12-09-2008, 05:19 PM
(This post was last modified: 01-10-2008, 12:10 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #7<!--/sizec-->
LE CHASSEUR POLAIRE<!--/sizec-->
SHC 4 - RUS 4 - IEI 5
LE CHASSEUR POLAIRE<!--/sizec-->
SHC 4 - RUS 4 - IEI 5
- Un meurtre va être bientôt commis...
C'est la seule phrase qu'entendit Portzamparc avant que la communication ne soit coupée. Ou que son interlocuteur raccroche.
Il était tard. Trop tard, ou trop tôt pour se demander quelle heure il pouvait être exactement. Le policier, seul d'astreinte cette nuit, enleva les pieds de son bureau et se rassit normalement dans son siège. Il bailla et décrocha le parlophone. Il demanda le central de CONTRÔLE. Il entendit la voix robotisée d'un robot-répondeur :
- Oui, bonjour. Commissariat de Mägott-Platz. Je viens de recevoir un appel dont je voudrais identifier l'origine...
Portzamparc récita ses nom, prénom, matricule, remercia et raccrocha.
En l'état actuel, c'est tout ce qu'il pouvait bien faire pour traiter cet appel. C'est ce qui était d'usage, quand SÛRETÉ recevait une information dont l'auteur était aussi anonyme qu'imprécis. Et cela arrivait au moins deux ou trois fois par semaine.
Les services de CONTRÔLE étaient habitués à recevoir les demandes de localisation de la part de la police, mais ils n'en devenaient pas plus efficaces pour autant. On ignorait les raisons de ces défaillances. On disait que c'était soit des fautes d'origine humaines, car comme chacun le sait, les hommes ne sont pas aussi infaillibles que leurs machines. Ou bien que c'était la faute des machines, dont la capacité d'adaptation et d'inventivité n'est pas aussi élevée que celle de leurs créateurs.
Récemment, une commissions déléguée à l'amélioration des performances des intelligences-machiniques (IM) avait mise en place. Tous les services d'ADMINISTRATION avaient reçu la nouvelle sur leurs chromatographes. Puis une deuxième commission avait été chargée, en parallèle, d'améliorer la formation des fonctionnaires dans la manipulation des IM.
Aux dernières nouvelles, une troisième commission allait se charger de coordonner l'action des deux précédentes.
Portzamparc avait la tête pleine de ces histoires, alors qu'il remettait en marche la machine à café de la petite cuisine grise du commissariat. Il essayait de se souvenir de son dernier rêve, qui avait été très fort, très prenant et qu'il aurait bien continué, n'eût-été l'appel anonyme.
Alors que les gouttes noires tombaient lentement dans la cafetière, le détective se passait de l'eau sur le visage. Il entendit la porte s'ouvrir et un journal tomber sur la table.
- Salut, Jean-François...
C'était Novembre, son chapeau encore sur la tête et son imper à la main.
- La nuit s'est bien passée ?
- Rien de particulier à signaler, inspecteur. Juste un appel non-identifié.
- Bon...
Novembre fuma une cigarette en attendant que le café soit fini. Rampoix fut le suivant, puis Priscilla, la secrétaire, et Sampieri. Puis le commissaire Horson et l'inspecteur Maréchal.
L'équipe était au complet. La cuisine s'emplit des conversations du matin, décousues. Le commissaire fut le premier à se lever et à rejoindre son bureau. Il donnait l'exemple. Chacun alla à son poste.
Maréchal retrouvait son hamac, qu'il avait quitté quelques heures plus tôt. En entrant dans son bureau, Novembre lui retrouva le fouillis laissé la veille. Il arracha en maugréant la feuille de son calendrier et fit un nettoyage par le vide de ses affaires.
Sampieri tapait un rapport, Rampoix ouvrait son courrier. Maréchal attendait la fin de la journée.
Une heure plus tard, chacun ayant évacué ses petites affaires du matin, Novembre réunit tout le monde dans son bureau. Seul le commissaire restait à part, occupé à discuter avec un représentant de la mairie
- Les enfants, figurez-vous que c'est déjà le début du mois... Alors il va être temps de faire notre tour du quartier.
Novembre consulta le papier qu'il venait de griffonner :
- Rampoix, tu vas aller voir du côté du Charivari...
Ce qui signifiait : "aller relever les compteurs là-bas". Autrement dit encore : rappeler aux maquereaux opérant dans les hôtels miteux le prix de l'indulgence policière.
- Portzamparc, chez Gino...
Les noms s'égrenaient, et Maréchal n'entendait toujours pas le sien.
- Bon, ce sera tout. Les sommes collectées sont à remettre dans la boîte prévue à cet effet, comme d'habitude.
C'était un coffret blindé. Chaque mois, l'argent extorqué aux différents hors-la-loi du quartier partait à la caisse des orphelins de SÛRETÉ. C'est Boncousin, en son temps, qui avait institué cette règle.
*
Maréchal, qui n'avait reçu aucun ordre, décida d'aller s'assoupir dans son bureau. Il regrettait de ne pas être envoyé chez Gino : il serait bien allé se désaltérer. Bientôt, il n'y pensa plus et s'assoupit tranquillement.
Il fut tiré de ses rêves une heure plus tard par la sonnerie du parlophone. Il ouvrit un œil et prit le combiné.
- Allô Antonin ?...
Une voix de femme âgée !
Catastrophe !
L'inspecteur ouvrit l'autre oeil et s'assit correctement sur sa chaise, comme si son interlocutrice pouvait le voir !
Celle-ci parlait trop fort dans le combiné.
- Tu m'entends ?
- Oui, oui... je t'entends... Tante Myrtille !
- Oui, je t'entends. C'est moi, ta tante ! Tu m'as reconnue ?
- Mais oui, mais oui...
Il n'y avait bien qu'une personne pour appeler Maréchal à son bureau, c'était sa tante.
- Écoute, je voulais prendre de tes nouvelles !
- Parle moins fort, parle moins fort, je t'entends...
Maréchal avait l'impression que tout le commissariat l'entendait.
- Je voulais te dire que j'ai enfin décidé ton cousin Gérald à prendre des vacances...
- Ah bon ?
Cousin Gérald... Le fils de Myrtille, le cousin d'Antonin. Gros négociant en bière. Il avait repris une affaire, six ans plus tôt. Depuis, il travaillait comme un forcené mais son commerce, tout comme lui, prenait de la taille chaque année.
Mariée, quatre enfants (ou bien cinq ?), Gérald était l'incarnation du jeune patron prospère, à fumer le cigare dans son bureau en tirant sur ses bretelles.
- Oui, il se surmène tellement. Mais il a fini par entendre la voix de la raison... Il voulait partir dans une de ces stations balnéaires pour nouveaux riches, avec des casinos, de la musique, des filles... Mais là j'ai dit non. D'abord, ce n'est pas un endroit pour une famille, ensuite il aurait été fichu de passer ses loisirs à placer sa bière aux patrons de bistrots.
- Ah ça, connaissant Gérald...
- Donc nous avons choisi une autre destination...
Maréchal fit la grimace. Il sentait de lourds nuages planer au-dessus de lui.
- Nous allons venir chez toi !
- Chez moi !... Mais il n'y aura jamais la place !
- Tu m'as comprise, Antonin. Nous venons dans ton quartier. J'ai lu que Mägott Platz était très calme.
- Oh oui, c'est calme...
- Il y a un hôtel assez bien fréquenté, j'ai lu. Le Novö-Art...
- Oui, c'est vrai...
- Donc nous arrivons dans trois jours.
- Ah, trois jours...
- Et je me suis dit que ce serait bien que tu prennes des congés... si jamais il t'en restait à prendre.
- Oui, il m'en reste.
- C'est parfait. Je compte sur toi pour nous faire visiter, hein !
- Oh tu sais...
- Allons, je te laisse. Au revoir, Antonin !
Maréchal raccrocha, épuisé.
Le bien fou que pouvait procurer le silence !...
Il se frotta les yeux et soupira.
Tante Myrtille. Une femme à poigne, une veuve endurcie, une mère de famille inépuisable, et avec ça, un cœur en or.
C'est elle qui avait élevé son neveu Antonin. A l'époque, SÛRETÉ traquait le père Maréchal, qui s'était fait entraîner dans de drôles d'histoires. Il s'était démené comme un forcené quand les Pandores étaient venus l'emmener. Madame Maréchal, ivre dès le matin, riait bêtement, une cigarette à la bouche, dans son vieux peignoir cramoisi. Antonin était dans sa chambre : il avait regardé par la porte entrebâillée. Peut-être bien qu'un Pandore avait envoyé une claque à sa mère...
Celle-ci était morte peu après. Le foie, évidemment.
C'est tante Myrtille qui avait alors repris Maréchal en main. Puis celui-ci avait fugué. Plusieurs années. Il avait voyagé. Elle l'avait ensuite repris sous sa férule et avait décidé d'en faire un fonctionnaire. A cette époque, Gérald finissait ses études de commerce. Sa carrière était toute tracée, alors qu'Antonin ne savait pas où il allait. Comme il était débrouillard, et doué avec les armes à feu, il avait intégré SÛRETÉ.
Tante Myrtille n'avait jamais été aussi fière de sa vie, que quand elle avait vu son neveu ressortir de la cour du quai des Oiseleurs, en grande tenue, sa médaille de détective à la poitrine.
Ils étaient allés dans un grand restaurant.
- C'est le commissaire Ménard en personne qui vous a reçus ? avait demandé Gérald.
- Mais oui !
- Oh dis...
Depuis, Gérald s'était marié et avait fait quatre enfants à sa femme ; il employait déjà deux cents personnes. Ils siégeait au conseil municipal. Les bières Maréchal.
Le parlophone sonna. Myrtille de nouveau !
- Antonin, j'oubliais de te dire... J'ai lu qu'il y aurait le cirque bientôt, dans ton quartier... Alors évidemment, Gérald voudra y aller avec les enfants... Si tu pouvais réserver des places... Donc nous deux, Gérald, les cinq enfants, sa femme... Nous serons neuf !
- Neuf places, alors...
- Voilà, merci.
Maréchal avait "évidemment" horreur du cirque. Il eut un sourire de soupir et décida de se rendormir. A ce moment, comme pour réaliser les vœux de l'oracle tante Myrtille, on entendit retentir la fanfare des cuivres d'un cirque.
*
Portzamparc descendit le petit escalier en pierre qui descendait chez Gino. A l'intérieur, c'était calme. Quelques joueurs de cartes. Trois filles assise au fond de la salle, qui riait comme des gamines.
- Tiens, détective de Portzamparc...
Gino essuyait consciencieusement ses verres.
- Déjà le début du mois, Gino...
- Comme le temps passe...
Portzamparc empocha l'enveloppe que lui glissait le patron.
- Ça marche les affaires ?
- Doucement mais ça va...
- Rien de particulier à me signaler ?
Portzamparc était tracassé par cet appel anonyme. Celui-ci l'avait marqué, peut-être parce qu'il l'avait tiré du sommeil brusquement. A ce moment, Portzamparc rêvait ; il n'avait pas retrouvé son rêve et depuis, il se sentait mal réveillé.
- Non, rien, détective...
Portzamparc laissa Gino à sa vaisselle et partit faire un tour dans les galeries Dédale. Il y avait un bistrot qui venait d'ouvrir, tenu par un ancien Autrellien. C'était tout-petit, au fond d'une des rues protégées par une verrière. Une rue qu'on ne voyait pas forcément, qui vous surprenait, comme s'il y avait un passage dans les passages.
- Bonjour, détective.
Le patron savait qu'il avait affaire à un compatriote. Il lui servit un petit verre de la boisson du pays, une liqueur opaque que Portzamparc n'avait pas bu depuis qu'il était arrivé en Exil.
La neige d'Autrelles, c'était à cela qu'il rêvait quand il avait été réveillé par l'appel anonyme. Il revoyait ses années de caserne.
- Alors du nouveau ici ? demanda-t-il au patron.
- C'est plutôt calme à cette heure-ci, mais c'est le coup de feu dans une heure environ. La pause de dix heures. On fait aller, quoi, mais c'est pas facile de fidéliser la clientèle... Disons qu'ils savent d'où je viens et ils ont du mal à m'accepter comme un citoyen d'ici... Pourtant, ça fait dix ans que je trime sur cette lune... J'ai fait mon service, j'ai obtenu ma carte d'identité administrative. J'ai pas de nostalgie de la planète. Si je suis parti, c'est pas pour y retourner, ça non... Je sais pas vous mais je ne me vois pas revenir là-bas. Non merci... Pas que je renie le passé, ça non. Mais voilà, j'ai fait ma vie ici...
Pour une fois qu'il avait quelqu'un à qui parler... D'habitude, son travail consistait, comme pour tout limonadier, à écouter les histoires des clients.
Portzamparc ne parla pas. Il encouragea son compatriote à continuer.
- A force de travail, les choses vont s'arranger...
Il paya et repartit au commissariat. Il avait encore le goût de la liqueur dans la bouche et il sentait l'odeur d'Autrelles.
La frontière septentrionale du royaume, avec Autrelles de l'autre côté de la forêt. Poste avancé de Sibirsk-Cromlöh. 16e régiment des chasseurs polaires.
Sous un beau ciel bleu dans un froid glacial, le colonel avait réuni toute la troupe dans la grande cour. Entouré de son état-major, il avait harangué ses hommes. Il demandait deux volontaires, pour chasser un prédateur qui faisait des ravages dans la région. On soupçonnait les Kargarliens d'avoir lâché le Saigneur dans la nature.
Trois villages avaient été attaqués par l'animal affamé. Plusieurs hommes étaient morts en partant le chasser. La garnison n'avait été prévenue que quatre jours après ces attaques, la région étant presque impraticable sous la neige. Seuls les chasseurs polaires disposaient d'équipements suffisants pour affronter la grande forêt du nord.
- Le capitaine Vaneighem s'est porté volontaire pour s'attaquer à la bête. Il a besoin d'un sabreur pour le seconder. Nous attendons un volontaire.
Portzamparc avait fait un pas en avant le premier.
- Vous sergent ?
Le capitaine avait dit quelques mots à l'oreille du colonel. Le "vieux", comme on l'appelait, avait alors félicité le sergent d'une rude tape sur l'épaule.
- Réussissez et vous serez décorés de l'ordre de Saint-Valstav !
Portzamparc avait encore la médaille dans un tiroir de sa commode !