18-08-2007, 12:56 PM
(This post was last modified: 18-08-2007, 01:08 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #3<!--/sizec-->
HÔTEL MANIGANCE - DÉPÔT LABYRINTHE<!--/sizec-->
SHC 3 - RUS 1 - IEI 1
HÔTEL MANIGANCE - DÉPÔT LABYRINTHE<!--/sizec-->
SHC 3 - RUS 1 - IEI 1
Madame de Portzamparc laissa son parapluie trempé au groom et serra un peu plus fort le bras de son mari, en entrant dans le hall du Novö-Art.
Le couple retrouva Maréchal, assis sur un des tabourets du bar. Pour lui, la journée commençait.
- Alors, le champion est en forme ?
- On fait aller.
- Qu’est-ce que vous buvez ?
- Une bière pour moi, dit Portzamparc.
- Une eau gazeuse, dit sa femme.
- Pour moi aussi, une eau gazeuse, soupira Maréchal.
- Les enfants, avait dit Novembre en début de journée, nous avons du travail. D’abord l’enquête sur le meurtre de cette femme, près des galeries commerciales. Vraisemblablement, c’est Horo qui l’a égorgée. Reste à comprendre qui a pu embaucher un tueur comme lui. Rampoix et Boncousin, vous continuez sur cette affaire.
« Deuxième point à l’ordre du jour, le tournoi de Manigance. Nous avons un champion dans la place.
Les policiers avaient souri en regardant Portzamparc.
- Tu feras de ton mieux pour garder un œil sur l’hôtel, entre deux parties. Maréchal va t’accompagner, avec Sampieri. Normalement, il devrait y avoir un inspecteur de la brigade des jeux, mais il n’arrivera peut-être que demain. D’ici là, vous serez les maîtres dans la place. Pas de scandale, il y aura des personnalités importantes.
Maréchal avait connu pire comme journée. Il était bon pour faire du gras au bar, pendant que Portzamparc allait bouger les pions et que Sampieri tournerait dans les salles de jeux. Le patron de l’hôtel, Félicien Renard, avait accueilli les deux policiers avec une politesse de majordome, les assurant qu’il avait à sa disposition un service de sécurité efficace, « qui secondera comme vous le désirerez l’action de SÛRETÉ. » Le service en question était dirigé par un ancien sergent de PANDORE.
Maréchal s’était contenté d’un rapide tour du Novö-Art, de la cave aux combles sous les toits. A le suivre, on aurait cru qu’il inspectait les lieux négligemment. En réalité, rien ne lui avait échappé, des sorties de secours, de la disposition des cuisines, de cette salle au fond des caves, où le chef du personnel devait loger des clandestins employés à la semaine, jusqu’aux étages des suites, auxquels on n’accédait qu’avec une clef pour l’ascenseur ou la porte de l’escalier.
Maintenant, l’inspecteur était chez lui, et il pouvait se la couler douce au bar. Il connaissait un peu le serveur, interrogé sur sa passion hippique lors de l’affaire Tourville.
Portzamparc alla faire la queue au bureau d’inscription numéro deux. A côté de lui, il vit Janas Prso, son adversaire au dernier tournoi de Manigance. Il l’avait battu en final. Le vieil homme, aristocrate approchant les quatre-vingt ans, avait perdu avec dignité, après une partie qui avait tenu les participants et les spectateurs en haleine près de quatre heures. Prso sourit à son adversaire, qui aurait pu être son petit-fils. Il avait un visage en longueur ; très grand, mince, dans son costume sobre et d’une élégance indicible, avec une belle chevalière au doigt, et une canne de famille en main. Il avait une voix grave et charmante, qui séduisait facilement l’auditoire :
- A l’aise dans votre nouveau métier ? glissa Prso.
- Très bien, je vous remercie.
Ce petit échange n’avait pas échappé à plusieurs observateurs, qui attendaient de voir les deux hommes s’affronter à nouveau. Ils signèrent en même temps et se serrèrent la main.
Deux flashes crépitèrent. C’était le photographe de la Passerelle, la feuille d’information du quartier. Le journaliste, Jérôme Ficelin, notait sur un carnet, en tirant la langue comme un écolier appliqué. Il était encore jeune, et des plus débrouillards. Il n’avait pas son pareil pour obtenir des interviews importantes, même de personnalités réticentes.
Content de lui, Portzamparc revint au bar et se commanda une autre bière.
- Il est peut-être temps d’arrêter, dit sa femme en lui tirant la manche.
Dans son dos, Maréchal et Sampieri grimaçaient en agitant la main.
- Il faut que tu aies les idées claires. Je te signale que ta première rencontre est en fin d’après-midi. Et tu n’es pas tombé sur un groupe facile.
- Bah, il faut se mettre dans l’ambiance.
- J’ai pris une chambre dans le petit hôtel à côté, expliqua madame de Portzamparc. Ainsi, Jean-François n’aura pas à faire le trajet tous les jours.
Maréchal approuva cette sagesse, de même que le serveur. Portzamparc finit son verre et dit qu’il allait trouver un adversaire pour passer le temps.
- Je me suis occupé de retirer tes jetons, dit sa femme.
- Très bien.
- Je vais les garder, c’est plus prudent. Toi, tu te concentres juste sur ta stratégie.
- Comme tu voudras...
Maréchal haussa les épaules, sans être vue de la femme de son collègue, en faisant signe que c’était ça d’être marié.
Sampieri finit son verre et repartit faire un tour de surveillance. Le couple de Portzamparc repartit, Maréchal se recommanda à boire.
Les poules commencèrent deux heures après. Portzamparc était arrivé à sa table en avance, et répétait quelques coups sur un plateau imaginaire, les mains sur les tempes. Il se plongeait dans l’univers de la Manigance, il ne voyait plus du monde que le plateau, les jetons et les mouvements. Au milieu de ce qui était une salle de tripot élégant, mais tripot quand même, madame de Portzamparc ne se laissait pas impressionner. Elle gardait un port de tête altier et défiait du regard les roublards et les narquois qui la fixaient. Outre la Manigance, on jouait aux jeux de hasard, entre gens du monde : les sommes en jeux étaient appelés à augmenter rapidement dans les jours, dans les heures à venir.
Quand l’adversaire de Portzamparc s’assit en face lui, le policier y prêta à peine attention. Il entendit la voix lointaine de l’arbitre, debout à côté de lui, qui rappelait les règles particulières du jeu appliquées pendant le tournoi. Puis il lança une pièce, la rattrapa et la plaqua sur sa paume :
- Face. Monsieur Adhezy, à vous de choisir.
- Je prends les noirs.
- C’est monsieur de Portzamparc qui a les blancs. A vous donc de commencer.
Jean-François entendit ce signal et joua son premier coup. Il avait déjà sa partie en tête. Il cligna des yeux quand son adversaire, qu’il avait à peine vu au moment de lui serrer la main, fit un coup surprenant. Désarçonné, Portzamparc dut cacher sa nervosité ; il eut une dizaine de coups difficiles, où il recula franchement. Sa femme, assise à côté de lui, devenait nerveuse. Son mari lui fit un petit sourire : tout allait bien.
En retrait, le journaliste Ficelin gribouillait sur son carnet : « P. fait une ouverture autrellienne classique. Mais un doublé-traversé de A. le met en difficulté… »
- Quinzième coup terminé, annonça l’arbitre. Nous marquons une pause.
Portzamparc souffla. Il revenait dans le monde réel. A ce moment, Sampieri faisait lever un homme qui avait des manches dans les cartes. Le service d’ordre l’emmenait brutalement, vers la cave. Au parlophone, Novembre avait dit que le commissariat était plein. Le tricheur allait avoir droit au traitement spécial de la brigade de l’hôtel…
Maréchal, assis près de l’entrée, leva les yeux au ciel, désolé pour lui. L’inspecteur vit Ficelin arriver à lui, suivi de son photographe.
- Un petit mot pour la Passerelle, inspecteur ?
- SÛRETÉ est ici pour veiller à la sécurité du public, pendant ce tournoi. Le détective Sampieri surveille les salles de jeux et moi le hall et la salle de réception.
- Vous savez que le détective de Portzamparc, candidat au tournoi, est en difficulté, au début de sa première rencontre ?
- J’ai confiance en lui. Vous allez voir, il va renverser la situation.
- Il est en service ou pas ?
- Non, il est en congé.
- Vous pensez qu’il peut aller loin ?
- Au moins en finale.
Le photographe s’approcha :
- Allons, une petite photo…
Maréchal cacha sa cigarette et son verre, fit son plus beau sourire et remercia les deux journalistes.
La deuxième manche commença pour Portzamparc. Pendant la pause, il avait eu l’air distrait mais dès le signal de l’arbitre, il était rentré dans le jeu le temps d’un claquement de doigts. Et il avait compris la mentalité de son adversaire. Il renversa la situation et accula bientôt son adversaire à la défaite.
- M. Adhézy, vous avez perdu votre dernier pion. M. de Portzamparc remporte la partie.
Petits applaudissements dans le public. Chaque poule se composait de cinq candidats. Portzamparc en rencontra un deuxième, en début de soirée, au moment où Maréchal finissait son service. Cette fois, le policier eut facilement raison de lui. Il récupéra deux belles colonnes de jetons, de quoi continuer avec une avance confortable.
- Tu m’as fait une frayeur, à la première partie, lui dit sa femme, qui n’avait osé rien dire avant.
- Ne t’inquiète pas, tout est prévu.
- Quelle idée de commencer par perdre ! Ce serait trop simple de gagner dès le début !
- C’est pour tromper l’ennemi…
Fanfaron, Portzamparc alla au bar :
- Allons, un petit whisky pour fêter ça !
Maréchal but aussi, maintenant que son service était fini.
- Monsieur de Portzamparc, une petite photo ?
C’était Ficelin, qui terminait aussi sa journée.
- Avec Madame…
- Ah non !
- Mais si, voyons, ne sois pas timide.
A contrecœur, mais quand même flattée, madame se serra près de son mari. Flash.
- Merci, c’est parfait. Vous serez dans l’édition de demain matin.
Maréchal rentra chez lui à pied, pendant que les Portzamparc allaient à leur hôtel.
Le lendemain, de bonne heure, les deux policiers étaient avec leurs collègues dans le bureau de Novembre.
- Bon, les enfants, nous allons faire le point. Rampoix, à toi, sur la bonne femme.
- Elle s’appelle Marthe Lisander, soixante-deux ans. Elle habitait 24, impasse des Sommes, dans un deux-pièces cuisine. Retraitée, elle a travaillé trente ans dans une mercerie. Casier vierge. Une femme sans histoire. Elle a été retrouvée égorgée dans son salon. Pas de piste pour le moment.
- Il faut découvrir qui a pu embaucher Horo pour l’assassiner, dit Novembre. Et ça presse : des rumeurs disent que ce monstre n’est pas loin. Il aurait été aperçu dans le quartier voisin. Les rumeurs vont bon train. Les gens voient de l’égorgeur de vieille dame partout. Donc j’ai besoin de plus de monde sur cette affaire. Maréchal, comment ça se passe au Novö-Art ?
L’inspecteur se mit à craindre pour son poste privilégié.
- Il y a pas mal de choses à surveiller, à vrai dire. Les salles, les couloirs, les chambres…
- Mouais, fit Novembre, sceptique, je me demande si toi, plus Sampieri, plus Portzamparc, ce n’est pas trop.
- Je ne sais pas, patron. Je dis juste ça pour que SÛRETÉ puisse assurer sa mission.
Il y eut un moment de silence. Novembre réfléchissait. Les collègues firent signe à Maréchal que la situation était tendue pour lui.
- Bon écoute, inspecteur. Sampieri va rester avec nous pour enquêter sur la femme Lisander. Toi, tu retournes à l’hôtel, mais tu feras le boulot tout seul. Tant pis pour toi.
- Tant pis, fit Maréchal, qui fit semblant d’être triste.
- Allez file ! Et ouvre les deux yeux ! Portzamparc, bon courage pour la suite.
- Merci, patron.
- De rien. Plus tu restes dans le tournoi, plus tu peux bosser pour nous, même pendant ton congé de maladie !
Les deux policiers passèrent la porte à tambour de l’hôtel et toisèrent les lieux, comme on arrive en terrain conquis. Maréchal avisait déjà le bar, Portzamparc les tables de jeux. Ils burent un verre pour bien démarrer.
Madame de Portzamparc arriva alors et se fit servir un thé.
- Allons, il va être l’heure. Tu as encore deux matchs aujourd’hui. Il s’agit de ne pas perdre sa concentration.
- Penses-tu !
- Bonne journée, inspecteur.
- Bonne journée, madame.
Maréchal regarda le couple s’éloigner.
- Si tu crois que je ne te vois, à siroter un verre dans mon dos… Et tu entraînes l’inspecteur à boire, alors qu’il est en service…
- C’est pour se mettre en condition, voyons…
La mâtinée coula paresseusement. Maréchal fit quelques tours en sifflotant dans l’hôtel. Il évoluait entre les vieux messieurs propres sur eux, les belles femmes avides de jeux, les passionnés fauchés et les jeunes loups du tapis vert. Il saluait quelques personnes qu’il connaissait de vue.
- Messieurs…
Puis il retournait s’accouder au bar, échangeait quelques banalités avec le serveur, qui nettoyait ses verres avec le dernier sérieux.
- Tiens, c’est l’heure des maquereaux, nota soudain le barman.
Maréchal ne comprit pas. Il se tourna vers l’entrée, et vit arriver quatre clients réguliers du cabaret chez Gino : habillés de leurs chemises à couleurs voyantes, leurs bijoux vulgaires et leurs chaussures trop propres, entraient Riri la Balafre, Jojo les Ratiches, Gros Louis Barre de Fer et Fufu la Carambouille.
- Tiens, mais qui voilà, fit Maréchal, amusé. Alors, on vient s’encanailler, messieurs ?
- Tiens, l’inspecteur Maréchal, quelle surprise ?
Le policier leur rendit un sourire magnifique :
- Vous espérez entrer dans cette salle de jeux, peut-être ?
- Qu’est-ce qui nous en empêcherait ?
- Ecoutez, les enfants, vous n’êtes pas les bienvenus ici. J’ai même l’impression que vous êtes de potentiels gênes pour l’ordre public.
- Quoi, mais on n’a encore rien fait !
Maréchal trouvait ce « encore » délicieux. Il savait qu’il n’y a personne comme un truand pour être à cheval sur ses droits.
- Bon, insolence, bientôt insulte à agent de SÛRETÉ. On va arrêter dès maintenant, les enfants, et vous allez suivre ces messieurs à la « maison ».
Approchaient trois Pandores, qui ricanaient de s’occuper de ces troisièmes couteaux.
- Ca va, on s’en va !
- Messieurs, vous me les emmenez au frais !
- C’est révoltant !
Maréchal fit signe aux Pandores de relâcher les quatre hommes dans la nature. Qu’ils n’y reviennent plus, c’était tout.
Les Pandores jetèrent la bande dehors :
- Allez, les virtuoses, vous dégagez !
Ils rentrèrent, contents d’eux.
- Ah, inspecteur, fit le barman, vous n’avez pas froid aux yeux !
- Allons donc ! Tentative d’invasion ! J’ai repoussé les malandrins !
Maréchal n’était pas mécontent que ces quatre rigolos soient venus égayer sa journée. Il mangea un sandwich distraitement, en refaisant un tour près des tables de jeux. L’ambiance montait doucement, mais ce n’était encore rien en comparaison de ce qui se passerait ce soir.
Dans la salle du tournoi, le silence régnait, comme dans une bibliothèque. On n’entendait que les bruits des pions, et les arbitres qui parlaient à voix basse. A la table 4, Portzamparc gagnait son troisième match. Maréchal lui fit un petit signe d’encouragement. Le détective avait déjà marqué trois points. Il était à égalité dans son groupe.
- Donc rien n’est gagné, disait sa femme, si tu veux sortir premier, et avoir un quart de finale plus tranquille.
- Pas d’inquiétude, j’ai la situation bien en main.
Madame recomptait les jetons : oui, il y avait une petite cagnotte.
De retour au bar, Maréchal bâilla, prêt à attaquer l’après-midi. Il était deux heures et il s’étirait, quand il entendit un grand ramdam du côté des cuisines. Inquiet, il descendit de son tabouret et passa la grande porte, bousculant un maître d’hôtel. Le bruit venait en fait de l’arrière, de la cour aux poubelles.
- Police, place !
Maréchal avait déjà la main sur son arme. Dans les cuisines, la tension montait, car il fallait déjà s’atteler aux plats pour la soirée. L’inspecteur passa en courant et sortit dans la cour.
Il braqua son arme, sur la tempe d’un des habitués de chez Gino. Les quatre truands avaient coincé un pauvre type dans le coin, et Fufu venait de lui asséner un solide coup de couteau.
Maréchal leur ordonna de se mettre face au mur, mains sur la tête. La victime avait pris la lame dans le flanc. Il se tordait de douleur.
Deux Pandores arrivaient.
- Appelez le docteur Jouvet !
Les Pandores aidèrent l’homme à se relever. Il marchait avec difficulté. Le chef-cuisinier arriva et aida à porter l’homme.
- On va le mettre à côté de la chambre froide. On a une pièce là-bas, en attendant que le médecin arrive.
C’est ainsi que la victime se retrouva allongée sur une table d’équarrissage !
- Il va être pas trop mal ici.
- Je souffre, gémit l’homme.
Un des Pandores avait pris ses papiers :
- Auguste Loiseau, trente-sept ans, représentant de commerce…
Dans l’impasse, Maréchal passait les menottes à Fufu, pendant que le Pandore attachait les trois autres avec une corde.
- Les enfants, vous êtes bons pour le château. Je vous avais bien dit de dégager d’ici ! Il vous a fait quoi ce type ?
- C’est Horo ! Le salopard ! Horo le tueur !
- Allons, allons…
Les truands qui veulent jouer les auxiliaires de police, et avec du zèle, ce n’était pas bon du tout.
- Qu’est-ce qui vous fait croire ça ?
- On l’a vû rôder, du côté de chez Gino. Et dans les galeries, près d’où la bonne femme s’est fait suriner ! Et il tourne du côté de la Platz… Et des gens ont dit qu’ils ont vu Horo là-bas…
- Oh, c’est bien confus, votre histoire. Si vous commencez à poignarder les gens sur des soupçons de ce genre, il vaut mieux que vous alliez au frais quelques années. Allez, emmenez-les.
Maréchal rentra voir la victime. Allongé sur sa table de boucher, il recevait les soins du médecin de quartier, Edmond Jouvet.
- Inspecteur, comment allez-vous ?
- Docteur…
Jouvet finissait une injection de morphine. Il avait fait un bandage provisoire.
- Il faut l’emmener à l’hôpital.
- Je peux lui parler une minute ?
- Bien sûr.
- Vous vous appelez Loiseau, représentant de commerce, donc…
Maréchal vérifiait ses papiers. Les Pandores avaient ouvert sa valise : à l’intérieur, des produits de nettoyage ménager.
- C’est ce que je vends.
- Oui. Vous savez que vos agresseurs portent contre vous les accusations les plus graves, monsieur Loiseau !
Le représentant de commerce jura ne pas les connaître. Maréchal l’inspectait : il n’avait pas une carrure de tueur impitoyable. Il le laissa partir à l’hôpital.
- Vous viendrez déposer votre plainte dès que vous pourrez.
- J’y compte bien !
Maréchal refit un tour dans l’impasse, que gardait un Pandore. Il repassa par les cuisines et ne put résister : il chipa une part de gâteau, comme un sale gosse, et la mit entière dans sa bouche. Il passa en vitesse les cuisines.
Le chef, un sanguin, s’aperçut du vol, et enguirlanda comme du poisson pourri un marmiton, rouquin avec des chicots, qui ne sut que dire pour sa défense. L’inspecteur ricana, content de lui.
De retour dans la salle, il vit que son collègue de la brigade des jeux était arrivé. Il lui serra la main.
- Non, rien de grave. Un tricheur arrêté hier.
- Et dans l’impasse ?
- Une bagarre. Les coupables sont connus. Ils sont déjà au commissariat.
Les deux policiers burent un verre, pendant que de Portzamparc finissait difficilement son quatrième match. Il avait perdu beaucoup d’argent. Mais avec quatre points, il terminait premier de sa poule.
- En quart de finale, ton adversaire n’est pas une grosse pointure, mais nous n’avons plus trop de jetons. Il va falloir gagner, mais surtout gagner largement.
- Pas de souci. Je sens que la chance va remonter demain.
Maréchal reprit son poste d’observation, accoudé au comptoir luisant. Il se sentait comme à bord d’un paquebot de luxe, cet hôtel qui semblait à part, si clinquant, si brillant, dans le quartier terne de Magött Platz. Les gens qui venaient jouer payaient pour un peu de rêve et d’illusions, comme pour une croisière de luxe.
Ficelin et son photographe allaient d’une salle à l’autre, s’arrêtaient à une table pour boire un verre, et repartaient pour ne pas perdre une miette des matchs. Ils s’arrêtaient pour parlophoner à la rédaction, en gardant un œil sur la salle :
- … Adhézy éliminé, avec aucun point. Portzamparc termine premier, avec quatre points. Dans le groupe numéro cinq…
L’après-midi était bien avancée quand Maréchal vit entrer, par le grand tambour, le petit chauve amnésique, Kaupang Vilnius ! Les yeux hagards, perdu comme un papillon dans un magasin de luminaires, il marcha, buta contre un groom, et se dirigea vers les tapis verts. Maréchal le suivit : Vilnius se contenta de déambuler entre les tables, de jeter un œil à l’une ou l’autre partie, sans prendre part à aucune.
Puis il revint dans le hall et appela l’ascenseur. Maréchal était presque sûr qu’il ne se sentait pas suivi, pourtant à sa place, n’importe qui aurait repéré le policier !
Maréchal laissa Vilnius partir et regarda à quel étage le voyant s’arrêtait. Au quatrième.
En vitesse, l’inspecteur entra dans l’autre cabine et monta. Quand la porte s’ouvrit, il entendit des pas de course sur l’épaisse moquette, dans le couloir silencieux. Il courut, tourna, et vit le chauve, tombé à terre, qui n’arrivait pas à crier, en désignant le bout du couloir.
- Il est parti par là ?
L’inspecteur courut et tourna encore : plus personne.
Vilnius s’était relevé.
- Qu’est-ce qui s’est passé ?
- J’ai entendu du bruit, derrière moi. Un grand type m’a sauté dessus. Il a failli me poignarder ! On a alors entendu l’ascenseur s’ouvrir. Il s’est enfui, juste avant votre arrivée.
Maréchal essaya de se faire décrire l’agresseur. Le chauve ne l’avait presque pas vu. Grand, chauve, carrure imposante.
- Vous êtes sûr de vous ? Je n’ai vu personne.
- Si, si, je vous dis…
- Ce n’est pas la première fois que vous croyez qu’on en veut à votre vie…
- Je vous assure, inspecteur !
Ce Vilnius ne paraissait pas entièrement intégré à la réalité. Son regard, son attitude, le ton de sa voix. Il semblait avoir un pied dans un autre monde, plus fantasmatique, où vos rêves se réalisent.
- A propos, vous avez vos papiers ?
- Oui, tenez.
Maréchal les feuilleta : il faillit rire. Ils étaient faux, grossièrement faux !
- C’est votre petit neveu qui les a fabriqués à l’école ?
- Quoi ?
- Vilnius, Kaupang, artisan. C’est vous ?
- Hé bien, oui, je suppose, si c’est marqué.
- Vous ne vous en souvenez pas ?
- Non !
- Ces papiers sont faux, monsieur « Vilnius ». Qui les a faits ?
- Je n’en sais rien.
Il se sentait agressé. Ce retour à la réalité lui était pénible.
- Ecoutez, votre histoire devient étrange. Vous allez retourner au commissariat, et nous raconter plus en détail votre vie, d’accord ? Vous allez partir avec un homme de Pandore, hein, bien gentiment…
La description de son agresseur pouvait correspondre à Horo, mais elle était suffisamment vague pour qu’on ait des doutes.
Vilnius, docile, se laissa conduire dans les locaux de SÛRETÉ.
Maréchal ne pensait pas qu’il arrêterait autant de monde ! Cet hôtel était mal fréquenté !
Il reçut un appel agacé de Novembre :
- Tu arrêtes de m’envoyer du monde ! J’avais dit qu’on affiche déjà complet !
- Désolé, patron, mais là, il fallait… Ca doit être la pleine Forge ce soir, les truands sont excités comme tout !
- C’est ça. Bon, il est arrivé, le type des jeux ?
- Oui.
- Alors fini de tirer au flanc sur les tapis brodés, tu rentres au commissariat. Avec le monde qu’il y a, on va avoir besoin de toi. Ce sont tes « clients », après tout !
- Entendu…
Maréchal passa voir les Portzamparc, pour leur souhaiter une bonne fin de soirée.
- Moi je rentre.
- Ah, pas de chance. L’inspecteur Novembre a fini par sévir.
- Les cellules sont pleines.
- Alors bon courage. J’ai terminé mes deux parties, donc maintenant je vais pouvoir jeter un œil sur l’hôtel.
- Ca nous aidera bien, dit Maréchal.
- Tu devrais quand même te reposer. Je te rappelle que tu es convalescent, normalement.
- Rien de tel que le boulot pour oublier ses malheurs !
Portzamparc mangea un morceau avec sa femme.
- Attends-moi au salon de thé, par exemple. Je vais aller faire un tour.
- Si tu veux. J’ai un pull à finir pour ma nièce.
- Très bien.
A suivre…