anciennes, mais dans ce dojo, elles étaient vierges. D'un blanc passé, obsédant, entêtant, qui suggérait l'abominable peur du vide.
Nos héros avaient une boule dans la gorge. Ils n'avaient rien vécu d'aussi sournois, d'aussi malsain, depuis la dernière nuit de la cour d'hiver et la découverte de la salle des parchemins effacés, sous le palais du Chêne Pale.
On entendit un bruit de chute, à côté.
Hiruya ouvrit aussitôt le panneau : dans la pièce adjacente, le Moine venait de tomber.
- Ce n'est rien, Magistrat, fit le vieil homme, que Kagetoki aidait à se relever.
Hiruya eut un sentiment d'irréalité en voyant cette scène : il crut un instant que tout était faux, que ces personnages n'étaient que les pantins de l'ombre vivante et qu'il pourrait les tuer sans hésiter. Il s'en abstint.
Derrière lui, Ayame jetait un oeil par la fenêtre : elle vit nettement une main, aux doigts gourds, gris, presque morts, tenter d'agripper la fenêtre et y laisser une trace ensanglantée, puis disparaître. Ikky cligna des yeux et dans ce moment, se sentit perdue dans le noir, avec des racines poussant vers elle à toute vitesse, racines dont les extremités crochues l'agrippaient soudain et la recouvraient bientôt, étouffant un cri dans sa gorge. Puis elle rouvrit les yeux et fut à nouveau dans le dojo clair et sec, dans le froid de l'hiver.
Tout le monde se regroupa dans la pièce centrale. On vit dans un coin un lourd coffre. Hiruya s'en approcha : Kagetoki le prit à deux mains et l'ouvrit d'un coup. A l'intérieur, une trentaine de mains coupées, semblables à celle qu'Ayame avait vue à la fenêtre. Ikky avait reculé, prise d'un frisson. Ses mains tremblaient. Cette vision de cauchemar l'avait subjuguée. Elle aurait voulu pleurer, comme une petite fille, courir se réfugier dans les jupons de sa mère.

Et Hiruya vit, en ressortant, quelque chose qu'il n'oublierait pas : Ayame marchait devant lui. Le temps qu'il cligne des yeux, elle avait disparu, d'un coup ! Evaporée !
Il cligna encore : elle était de nouveau là !
Elle avait bien disparu pendant un instant, notre Magistrat en était certain !
Quelle sorcellerie était-ce là !

On entendit à nouveau des pas à l'extérieur.
Nos héros crurent qu'ils ne pourraient jamais ressortir d'ici, qu'ils étaient déjà prisonniers à vie dans cet endroit, dans cette terrifiante clarté.
- Partons, souffla Hiruya.
Ils marchèrent vers la sortie et chaque pas leur sembla une victoire sur cet endroit fantômatique. Ils posèrent le pied dans la cour, sentirent la neige s'écraser sous leurs pas. Ils passèrent le mur d'enceinte et retrouvèrent la forêt.
Un corbeau s'envolait dans le ciel pur et froid. Ils respiraient enfin.
Ils quittèrent la forêt, sans un mot, dans ce silence épais qui hantait la forêt.

Samurai

Le lendemain, la Magistrature arrivait à Morikage Toshi. Ils rencontrèrent le Magistrat Shiba Tadamischi, qui se souvenait avoir rencontré déjà certains d'entre eux.
Ils parlèrent des raisons de leur visite. Le Magistrat leur apprit que nombre de villages dans la région avaient aperçu cette lueur lunaire qui tombait sur la Forêt des Ombres, et on s'était inquiété de ce sinistre présage.
Hiruya, en quelques mots, expliqua l'origine de ce signe du ciel : qu'il était lié à une épée de cristal, que c'était au contraire un signe bénéfique envoyé par les dieux.
- Vous me rassurez, samuraï. J'étais pourtant très inquiet, car j'ignorais ce que pouvait signifier ce phénomène si étrange... J'en parlais, du reste, avec un important seigneur qui réside en ville. Le seigneur Shosuro Emmon.
- Shosuro Emmon ? murmurèrent nos samuraï.
- Vous le connaissez ?
- Il était à la cour d'hiver, l'an dernier.
- En effet. Il réside dans une grande maison, dans le centre de la Cité, à côté du quartier des forgerons.
Les Magistrats remercièrent. Impatients, ils allèrent frapper à la porte de Shosuro Emmon.
Un serviteur leur ouvrit et leur dit que son maître allait les recevoir. Ayame pensait bien qu'Emmon n'avait pu mourir, dans la bibliothèque secrête, face aux ombres. Elle ne s'attendait pas à le revoir si tôt.
Ce n'était pas un imposteur, toutefois, qui accueillit les samuraï d'Emeraude, mais bien le ténébreux jeune homme qui était venu à la cour d'hiver.
- Konnichi-wa, Mone-san, sourit Hiruya. Ou bien Emmon-san ? Nous ne savons plus bien.
Ayame baissait la tête, elle qui aurait tant voulu parler en tête à tête avec lui. Sans ces gêneurs ! Parler de choses sérieuses ! Ne pas avoir à tourner autour du pot !
Emmon avait vu aussi le rayon frapper la Forêt des Ombres. Il connaissait le dojo qui s'y trouvait.
- Cet endroit a été entièrement construit par notre ennemi qui rampe dans la nuit. Certaines fois, il devient invisible. D'autres fois, il apparaît, sous la forme de ce grand bâtiment vide. C'est la manifestation de l'Ombre la plus importante de l'Empire. L'Ombre a pris le risque de s'y incarner. J'ignore quels secrets recèle cet endroit. Je sais qu'un combat crucial contre cette chose s'y ménera, car si l'Ombre se manifeste ainsi, c'est qu'elle sait que je l'ai repérée et qu'elle veut m'attirer à elle, et vous avec. Méfiance, donc, car nous sommes attendus. Mais tant que nous n'en saurons pas plus sur cet endroit, nous ne pourrons espérer le détruire, car le feu ne peut en venir à bout.

Nos samuraï jugèrent ces paroles judicieuses. Ce voyage leur avait appris où se trouvait l'ennemi. Le Moine confirma que ce dojo maudit était lié à la 5e Réincarnation. Kakita Hiruya dit qu'ils s'étaient suffisamment absentés de la Cité des Histoires : ils devaient y retourner pour assumer leurs fonctions. La route serait longue avant d'y revenir.
Ayame n'eut que brièvement le temps d'échanger quelques mots avec Shosuro Emmon. Elle le mit brièvement au courant de ses recherches depuis l'année dernière. Il l'assura qu'ils se reverraient bientôt, quand le temps serait venu d'attaquer le dojo de Morikage.
Ayame le remercia.
Elle ignorait que c'était en fait la dernière fois qu'elle le rencontrait.







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23e Episode : Le dojo des mains coupées - by sdm - 18-12-2006, 12:48 AM
23e Episode : Le dojo des mains coupées - by Darth Nico - 18-12-2006, 10:13 PM
23e Episode : Le dojo des mains coupées - by sdm - 18-12-2006, 10:47 PM
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