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Dossier #4 : L'Inconnu dans le manoir
#9

DOSSIER #4<!--sizec--><!--/sizec-->
Venceslas de Whispermoor régnait sur son domaine depuis bientôt quarante ans. Il était jeune lorsque son père était mort d’une chute de cheval. Avant même l’âge de sa majorité, il avait vu lui tomber sur les épaules de lourdes responsabilités. Il n’avait pu profiter de sa jeunesse. Il avait été obligé de devenir un homme. Quand son père, lors de leurs randonnées, lui disait « un jour mon fils, tout ceci sera à toi », Venceslas n’imaginait pas à quel point ce jour arriverait vite.

D’abord aidé par les conseillers de feu son père, il avait rapidement pris en main la plupart des affaires de son domaine, et il s’était bâti une réputation de dureté qui forçait le respect et la crainte. Il s’était marié, mais sa femme était morte jeune, après lui avoir donné deux enfants. Depuis, il avait eu quelques aventures passagères, mais il passait pour très misogyne, estimant que les femmes étaient surtout une occasion d’attachement et d’embarras continuels.
Au sein de la grande famille de Whispermoor, il occupait une position difficile : il était le citoyen le plus important de Mägott Platz, mais précisément ce quartier était le plus pauvre et le plus petit de ceux où vécût jamais un Whispermoor. Il était le dernier dans sa famille, et il devait sans cesse se surpasser pour se montrer digne de son rang. Ses cousins habitant la rue Verte vivaient dans l’abondance et la frivolité. Venceslas était certes riche, mais il ne roulait pas sur l’or. Il vivait d’ailleurs dans l’austérité, n’ayant jamais vraiment quitté ses habits de deuil.
Au point que certains expliquaient son rejet des femmes par une fidélité à sa femme, même au-delà de sa mort, ses sarcasmes contre le sexe faible lui servant en réalité à dissimuler que rien ne pourrait le consoler de la perte de son épouse bien-aimée.
Dans son clan, on lui reprochait de vivre chichement. Il n’étalait pas ses richesses, n’offrait pas de somptueuses fêtes, ne dépensait pas des fortunes pour des projets insensés. On lui trouvait une mentalité de grand bourgeois austère. A demi-mot, il accusait l’aristocratie d’être décadente, enivré de plaisirs, ayant oublié son devoir de servir la cité.
- Les querelles amoureuses et les intrigues ont remplacé la stratégie et l’entraînement martial, disait souvent Venceslas. La cité lunaire a-t-elle besoin de gras courtisans pour se défendre contre ces barbares de Forge ?...
Financièrement, et même s’il lui aurait été impossible de l’admettre, la famille Whispermoor était liée à la corpole de la famille Pham’Velker. Et ce lien, pour ne pas dire cette dépendance, s’était accru ces dernières décennies.
- Nous festoyons, alors que nous courons à la ruine, disait Venceslas.
- Vous raisonnez comme ces banquiers, mon cousin !
- Le jour où ils viendront emporter nos meubles pour se rembourser !...
- … nous les recevrons à coups de fusils et de rapières !
- La belle guerre, que de se battre contre des clercs de banque et des huissiers !

De plus en plus isolé ces dix dernières années, Venceslas avait subi de plein fouet une crise financière ayant frappé sa famille. Il sentait peu à peu l’étau de la Pham’Velker se resserrer autour de lui. Ce n’était pas des appuis politiques à Mägott Platz qui auraient pu l’aider à grand’chose. La Banque avait atteint une telle puissance dans ce quartier que la plupart des industries, des manufactures aux commerçants en passant par certains syndicats, étaient devenus soit ses créanciers, soit ses partenaires d’affaire.
Depuis son balcon, le comte Venceslas avait une vue plongeante sur le gros cube d’acier de la Banque du quartier, forteresse de l’Argent et de l’Epargne.
- Un jour, Norbert, ils placeront ce quartier en liquidation, et revendront l’acier de nos passerelles au prix de gros !
- Monsieur le comte est bien pessimiste…

Grâce à leurs bonnes relations, les plus riches seigneurs de Whispermoor obtenaient des délais, des arrangements avec la Pham’Velker, mais Venceslas n’eut droit à aucun traitement de faveur. Les nobles dédaignant de se salir les mains à gérer de l’argent, ils s’étaient peu à peu dépossédés de la maîtrise de leur fortune. Venceslas l’avait admis très tard, mais encore était-il le premier parmi sa famille !
- Demain, ces bourgeois avides rachéteront nos murs à un vil prix, et nous laisserons une petite dépendance pour festoyer avec de la soupe de poussière, et nous ressouvenir de notre passé glorieux. Pendant qu’ils spéculeront sur nos terrains !
- Monsieur le comte voit trop les choses en noir…
- Toi, Norbert, ils te remplaceront par des androïdes, qu’ils graisseront et remonteront, comme des pendules, une fois l’an…
- Oh, monsieur !

Deux maintenant deux ans, la Banque était devenue de plus en plus pressante. Elle prenait de moins en moins de gants pour rappeler le comte a ses dettes.
- Messieurs, vous êtes des rustres…
- Monsieur le comte, nous sommes juste vos créanciers.
- Financez donc l’effort de guerre contre Forge, au lieu de ruiner vos compatriotes au sang bleu !
- Si nous oubliions ceux qui ont des dettes, monsieur le comte, nous pourrions aussi bien mettre la clef sous la porte dès demain…
Mais Venceslas de Whispermoor, qui atteignait les soixante ans, ne l’entendait pas de cette oreille. Puisque la Pham’Velker voulait la guerre, elle l’aurait !
Semaine après semaine, le comte recevait les émissaires de la corpole. On lui avait bien proposé les services d’un conseiller financier, pour trouver une solution à l’amiable. Ses cousins s’étaient adjoints les services, coûteux, de ces spécialistes. Venceslas avait refusé tout net.
- Depuis quand aurais-je besoin d’un laquais pour me dicter ma conduite ? Mon cher cousin, comment pouvez-vous prêter l’oreille à une telle personne ?
- Mon cher cousin, comment pouvez-vous prétendre administrer seul vos biens ? Qu’en penserait monsieur votre père ?
- Monsieur mon père, c'est-à-dire votre oncle, dirait, et vous le savez pertinemment, qu’un Whispermoor se défend bec et ongles jusqu’à ses dernières forces !

*

Ceci, Jean-François de Portzamparc le savait dans les grandes lignes, en entrant dans le bureau du comte. Le vieux Venceslas était dans son siège. Il jeta un coup d’œil au détective, et cela lui suffisait pour se faire un avis sur lui.
- Asseyez-vous, monsieur le policier. Que me vaut l’honneur de votre visite ?
La conversation qui suivrait serait de pure forme, car le comte avait déjà presque tout deviné. Le détective alla à l’essentiel : il venait prévenir le comte que la situation s’était calmée dans le quartier. Les braqueurs de banque s’étaient fait attraper.
Qu’on vienne trouer le coffre de la grosse corpole, ce n’était à la limite pas pour déplaire au comte. Tant pis si ce braquage mettrait la Banque encore plus à cran !
- Vous me voyez ravi d’apprendre que SÛRETÉ assure la sécurité de ses concitoyens.
- S’il y avait le moindre problème, monsieur le comte, soyez certain que nous viendrions à votre aide.
- Je vous remercie de votre sollicitude, détective.
Difficile de savoir s’il était sincère en disant cela, ou s’il ne suggérait pas aussi : « Allons, jeune blanc-bec, si tu me disais pour quelle raison tu es venu me voir ! »
- Je ne voudrais pas retenir un fonctionnaire de police inutilement, fit Whispermoor.
De Portzamparc salua et se retira. Il redescendit. Alors que Norbert lui redonnait son manteau, la fille du comte revint comme elle était partie : en trombe.
- Ah, mademoiselle !
Par la porte ouverte sur le parc, le détective aperçut une grosse voiture automobile, garée dans la rue, qui redémarrait. C’était un véhicule encore rare sur la Lune : haut comme un homme, long de presque trois mètres, fonctionnant au charbon, c’était, disait-on, le transport de l’avenir, destiné à remplacer les voitures à cheval et le tram. Pour le moment, cela restait une lubie de jeunes gens riches.

Norbert fit les présentations :
- Lucie de Whispermoor, fille de monsieur le comte. Mademoiselle, monsieur de Portzamparc, de SÛRETÉ.
Avant d’aller voir le comte, le détective avait fait le tour du manoir. Il avait croisé le fils cadet du comte, Maximilien, âgé de quinze ans. C’était un adolescent visiblement sanguin, épris de poésie et de romans d’aventure. Il passait des heures, selon Norbert, à lire et écrire dans sa chambre. Il désespérait son père par son manque de sens des réalités.
- Il y a cent ans, disait le vieux comte, tu aurais pu passer ton temps à lire ces fariboles. Aujourd’hui, il est plus important de connaître le cours de la velle et le prix du charbon, mon fils ! Ta sœur, au moins…
- Mais père, comment peut-on vivre sans ce magnifique et pur esprit qu’est Castelluisand ! « Dressez-vous, tonnerres tant voulus !... »
- Tu iras scander tes vers à la Pham’Velker ! Sans doute qu’ils t’accorderont un prêt les yeux fermés !
- Oh, papa…

Sa sœur, justement, âgé de vingt ans, était plus à l’image de son père. Elle suivait des études pour devenir avocat d’affaire. Elle avait intégré l’une des plus prestigieuses écoles de droit d’Exil. Elle avait de l’autorité et de la poigne.
- Entre nous soit dit, avait soufflé Norbert, monsieur le comte en fait exprès de traiter sa fille à la dure, comme si elle était encore une gamine. Mais c’est qu’il se fait un sang d’encre. Sera-t-elle à la hauteur, lorsqu’elle héritera du domaine ?

- Enchantée, mademoiselle.
- De même, monsieur le policier… Dites-moi, Norbert, mon père est-il là ?
- Je m’entretenais justement avec lui, fit le détective.
- Quelque chose de grave ?
- Non, du tout. Au contraire, je venais l’assurer que le quartier était calme. Et ici, tout est calme aussi, me semble-t-il…
- Trop calme ! Mon père vit comme un ermite ! Il reçoit trop peu. Il ne veut pas connaître mes amis. Il trouve que je devrais passer ma journée à étudier, recluse dans mes appartements… Tant que je n’aurai pas mes diplômes, il me prendra pour une gamine. Les diplômes, les diplômes…
- Je suis sûr, dit le détective, que votre père est un homme sage, et qu’il veut le meilleur pour ses enfants. Les diplômes sont l’assurance pour lui que vous serez digne de lui…
- Il exagère, il est si vieux jeu. Comme si l’on ne pouvait être adulte sans un bout de papier décoré d’une palme !
On entendit tomber de l’étage la voix du fils :
- Lucie ! Tu es là ?...
- Oui !
- Viens, il faut que je te récite un poème absolument fabuleux !…
- J’y vais. Il a trop besoin de moi, le pauvre enfant.
De Portzamparc sourit et lui souhaita bonne journée. Il trouvait cette première prise de contact très instructive. Il se dirigea vers la plateforme du ballon-taxi. L’apercevant, Théodule Corben quitta la table des domestiques, où l’on faisait bombance depuis son arrivée.
- Ah, heureusement que le personnel sait s’amuser dans cette maison ! disait le pilote. Parce que s’il fallait compter sur ses occupants…

L’engin décolla et repartit vers le pays des merveilleux fous volants.

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