23-02-2007, 04:44 PM
(This post was last modified: 24-02-2007, 07:43 AM by Darth Nico.)
Novembre passa une journée détestable.
Sept heures après être revenu chez lui, il repartit au commissariat. La routine de l’immeuble avait subi les derniers outrages. Les gamins revenaient de l’école et leurs mères étaient encore en chemise de nuits sous leurs robes de chambre. Elles n’avaient ni fait le ménage, ni la vaisselle. La concierge n’avait pas fait l’escalier, et ça puait le mort de la cave jusqu’au deuxième !
Les maris rentraient à leur tour, impatients de retrouver leur confort domestique. Au lieu de ça, l’agitation, le désordre, la saleté grouillante, la police partout !
Les détectives allaient se charger d’interroger ces messieurs, que le capitaine mettait brièvement au courant à mesure qu’ils arrivaient. Il leur faisait comprendre qu’ils espéraient d’eux un meilleur comportement que ces dames, qui n’avaient cessé de piailler de la journée !
- Novembre connaît son métier, affirmait-on. Sale coup pour lui, mais il va trouver le coupable avant peu !... Quelle guigne pour lui quand même !
- Peut-être un criminel qu’il a arrêté, qui s’est évadé du Château et qui est revenu exprès ici, pour se venger de lui en assassinant quelqu’un dans son immeuble !
Les hypothèses les plus précises et les plus folles allaient bon train.
Ce soir-là, on but plusieurs fois à la santé du policier et le capitaine, bien rouge, se mit à raconter ses souvenirs de régiments. Et l’assemblée des hommes partageait sa nostalgie, puis repensait à Novembre, buvait encore un coup, et saluait l’héroïsme de l’armée exiléenne, et on espérait que la police démêlerait cette affaire et on saluait la défense de la lune par ses contingents de jeunes appelés qui !…
Longtemps après être reparti, alors que la vie reprenait un peu de son cours ordinaire, que les maris rentraient chez eux en titubant héroïquement, que les garçons glissaient dans le lit de leurs sœurs des cafards pris au sous-sol, que les mères, épuisées, contemplaient leur petite vie qu’un ignoble assassin avait bouleversée, que les grands-mères juraient qu’ADMINISTRATION ne tolérerait pas longtemps une telle chienlit et que le capitaine s’endormait en ronflant sur la table de la concierge… l’inspecteur Novembre, le feutre mou vissé sur la tête, l’imper trempé claquant au vent, la cigarette au bec, rentrait chez lui !
Sa femme, impressionné par son allure, imposante, hiératique, alors que, par la fenêtre, on voyait le clair de terre de Forge se dégager, sentit qu’il avait grand besoin de sommeil.
Il défit sa cravate, comme chaque soir, mais ne prit pas le temps de dîner et se coula dans ses draps sans attendre.
Sa femme éteignit la lumière Tout l’immeuble savait que Novembre était rentré. Donc les voisins du cinquième devaient avoir l’oreille sur le parquet et ceux du quatrième contre le mur.
« Alors, qu’est-ce qu’elle attend pour lui poser des questions ! »
Novembre se tourna de son côté et se prépara à dormir. Il sentait pourtant nettement la nervosité de sa femme. Elle s’approcha de lui gentiment :
- Tu as passé une bonne soirée ?
- La routine.
-
« Quoi, la routine !... Comment ça, la routine ! »
- Et… tu as du nouveau ?...
- Pour quoi donc ?...
- Enfin Jules !
Sa femme ne devait pas montrer de signe de colère deux fois par an.
« Mais là quand même il exagère le père Novembre ! On a le droit de savoir ! »
- Ecoute, c’est un peu compliqué, grogna Novembre, qui sombrait dans le sommeil. Je te raconterai demain.
« Ah non, certainement pas ! Maintenant ! »
- Tu peux au moins m’en dire un peu, non ?
- Bon, en deux mots, cette histoire, je vais te dire…
« Oui ! oui ! quoi ?... »
- Cette histoire, ça doit être le Mägott…
Et il s’endormit pour de bon.
Sa femme, stupéfaite, se blottit contre lui. Le Mägott…
Un silence stupéfait était tombé sur le voisinage. Et Priscilla Novembre sut qu’elle n’allait pas fermer l’œil de la nuit.
C’est la dame du cinquième qui, la première, arriva. Elle prétexta l’oubli d’un nécessaire à couture, dont elle avait un besoin urgent en pleine nuit. Bientôt, elles étaient quatre dans le salon des Novembre, à chuchoter pendant que l’inspecteur emplissait la chambre de son ronflement.
Puis, elles descendirent chez la concierge, sur la pointe des pieds pour ne pas réveiller les autres ménages qui, dans leur majorité, ne dormaient pas. Et la file s’allongea considérablement à mesure qu’on descendait : elles étaient cinq en quittant le quatrième, elles se virent douze en arrivant chez la concierge !
Elles y passèrent la nuit, avec quelques enfants, les aînés, à se remémorer les histoires effrayantes qu’on racontait sur le Mägott.
- C’était la vieille Auspic, la dame du troisième, qui savait par cœurs ces histoires… Elle aurait pu nous en raconter de belles… La pauvre…
- Elle était bien âgée, déjà.
- Probable, mais elle se portait encore rudement bien pour son âge… Mais à force de parler du Mägott, n’est-ce pas…
- Que voulez-vous dire ?
Et on se regardait d’un air entendu, pendant que les enfants tiraient sur les chemises des femmes pour réclamer des explications.
- Le Mägott, explique sentencieusement une des femmes aux enfants, était une énorme machine construite par les Anciens !
- Par les Anciens, pas si sûr, tempéra une voisine.
- Ecoutez, c’est tout comme !... Une énorme machine, je disais, qui a fini par ne plus marcher mais qui est restée dans le quartier, comme un énorme monstre endormi ! Maintenant, le Mägott a été démonté. Mais on dit qu’on s’est servi de ses morceaux pour construire un gigantesque navire !... Un navire vivant, qui emporte les enfants pas sages vers les profondeurs de l’océan où ils vivent leurs pires cauchemars !
Les aînés ricanaient pour cacher leurs peurs et les plus petits se blottissaient contre leurs mamans, blêmes et la lèvre tremblante.
- Quelle idée de leur raconter pareille histoire ! Maintenant, ils ne vont pas dormir !
On se quitta, plus ou moins fâché.
Madame Novembre revint dans son lit peu avant que son mari n’en sorte. Une nouvelle journée commençait.
- Ce soir, annonça t-il de but en blanc, j’aurai le salopard qui a fait ça…
- Le Mägott ?
- Mais non !
Novembre soupira, en passant à la salle de bains, agacé de la naïveté de sa femme.
- Mais hier soir, en te couchant, tu as parlé du Mägott… Et cette nuit, avec les autres, on en a parlé, chez madame Antonivela…
Elles n’avaient quand même pas passé une nuit chez la concierge pour des broutilles !
- Moi, parler sérieusement du Mägott ? répliqua l’inspecteur. Mais enfin, je devais déjà rêver !... Et vous, vous vous êtes montées la tête inutilement ! J’imagine ça d’ici, tiens ! C’est trop drôle !
Il ricana, attacha ses bretelles, enfila sa veste et son pardessus. Il embrassa sa femme, qui ne parvenait pas à lui en vouloir de sa rudesse.
- Le Mägott ! N’importe quoi !...
Il était dans l’escalier quand il lança :
- Comme s’il fallait être le Mägott pour venir m’emmerder, moi, avec un cadavre, dans la cave de MON immeuble !
Novembre partit en vitesse au commissariat. Il traversa la passerelle des Sciapodes, déserte, et alla à son bureau, où Boncousin et Rampoix l’attendaient.
- Bon, aujourd’hui, les enfants, nous arrêtons l’ordure qui a osé s’en prendre à mon immeuble ! Êtes-vous prêts ?
Les deux jeunes policiers firent oui de la tête.
- Avant d’agir, reprenons rapidement ce que nous avons appris hier. Toi, Boncousin, tu es arrivé le premier, suivi de peu par Rampoix ?
- Oui, inspecteur.
- Bien, vous avez interrogé le voisinage ?
- Nous n’avons oublié personne.
- Tes conclusions, Rampoix ?
- L’assassin est bien un des occupants de l’immeuble.
- Pourquoi ?
- Personne n’aurait pu déposer un cadavre sans que la concierge ne le voie. Il faut nécessairement passer devant sa loge. Donc le coupable était dans l’immeuble pendant la nuit.
- Vous avez bien fouillé la cave ?
- Oui, nous sommes certains qu’elle ne communique pas. Pas de passage vers un autre bâtiment.
- Vous avez inspecté le toit ?
- Oui. Il n’est pas du tout facile d’y accéder, car les autres bâtiments sont éloignés. Sauf si…
- Oui, je vois ce que tu veux dire, fit Novembre, songeur.
- Donc c’est clair, l’assassin, dès le début de la nuit, se trouvait quelque part entre le rez-de-chaussée et le sixième ?
- Sans doute. Il était peut-être déjà là quand l’annonce de SANITATION a retentit dans votre immeuble, inspecteur.
- Entendu. A toi, Boncousin.
- J’ai tenté de comprendre comment le cadavre avait pu arriver dans la cave, sans que personne ne le voie, pas même la concierge. La première possibilité…
Le policier hésita.
- Vas-y, mon garçon, n’aie pas peur de dire ce à quoi tu penses.
- Hé bien, la première possibilité, c’est que la concierge soit dans le coup. Elle est costaud, elle aurait pu traîner elle-même le corps au bas des marches. Mais quel intérêt de cacher un cadavre à cet endroit, quand on sait que le lendemain vont venir deux agents de dératisation ?...
- Continue.
- Le message de SANITATION n’a pu échapper à personne. Donc soit le corps a été mis là exprès, soit l’assassin n’a pas entendu le message.
- Tu as lu le rapport de Jouvet, j’imagine ?
- Oui. Jouvet affirme que l’homme était mort depuis peu. Il a été tué la veille.
- Et tu as lu qui il était ?
- Oui, inspecteur. Un certain Edmond de Dronsac, citoyen Kargarlien, de vieille famille aristocratique.
- Ensuite ?
- Nous nous sommes renseignés sur lui. S’il venait dans l’immeuble, il n’y a qu’une personne qu’il pouvait aller voir…
- Bien, nous sommes d’accord, dit Novembre. Autre chose ?
- Il est également possible, dit Boncousin, que le cadavre ait été caché à la cave par l’assassin, qui ne pouvait savoir que les employés de SANITATION viendraient le lendemain.
Novembre se fit apporter un parlophone. Il composa le numéro. Après une petite attente, il l’obtint.
- Allô, bonjour monsieur. Je suis bien au service VOIRIE ? Inspecteur Novembre à l’appareil... Je souhaiterais un renseignement sur l’un de vos fonctionnaires… Oui, vous me confirmez qu’il a effectué des réparations sur la ruelle qui passe… C’est cela… Très bien, je vous remercie.
Novembre se leva.
- Suivez-moi, dit-il à ses deux détectives. Nous devons agir vite à présent. Dès qu’il nous verra approcher, notre homme tentera probablement de fuir.
Les trois policiers partirent à pied, contre le vent en tenant leurs chapeaux. Avant d’aller vers la rue des Culs-de-Lampe, ils bifurquèrent et, après une étroite ruelle coudée, ils arrivèrent sur une petite terrasse occupée par des échoppes. Novembre et Rampoix montèrent un petit escalier coincé entre deux murs et sonnèrent à la porte de gauche, au second. Pendant ce temps, Bonvoisin, selon un plan concerté, montait au troisième.
On ouvrit au second.
Une femme méfiante. La quarantaine ingrate, avec une verrue sur la joue, désagréable.
- Madame Linczev ?
- C’est moi.
- Inspecteur Novembre, de SÛRETÉ. Je souhaiterais parler à votre mari, François Linczev…
- Il n’est pas là pour le moment.
- Je pense que si, madame. Et qu’il n’est pas dans votre intérêt de le « couvrir ».
- Puisque je vous dis qu’il est au travail !
- J’ai appelé : il n’est pas venu ce matin. Pour la dernière fois, je vous demande d’aller chercher votre mari.
On entendit un grand remue-ménage à l’autre bout de l’appartement. Des cris, deux hommes qui se débattent et l’un qui finit par céder.
- Tout va bien, Boncousin ? cria Novembe par-dessus l’épaule de la femme.
Le détective arriva, en serrant les bras de Linczev dans son dos. C’était le mitier qui s’occupait de la passerelle des Sciapodes.
- Comme prévu, il a tenté de fuir par la fenêtre. Il était déjà harnaché, son filin attaché. Il n’avait plus qu’à se laisser descendre et il arrivait deux cent mètres plus bas.
- Tu l’emmènes au poste et moi je continue avec Rampoix. Quant à vous, madame, ne quittez pas votre domicile jusqu’à nouvel ordre !
- François !
- Ça va aller, Constance !
- A mon avis, fit Novembre, tricotez-lui de bons gros pulls : le climat est rigoureux, au Château.
- Comment vous avez su ? cria Lincsev.
- Que s’est-il passé sur le toit ? répondit Novembre. C’est ce que tu vas nous raconter !
Sept heures après être revenu chez lui, il repartit au commissariat. La routine de l’immeuble avait subi les derniers outrages. Les gamins revenaient de l’école et leurs mères étaient encore en chemise de nuits sous leurs robes de chambre. Elles n’avaient ni fait le ménage, ni la vaisselle. La concierge n’avait pas fait l’escalier, et ça puait le mort de la cave jusqu’au deuxième !
Les maris rentraient à leur tour, impatients de retrouver leur confort domestique. Au lieu de ça, l’agitation, le désordre, la saleté grouillante, la police partout !
Les détectives allaient se charger d’interroger ces messieurs, que le capitaine mettait brièvement au courant à mesure qu’ils arrivaient. Il leur faisait comprendre qu’ils espéraient d’eux un meilleur comportement que ces dames, qui n’avaient cessé de piailler de la journée !
- Novembre connaît son métier, affirmait-on. Sale coup pour lui, mais il va trouver le coupable avant peu !... Quelle guigne pour lui quand même !
- Peut-être un criminel qu’il a arrêté, qui s’est évadé du Château et qui est revenu exprès ici, pour se venger de lui en assassinant quelqu’un dans son immeuble !
Les hypothèses les plus précises et les plus folles allaient bon train.
Ce soir-là, on but plusieurs fois à la santé du policier et le capitaine, bien rouge, se mit à raconter ses souvenirs de régiments. Et l’assemblée des hommes partageait sa nostalgie, puis repensait à Novembre, buvait encore un coup, et saluait l’héroïsme de l’armée exiléenne, et on espérait que la police démêlerait cette affaire et on saluait la défense de la lune par ses contingents de jeunes appelés qui !…
Longtemps après être reparti, alors que la vie reprenait un peu de son cours ordinaire, que les maris rentraient chez eux en titubant héroïquement, que les garçons glissaient dans le lit de leurs sœurs des cafards pris au sous-sol, que les mères, épuisées, contemplaient leur petite vie qu’un ignoble assassin avait bouleversée, que les grands-mères juraient qu’ADMINISTRATION ne tolérerait pas longtemps une telle chienlit et que le capitaine s’endormait en ronflant sur la table de la concierge… l’inspecteur Novembre, le feutre mou vissé sur la tête, l’imper trempé claquant au vent, la cigarette au bec, rentrait chez lui !
Sa femme, impressionné par son allure, imposante, hiératique, alors que, par la fenêtre, on voyait le clair de terre de Forge se dégager, sentit qu’il avait grand besoin de sommeil.
Il défit sa cravate, comme chaque soir, mais ne prit pas le temps de dîner et se coula dans ses draps sans attendre.
Sa femme éteignit la lumière Tout l’immeuble savait que Novembre était rentré. Donc les voisins du cinquième devaient avoir l’oreille sur le parquet et ceux du quatrième contre le mur.
« Alors, qu’est-ce qu’elle attend pour lui poser des questions ! »
Novembre se tourna de son côté et se prépara à dormir. Il sentait pourtant nettement la nervosité de sa femme. Elle s’approcha de lui gentiment :
- Tu as passé une bonne soirée ?
- La routine.
-
« Quoi, la routine !... Comment ça, la routine ! »
- Et… tu as du nouveau ?...
- Pour quoi donc ?...
- Enfin Jules !
Sa femme ne devait pas montrer de signe de colère deux fois par an.
« Mais là quand même il exagère le père Novembre ! On a le droit de savoir ! »
- Ecoute, c’est un peu compliqué, grogna Novembre, qui sombrait dans le sommeil. Je te raconterai demain.
« Ah non, certainement pas ! Maintenant ! »
- Tu peux au moins m’en dire un peu, non ?
- Bon, en deux mots, cette histoire, je vais te dire…
« Oui ! oui ! quoi ?... »
- Cette histoire, ça doit être le Mägott…
Et il s’endormit pour de bon.
Sa femme, stupéfaite, se blottit contre lui. Le Mägott…
Un silence stupéfait était tombé sur le voisinage. Et Priscilla Novembre sut qu’elle n’allait pas fermer l’œil de la nuit.
C’est la dame du cinquième qui, la première, arriva. Elle prétexta l’oubli d’un nécessaire à couture, dont elle avait un besoin urgent en pleine nuit. Bientôt, elles étaient quatre dans le salon des Novembre, à chuchoter pendant que l’inspecteur emplissait la chambre de son ronflement.
Puis, elles descendirent chez la concierge, sur la pointe des pieds pour ne pas réveiller les autres ménages qui, dans leur majorité, ne dormaient pas. Et la file s’allongea considérablement à mesure qu’on descendait : elles étaient cinq en quittant le quatrième, elles se virent douze en arrivant chez la concierge !
Elles y passèrent la nuit, avec quelques enfants, les aînés, à se remémorer les histoires effrayantes qu’on racontait sur le Mägott.
- C’était la vieille Auspic, la dame du troisième, qui savait par cœurs ces histoires… Elle aurait pu nous en raconter de belles… La pauvre…
- Elle était bien âgée, déjà.
- Probable, mais elle se portait encore rudement bien pour son âge… Mais à force de parler du Mägott, n’est-ce pas…
- Que voulez-vous dire ?
Et on se regardait d’un air entendu, pendant que les enfants tiraient sur les chemises des femmes pour réclamer des explications.
- Le Mägott, explique sentencieusement une des femmes aux enfants, était une énorme machine construite par les Anciens !
- Par les Anciens, pas si sûr, tempéra une voisine.
- Ecoutez, c’est tout comme !... Une énorme machine, je disais, qui a fini par ne plus marcher mais qui est restée dans le quartier, comme un énorme monstre endormi ! Maintenant, le Mägott a été démonté. Mais on dit qu’on s’est servi de ses morceaux pour construire un gigantesque navire !... Un navire vivant, qui emporte les enfants pas sages vers les profondeurs de l’océan où ils vivent leurs pires cauchemars !
Les aînés ricanaient pour cacher leurs peurs et les plus petits se blottissaient contre leurs mamans, blêmes et la lèvre tremblante.
- Quelle idée de leur raconter pareille histoire ! Maintenant, ils ne vont pas dormir !
On se quitta, plus ou moins fâché.
*
Madame Novembre revint dans son lit peu avant que son mari n’en sorte. Une nouvelle journée commençait.
- Ce soir, annonça t-il de but en blanc, j’aurai le salopard qui a fait ça…
- Le Mägott ?
- Mais non !
Novembre soupira, en passant à la salle de bains, agacé de la naïveté de sa femme.
- Mais hier soir, en te couchant, tu as parlé du Mägott… Et cette nuit, avec les autres, on en a parlé, chez madame Antonivela…
Elles n’avaient quand même pas passé une nuit chez la concierge pour des broutilles !
- Moi, parler sérieusement du Mägott ? répliqua l’inspecteur. Mais enfin, je devais déjà rêver !... Et vous, vous vous êtes montées la tête inutilement ! J’imagine ça d’ici, tiens ! C’est trop drôle !
Il ricana, attacha ses bretelles, enfila sa veste et son pardessus. Il embrassa sa femme, qui ne parvenait pas à lui en vouloir de sa rudesse.
- Le Mägott ! N’importe quoi !...
Il était dans l’escalier quand il lança :
- Comme s’il fallait être le Mägott pour venir m’emmerder, moi, avec un cadavre, dans la cave de MON immeuble !
Novembre partit en vitesse au commissariat. Il traversa la passerelle des Sciapodes, déserte, et alla à son bureau, où Boncousin et Rampoix l’attendaient.
- Bon, aujourd’hui, les enfants, nous arrêtons l’ordure qui a osé s’en prendre à mon immeuble ! Êtes-vous prêts ?
Les deux jeunes policiers firent oui de la tête.
- Avant d’agir, reprenons rapidement ce que nous avons appris hier. Toi, Boncousin, tu es arrivé le premier, suivi de peu par Rampoix ?
- Oui, inspecteur.
- Bien, vous avez interrogé le voisinage ?
- Nous n’avons oublié personne.
- Tes conclusions, Rampoix ?
- L’assassin est bien un des occupants de l’immeuble.
- Pourquoi ?
- Personne n’aurait pu déposer un cadavre sans que la concierge ne le voie. Il faut nécessairement passer devant sa loge. Donc le coupable était dans l’immeuble pendant la nuit.
- Vous avez bien fouillé la cave ?
- Oui, nous sommes certains qu’elle ne communique pas. Pas de passage vers un autre bâtiment.
- Vous avez inspecté le toit ?
- Oui. Il n’est pas du tout facile d’y accéder, car les autres bâtiments sont éloignés. Sauf si…
- Oui, je vois ce que tu veux dire, fit Novembre, songeur.
- Donc c’est clair, l’assassin, dès le début de la nuit, se trouvait quelque part entre le rez-de-chaussée et le sixième ?
- Sans doute. Il était peut-être déjà là quand l’annonce de SANITATION a retentit dans votre immeuble, inspecteur.
- Entendu. A toi, Boncousin.
- J’ai tenté de comprendre comment le cadavre avait pu arriver dans la cave, sans que personne ne le voie, pas même la concierge. La première possibilité…
Le policier hésita.
- Vas-y, mon garçon, n’aie pas peur de dire ce à quoi tu penses.
- Hé bien, la première possibilité, c’est que la concierge soit dans le coup. Elle est costaud, elle aurait pu traîner elle-même le corps au bas des marches. Mais quel intérêt de cacher un cadavre à cet endroit, quand on sait que le lendemain vont venir deux agents de dératisation ?...
- Continue.
- Le message de SANITATION n’a pu échapper à personne. Donc soit le corps a été mis là exprès, soit l’assassin n’a pas entendu le message.
- Tu as lu le rapport de Jouvet, j’imagine ?
- Oui. Jouvet affirme que l’homme était mort depuis peu. Il a été tué la veille.
- Et tu as lu qui il était ?
- Oui, inspecteur. Un certain Edmond de Dronsac, citoyen Kargarlien, de vieille famille aristocratique.
- Ensuite ?
- Nous nous sommes renseignés sur lui. S’il venait dans l’immeuble, il n’y a qu’une personne qu’il pouvait aller voir…
- Bien, nous sommes d’accord, dit Novembre. Autre chose ?
- Il est également possible, dit Boncousin, que le cadavre ait été caché à la cave par l’assassin, qui ne pouvait savoir que les employés de SANITATION viendraient le lendemain.
Novembre se fit apporter un parlophone. Il composa le numéro. Après une petite attente, il l’obtint.
- Allô, bonjour monsieur. Je suis bien au service VOIRIE ? Inspecteur Novembre à l’appareil... Je souhaiterais un renseignement sur l’un de vos fonctionnaires… Oui, vous me confirmez qu’il a effectué des réparations sur la ruelle qui passe… C’est cela… Très bien, je vous remercie.
Novembre se leva.
- Suivez-moi, dit-il à ses deux détectives. Nous devons agir vite à présent. Dès qu’il nous verra approcher, notre homme tentera probablement de fuir.
Les trois policiers partirent à pied, contre le vent en tenant leurs chapeaux. Avant d’aller vers la rue des Culs-de-Lampe, ils bifurquèrent et, après une étroite ruelle coudée, ils arrivèrent sur une petite terrasse occupée par des échoppes. Novembre et Rampoix montèrent un petit escalier coincé entre deux murs et sonnèrent à la porte de gauche, au second. Pendant ce temps, Bonvoisin, selon un plan concerté, montait au troisième.
On ouvrit au second.
Une femme méfiante. La quarantaine ingrate, avec une verrue sur la joue, désagréable.
- Madame Linczev ?
- C’est moi.
- Inspecteur Novembre, de SÛRETÉ. Je souhaiterais parler à votre mari, François Linczev…
- Il n’est pas là pour le moment.
- Je pense que si, madame. Et qu’il n’est pas dans votre intérêt de le « couvrir ».
- Puisque je vous dis qu’il est au travail !
- J’ai appelé : il n’est pas venu ce matin. Pour la dernière fois, je vous demande d’aller chercher votre mari.
On entendit un grand remue-ménage à l’autre bout de l’appartement. Des cris, deux hommes qui se débattent et l’un qui finit par céder.
- Tout va bien, Boncousin ? cria Novembe par-dessus l’épaule de la femme.
Le détective arriva, en serrant les bras de Linczev dans son dos. C’était le mitier qui s’occupait de la passerelle des Sciapodes.
- Comme prévu, il a tenté de fuir par la fenêtre. Il était déjà harnaché, son filin attaché. Il n’avait plus qu’à se laisser descendre et il arrivait deux cent mètres plus bas.
- Tu l’emmènes au poste et moi je continue avec Rampoix. Quant à vous, madame, ne quittez pas votre domicile jusqu’à nouvel ordre !
- François !
- Ça va aller, Constance !
- A mon avis, fit Novembre, tricotez-lui de bons gros pulls : le climat est rigoureux, au Château.
- Comment vous avez su ? cria Lincsev.
- Que s’est-il passé sur le toit ? répondit Novembre. C’est ce que tu vas nous raconter !