27-02-2007, 02:42 PM
(This post was last modified: 27-02-2007, 02:47 PM by Darth Nico.)
Novembre arrêta sa lecture, fatigué. Il avait lancé un mandat d’arrêt contre le capitaine, mais il sentait qu’il était déjà trop tard. Il resta chez lui le soir, mais appela plusieurs fois le commissariat. Rampoix et Boncousin avaient tout mis en œuvre pour retrouver l’assassin mais sa présence n’était signalée nulle part. Il avait dû profiter, une dernière fois, des appuis de sa famille pour échapper aux agents de SÛRETÉ. Les brigades de PANDORE avaient été mises à contribution mais on n’en espérait pas plus.
Le mitier des Sciapodes, François Linczev, fut interrogé pendant de longues heures et avoua sa complicité dans la mort d’Edmond de Dronsac.
La suite de la lettre expliquait en quelques mots ce qui s’était passé : les deux hommes avaient sorti leurs armes et avaient tiré. De Dronsac, touché à la tête, était tombé. Résincourt n’avait rien eu. Il avait quitté les lieux, laissant son adversaire pour mort.
En fait, la balle avait effleuré le crâne de l’officier Forgien. Et c’est François Lincsev en prenant son service,e qui l’avait trouvé là,.
Il avait tout raconté aux deux détectives, qui firent leur rapport à Novembre.
Effrayé par ce corps, Lincsev s’apprêtait à prévenir le commissariat quand il vit l’homme trembler, gémir, demander de l’aide. Effrayé, l’employé traîna de Dronsac chez lui, non sans, au passage vider son porte-monnaie. Il avait reçu l’ordre de n’avertir personne.
- Garde le silence, misérable et ta fortune est faite. Si c’est de l’argent que tu veux, je t’en donnerai.
Jusqu’au bout, de Dronsac voulait que cette affaire reste entre lui et Résincourt, alors qu’il lui aurait été si facile d’avertir les autorités et de faire arrêter le vieil homme pour tentative d’assassinat. Après deux jours de repos, de Dronsac était sur pied. Grâce à Lincsev, il obtenait l’adresse de son ennemi et il apprenait qu’un inspecteur de police vivait dans l’immeuble. Et impossible de rentrer en passant par la porte, sans que la concierge ne le voie.
De Dronsac soudoya donc le mitier pour qu’il l’aide à passer par les toits. Il n’y avait que grâce à l’équipement de ces employés qu’on pouvait, à partir du garde-fou situé au-dessus du 28 de la rue des Culs-de-Lampe, descendre sur une vingtaine de mètres et arriver sur le toit. Cela, les deux détectives l’avaient vite compris lors de leur visite de l’immeuble. Lincsev avait donc descendu le Forgien sur le toit, avant de remonter.
Le projet de de Dronsac était de surprendre son ennemi chez lui, puisqu’il ne serait plus sur ses garde. Dronsac avait tout à perdre, à commettre un tel crime mais, sans doute, l’honneur de la caste militaire kargarlienne prit-il le dessus sur les appétits d’argent et de pouvoir.
Il fallait alors revenir à la lettre du capitaine pour comprendre ce qui s’était passé, car Lincsev ne pouvait le savoir. A ce moment, il était seulement complice d’une violation de domicile.
« J’étais seul chez moi et j’avais encore peine à croire que c’était fini, que de Dronsac était mort, que ma jeunesse était morte pour de bon avec lui. A ce moment, je songeais vraiment au suicide.
« Allais-je me laisser vivoter, dans cet immeuble médiocre, avec ces voisins si ordinaires, sans autre but que de me sentir vieillir ? Il me semblait qu’une mort volontaire était une sortie plus digne de moi. J’entendis alors le loquet de la porte tourner. J’avais déjà mon arme à la main. Je crus que la balle que je me destinais allait finir dans le corps d’un vulgaire cambrioleur. J’attendais, ferme, n’ayant plus rien à perdre.
« Je n’en crus pas mes yeux quand je vis de Dronsac face à moi, bien vivant. Lui non plus ne pensait que je serais prêt à le recevoir !
« Que pensa t-il à ce moment-là ? Crut-il que j’avais prévu son retour ?... Je ne le saurai jamais. J’étais prêt à tirer, j’avais l’avantage du terrain. Il recula et partit en courant. Je voulais éviter le bruit. Non pas pour diminuer mes chances d’être pris. Mais peut-être par déférence pour mes voisins, malgré tout. Ou bien parce que j’aperçus alors, dans son étui en peau de félynx, mon vieux couteau de chasse ? Et que la mort donnée à la lame a plus de saveur que celle crachée d’une arme à feu ?
« Quoiqu’il en soit, je m’emparai de mon arme. De Dronsac remontait vers le sixième, pour revenir sur le toit. Malgré notre âge, nous avions encore du cœur au ventre. Nous étions deux vieux prédateurs, prêts pour leur dernier combat. Sur le toit, je retrouvai mon ennemi, essoufflé. Au-dessus, j’aperçus ce lâche de mitier, qui attendait que le Forgien lui fasse signe de remonter.
« Mais maintenant, il n’osait plus faire descendre son filin, ni s’enfuir.
« L’offficer kargarlien se retourna et tira. Je me jetai à terre. Je frôlais encore la mort. Je répliquais d’un coup de feu, qui toucha à la cuisse. De Dronsac tomba à terre, à nouveau. Mais cette fois, il ne pourrait échapper à son destin. Je tirai mon couteau et m’approchai de lui, lentement, pour qu’il ait le temps de voir venir sa fin.
- Ne t’inquiète pas, Edmond, j’irai vite. Je ne vais pas te dépecer vif, comme nous faisions avec nos ennemis, jadis, quand nous partions en commando…
« Je levai ma lame et lui plantai dans le cœur.
La vieille bête était morte.
Lincsev avait vu. Je pointai mon pistolet vers lui :
- Descends ou je t’abats comme un chien !
« Vert de peur, le mitier accrocha son filin au garde-fou et se laissa descendre.
- Nous voilà amis maintenant toi et moi.
« Il était prêt à faire sous lui. Moi j’étais redevenu le chasseur des plaines glacées. J’avais l’ardeur du vainqueur et la méchanceté de la vieillesse ! »
Résincourt avait alors exigé de Lincsev qu’il l’aide à dissimuler le cadavre.
« Il fallait gagner du temps. Il y avait encore peu de monde, dans l’immeuble, à cette heure-ci. Mais bientôt les hommes rentreraient du travail. Nous aurions pu jeter le corps au bas de l’immeuble, mais il aurait été trop vite retrouvé : il allait y avoir du passage, sous peu, à l’heure de la fermeture des usines et des bureaux. Et sur le toit, on aurait fini par le voir, ce corps, depuis la ruelle du dessus.
« J’eus alors l’idée d’aller le cacher à la cave. Sur le toit, une trappe permettait d’accéder directement à la cage d’ascenseur. Et la cabine descendait à la cave. C’était trop beau.
« Le mitier m’aida à traîner de Dronsac et à le descendre dans la cabine. Puis je me rendais à la cave par l’escalier et de là, j’appelais l’ascenseur. Si quelqu’un l’avait pris à ce moment, j’étais perdu. Mais non : mon colis descendit les six étages. Je sortis le corps et le cachai dans un coin. Personne ne descendrait durant la nuit (on n’allait que rarement à la cave). C’était du temps gagné jusqu’au lendemain.
« Mais, après m’avoir plusieurs fois assisté, le destin se retourna brusquement contre moi. Il décida qu’ADMINISTRATION devait envoyer, le lendemain même, une équipe de dératisation à la cave !
« Je faillis éclater de rire ! Un si dérisoire évènement allait ruiner mes plans ! Quand ni les guerres kargarliennes, ni le froid mortel, ni la traversée de l’océan, ni les intrigues politiques et financières ni deux duels contre de Dronsac n’avaient pu venir à bout de moi, il était écrit que la cause de ma perte seraient deux minables tueurs de cafards !
« Etrangement, je me sentis très calme. J’étais résolu.
« J’avais trop demandé, il fallait payer.
« C’était dans l’ordre des choses. J’avais eu ce que je voulais. Maintenant, on allait tout découvrir et la fin n’aurait aucune classe. Elle allait être à la fois tragique et pitoyable.
« Le lendemain, après la découverte du corps, je savais qu’il me restait peu de temps avant qu’on ne l’identifie et qu’on ne remonte à moi. Je m’en donnais donc à cœur joie, dans le rôle du vieil officier bourru.. Je jouais ma dernière scène, avant de tirer ma révérence. C’était bouffon ! C’était grotesque ! Le vieux cabot et son cadavre !... Et ces pauvres femmes, avec ce corps bouffé par la vermine, en plein milieu de leur petite vie quotidienne tiède et régulière !... Je savais au moins que Lincsev finirait par être appréhendé. Ce lâche ne méritait pas mieux que d’être envoyé au bagne pour complicité d’assassinat. »
*
Novembre, vaguement dégoûté, passa la nuit suivante au cabaret. Il but en écoutant Herbert jouer machinalement et Sonélius se plaindre de la vie. Et en regardant, d’un œil distrait, Linda qui dansait mollement en essayant d’être lascive dans son déshabillage.
Il ne revint chez lui que tôt le matin. Il emprunta la passerelle des Sciapodes, sans doute à la même heure que celle où de Dronsac et Résincourt s’étaient retrouvés.
« A l’heure qu’il est, inspecteur, je vogue vers les Portes d’Airain et je retourne sur ma terre natale, quelques quarante ans après l’avoir quittée. Là-bas, plus personne ne me connaît mais le froid y est toujours aussi rigoureux. D’autres héros ont pris ma place et Kargarl continue sa décadence.
« Mais c’est peut-être le destin d’un homme, de rester jusqu’à sa mort uni à sa patrie, de la fuir pour mieux la retrouver et de l’accompagner, dans la gloire comme dans la déchéance.
Bien à vous,
Capitaine Louis-Wilfried de Résincourt. »
Novembre s’arrêta pour respirer l’air de la lune, chargé des effluves énormes de la cité industrielle des profondeurs et des embruns marins venus de l’immense océan noir.
Et il aperçut l’agitation qui s’emparait de la ville, ce matin, des dizaines de tramway s’ébranlant de leurs carcasses d’acier, des centaines de mitiers se lançant dans le vide suspendus à un fil, des cohortes d’ouvriers partant à l’usine ; des gamins des rues courant sur les poutrelles glissantes au-dessus des gouffres, comme pour défier la mort, des colonies de bêtes sauvages se déplaçant de toits en toits et quelques ballons-taxis, multicolores, véhicules enchantées, prenant leur envol dans la brume vaporeuse qui nimbait Exil et lui donnait son atmosphère de monstrueuse nécropole, à l’apparence de fantôme, et aux entrailles mécaniques.
Le mitier des Sciapodes, François Linczev, fut interrogé pendant de longues heures et avoua sa complicité dans la mort d’Edmond de Dronsac.
La suite de la lettre expliquait en quelques mots ce qui s’était passé : les deux hommes avaient sorti leurs armes et avaient tiré. De Dronsac, touché à la tête, était tombé. Résincourt n’avait rien eu. Il avait quitté les lieux, laissant son adversaire pour mort.
En fait, la balle avait effleuré le crâne de l’officier Forgien. Et c’est François Lincsev en prenant son service,e qui l’avait trouvé là,.
Il avait tout raconté aux deux détectives, qui firent leur rapport à Novembre.
Effrayé par ce corps, Lincsev s’apprêtait à prévenir le commissariat quand il vit l’homme trembler, gémir, demander de l’aide. Effrayé, l’employé traîna de Dronsac chez lui, non sans, au passage vider son porte-monnaie. Il avait reçu l’ordre de n’avertir personne.
- Garde le silence, misérable et ta fortune est faite. Si c’est de l’argent que tu veux, je t’en donnerai.
Jusqu’au bout, de Dronsac voulait que cette affaire reste entre lui et Résincourt, alors qu’il lui aurait été si facile d’avertir les autorités et de faire arrêter le vieil homme pour tentative d’assassinat. Après deux jours de repos, de Dronsac était sur pied. Grâce à Lincsev, il obtenait l’adresse de son ennemi et il apprenait qu’un inspecteur de police vivait dans l’immeuble. Et impossible de rentrer en passant par la porte, sans que la concierge ne le voie.
De Dronsac soudoya donc le mitier pour qu’il l’aide à passer par les toits. Il n’y avait que grâce à l’équipement de ces employés qu’on pouvait, à partir du garde-fou situé au-dessus du 28 de la rue des Culs-de-Lampe, descendre sur une vingtaine de mètres et arriver sur le toit. Cela, les deux détectives l’avaient vite compris lors de leur visite de l’immeuble. Lincsev avait donc descendu le Forgien sur le toit, avant de remonter.
Le projet de de Dronsac était de surprendre son ennemi chez lui, puisqu’il ne serait plus sur ses garde. Dronsac avait tout à perdre, à commettre un tel crime mais, sans doute, l’honneur de la caste militaire kargarlienne prit-il le dessus sur les appétits d’argent et de pouvoir.
Il fallait alors revenir à la lettre du capitaine pour comprendre ce qui s’était passé, car Lincsev ne pouvait le savoir. A ce moment, il était seulement complice d’une violation de domicile.
« J’étais seul chez moi et j’avais encore peine à croire que c’était fini, que de Dronsac était mort, que ma jeunesse était morte pour de bon avec lui. A ce moment, je songeais vraiment au suicide.
« Allais-je me laisser vivoter, dans cet immeuble médiocre, avec ces voisins si ordinaires, sans autre but que de me sentir vieillir ? Il me semblait qu’une mort volontaire était une sortie plus digne de moi. J’entendis alors le loquet de la porte tourner. J’avais déjà mon arme à la main. Je crus que la balle que je me destinais allait finir dans le corps d’un vulgaire cambrioleur. J’attendais, ferme, n’ayant plus rien à perdre.
« Je n’en crus pas mes yeux quand je vis de Dronsac face à moi, bien vivant. Lui non plus ne pensait que je serais prêt à le recevoir !
« Que pensa t-il à ce moment-là ? Crut-il que j’avais prévu son retour ?... Je ne le saurai jamais. J’étais prêt à tirer, j’avais l’avantage du terrain. Il recula et partit en courant. Je voulais éviter le bruit. Non pas pour diminuer mes chances d’être pris. Mais peut-être par déférence pour mes voisins, malgré tout. Ou bien parce que j’aperçus alors, dans son étui en peau de félynx, mon vieux couteau de chasse ? Et que la mort donnée à la lame a plus de saveur que celle crachée d’une arme à feu ?
« Quoiqu’il en soit, je m’emparai de mon arme. De Dronsac remontait vers le sixième, pour revenir sur le toit. Malgré notre âge, nous avions encore du cœur au ventre. Nous étions deux vieux prédateurs, prêts pour leur dernier combat. Sur le toit, je retrouvai mon ennemi, essoufflé. Au-dessus, j’aperçus ce lâche de mitier, qui attendait que le Forgien lui fasse signe de remonter.
« Mais maintenant, il n’osait plus faire descendre son filin, ni s’enfuir.
« L’offficer kargarlien se retourna et tira. Je me jetai à terre. Je frôlais encore la mort. Je répliquais d’un coup de feu, qui toucha à la cuisse. De Dronsac tomba à terre, à nouveau. Mais cette fois, il ne pourrait échapper à son destin. Je tirai mon couteau et m’approchai de lui, lentement, pour qu’il ait le temps de voir venir sa fin.
- Ne t’inquiète pas, Edmond, j’irai vite. Je ne vais pas te dépecer vif, comme nous faisions avec nos ennemis, jadis, quand nous partions en commando…
« Je levai ma lame et lui plantai dans le cœur.
La vieille bête était morte.
Lincsev avait vu. Je pointai mon pistolet vers lui :
- Descends ou je t’abats comme un chien !
« Vert de peur, le mitier accrocha son filin au garde-fou et se laissa descendre.
- Nous voilà amis maintenant toi et moi.
« Il était prêt à faire sous lui. Moi j’étais redevenu le chasseur des plaines glacées. J’avais l’ardeur du vainqueur et la méchanceté de la vieillesse ! »
Résincourt avait alors exigé de Lincsev qu’il l’aide à dissimuler le cadavre.
« Il fallait gagner du temps. Il y avait encore peu de monde, dans l’immeuble, à cette heure-ci. Mais bientôt les hommes rentreraient du travail. Nous aurions pu jeter le corps au bas de l’immeuble, mais il aurait été trop vite retrouvé : il allait y avoir du passage, sous peu, à l’heure de la fermeture des usines et des bureaux. Et sur le toit, on aurait fini par le voir, ce corps, depuis la ruelle du dessus.
« J’eus alors l’idée d’aller le cacher à la cave. Sur le toit, une trappe permettait d’accéder directement à la cage d’ascenseur. Et la cabine descendait à la cave. C’était trop beau.
« Le mitier m’aida à traîner de Dronsac et à le descendre dans la cabine. Puis je me rendais à la cave par l’escalier et de là, j’appelais l’ascenseur. Si quelqu’un l’avait pris à ce moment, j’étais perdu. Mais non : mon colis descendit les six étages. Je sortis le corps et le cachai dans un coin. Personne ne descendrait durant la nuit (on n’allait que rarement à la cave). C’était du temps gagné jusqu’au lendemain.
« Mais, après m’avoir plusieurs fois assisté, le destin se retourna brusquement contre moi. Il décida qu’ADMINISTRATION devait envoyer, le lendemain même, une équipe de dératisation à la cave !
« Je faillis éclater de rire ! Un si dérisoire évènement allait ruiner mes plans ! Quand ni les guerres kargarliennes, ni le froid mortel, ni la traversée de l’océan, ni les intrigues politiques et financières ni deux duels contre de Dronsac n’avaient pu venir à bout de moi, il était écrit que la cause de ma perte seraient deux minables tueurs de cafards !
« Etrangement, je me sentis très calme. J’étais résolu.
« J’avais trop demandé, il fallait payer.
« C’était dans l’ordre des choses. J’avais eu ce que je voulais. Maintenant, on allait tout découvrir et la fin n’aurait aucune classe. Elle allait être à la fois tragique et pitoyable.
« Le lendemain, après la découverte du corps, je savais qu’il me restait peu de temps avant qu’on ne l’identifie et qu’on ne remonte à moi. Je m’en donnais donc à cœur joie, dans le rôle du vieil officier bourru.. Je jouais ma dernière scène, avant de tirer ma révérence. C’était bouffon ! C’était grotesque ! Le vieux cabot et son cadavre !... Et ces pauvres femmes, avec ce corps bouffé par la vermine, en plein milieu de leur petite vie quotidienne tiède et régulière !... Je savais au moins que Lincsev finirait par être appréhendé. Ce lâche ne méritait pas mieux que d’être envoyé au bagne pour complicité d’assassinat. »
*
Novembre, vaguement dégoûté, passa la nuit suivante au cabaret. Il but en écoutant Herbert jouer machinalement et Sonélius se plaindre de la vie. Et en regardant, d’un œil distrait, Linda qui dansait mollement en essayant d’être lascive dans son déshabillage.
Il ne revint chez lui que tôt le matin. Il emprunta la passerelle des Sciapodes, sans doute à la même heure que celle où de Dronsac et Résincourt s’étaient retrouvés.
« A l’heure qu’il est, inspecteur, je vogue vers les Portes d’Airain et je retourne sur ma terre natale, quelques quarante ans après l’avoir quittée. Là-bas, plus personne ne me connaît mais le froid y est toujours aussi rigoureux. D’autres héros ont pris ma place et Kargarl continue sa décadence.
« Mais c’est peut-être le destin d’un homme, de rester jusqu’à sa mort uni à sa patrie, de la fuir pour mieux la retrouver et de l’accompagner, dans la gloire comme dans la déchéance.
Bien à vous,
Capitaine Louis-Wilfried de Résincourt. »
Novembre s’arrêta pour respirer l’air de la lune, chargé des effluves énormes de la cité industrielle des profondeurs et des embruns marins venus de l’immense océan noir.
Et il aperçut l’agitation qui s’emparait de la ville, ce matin, des dizaines de tramway s’ébranlant de leurs carcasses d’acier, des centaines de mitiers se lançant dans le vide suspendus à un fil, des cohortes d’ouvriers partant à l’usine ; des gamins des rues courant sur les poutrelles glissantes au-dessus des gouffres, comme pour défier la mort, des colonies de bêtes sauvages se déplaçant de toits en toits et quelques ballons-taxis, multicolores, véhicules enchantées, prenant leur envol dans la brume vaporeuse qui nimbait Exil et lui donnait son atmosphère de monstrueuse nécropole, à l’apparence de fantôme, et aux entrailles mécaniques.
FIN DU DOCUMENT