17-09-2007, 04:57 PM
(This post was last modified: 17-09-2007, 05:01 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #3<!--sizec--><!--/sizec-->
Maréchal se leva et enfila son chapeau :
- Herbert, debout ! On va faire un tour !
- Il paraît que les suspicions contre moi ne tiennent plus ?
Il le disait avec l’air ravi d’un gamin qui échappa à ses lignes d’écriture.
- Dépêche-toi !
La gare n’était qu’à quelques pas. A l’heure du repas, les rues étaient encombrées par les employés et les ouvriers qui se précipitaient chez eux ou dans un restaurant.
- Ne t’éloigne pas, disait Maréchal. Avec le monde qu’il y a…
- Où allons-nous ?
L’inspecteur s’arrêta net : à dix mètres devant, il venait de voir, tournant à un coin de rue, un homme chauve, barbu, répondant exactement au portrait-robot du suspect de l’hôtel.
- Viens, et ne me lâche pas d’une semelle !
- Que se passe t-il ?
- Ton agresseur est devant nous. Si tu me perds, tu seras seul face à lui.
Maréchal pressa le pas.
Le colosse entra dans la gare et descendit par un escalier en$ fer sur plusieurs étages. Il se dirigeait vers les consignes. L’inspecteur descendit en vitesse. Il lui suffit d’un moment d’inattention, après avoir bousculé une vieille dame, pour avoir perdu le suspect. Il lâcha un juron et vérifia que Vilnius était encore avec lui : oui, le chauve, sur le qui-vive, regardait à droite, à gauche…
L’inspecteur s’approcha des consignes, et vit la 43. Elle était occupée. Il allait régler le code sur le cadenas, quand Vilnius lui fit signe :
- Là-bas, au tramway !
C’était le terminus de la ligne C. La rame, déjà bondée, allait partir et l’homme venait d’y monter.
- C’est bien lui mon agresseur !
- Viens !
Maréchal n’avait pas eu le temps d’ouvrir la consigne. Le présumé tueur était monté à l’avant. Ses deux suiveurs montèrent à l’arrière, au moment où le signal de départ retentissait.
Le policier gardait un œil sur les deux autres. Après trois stations, le tram ayant roulé de la gare aux cités dortoirs ouvrières, le grand barbu descendit avec la foule. Maréchal lui laissa de l’avance et se cala sur ses pas. Vilnius avait envie de suivre le mouvement comme d’aller se pendre…
L’homme entra dans un immeuble de chambres meublées. Maréchal suivit. Le concierge, la trentaine sportive, venait d’être bousculé.
- SÛRETE ! Où est-il parti ?
- Par là, dans l’escalier !
L’inspecteur y monta en courant. Il entendait colosse, qui avait moins de deux étages d’avance sur lui. L’immeuble comptait six étages. Au dernier palier, Maréchal, essoufflé mais encore vaillant, avait sorti son arme. L’homme était au bout du palier, dos au mur.
- Horo ! C’est fini maintenant ! Mains en l’air !
Le colosse obéit. L’arme pointée sur lui, le policier avança doucement. Dix mètres le séparait encore de cet homme ; Maréchal sortait doucement ses menottes.
- C’est inutile, policier. On arrête pas les hommes comme moi. Je n’irai pas au Château.
- Ne bougez plus, Horo. Votre cavale est finie. Vous êtes suspecté d’une dizaine de meurtres ces dernières années, vous…
- Arrêtez, inspecteur. Vous ne comprenez pas ! Je le dis pour vous ! Ça vous dépasse, arrêtez !
- Qu’est-ce qui me dépasse ?
- Avec ce qu’il y a dans la consigne, vous auriez un moyen de pression sur « eux » !
- Qui « eux » ?
- Vous devriez aller vider cette consigne avant qu’« ils » n’y aillent !
Maréchal était à quatre mètres.
- Reculez, inspecteur, c’est inutile.
- C’est fini, Horo, je vous arrête…
L’inspecteur vit alors le colosse se coller au mur, et passer d’un coup au travers ! Il s’y était littéralement fondu ! Aussi facilement que de l’eau transperce du papier !
Maréchal recula, pris de vertige. Il crut qu’il allait vomir sur place. Le mur avait avalé Horo !
L’inspecteur était seul, bien seul dans le couloir. Il s’appuya au mur et se reprit, bien que la tête lui tourna encore. Portzamparc avait vu juste !… Il n’avait pas cru si bien dire !… Saloperies d’ondes de Herbert !
Maréchal connaissait Exil comme sa poche. Et ce qu’il n’en connaissait pas, il le découvrait d’un coup d’œil. Il avait vu la disposition des bâtiments en arrivant.
Il cogna à l’appartement le plus proche de lui, puis enfonça la porta en criant « SÛRETE » ! Il bouscula une petite vieille qui faillit faire un arrêt cardiaque, son chat dans les bras ; il traversa son séjour étroit, ouvrit la fenêtre et alla sur la petite terrasse, grande d’un mètre sur un demi. Il avait moins de deux mètres à sauter, pour arriver sur la grande terrasse du bâtiment voisin, un entrepôt. C’est là-dedans que devait se trouver Horo, s’il avait vraiment réussi à passer le mur.
Vilnius arrivait dans l’appartement, l’air de demander si tout allait bien. Il avait aidé la dame à s’asseoir, en lui expliquant que c’était la police, qu’elle n’était pas accusée…
- Venez ici.
Maréchal, la tête en feu, menotta Vilnius à la rambarde.
- Je reviens bientôt vous rechercher.
L’inspecteur fit quelques mouvements de gymnastique en soufflant dans ses mains, puis il monta sur la rambarde de la terrasse et trouva à peu près son équilibre. Il essaya de se concentrer sur les deux mètres à franchir -en oubliant les vingt mètres qui le séparaient du sol…
- Arrêtez, lança le chauve.
Trop tard : en poussant un cri de guerre improvisé, Maréchal avait sauté. Et il n’avait pas attrapé la rambarde d’en face. Vilnius le vit se rater et, mort de peur, s’approcha autant qu’il put, gêné par les menottes.
L’inspecteur s’était rattrapé un mètre plus bas et ne tenait qu’à un bras. Vilnius tendit le bras, mais il ne pouvait rien : si seulement l’inspecteur ne l’avait pas attaché !
En puisant dans des ressources qu’il ne se connaissait pas, Maréchal parvint à se remonter, les muscles tendus des pieds au front ! Il sentit alors une grosse main l’attraper : l’inspecteur trembla. Non, il n’était ni chauve ni barbu ; c’était un des employés du dépôt.
- Au nom de SÛRETE, merci de votre aide !
Courbé en deux, les poumons à bout, Maréchal aurait tout donné pour un cocktail dans un des salons bourgeois du Novö-Art, autour d’une table de jeu. Il se redressa et entra dans le bâtiment : c’était un grand dépôt-vente, sur deux étages. Et Horo venait d’arriver au rez-de-chaussée.
*
Lors de la deuxième manche, Octave Grinbert avait repris l’avantage. Si bien que la partie était loin d’être finie et qu’il fallut marquer une seconde pause. Portzamparc alla au bar et se commanda un demi, qu’il avala en quelques gorgées. Ce prof de maths avait des ressources. Le détective avait repéré le pion. Il ne serait pas facile de le prendre.
La partie n’était pas gagnée.
Le public était en effervescence. Janas Prso avait gagné au bout de la deuxième manche, sans difficulté. La troisième manche de la rencontre Portzamparc / Grinbert fut serrée. Aucun des deux adversaires ne parvint à prendre le dessus pendant une dizaine de coups.
Alors que le policier allait prendre l’avantage, il vit brusquement l’occasion de s’emparer du pion. Il le captura sans hésiter. Il faillit sourire, au moment où un murmure de surprise s’élevait dans le public.
- Silence, fit sèchement l’arbitre.
Objectivement, Portzamparc venait de commettre une grave erreur. Si grave qu’elle étonna même Grinbert, qui se voyait déjà en déroute. C’était comme si Portzamparc était tombé dans un piège grossier -inimaginable, à ce niveau !
Madame de Portzamparc se mordit la lèvre, et rougit de honte face au public. Elle se sentait humiliée de cette erreur. Ficelin griffonnait sur son calepin. Quant au policier, il respirait.
Grinbert reprit un net avantage à l’issue de cette troisième manche. Mais Portzamparc n’avait pas dit son dernier mot : il avait son pion, et rien ne disait qu’il devait perdre !
L’arbitre annonça alors une troisième pause. Il y avait longtemps qu’on avait pas vu une partie de Manigance durer jusqu’à la quatrième manche !
Maréchal avait dégringolé l’escalier, et s’était caché derrière une armoire. En voyant arriver Horo, un couteau de chasseur à la main, les quelques clients du dépôt-vente étaient partis en courant. Au moins, d’éventuelles balles perdues ne feraient pas de victime.
Il régnait un désordre inextricable, dans ce bâtiment. Outre les nombreux meubles, tels qu’armoires, buffets, commodes ou lits, l’entrepôt était encombré de vases, d’étagères de bibelots, de vieilles machines à écrire, de collections de poupées, de caisses de tissus et d’articles ménagers. Le paradis des représentants de commerce.
- Horo, rends-toi !
- Vous avez compris, cette fois inspecteur ! Je suis un monstre ! C’est Herbert qui a fait de moi ce que je suis !
- Tu as tué des gens ! Tu tues de sang froid !
- Qui est le pire monstre ? criait Horo, de derrière une armoire. Herbert a testé ses machines sur des gamins des rues ! Il fait des expériences sur les êtres humains !
- Lui aussi sera jugé !
- Non, il n’ira jamais devant un juge ! « Ils » y veilleront !
- Qui « ils » ?
- Qui peut s’intéresser aux recherches de Herbert sur les ondes ? Qui peut faire pression sur la police pour qu’elle change ses conclusions !
Tout en parlant, Maréchal jaugeait la situation. Il n’était qu’à une dizaine de mètres de Horo. Il courut en quelques enjambées derrière un buffet ancien. Horo n’avait pas bougé. Maréchal l’entendit courir hors de sa cachette ; il le suivit à distance ; il se jeta sur le côté, et s’étala par terre de tout son long, juste avant de recevoir une lourde armoire et son contenu sur la tête !
Le policier roula sur le côté, et vit Horo se jeter derrière une étagère ; il ajuta son tir, encore allongé, et tira. Sa balle alla fracasser un pot en verre. Il se releva, tandis que Horo se sortait de là. Maréchal visa et tira : il vit nettement la balle érafler le bras du tueur, au moment où celui-ci disparaissait derrière un cagibi. Du sang érafla le mur.
Maréchal courut ventre à terre et s’approcha, accroupi, protégé par un poêle en fonte. Il y avait un miroir devant lui, en oblique : il aperçut le reflet de Horo, caché derrière une armoire à trois mètres de lui, à deux heures. Le colosse jouait son va-tout. Dans le miroir, Maréchal le vit se fondre à travers le meuble. L’inspecteur tira, et se jeta sur le côté. Horo était passé à travers le bois et tira, mais rata.
Les deux hommes, chacun derrière un poêle, échangèrent trois coups de feu, et Horo décampa. Un des tirs avait décapité une poupée. Maréchal se lança, heurta un pied de table, et trébucha. Horo atteignait la sortie.
A suivre...