03-11-2007, 05:39 PM
(This post was last modified: 03-11-2007, 06:02 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #4<!--sizec--><!--/sizec-->
Une heure et demie plus tard, Portzamparc montait l’escalier grinçant du bâtiment abandonné. Plusieurs fenêtres étaient condamnées. Le sol était recouvert de poussière, de détritus, de vieux papiers. Il faisait humide. L’endroit était desespérant au possible, et assez inquiétant. Murs nus, guichets déserts, carrelage défoncé… Le détective soupira, s’assit, s’enveloppa dans sa couverture. Sa femme était venue d’urgence, au commissariat, lui apporter un panier-repas pour passer la nuit, avec une goutte d’alcool. Sans oublier le café préparé par Novembre lui-même. Le détective se sentait à la fois soutenu, et bien seul.
Il avait interdiction de faire de la lumière.
Savait-il exactement ce qu’il cherchait ? Le lendemain, Radik devait venir. Les négociations seraient cruciales. C’est ce qu’à demi-mot, Lucie avait dit à Portzamparc. La Banque ne voulait plus attendre Tenterait-on, dans la nuit, d’empoisonner les Whispermoor ?
Pendant deux heures, Portzamparc fut attentif. Puis il sentit venir le coup de fatigue. Son corps s’engourdissait et se refroidissait. Pour lui, il était l’heure de dormir. Mais le détective devait lutter. Il but du café, avec une goutte d’alcool. Le parc était noir. Le jardinier, Bruneron, avait fini de ranger son matériel. Il ne restait plus que de la lumière au pavillon des domestiques. Les nobles s’étaient mis au lit.
Ah non, la chambre de Maximilien était encore éclairée. Il devait se réciter des vers, ou bien en écrire, en profitant de l’inspiration donnée par les Muses de la nuit…
Parfois, Portzamparc entendait des bruits dans la gare : peut-être des rats, un coup de vent poussiéreux… Le devoir professionnel le tenait, autant éveillé que la crainte de se trouver seul face à des vagabonds. Il en rôdait, dans le coin. Des bandes venues d’ailleurs, qui logeaient où elles pouvaient.
*
Maréchal s’apprêtait à passer une bonne nuit de sommeil. Penser à son collègue qui n’allait pas fermer l’œil jusqu’au jour, le mettait à ses aises. Il était content de sa journée. Il avait remis l’enquête sur les bons rails.
Il n’avait même pas envie de boire.
Il avait jeté un œil à sa montre, mais rapidement, sans s’inquiéter. L’aiguille SHC était redescendue de 5 à 2. Il prenait cela pour un signe favorable.
Il mangea copieusement. Il se sentait remis, maintenant. D’attaque pour repartir le lendemain, et boucler cette affaire qui traînait.
Il était encore tôt quand il se coucha. Il vérifia à sa montre. Mais c’était juste pour regarder l’heure.
Dans son premier sommeil, Maréchal vit des flots d’images affluer d’un coup. Il se repassait sa journée, dans le désordre. Il voyait son départ du manoir, puis l’arrivée ; l’interrogatoire de Bruneron, une discussion avec Feuillantin, la soupe à l’oignon et l’au revoir à Norbert le majordome…
Après avoir parlé au jardinier, il était monté au grenier. Ensuite, il avait laissé ses deux collègues interroger les occupants des lieux. C’est Feuillantin qui était monté parler au comte, alors qu'il apprenait à son fils à tirer à la carabine. Maréchal les avait rejoints, plus par désoeuvrement que pour les besoins de l'enquête.
Maximilien était si fier de lui. Avec son engin à plomb, il décapitait des fleurs ou touchait des gros cailloux. C’était un beau moment de complicité entre le père et le fils. Le comte rayonnait en voyant sa progéniture se comporter comme un vrai noble, avec de l’attention dans le geste et la volonté de réussir.
Le passage en revue de cette journée aurait pu s’arrêter là, s’il ne s’était agi que de souvenirs. Mais Maréchal était dans les niveaux inférieurs de l'esprit, ceux du rêve. Il revit plusieurs fois Maximilien tirer. Tirer, et tirer encore. La même scène qui se répétait. Sur un caillou, une fleur, raté, un caillou, un caillou, une fleur. Et le comte, le comte qui riait, riait… Maréchal ne quittait plus la terrasse. Encore un tir.
- Ajuste, vise bien… Une fleur, bien !...
Le comte riait, disait à son fils d’ajuster.
Maximilien réussissait alors son meilleur tir. Une silhouette bleutée passait soudain devant lui. La balle partait, frappait la créature, et du sang giclait. Un cri inhumain sortait de sa bouche, et elle tombait.
Maréchal se sentit tomber, tomber, prisonnier d’un abîme. Il voulait se réveiller.
Il n’y arrivait pas. Il tombait encore. Le gouffre était tâché de sang.
Il tombait. Il se réveillait enfin, en sueur, les larmes aux yeux ; comme s’il avait réussi, in extremis, son évasion.
Maximilien avait tiré sur « l’Ange ». Il avait blessé cette créature de pure beauté... Des plumes s’étaient envolées. Une boucherie !
Le comte avait applaudi.
Tout de suite, Maréchal sut qu’il n’était pas bien, pas bien du tout. Il sortit en caleçon de son lit, comme s’il y avait quelque chose d’inconnu dans son lit. Il alla se passer la tête sous l’eau. Le parquet tanguait. La tête lui tournait affreusement. Il ne se détachait pas de la vision cauchemardesque, et de la peur qui en émanait. Une peur bleue, qui suintait comme un tuyau pas étanche.
C’était affreux. C’est comme si le sommeil s’était échappé d’un coup. Maréchal avait l’impression qu’il ne pourrait plus jamais dormir.
Sa montre !
Il la sentait perdue !
Il ouvrit le tiroir.
Non, elle était là. Il l’ouvrit, et frémit. Etait-il bien éveillé ? Oui…
L’indicateur SHC était monté à 6, son plus haut niveau. IEI 0 mais RUS 4 !
C’était la première fois que RUS montait ! Qu’est-ce que cela signifiait ?
En vitesse, Maréchal s’habilla. Il fallait qu’il parte de chez lui. Il ne tenait plus. Ce n’était plus possible. De l’air, de l’air, où il allait étouffer !
Il partit la tête basse, son manteau serré contre lui, passa devant les hôtels meublés où la population nocturne vaquait à ses occupations. Bouges, maisons closes, repaires de truands… c’était la lie de Mägott Platz, à deux pas de chez lui. Des endroits où il effectuait régulièrement des descentes.
*
Il y avait une palpitation, lente, régulière, assourdissante, qui cognait dans ses oreilles. Comme s’il était plongé sous l’eau. Un battement intense, inconnu, comme un appel. Il avait l’impression de s’enfuir. De partir, à l’aventure, dans son propre quartier qu’il avait du mal à reconnaître.
Il arriva place des Loges, au pied d’un petit théâtre aux spectacles plus ou moins osés. A quatre mètres du sol passait un gros tuyau de canalisation, prolongement du labyrinthe menant au repaire des enfants. Il faisait froid, bleu, vert. Il y avait des échelles et une passerelle pour les mitiers. C’était un lieu incertain, à l’écart.
Maréchal sentait qu’il devait venir ici. Sur la façade du théâtre, des masques grotesques, qui grimaçant, qui pleurant, qui maudissant ou jurant… Il y avait une grille d’aération sous ses pieds. De l’air chaud remontait, venu d’une petite chaudière implantée dans Rainure – Saint-Polska, le quartier en-dessous Mägott Platz.
Il avisa alors, sur le coin du théâtre, une impasse qu’il n’avait jamais remarquée. Pourtant, il connaissait chaque petite voie, chaque recoin, presque chaque dalle de son quartier, et plus encore. Il pouvait jurer n’avoir jamais vu cette impasse. Jamais, jamais…
Il s’approcha, prudemment, car l’endroit n’était pas éclairé. Il lut la plaque, qui n’était pas récente : impasse Montmort.
Montmort...
Il pourrait toujours aller au cadastre… Depuis quand une impasse Montmort partait-elle de la place des Loges ?
Il jeta un œil dans l’impasse : on n’en voyait pas la fin. Elle commençait entre le théâtre et le mur d’une petite fabrique textile.
Maréchal jeta un dernier regard à la place, et entra dans l’impasse.
*
Il marcha, à l’étroit, dans le noir à peu près complet pendant une trentaine de mètres. A mesure qu’il avançait, lui parvenaient du bruit, de la musique… Il déboucha sur une petite place éclairée, envahie de vapeurs multicolores. On entendait des gens rire, un piano, un orchestre… Une enseigne clignotait en grésillant : Chez Emma, club privé.
Impossible ! Il avait écumé tous, il disait bien : tous !, les débits de boisson de son quartier ! Celui-ci n’avait pu lui échapper.
Il y avait deux solides videurs à l’entrée, qui le regardèrent, lui dépité.
- Vous avez votre invitation ? lui demanda-t-on, quand il s’approcha.
- Non…
Il avait répondu bêtement, alors qu’il était policier ! Il n’aurait eu qu’à brandir sa plaque ! Mais il ne savait pas bien si, dans cette impasse, il était encore policier…
Les deux gorilles se consultèrent, et lui ouvrirent la porte.
- Je vous en prie, monsieur…
Maréchal entra. Il se frotta les pieds sur le paillasson. Il faisait bon à l’intérieur, et lumineux, rose... Dans le vestibule, un vestiaire.
- Monsieur, si vous voulez me laisser votre manteau.
Comme un somnambule, Maréchal obéit, et laissa même un pourboire !
- Merci. Voici votre reçu.
Un groom ouvrit alors le rideau, et Maréchal entra dans la grande salle. Il y avait une trentaine de personnes, dans une petite pièce. Un bar et des gens serrés sur leurs tabourets. Une scène avec un orchestre. Deux tables de jeux. Un plateau de Manigance. Une musique bien rythmé, entraînante. L’odeur de cigarettes qui font rire et rêver…
C’est le pianiste qui menait la musique. Il était accompagné d’un saxophoniste, un batteur et un bassiste. Le pianiste était encore jeune. Il n’avait pas la trentaine. Une casquette de cheminot sur la tête, une veste noire d’ouvrier, des gros godillots tous terrains.
Il avait un visage juvénile, mais déjà incroyablement expressif : quand il chantait, il se le tordait tant qu’il ressemblait à un revenant sarcastique, avec sa grosse mâchoire et ses grandes dents. Il avait une voix rauque, comme celle d’un zombie ressorti de sa tombe récemment. Il jouait courbé en deux sur son clavier.
Il grommelait et grognait une ballade nocturne, mélancolique, presque macabre, sur les habitués de chez Emma.
« Je parle d’un nuage de nicotine, et d’une froide caféine, pour tous les maniaques, tous les insomniaques… Et la serveuse qui sert, des œufs et des saucisses…»
Bref, rien d’extraordinaire ici, sinon que Maréchal ne connaissait pas cet endroit ! Il n’y avait jamais effectué de descente !... Pas même entendu parler !
Il retrouvait quand même ses réflexes de base.
- Un demi...
Il s’était fait une place au bar.
- Emma, tu me remets ça, disait un gros homme aux cheveux rares, avec sa guitare sous le bras, la cigarette coincée à la bouche.
Emma, c’était donc cette serveuse, dodue, rousse, avec ses cheveux bouffants.
- J’arrive, chéri. Je ne suis pas qu’à toi, tu sais !...
Maréchal observait les gens. Le policier se réveillait en lui. Il reconnaissait des visages. Des gens aperçus ailleurs, des oiseaux de nuit, qui connaissaient, contrairement à lui, ce refuge !
Un couple de petits commerçants, un serrurier en délicatesse avec SÛRETÉ, un conseiller du bourgmestre, un respectable proxénète…
Il avait envie d’en serrer un au col et de lui crier : mais comment connaissez-vous cet endroit, et pas moi !
Il sentait qu’on se fichait de lui !
- Une bière maison…
Machinalement, il paya, en respirant le parfum bon marché d’Emma. Il porta la mousseuse à sa bouche, et la savoura. Elle avait un goût savoureux. Donc une adresse à retenir.
L’orchestre finissait son morceau, sous les applaudissements. Le pianiste saluait avec son chapeau percé et allait au zinc.
- Emma, sers-moi un « double croquemort ». Avec un zeste de citron. Et des glaçons.
- J’arrive, mon chéri.
Un serveur déposait des verres pleins sur son plateau, et partait faire le tour de la salle. Maréchal le suivit du regard, naviguer avec adresse entre les tables. Il servit le couple de commerçants, déposa des bières à la table des musiciens et termina par un client niché sous une alcôve. Un client avec une belle tête de déterré hébété : Radik.
C’était bien l’employé de la Pham’Velker.
Il était seul, ricanant pour lui-même ou à la face du monde entier. Il avait l’air hors de lui, comme si son âme tenait à grande peine dans son corps, et qu’il menaçait de s’écrouler, d’un moment à l’autre, comme un pantin.
Maréchal se roula une cigarette, commanda une seconde bière, alluma sa cigarette et partit, son bock à la main, à travers la salle.
- Je peux m’asseoir ici ?
Radik releva ses yeux rougis, son visage éprouvé, sur le policier. Le reconnut-il ? Trop tard, Maréchal était déjà assis.
Le pianiste reprenait sa place et la musique repartait :
- Taille ta route, Jacques…
*
- Vous me remettez, monsieur Radik ?
Maréchal laissa voir sa plaque.
L’autre esquissa un sourire blasé, montrant qu’il avait compris.
- Le champagne était bon, inspecteur ?
- Très bien.
- Alors, vous aussi, vous en êtes, de ce petit monde ?
- Je viens juste de le découvrir…
- Alors vous venez juste de comprendre, ce que ça fait, d’attraper le SHC…
- Le quoi ?
Maréchal avait bien entendu.
- Vous n’êtes pas très au courant, vous… SHC, vous ne savez pas ? Hé bien, c’est ce que vous venez d’attraper…
- Comment le savez-vous ?
- Tous ceux qui sont là l’ont. Sinon, vous ne pourriez pas être ici, chez Emma, vous comprenez.
- Qu’est-ce que c’est, le SHC ?
Maréchal se demanda si tous les gens réunis ici possédaient une montre comme la sienne.
- Je vais vous l’apprendre, ricana Radik en finissant son verre. C’est, fit-il en s’essuyant salement la bouche, le Syndrome d’Hypersensibilité Chronique. Autrement dit, le mal d’Exil.
- Je ne comprends pas.
- C’est simple. Cette foutue lune nous détraque le système, vous comprenez ? Ce sont les vibrations de la Cité d’Acier, qui finissent par se communiquer à votre organisme, vous voyez… Vous entrez en résonance avec la Cité. Vous ne dormez plus. Vous devenez trop sensible, trop exposé à Exil. C’est la Cité qui vous parle, directement. Pas besoin de réseau CONTRÔLE... La Cité vibre, c'est un orgue gigantesque... Certains finissent par percevoir son appel...
Radik n’était pas dans son état ordinaire, mais ses propos semblaient cohérents. Du moins n’étaient-ils pas surprenants dans ce contexte.
- Comment vous savez cela ?
- C’est le professeur Julius Heims qui me l’a dit, fit Radik, de plus en plus éméché.
Ce nom fit tilt dans la tête de Maréchal. C’est le docteur Jouvet qui avait prononcé ce nom. Heims était un spécialiste des maladies du cerveau. C’est lui qui avait ausculté Kaupang Vilnius.
- Vous l’avez eu comment, votre SHC ? dit Radik, en regardant ailleurs. Bizarre, non… Un honnête flic comme vous… Moi, remarquez, c’est un peu normal que je chope une saloperie comme celle-là. Je suis une ordure, vous le savez. Je fais le sale boulot de la Banque. Recouvrements de dettes… Le pognon, la violence, l’exploitation des petites gens, le harcèlement, je connais… J’en ai pourri, des existences ! Je la connais, la méthode, pour faire parler les gens…
- Y compris le comte Whispermoor ?
- Et ouais, hé hé hé !...
- Vous êtes résolu à aller jusqu’au bout avec eux ?
- Pas moi. La Banque. C’est eux qui paient. Et je ne suis pas mauvais, dans ma branche.
- Vous ne faites pas de fleur aux gens, quoi…
- Non, comme vous dites.
- Mais vous en avez peut-être offert au comte, des fleurs…
- Pas que je sache, inspecteur. Quoique, hein… quoique !... hé hé hé…
Le reste du bar ne comptait plus. Maintenant, c’est comme si Maréchal était dans son bureau. L’interrogatoire avait commencé. Et Radik était déjà cuit à point.
- Vous vous rendez au Manoir, demain ?
- Dites plutôt : tout à l’heure.
- Je risque de vous y retrouver.
- Ce sera avec plaisir, inspecteur.
- Je vous empêcherai d’aller trop loin avec le comte, Radik.
- Pourquoi pas, nous verrons. On fera chacun notre boulot, pas vrai ? Pour le moment, on peut se parler librement. Chez Emma, c’est permis. On se confie tout.
- Oui, c’est notre petit coin de rêve…
Maréchal en avait suffisamment dit. Il se leva et laissa le misérable ivrogne à sa boisson. Il retourna au comptoir et profita de la musique :
- Un scotch, un bourbon et une bière…
La nuit était bien avancée, quand un dernier drôle de personnage fit son apparition, dans ce repaire qui en contenait déjà plein. Un homme sérieux, attentif. Maréchal eut une intuition : c’était le professeur Heims.
Ce dernier salua du regard l’assistance. Manifestement, il connaissait tout le monde. C’est comme s’il entrait dans sa salle d’attente.
Un physique mince, raide ; un visage étiré, soucieux, un regard scrutateur. Un gros sac à la main, d’où dépassait un stéthoscope. Il jeta un coup œil à Maréchal : l’inspecteur vit que le médecin découvrait en lui un nouveau malade du SHC
Heims alla s’accouder au bar et commanda une bière. Puis il s’approcha du policier. Il le toisa, des pieds à la tête. Il n’avait pas besoin de dire : « vous avez l’air fatigué. La première nuit de SHC est souvent éprouvante. »
Il dit juste :
- Si vous voulez, vous pourrez passer me voir à mon cabinet, inspecteur.
Il le connaissait donc ? Il lui laissa sa carte.
L’heure suivante fut trouble. Maréchal commença à trop boire. Il pensa par intermittence à Portzamparc, seul dans sa bâtisse glaciale et poussiéreuse.
Il émergea de sa torpeur au bout d’un temps indéfini. Il n’y avait plus beaucoup de monde. L’orchestre était parti. Le tabac refroidissait.
Heims serrait la main à un patient.
- Docteur, juste une question, dit Maréchal, en s’approchant.
- Je vous écoute.
- Est-ce que c’est grave, docteur ?
Heims sourit. Ce qui ne devait pas lui arriver souvent.
- La maladie a plusieurs stades. Il faudrait un examen plus poussé pour savoir où vous en êtes...
Il souriait presque, l’air de dire que, pour le moment, mieux valait profiter de ce qui restait de nuit à s’amuser. Il offrait à boire à une entraîneuse. En praticien fatigué, il avait besoin d’une détente. Il ne finirait pas seul chez lui.
- Une dernière chose, docteur, dit Maréchal, en se levant. J’avais déjà entendu parler des lettres SHC avant ce soir. Quelqu’un a pu m’envoyer un message.
- C’est bien possible.
- Je connais deux autres groupes de lettres. RUS et IEI, est-ce que ça vous dit quelque chose ?
- Non, je ne crois pas. D’autres maladies ?
- Merci, une me suffit.
Il partit, sûr que Heims le croyait fin fou !
A ce moment, Radik se levait, dans un sale état. C’était une éponge alcoolisée, et une éponge sale.
- J’ai juste le temps de repasser à la Banque, pour prendre mes instructions jour, lança-t-il, sarcastique. Ensuite, je file au Manoir ! A la première heure, j’y serai !
Maréchal sortit en même temps que lui. Il le regarda partir dans la direction opposée, dans l’interminable impasse Montmort. A la lueur naissante de l’aube, Maréchal vit qu’elle filait loin, cette impasse, qu’elle montait ensuite directement vers le manoir Whispermoor…
Maréchal repartit vers la place des Loges, en saluant quelques clients. Heims repartait avec sa poule. Emma fermait boutique. L’endroit allait disparaître en même temps que les dernières fumées de cendriers.
Maréchal avait juste le temps de repasser chez lui. Avec qui se préparait, il n’avait pas de temps à perdre. Radik avait presque avoué.
Le policier se hâta de rentrer, dans l’air vif du petit matin. Il traversa une passerelle humide, qui rouillait.
En passant sous la douche, l’atmosphère de chez Emma lui revint. Les bruits, les odeurs, les rires.
Et la ballade du pianiste : « tous les maniaques, les insomniaques… et la serveuse qui demande… »