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Dossier #0 : Ascenseur pour le sous-sol
#3
DOSSIER #0<!--/sizec-->


ASCENSEUR POUR LE SOUS-SOL<!--/sizec-->

SHC 0 - RUS 0 - IEI 2


UN SOIR AU CABARET<!--sizec--><!--/sizec-->


- Piano-bar, ça doit pas gagner des masses, si ?
- Comme vous dites, inspecteur… Comme vous dites. Mais enfin, comme moi je dis toujours : tirez pas sur le pianiste !
- Sacré Herbert !

Le serveur vint poser une bière sur le haut du piano. Herbert poursuivit son morceau d’une main et avala sa chope en trois gorgées.
- Tu tiens le choc, Herbert ? Tu es là depuis combien de temps maintenant ?
- Trente-deux ans. Ça fera trente-trois le mois prochain. Pensez donc !
- Tu tiens la distance dis-moi !
- J’ai une allure de quatre ou cinq chopes par heure. Plus, et j’ai la tremblote. Moins, je ramollis. Ce qu’il faut, inspecteur, c’est trouver le bon rythme et s’y tenir !
- Dis-moi, cinq chopes par heure pendant trente et quelques années, ça doit chiffrer !
- Et encore, moi je me rince gratis. Manquerait plus qu’on fasse payer au vieil Herbert ses consommations !
- Sacré Herbert, conclut Novembre.

L’inspecteur finit son propre verre, satisfait, et renversa son chapeau en arrière, ce qui ne manquait pas de le mettre en joie. Il se sentait un peu chez lui, à l’Aube Bleue.
- Tu as vu Linda ?
- Non, inspecteur, dit le vieux pianiste, impatient d’attaquer la prochaine heure. Paraît-il qu’elle est souffrante… C’est sa mauvaise période du mois, que voulez-vous. Et en plus, avec cette pluie qui n’en finit pas… Pas bon pour mes rhumatismes.

Herbert était vieux, monotone et régulier comme la pluie. Et on pouvait compter sur elle comme sur lui pour être là au rendez-vous. Et, en fait, on ne s’en lassait pas, une fois qu’on s’y était habitué.
- Bon, je vais voir Linda, décida Novembre.
- Elle va vous claquer la porte au nez, soupira Herbert.
Ses doigts traînaient sur le piano comme la poussière traîne sur les meubles.
- Ne t’en fais pas, fiston. A la longue, je sais y faire !
- Ma foi…
Il ne demandait qu’à y croire, Herbert ! Mais avec la Linda des mauvais jours, il n’y avait pas de miracle à attendre.
Novembre passa, fier-à-bras, gaillard, près du comptoir où Sonélius essuyait cérémonieusement les verres, en écoutant les histoires incohérentes des buveurs.
- Je lui ai dit ! Pourtant ! Oui… je lui ai dit ! Nom de nom de nom de !...
- Ah, où va le monde !
- Ah ça !...
Et Sonélius passait au verre suivant, pendant que son client vidait son ballon.

- Linda, ouvre… C’est moi, Jules !
- Laisse-moi, je suis fatiguée !
Elle prenait son accent canaille, son accent de mauvaise fille. C’était comme ça, quand elle n’allait pas bien. Au contraire, quand elle était radieuse, elle prenait un ton pincé, un ton bourgeois. Alors, elle rêvait d’ascension sociale, de grandes robes, de dévaliser les rayons du Bazar Moderne et de commander trois bouteilles de millésime 182 chez Alex. Elle se voyait comme une future grande dame.
Mais aujourd’hui, l’inspecteur Jules Novembre n’avait pas de mal à se souvenir que Linda venait du plus bas peuple, fille de personne, promise au froid, à la rue, à la misère crasse. Danseuse dans un cabaret comme l’Aube Bleue, c’était déjà une belle promotion sociale pour elle !
- Mais ouvre donc !
L’inspecteur souriait, faisait des mimiques, des petits gestes fanfarons, comme s’il était en public, en train de cabotiner.
Le chat du patron passa, mais l’ignora superbement.
- J’ouvre à personne, je te dis !
Elle avait de la colère après la terre entière, Linda !
- Je t’offre un verre en bas, ma toute belle ! Ecoute, je suis venu spécialement pour toi !...
Pas de réponse.
Il tenta son dernier atout :
- Ma grosse poule !...
- Qui tu appelles ma grosse poule ?
- Mais toi voyons !
Le policier retint sa respiration. C’était quitte ou double. Soit la porte se déverrouillait, soit il ne revoyait plus Linda avant un moment.
Il entendit la serrure jouer et la chaîne tomber.
- Allez entre, vieil idiot !
Elle était en peignoir, cheveux dénoués, une vilaine cigarette aux lèvres. Elle sentait le parfum fort et bon marché.
Novembre la prit dans ses bras, lui aussi cigarette au coin des lèvres.
Lui. La quarantaine bien tassée, beau mâle grisonnant sentant la bête humaine et l’eau de toilette. Elle, une petite trentaine, donc bientôt plus bonne comme danseuse ; rousse, rondelette, appétissante comme une grosse poule, mais impatiente de se caser.
- Tiens, regarde, je t’ai amené des chocolats ! Ils viennent du Baz’Mo.
- Tu es adorable ! Ils ont dû te coûter une fortune !
- Mais non…
- Ce sont ceux que mange la comtesse Irène, non ?
- Peut-être bien.
- Alors ils t’ont coûté une fortune !
- Mais non.
- Mais si, dit-elle, en le prenant très fort contre elle tout en refermant la porte à clef.


*


Novembre resta un moment dans la loge et en ressortit, le chapeau un peu plus de travers, la chemise débordant du pantalon. Il redescendit l’escalier et alla au bar en roulant des mécaniques.
- Un petit verre, inspecteur ? proposa Sonélius. C’est la maison qui offre.
- Pas de refus, gamin.
Il le but d’un trait et fit claquer sa langue en poussant un gros soupir satisfait, pleine bouche ouverte.
- Alors, Linda va mieux ? articula un des ivrognes, surpris lui-même d’avoir réussi une phrase entière.
- Elle a encore de la fièvre, mais oui elle va mieux, fit Novembre, égrillard, sûr d’avoir la complicité du garçon, qui ne demandait qu’à surprendre les petites affaires des uns et des autres.
La porte matelassée du club s’ouvrit alors, laissant entrer la nuit et de grandes rafales de vent pluvieux.
- Il faudra que le patron se décide à faire un sas, protesta Sonélius. Moi je m’enrhume ici et après, j’ai des frais de médecin pas possibles ! Si les gens croient que c’est drôle !...
- En parlant de toubib… fit Novembre, accoudé au bar.

C’était Jouvet, le médecin de quartier. Tassé, rondouillard, il avait quelques décennies de pratiques derrière lui et plus rien ne l’étonnait. Il était professionnel, efficace et ne rechignait pas à montrer qu’il avait un avis sur la question médicale, sur les nouveaux traitements et les publications de la Faculté. Et aussi sur la politique.
- Comment allez-vous, docteur ?
- Et vous-mêmes, inspecteur ? Cette bronchite ?
- Oubliée voyons !
- Vous êtes bien allé au bout du traitement ?
- Comment donc !
Novembre se souvenait avoir glissé la boîte de gélules avec les ordures. Sa femme avait sorti le sac sans le remarquer.
- Linda est ici ? demanda Jouvet, soudain timide.
- Je viens d’aller la voir.
- Ah bon, tant mieux… Je veux dire : tant mieux si elle est là.
- Elle est souffrante, ajouta Sonélius.
- Alors il faut que j’aille m’occuper d’elle, la pauvre enfant ! D’ailleurs, servez-moi un grog, garçon !
Il prenait un air officiel, comme lors des réunions à l’hôtel de ville. Il appelait toujours Sonélius par son prénom, sauf dans ces occasions, quand il prenait publiquement une grande décision. Il vida son verre et s’engagea dans l’escalier en soufflant.
- Sacré Jouvet ! dit Novembre.
Et Sonélius approuva, jamais contrariant avec les bons clients.
- Bon, on parle on parle, mais il va être l’heure d’y aller. Madame Novembre va s’impatienter. D’ailleurs, il va bientôt être l’heure de la fermeture, Sonélius. Je ne sais pas où est le patron, mais il serait temps qu’il y songe, n’est-ce pas ?
Novembre redevenait l’inspecteur de première classe du quartier. Il se revissait le chapeau sur la tête, saluait la compagnie, surtout le vieil Herbert qui buvait la moitié de son heure et quitta le cabaret, bien réchauffé.


*


Il lui sembla que la Passerelle des Sciapodes tanguait, mais il se rassura : ce n’était qu’une impression. A l’aide d’une flamme, un mitier, seul dans son petit coin de nuit, d’acier et de rouille, décollait les parasites qui rongeaient les garde-fous.
- Salut, François, comment va ?
- Et vous-mêmes ?
Appliqué, attentif, l’employé brûlait consciencieusement les petites bêtes qui s’attaquaient à une partie, infime certes mais une partie quand même, de la magnifique structure de la Cité d’Acier. Pour ce mitier, un animal, c’était ça : un être si dénué de conscience qu’il pouvait ronger une telle œuvre d’art ! Un édifice planétaire parfait ! D’une perfection si complexe qu’elle défiait l’imagination ! Oui, ces parasites osaient grignoter ce sublime ensemble !
- Vous voyez, inspecteur, plus on les enlève, plus il en vient !
- C’est comme les criminels, malheureusement...
- C’est bien pareil, vrai ! Parasites et bandits, même combat ! Mais je sais bien que SÛRETÉ finira par les envoyer tous au Château, allez !
- J’espère aussi, dit l’inspecteur en s’éloignant.

Avant d’entrer dans son immeuble, il remit sa chemise droite, renoua sa cravate, se renifla en espérant ne pas trop sentir le parfum de Linda et entra dans la cabine d’ascenseur. Les mécanismes à roues se mirent à grincer et la cabine s’éleva. Elle s’arrêta au quatrième.
Novembre retrouvait son palier familier, avec la bonne odeur d’encaustique et de voisinage.
Il poussa la porte de chez lui. Sa femme s’affairait à la chambre : elle mettait les bouillottes au lit, secouait les draps. Elle avait sa tenue de mémère, comme aimait dire Novembre. Sa vieille robe de chambres à fleurs bleu-gris, ses mules, ses bigoudis.
Elle se préparait déjà pour sa vieillesse. Elle prenait le pli.
- Bonsoir ma chérie.
- Alors, tu es encore resté tard au bureau…
- Les truands ne nous laissent aucun répit, que veux-tu…
Il bâilla pour passer à autre chose, défit sa cravate, alla à la salle d’eau et fit sa toilette.
Les haut-parleurs de l’étage s’activèrent alors. A cette heure-ci, c’était inhabituel.
- Citoyens, message de CONTRÔLE. Citoyens ! Message de CONTRÔLE !
L’immeuble se mit à fourmiller. La plupart des gens étaient déjà couchés ou, comme les Novembre, sur le point d’aller au lit. On sortit sur le palier, en restant sur le pas de la porte, intimidé par cette annonce. Les hommes, en robe de chambre, mécontents et les femmes, inquiètes, se retrouvèrent à chaque étage. Les enfants dans les jambes des parents, contents de pouvoir chahuter au lieu de dormir, couraient déjà d’étage en étage pour reconstituer leur univers de jeu, cet escalier en colimaçon qui représentait pour eux un monde d’aventures inouï !

- Citoyens, ceci est un message émanant du département SANITATION, commença la voix anonyme du haut-parleur. Demain aura lieu une inspection des locaux de votre immeuble afin de s’assurer de leur propreté. Il sera procédé à une extermination des parasites, rongeurs et autres vermines.
Nul ne remuait les lèvres. On respectait avec stupeur et tremblement ces mots, on buvait ces paroles. La vie était suspendue. Les occupants de l’immeuble composaient maintenant une galerie de musée de cire.
- Vous voudrez donc bien faire bon accueil à nos employés et leur indiquer les locaux à désinfecter. Bonne nuit, Citoyens. CONTRÔLE vous rappelle que bien dormir est nécessaire pour être efficace dans son travail.

La voix se tut. Les occupants osèrent alors parler.
- Depuis le temps qu’ils devaient venir, soupirait une dame.
- Il est temps de nettoyer les caves, c’est sûr, confirma la voisine du troisième.
- Ils risquent de venir tôt, remarqua la dame du cinquième, en criant dans la cage d’escalier. J’espère qu’ils ne vont pas nous réveiller avant que –
- Ils viendront quand ils viendront, conclut un officier à la retraite. Et nous les accueillerons dès qu’ils frapperont à la porte. N’est-ce pas, madame Antonivela ?
- Pour sûr, capitaine ! répondit la grosse concierge.
C’était le mot de la fin. L’immeuble se recoucha.

Grâce à cette annonce, madame Novembre avait oublié de poser d’autres questions à son mari, qui remercia CONTRÔLE d’être intervenu ! L’inspecteur, bien à l’aise, se blottit dans les couvertures propres, dans le lit bien chaud. Il ne tarda pas à ronfler comme un bienheureux. .

Il partit tôt le lendemain, avant le passage des agents de SANITATION.
Il ne fut donc pas sur place quand ceux-ci descendirent à la cave et trouvèrent le cadavre.
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Dossier #0 : Ascenseur pour le sous-sol - by Guest - 10-02-2007, 04:18 PM
Dossier #0 : Ascenseur pour le sous-sol - by Guest - 10-02-2007, 04:23 PM
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