13-10-2007, 06:32 PM
(This post was last modified: 13-10-2007, 06:40 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #4<!--sizec--><!--/sizec-->
Deux jours plus tard, de bon matin, le travail reprenait. On discutait autour d’un café, dans le bureau des détectives, ou devant les casiers postaux.
- Alors ces deux jours d’astreintes ?
- Sans histoire, dit Sampieri. J’ai fait descendre la pile de dossiers, c’est à n’y pas croire ! Le boulot que j’ai abattu !
Dans son dos, Priscilla, la secrétaire, en ramenait une pile aussi haute, et Sampieri était le seul à ne pas le voir.
- Peut-être, dit Rampoix en riant, qu’ADMINISTRATION a décidé de t’oublier un peu.
- J’espère bien !
Et on entendit sa longue plainte quand il découvrit ce qui l’attendait. Ses collègues éclatèrent de rire.
Portzamparc arriva, salua, et retira le courrier de son casier.
- Alors, cette fin de semaine ?
- Très bien. Ma femme était heureuse de m’avoir à la maison pour faire des courses et du déménagement.
Dans son casier, quelques habituels prospectus pour des marchands d’armes à feu et des syndicats de SÛRETÉ. Et une enveloppe en papier cartonné, avec son seul nom marqué dessus.
Intrigué, le détective se mit à son bureau et l’ouvrit. A l’intérieur, un lettre de papier fin, avec un liseré violet et un linéaire presque invisible. Et un message composé de lettres découpées dans le journal.
« DETECTIVE,
L’INCONNU MENACE LE MANOIR W.
LE COMTE EST EN DANGER.
VENEZ, C’EST UNE QUESTION DE VIE OU DE MORT.
BIEN A VOUS. »
Portzamparc se gratta la tête.
Manoir W ?... Dans le quartier, il ne connaissait que la maison Whispermoor. Le grand manoir dans les hauteurs de Mägott Platz. On s’adressait à lui, entre tous les policiers, parce qu’il avait certaines relations dans la « haute », héritées de son extraction de noblesse Autrellienne. Et fréquenter le monde de la Manigance l’aidait à entretenir ces bons contacts.
Il remit la lettre dans l’enveloppe.
Il se sentait inquiet. C’est à lui et lui seul qu’on adressait cet appel à l’aide. Les lettres anonymes étaient monnaie courante au commissariat. Peut-être un domestique du manoir…
- Alors, tu en fais une tête, dit Sampieri, qui, à son bureau, disparaissait derrière les chemises pleines de papiers. C’est moi qui pourrais tirer la tronche !
- Oui bien sûr, dit Portzamparc, songeur.
- Un souci ?
- Pas grand’chose… Tu sais, je repensais à Horo, ces choses-là…
- Ne te bile pas ! Horo ne t’embêtera plus…
- Non, bien sûr… Ce type qui passait à travers les murs…
Sampieri se remit au travail, sans écouter.
Sur Horo, Portzamparc était resté un incompris. Seul Maréchal pouvait confirmer que le tueur avait un pouvoir « surnaturel ». Mais c’était stupide de repenser à Horo maintenant ! Ce n’était plus la question !
Tout de même, il y avait cette mention de « l’inconnu »…
Le détective alla frapper au bureau de Novembre.
- …’trez !
Il poussa la porte grinçante (Novembre refusait qu’on la huile ou qu’on la change : c’était clair, net et sans appel. C’était une des histoires du commissariat : la fameuse porte de l’inspecteur-chef...).
Portzamparc s’assit sur le deuxième siège. A côté de lui, Maréchal finissait de recevoir ses instructions.
- Donc, avant tout, concluait Novembre, les rassurer et leur dire que la situation est sûre. Ceux qui se sont attaqués à la Pham’Velker ne nuiront plus.
- Entendu.
Maréchal mit son chapeau et partit. Il en avait pour l’après-midi à battre le pavé.
- Alors, qu’est-ce qui t’amène ?
- Bah, je ne sais pas bien, inspecteur, un souci…
Il montra la lettre anonyme à son supérieur, qui la lut d’un coup d’œil, hésita et dit :
- Le manoir Whispermoor, hein…
Il s’alluma la cigarette de la réflexion.
- Ecoute, tu peux aller y faire un tour. Cela ne coûte rien. Tu leur diras que tu viens pour les rassurer, après la banque. Comme Maréchal avec les commerçants. Juste une visite de routine.
- Entendu.
- Sois prudent. Tu vas dans le beau monde. Je sais que tu connais, donc tu es tout désigné pour ça. Mais fais attention où tu marches.
- Je serai prudent.
- Ne leur cause aucune inquiétude. Dis seulement que tu viens confirmer que le quartier n’a jamais été aussi sûr, que les malfaiteurs ont tous été appréhendés …
- D’accord.
- Bon, file, j’ai encore de la paperasse à finir.
Priscilla entrait à ce moment, les bras chargés. Novembre alluma la cigarette du boulot pénible.
Portzamparc mit son manteau et partit au relais de ballons-taxis.
*
- Bonjour, messieurs-dames.
Maréchal poussait la porte d’un premier troquet.
Il avait sa tête des bons jours. Le patron, connaisseur, sentit d’entrée de jeu que l’inspecteur ne venait pas vérifier sa licence de débit de boissons.
- Qu’est-ce qu’on peut vous servir ?
- Un demi.
Maréchal s’assit au tabouret du comptoir. Il n’était pas de ces gens qui respirent la joie de vivre. Mais si quelqu’un va bien, il a autour de lui une sorte de vibration bénéfique, qui se communique à l’assistance, surtout dans un bistrot.
- Tout va bien, ici ?
- Ma foi…
Quatre ou cinq clients aux tables, qui jouaient au carte ou regardaient, les yeux pleins d’alcool, le vaste monde devant eux, fixement.
- Nous à SÛRETÉ, les choses vont bien. On a eu la bande qui a fait le casse, il y a quatre jours.
Maréchal avait élevé la voix. Le message était passé.
- Bon, je ne vais pas m’attarder. J’ai encore du travail. Je vous dois combien ?
- Laissez…
L’inspecteur ressortit, rue des Monômes, au cœur des galeries Dédale.
La prochaine boutique était une mercerie. Puis un modiste. Et un nouveau bistrot.
« Etre payé pour ça… »
- Heureusement que vous veillez si bien sur nous, lui dit la mercière.
- J’espère, fit la modiste, qu’ils vont en prendre jusqu’à la fin de leurs jours.
- Qu’ils aillent finir pendus au Château, ajouta une cliente.
Ah, les braves gens…
Maréchal ressortit, alla boire un verre, encore sur le compte de la maison. Après quelques heures de ce travail harassant, il fit un crochet par la rue du canal bleu, et entra dans une boutique d’horlogerie.
Le patron, derrière son comptoir, dans sa petite boutique encombrée de pendules qui tiquaient en cadence, l’accueillit, raide et disponible.
- Monsieur…
- Bonjour, je viens pour ma montre.
Maréchal sortit le précieux objet. L’horloger hocha la tête, pour signifier que c’était un beau modèle.
L’inspecteur lui tendit doucement. Il lui en coûtait de la confier à d’autres mains.
- Voyons…
L’horloger mit son œil grossissant et l’examina.
- Elle marche parfaitement, fit Maréchal, avec bien moins d’assurance que s’il parlait en tant que policier. Seulement… Je suis un peu intrigué par ses particularités.
- Oui, de toute évidence, c’est un modèle qui a été modifié. Voyez, dit-il, normalement ce premier cadran indique bien l’heure, mais celui-ci est généralement un altimètre et celui-ci un hygromètre. Or, là, nous avons trois cadrans pour l’heure. Attendez, je vais vous montrer le modèle original, je vois très bien duquel il s’agit…
Il alla dans sa réserve.
Il faisait si calme ici. La vie devait être réglée, sans imprévu. Juste ces beaux tic-tac, réglés comme du papier à musique.
Le patron revint avec une montre d’apparence identique. Sur celle-ci, les cadrans étaient d’origine :
- Voyez, je vous disais l’altitude et l’humidité. C’est bien cela.
Maréchal l’examina. Les trois groupes de lettres ne se trouvaient pas sur l’original.
- Si vous le voulez, je peux l’examiner de plus près. Je peux étudier son mécanisme. Il me faudra un peu de temps pour la démonter et la remettre…
C’est comme s’il avait dit : « pour l’autopsier et la recoudre » !
- Je ne sais pas trop…
- Si vous voulez vous plaindre au vendeur…
- Non, pas vraiment, dit Maréchal. C’est un cadeau. Mais je suis intrigué.
- Voulez-vous me la laisser jusqu’à demain ?
Nerveux, l’inspecteur accepta. Comme s’il confiait pour un soir son gosse à un inconnu !
- Je vous la ferai livrer à votre bureau, demain.
- Entendu.
- Si jamais il y avait le moindre problème après mon intervention, les réparations seraient bien sûr –
- Ecoutez, je vous fais confiance.
Maréchal remercia et partit, avant de changer d’avis !
*
Le pilote renifla très fort, au point que sa grosse et large moustache faillit lui rentrer dans le nez. Il mit ses lunettes d’aviateur et alluma la flamme sous la toile.
- Alors, chef, où qu’on va ?
Portzamparc s’était assis à l’arrière et rabattait sur lui la grosse couverture rapiécée qui sentait la bête. Le slourt domestique du pilote, avec sa grosse dent qui dépassait de sa petite bouche, était pendu par les bras à une des ficelles.
- Manoir Whispermoor, s’il vous plaît.
- C’est parti !
Les grosses hélices se mirent à tourner, pendant que le ballon-taxi s’élevait en tremblant, comme s’il allait se disloquer.
- Avec Théodule Corben, chef, on arrive partout sans peine !
L’engin prit de l’altitude et passa au-dessus des bâtiments de Mägott Platz.
Le ciel était un endroit plus encombré que ne l’imaginaient la plupart des piétons d’Exil.
- Tiens ta droite, imbécile !... Va donc, hé papa ! Tu l’as eu où ton permis de pilotage ?... Et le code de la navigation, c’est pour les Kargarliens !
Au couloir aérien d’au-dessus, à moitié pris dans un nuage, Portzamparc aperçut un lourd zeppelin, aux couleurs de la banque Pham’Velker.
- ‘Doivent encore bien s’amuser là-haut ! grogna Corben. Des richards avec des vedettes de théâtre et le gratin et tout, qui s’amusent à bâfrer pendant que les gens bossent !
La conduite de Corben ne manquait pas d’audace, mais Portzamparc fut vite rendu.
- Comme je dis toujours, le compteur a moins le temps de tourner !
Le ballon-taxi allait atterrir.
Le décor avait complètement changé. On aurait pu se croire dans le quartier de la rue Verte. Presque pas un bruit. L’air dégagé. Pas d’acier apparent. Que de la vieille pierre et des beaux pavés aux formes régulières, dans des grandes rues. Quelques voitures à cheval. Des demeures grillagées frappées de blasons familiaux, des arbres centenaires sur des chemins de gravier.
Le boulevard du Clocher, qui descendait d’ici à l’hôtel Novö-Art, et l’avenue Grand-Sire vers la Platz.
Le ballon-taxi plana au-dessus du quartier, passa la grille du domaine Whispermoor. Etonné, Portzamparc se leva.
- Pas d’inquiétude, chef !
Le policier vit alors que le vaste manoir disposait d’une plateforme spécialement prévue pour les atterrissages !
Corben se posa en douceur.
- Je vous attends ici ?
- Oui, si vous pouvez…
- Aucun problème. Je vais aller boire un coup à la cuisine.
Comme il faisait calme ici ! Portzamparc ne pensait déjà plus à Corben. L’endroit respirait la quiétude. Mais pas la quiétude bourgeoise, de ces demeures de gros négociants qui ont réussi.
Non. Une quiétude immémoriale, indiscutable. Evidente…
Le détective sonna à la grille. Le clairon retentit dans l’air serein.
On ouvrit : un domestique amidonné, gonflant sa poitrine protégée par un plastron, avec son grand nez pointant presque vers le plafond.
- Bonjour. SÛRETÉ. J’aurais souhaité m’entretenir avec monsieur le comte.
- Puis-je voir votre plaque ? répondit le domestique sans sourciller.
Il n’y avait bien qu’ici qu’on pouvait poser cette question, et avec un tel aplomb ! Dans un hôtel meublé comme le Négresco ou le Charivari, Portzamparc aurait été en droit de défoncer la porte, pour engager la discussion !
Mais, en ces lieux, il montra son insigne, qui semblait briller plus fort.
- Bien. Si vous voulez me suivre.
Un parquet ciré. Un grand escalier marmoréen. Le regard sévère des tableaux de famille. Le pas feutré de domestiques, dans les couloirs.
Le majordome amena Portzamparc dans un petit salon.
- Monsieur veut-il un rafraîchissement ?
- Volontiers.
Le domestique amena une bouteille d’eau minérale et ressortit. De l’eau de source… Elle était hors de prix sur Exil.
De Portzamparc la dégusta comme un alcool de luxe.
On entendit alors, venant du vestibule, des bruits de talons. On reconnaissait aussitôt le pas d’une femme en colère.
- Oui, Norbert ! Je sors ! C’est ainsi ! Je vais voir mes amis !
- Mademoiselle !...
- Vous direz à mon père que… Vous direz ce que vous voulez !
Norbert revint, déjà moins raide, plus échauffé. Portzamparc ne put s’empêcher de dire :
- Ah, la jeunesse !...
Déjà, le majordome se reprenait. Il n’était pas convenant d’avoir ainsi cédé à ses émotions. Mais avec Mademoiselle…
- Si vous voulez me suivre, monsieur le comte va vous recevoir…