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Dossier #7 : Le chasseur polaire
#4

DOSSIER #7<!--sizec--><!--/sizec-->

Maréchal avait presque oublié tante Myrtille, après une bonne sieste, quand le parlophone se mit de nouveau à sonner.
- SÛRETÉ, inspecteur Maréchal...

C'était dit avec l'entrain d'un réceptionniste des bureaux de AXE en fin de journée. (AXE étant, comme chacun sait la branche de l'expertise interne d'ADMINISTRATION, connue pour être une royale voie de garage.)

- Maréchal ??... C'est vous ?

Une voix haletante, inquiète. Une voix pitoyable mais qui en même temps prête à rire. L'inspecteur ne pouvait s'y tromper... C'est réjoui qu'il dit :
- Monsieur Herbert, comment allez-vous ?...
L'autre hésitait, toussotait.Il avait raté sa carrière, comme acteur de boulevard, en petit employé, de AXE par exemple, qui doit expliquer à sa mégère de femme pourquoi il rentrera tard.
- Je voulais, je voulais vous parler...
- Je vous écoute...
- Écoutez, je voulais vous appeler tout à l'heure... Tôt ce matin. Je n'avais pas trop de temps... Je suis tombé sur un de vos collègues. J'ai juste eu le temps de-
- Vous êtes allé à l'essentiel.
- Voilà... un meurtre...
- Vous pourriez m'en dire plus, maintenant ?
Maréchal était content de prendre cette affaire en main. Il savait que Portzamparc n'aurait pas eu le tact et le doigté nécessaire pour traiter avec l'honorable M. Herbert.
- Écoutez, ce n'est pas si simple...
- Vous êtes assez versatile, monsieur Herbert...
Maréchal aimait bien employer ces mots que les gens n'utilisent guère plus de dix fois dans leur vie : "vous êtes versatile..."
- D'abord je vous trouve en train d'accuser la moitié du quartier de vouloir vous tuer. Vous disparaissez ensuite, à peine ai-je le dos tourné pour aller m'occuper d'un de vos "patients"... Je vous retrouve traînant avec des gens peu recommandables, et-
- Ah oui, à ce sujet... Je devais vous dire...
- Où êtes-vous en ce moment ?
- Mais toujours à Rainure évidemment ! D'ailleurs,
- Très bien. Ne bougez pas. Je descends vous voir. Où êtes-vous exactement ?
- Quoi, descendre ?
- Parfaitement...

Il fallut insister un peu, mais Herbert n'était pas non plus l'être le plus inflexible de la lune. Maréchal obtint l'adresse de sa planque, prit son manteau et son chapeau et déclara qu'il avait une affaire le requérant d'urgence à l'extérieur.
Rainure - Saint-Polska était situé en-dessous des égoûts de Mägott Platz. C'était tout dire : personne ne s'aventurait là-bas. Pour la plupart des Exiléens, Mägott Platz était déjà le bout du monde. Mais alors, sous les égoûts de Mägott Platz, c'était aussi bien nulle part !
Les expéditions nocturnes de Maréchal, et sa dernière descente en compagnie de Portzamparc pour aller dénicher Gueule-de-Rat, lui avaient appris à se repérer dans ce dédale. Il s'y sentait comme chez lui.
Il avait trouvé un conduit de mitiers qui le conduisait en moins d'une heure dans ce quartier qui avait la particularité d'être inhabité, officiellement et de n'avoir pas de commissariat.
Personne ne s'occupait de Rainure - Saint-Polska. Personne n'avait envie de savoir ce qui s'y passait.

Maréchal trouva la "planque" de Herbert. Un cabanon isolé, à l'entrée du quartier, bien avant les constructions aux formes torturées et les grandes parois gravées qui entouraient un bassin où fonctionnaient des machines-absurdes.
L'inspecteur frappa à la porte. C'était vrai que ce quartier était désert.
Plus désert que la dernière fois, où Maréchal avait vu Herbert en compagnie des "gens peu recommandables".
La porte s'ouvrit ; Herbert fit entrer son "invité" avec des airs de conspirateur.
- C'est gentil, chez vous...
Les mains dans les poches, le chapeau en arrière, Maréchal contemplait les lieux : une bicoque humide, avec une cabine de douche, des toilettes dans la lignée de celles du bar Le crachoir et une plaque de gaz. Un lit de camp, et quelques livres empilées dans un coin.

- Vous êtes venus vite.
- C'est une des vertus de SÛRETÉ, oui...
- Asseyons-nous.
Herbert se faisait réchauffer du café. Maréchal avait déjà l'estomac noyé dans celui du commissariat, donc il refusa poliment.
- Venons-en aux faits, Herbert... La dernière fois, je vous ai laissé menotté sur le balcon, et quand je suis revenu, vous n'étiez plus là.
- Écoutez, "ils" sont venus me chercher !...
Il parlait à voix basse, affolé par ces questions.
- Qui ça, "ils" ? Des Scientistes ?!
- Chut ! Vous êtes fous ! Ne pro-non-cez pas ce nom-là !... Rien à voir d'ailleurs. Ce nom est très péjoratif. Ce sont des savants en réalité que ces gens-là, et ilsse sont intéressés à mes travaux.
- Vos travaux sur Horo, oui, fit Maréchal avec une moue de dégoût.
- Bon, je sais bien que tout ne s'est pas passé comme prévu mais...
- Vous avez parlé d'un meurtre. Quand et où aura-t-il lieu ?
- Je ne sais pas encore.
- Comment pouvez-vous le savoir ?
- Je ne peux pas vous dire encore !
- Où sont les habitants du quartier ?
- Si vous changez de sujet sans cesse... Ils sont partis à un congrès, voilà.
- Un congrès de Scientistes ?...

Maréchal aimait bien embêter "son" Herbert.
- Chut ! pas ce mot-là ! Si on vous entendait...
- Qui peut nous entendre ?
- Personne en réalité, mais quand même !
- Qui va être la cible de ce meurtre ?
- Un haut dignitaire, quelqu'un d'important, une personnalité. Quelqu'un comme ça ! Je n'en sais pas plus. Je vous conjure seulement de partir. C'était de la folie de descendre... La personne qui m'a renseigné sur ce meurtre va me rappeler. Je vous jure que je vous tiendrai au courant.

Maréchal se leva. A moitié convaincu.
Ce Herbert était sacrément retors, derrière ses airs d'ahuri.
- Entendu, je remonte chez moi. Mais vous avez intérêt à me tenir au courant rapidement. Sans quoi je redescendrai vous chercher, je vous le jure !
- Je vous appelle dès ce soir ! Chez vous !
- C'est ça.

Maréchal reprit le chemin des égoûts. Même lui qui avait l'expérience des recoins sales d'Exil, il ne se faisait pas à ce quartier. Les architectures étaient en ligne brisées, obliques, avec des rues tortueuses et des maisons entassées. Il y avait quoi devenir fou.
L'inspecteur fut content de retrouver l'acier et la graisse de Mägott-Platz. Ici, la saleté avait un air familier.

*

Maréchal quand même revint guilleret de sa promenade de santé. Si ses collègues savaient où il était parti...
Portzamparc avait fini sa tournée, Rampoix aussi et la caisse pour les orphelins de la police était pleine.

Maréchal réfléchit à un notable de la ville susceptible d'être la cible d'un tueur. Ils étaient en fait tous, à divers degrés, capables d'avoir suscité assez de haine et de jalousie pour qu'on veuille les tuer. Il suffisait de voir parfois à quoi tenait un meurtre conjugal, pour se dire qu'un patron ou un conseiller municipal en avaient bien assez fait pour avoir quelques ennemis mortels.
Maréchal alla voir Novembre pour lui demander des congés.
- J'ai ma famille qui arrive... Ce n'était pas prévu...
- Prends quelques jours, va !
- Cinq jours ?
- Entendu. Je note.
Il faisait calme dans le quartier.

Après le service, Maréchal rentra chez lui, en faisant un détour par la Platz : il fallait acheter les billets pour le spectacle.
On entendait des annonces au mégaphone tomber de la plate-forme de loisirs : "Le cirque Fantazia, le cirque Fantazia !..."
Des ballons-taxi aux couleurs éclatantes passaient dans le ciel et lançaient des tracts, pendant qu'une fanfare de clowns jouait au pied du Mägott. C'était l'heure de la sortie de l'école : les enfants traînaient leurs parents pour aller voir le cirque !

Des ribambelles de garnements affluaient pour voir les slourts maquillés faire du monocycle et jouer de l'orgue de barbarie.
- Approchez, approchez ! Allez les petits enfants !
Maréchal trouvait, comme beaucoup de mondes, petits et grands, que les clowns avaient une tête à faire peur, avec leurs grimaces figées et leur maquillage criard. Tante Myrtille racontait souvent comment Antonin avait pleuré la première fois qu'il avait vu des clowns.
- Dix places.
Maréchal posait ses billets sur le comptoir.
- Dix places pour monsieur !
La foule se pressait pour acheter des barbe-à-papa. Le clown prenait la monnaie dans sa caisse. Maréchal était pressé de partir. Trop de familles, d'enfants, d'amusement.
Il remercia, enfonça la liasse de tickets dans sa poche et partit.

Il passa au pied du grand ascenseur urbain, dans sa cage en fer forgé, qui menait vers la plateforme de loisirs, cent cinquante mètres au-dessus. On pouvait apercevoir les gens du cirque en train de monter le grand chapiteau, et les forains installer leurs stands autour.
La journée se termina par l'appel d'Herbert le soir. C'est la concierge qui vint prévenir Maréchal, et qui, comme les autres fois, fit des difficultés pour laisser le policier tranquille. Elle avait un besoin maladif d'écouter les conversations. Elle considérait insultant de l'en empêcher.
- Maréchal, j'écoute.
- C'est pour dans trois jours. Sûr et certain. Mais je ne sais pas encore qui.
- Il va falloir chercher.
- Je vous promets de faire de mon mieux.
- Bonne nuit.

Maréchal resta songeur une partie de la soirée, à enchaîner les cigarettes. Il s'endormit, tout habillé, alors que son dernier mégot finissait de fumer dans le cendrier.

*

Portzamparc retrouvait son appartement avec plaisir. Sa femme avait mis le dîner en route. Il n'avait qu'à s'asseoir et mettre sa serviette.
- J'ai vu qu'il y avait le cirque en ville.
- Oui, j'ai vu ça. Il faudra qu'on aille faire un tour chez eux, d'ailleurs, selon Novembre.
Il y avait en entrée une salade composé. Portzamparc mordait dedans avec appétit.
- Parce que, ces gens-là, c'est faux papiers, arnaques et compagnie. Sûr qu'en fouillant un peu, on va trouver de drôles de choses. Le pire, c'est qu'ils le savent... Mais ils continuent pourtant à défier la loi.
Madame de Portzamparc écoutait avec attention, toujours curieuse d'en apprendre plus sur le monde dans lequel vivait son mari la journée.
- On sera là pour rassurer les gens.
- A ce propos, on pourrait y aller ensemble, qu'en penses-tu ?
- Tu voudrais aller voir le spectacle ?
- Pourquoi pas, tiens ! J'ai bien le droit de m'amuser un peu, non ?
Elle disait cela sans méchanceté, avec un rien d'espièglerie et un air tendre.
- Pourquoi pas, oui... Du reste, j'imagine que Novembre va y aller. Il est grand-père. Ses petits enfants vont vouloir...
- Hé bien, nous n'allons pas attendre que tu aies des petits-enfants pour nous distraire.
- Non, non...
Portzamparc toussota et ouvrit une bouteille. Il aurait bien bu un autre verre de liqueur autrellienne.

Le soir, au lit, pendant que sa femme lisait, il repensait à sa chasse avec le capitaine Vaneighem. Son esprit s'en allait loin de l'acier et de la noirceur, pour retrouver la nature blanche et immense.

Il avait fallu une petite journée à cheval pour arriver dans les villages.
La grande forêt, aux confins d'Autrelles et de Kargarl, puis la taïga. Une neige épaisse, éternelle dans ses régions, qui rendait tout compact et silencieux.
Le capitaine et son sergent avaient constaté les dégâts dans les villages. Deux, trois morts. Des hommes mutilés, certains amputés. La bête continuait de rôder.
- Une femelle adulte, avait craché un bûcheron. Elle a été dressée pour tuer. Je ne sais pas comment ils l'ont dressée, mais ils l'ont dressée. A tuer des Autrelliens !

C'est après le troisième village que les deux soldats l'avaient aperçue. Un primate haut de deux mètres ; le poil argenté. Elle finissait de dévorer une biche. Elle avait attrapé la carcasse, dressée sur ses pattes arrières. Elle y allait de tous ses crocs. Elle avait une blessure au flanc. On l'entendait grogner.

Vaneighem s'était mis à plat ventre, Portzamparc aussi et commençait à s'écarter. Les deux soldats étaient contre le vent, le nez dans la neige.
Le capitaine sortait en vitesse le fusil de son étui. Ce devait être le seul fusil de tout le nord d'Autrelles. Les Kargarliens n'en avaient pas dix dans leur armée.

Portzamparc connaissait son rôle : en rampant vers la bête, il avait pris son sabre en main. Vaneighem dépliait le trépied sous le canon du fusil et regardait dans la lunette. Des feuilles et des branchages le gênait. Il jetait un œil et voyait son sergent se caler derrière un tronc d'arbre.
A ce moment, le vent tournait : la bête sentait, et voyait les deux hommes. Elle poussait un hurlement, jetait sa carcasse. Une détonation partait.

Touchée au ventre ! Elle mettait un genou à terre. Vaneighem rechargeait déjà.
Portzamparc se jetait sur elle, sabre au clair et taillait dans la bête ! Il tranchait la nuque puis se jetait de côté et roulait dans la neige. Vaneighem avait rechargé : second tir, dans la nuque. La bête poussait un cri d'agonie. Le sergent lui portait le coup de grâce : il tranchait la la gorge.

Le capitaine laissait là son fusil et accourait, sabre en main.
Le félynx ne remuait plus.

Vaneighem embrassa fraternellement Portzamparc et alla prendre dans sa besace une liqueur du pays. Les deux hommes en burent la moitié chacun, d'une traite et rirent de bon cœur. On n'entendait qu'eux dans ces étendues sauvages, à festoyer autour d'un bon feu !

En fin de journée, la tête du prédateur roulait sur la place du village. Terrifiés, les gens s'écartaient, puis osaient s'approcher.
Le soir, les hommes ramenaient le corps de la bête, qu'on fit flamber durant toute la nuit. Les villages voisins apercevaient la lueur du feu et regardaient, fascinés. Tous communiaient autour du bûcher du prédateur.

Deux jours plus tard, les deux soldats étaient de retour au camp. On mena la joyeuse vie dans le corps des officiers ce soir-là, avec des danses autour du feu et des beuveries d'anthologie.
Le lendemain après-midi, le colonel passait la croix de Saint-Valstav autour du cou des deux héros.
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