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Dossier #7 : Le chasseur polaire
#5

DOSSIER #7<!--/sizec-->

Le lendemain, pour son premier jour de congé, Maréchal était debout aux aurores. Il prenait le tram en même temps que la foule des travailleurs. Le Zentral de Mägott-Platz bruissait d'agitation, à l'heure où les gens se trouvaient entassés aux comptoirs des cafés, aux guichets, dans les quais puis dans les wagons.

C'était la ligne de tramway E, qui avait pour terminus le quai des Oiseleurs. Il fallut quelques stations pour que l'inspecteur puisse enfin s'asseoir. Il descendit en chemin, après une longue côte et une grande avenue aux pavés blancs. Une voix enregistrée annonça l'université Granar Leonski.
Maréchal entra dans le grand bâtiment de briques rouges, en même que des étudiants en redingotes qui discutaient savamment d'économie, d'hydro-électrique et de leurs dernières conquêtes.
Les grands couloirs solennels brillaient, et résonnaient d'un murmure indistinct, des cours magistraux et des discussions de couloirs.
La faculté de médecine était "attenante" (comme disait le concierge) à l'université. Il fallut retraverser un parc, et il y eut encore des étudiants qui fumaient, en refaisant le monde et en parlant de leurs carrières.
Enfin, après s'être fait indiquer son chemin par un autre concierge, Maréchal trouva le département de psychologie générale et appliquée.

Dans une grande salle, presque vide, le docteur Julius Heims parlait devant d'éminents confrères, qui l'écoutaient avec sévérité.
Maréchal s'assit sur un banc, dans le couloir, et l'entendit par la porte entrouverte.
- J'affirme, messieurs, que le SHC est une maladie amenée à se développer sur notre lune dans les années à venir...
- Quelles études le prouvent ? répliquait un confrère âgé. Quels sont les chiffres ? Les études de terrain ?
- Les patients que j'ai interrogés m'en apprennent chaque jour plus sur leur cas. L'influence climatique, ainsi que l'acier de notre lune...
- Allons donc ! Pourquoi pas l'influence des Lektres, pendant que vous y êtes !...
Plus la conférence avançait, plus Heims avait de mal à parler sans être interrompu. On parlait de complexion sanguine et de nerf sympathique.
- Les chiffres concordent, chers collègues... Le SHC sera reconnu comme une maladie à parti entière... Une épidémie pourrait éclater...
Le brouhaha montait dans la salle. Certains s'en allaient en lançant une dernière phrase injurieuse.
Heims termina son exposé dans une ambiance confuse. Maréchal se leva. Le docteur discutait avec quelques confrères plus convaincus que les autres.
- Je sais que ce que j'avance ne convaincra pas nos collègues les plus âgés, mais ce syndrome est tellement négligé qu'il est urgent d'attirer l'attention sur lui...
Il vit alors le policier qui l'attendait. Il salua ses collègues et sortit, affairé :
- Bonjour, inspecteur. Merci d'être venu. Venez, mon cabinet est à deux pas.

Heims recevait ses patients dans un grand immeuble bourgeois, haut de sept étages, des fenêtres qui semblaient ondulées comme des danseuses, avec de grands balcons dont les garde-fou avaient des formes courbes.
- Oui, l'ensemble est assez baroque, dit le docteur.
Était-ce de la fierté ou pour s'excuser ? Maréchal ne sut le dire.

L'inspecteur fut invité à s'asseoir, pendant que Heims revoyait son courrier avec sa secrétaire, donnait des consignes et signait des lettres.
Il y avait dans la pièce, derrière Maréchal, outre la planche pour s'allonger, deux grosses machines d'observation, avec des paraboles, des verres grossissants et autres appendices, qui rappelait au policier le sinistre arsenal trouvé dans la réserve de Herbert...

- Alors, à nous...
Le docteur referma la porte du cabinet et alla s'asseoir dans son grand fauteuil en cuir pivotant.
Heims alla se laver les mains puis baissa les stores derrière lui. Le soleil pâle d'Exil n'entrait plus que par lames.
- Je vous ai donc proposé de venir du problème qui vous occupe... Ce syndrome qui est communément appelé SHC, syndrome d'hypersensibilité chronique. Et quand je dis communément, c'est façon de parler. Vous avez entendu combien il en laisse beaucoup sceptiques, même parmi mes confrères les plus estimés. Mais parlons de vous : quels troubles ressentez-vous ?
Le docteur avait allumé un chromatographe et prit en notes ce que dit Maréchal.
- Ma foi, docteur... Des insomnies... Le besoin d'aller marcher, pour me calmer. Des cauchemars aussi. De la fatigue... Et puis, il y a le café chez Emma, aussi, où je vous ai rencontré...
- Oui, tout à fait.
Scrupuleusement, le docteur notait.
Il ne l'avait pas dit, ça, à ses "estimés confrères" qu'avec le SHC, on découvrait de nouvelles rues dans la Cité d'Acier !... Pour ne pas parler de certains phénomènes de téléportation spontanée entre son domicile et le bistrot !
Cela, Maréchal n'en fit pas mention. Il y avait de quoi se retrouver enfermé dans le QHS de l'asile de Ry'leh !
- Mais savez-vous, demanda le policier, ce qui provoque ce SHC ?
- Mes recherches n'en sont qu'à leurs débuts. Je ne suis pas le seul à m'intéresser à ces troubles, mais nous sommes peu nombreux. Cependant, les observations concordent pour dire que l'atmosphère de notre lune y est pour beaucoup. Il serait improbable de trouver des gens touchés par ce syndrome sur Forge.
La plupart des exiléens auraient de toute façon accordé que les Forgiens étaient trop barbares pour développer la moindre maladie mentale, ce privilège de gens civilisés !
- Non seulement le jour très faible de notre lune, par rapport à Forge, où il y a au contraire peu d'obscurité et des jours gris, la plupart du temps. Mais, à mon avis aussi, la structure métallique de la Cité. J'ai tenté de me renseigner, auprès de spécialistes, sur l'acier d'Exil. J'ai demandé à des départements d'ingénieurs, à des chimistes. Je suis même allé poser la question à des ouvriers métallurgistes. Je n'ai pas de certitude quant à cet acier, mais je suis persuadé qu'il émet des vibrations, des ondes, qui peuvent influer sur le système nerveux.

Maréchal comprenait bien que la vie sur Exil tapait sur les nerfs de quelques-uns, dont il faisait manifestement partie !
- Ceci dit pour les causes du mal. Quant à ses effets, ils ne sont pas tous connus...
On sentait le docteur hésitant.
- Quels sont les pires effets que vous connaissez ? demanda Maréchal.
Le docteur se laissa le temps de tapoter sur son clavier, puis dit :
- Périodes prolongées d'insomnies... Certains patients ont dû être hospitalisés, à cause de l'épuisement. Des cas de somnambulisme, aussi. D'autres ont été admis à l'asile de Ri'leh pour des soins spécialisés.

Voilà, comme ça, c'était dit !
Maréchal avait une chance non négligeable de se retrouver, un jour, emporté de force par deux gros infirmiers, vers une cellule capitonnée, habillé d'une élégante camisole de force !

Le docteur Heims remercia Maréchal d'être venu lui parler et lui confia une brochure, éditée par le département de psychologie de la faculté, qui présentait le SHC en quelques mots et fournissait quelques hypothèses sur son origine.



LE SHC, syndrome trop peu connu sur notre Lune

L'explication de l'anxiété dans notre Cité a fait depuis quelques années maintenant l'objet des recherches de la psychologie. Celle-ci la considère comme la conséquence d'une inadaptation d'une espèce à un environnement qui a évolué trop rapidement. Ainsi ce qu'on a appelé le Syndrome Général d'Adaptation (SGA) est-il maintenant communément accepté par tous les praticiens.

L'exemple qui revient fréquemment à propos du SGA est l'anxiété, la nervosité, générées par la Cité. C'est un fait sur lequel la plupart des experts s'accordent, que nos lointains ancêtres vivaient sur Forge. Nous étions adaptés à un mode de vie de chasseurs-cueilleurs et notre mode de vie a changé beaucoup trop rapidement depuis la création de l'agriculture. Notre espèce n'a pas pu s'adapter à de trop larges communautés, avec leurs conséquences : méconnaissance d'autrui, anonymat de la foule etc. Tel est pourtant le quotidien des habitants d'Exil.

A partir de là, l'explication du Syndrome d'Hypersensibilité Chronique (SHC) s'éclaircit considérablement : l'Homme a quitté Forge, voici plusieurs siècles, et n'a pas encore terminé de s'adapter à l'atmosphère de notre Lune, et à ses particularités. Aussi certains phénomènes sont-ils encore considérés comme irrationnels, et ceux qui les étudient sont accusés de prendre le paranormal au sérieux, de franchir la ligne rouge qui nous sépare des devins, théosophes et autres voyants. On a parlé de créatures étranges, de disparition, de téléportation. Nous savons que la science saura éclairer ces mystères, et nous rendre ces créatures mal connues aussi familières qu'un slourt.

La réaction souvent constatée, chez nombre de sujets, pour éviter l'anxiété a été le détachement. Ainsi, le psychisme, ne pouvant comprendre certains phénomènes, choisit simplement de les ignorer. C'est la réaction saine de la plupart des Exiléens, et cela fonde une partie de la sagesse populaire.
Certains sujets, au contraire, ne sont pas capables de ce détachement et réagissent alors par un surcroît d'anxiété, voire par des crises d'angoisse, ce qui se manifeste par des insomnies et le besoin obsédant de marcher dans la Cité. Dans les cas les plus graves, les sujets peuvent même amplifier les évènements générateurs d'angoisse et voir les choses comme plus étranges qu'elles ne sont. L'ensemble de ces symptômes produit ainsi ce qu'on a appelé le Syndrome d'Hypersensibilité Chronique.
Connaître l'origine de ces visions déformées de notre Cité permettre d'expliquer bien des hallucinations, parfois collectives, et contribuerait à rendre raison de certains comportements, considérés comme "irrationnels".
Combien d'adversaires du Progrès et de la concorde sociale affirment que la lune d'Exil est fondamentalement condamnée à la folie et aux monstres qui guetteraient dans ses profondeurs ?
L'étude scientifique du SHC doit permettre d'évacuer ces peurs sans fondement."

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*

Au commissariat de Mägott-Platz, Horson réunissait tout le monde, après avoir reçu un important appel.
- Je viens d'être mis en contact avec la secrétaire de l'amirauté de la flotte...
Surpris, les policiers ne comprirent pas.
- On me prévient, dit le commissaire en roulant une cigarette entre ses gros doigts, qu'un officier de la marine lunaire va se déplacer prochainement dans notre quartier. Il s'agit de l'amiral de Villers-Leclos.

Tout le monde, sur la lune, avait plus ou moins entendu parler de cette gloire de la marine. La famille de Villers-Leclos était l'une des plus anciennes d'Exil. L'amiral en question avait mené des campagnes retentissantes sur Forge, avait coulé une bonne partie de la flotte autrellienne venue l'arrêter, puis avait établi des comptoirs sur la côte. Il avait passé des alliances avec les Kargarliens et fini par obtenir des concessions territoriales. Autant dire que grâce à lui, Exil venait de faire le premier pas sur Forge. Les partisans de la branche traditionalistes considéraient que dans moins de dix ans, on pouvait soumettre toute la planète, la supériorité technologique d'Exil compensant largement l'infériorité numérique.

Novembre se méfiait des militaires, depuis qu'il avait eu affaire à deux d'entre eux, quelques années auparavant. Il savait que ces histoires impliquant, même indirectement, les nations forgiennes, sentaient mauvais.
- Que vient-il faire dans le quartier ? demanda l'inspecteur-chef.
Horson toussota.
- Il vient au cirque.
- Au cirque !
- Avec ses petits-enfants, je suppose.
Comme Novembre, en fait !
- J'ai cru comprendre, dit le commissaire, qu'il voulait aller au cirque Fantazia, en profitant de la tournée de celui-ci loin des hauts quartiers.
- Il vient chez les prolos pour être tranquille, dit Rampoix en allumant une cigarette.
- Exactement, répliqua le commissaire. Et je compte bien qu'il le soit, tranquille, pendant sa visite. Donc inspecteur...
- Je me charge de tout, dit Novembre.
Il se leva le premier :
- Réunion tout de suite, les enfants !
A l'exception du commissaire, les policiers passèrent dans le bureau de Novembre.
L'inspecteur-chef soupira et alluma la cigarette des emplois du temps.

Au bout d'une heure, alors que le bureau était bleui de fumée, les policiers ressortirent. Les tours de visite à la plateforme de loisir étaient organisés pour les trois soirs à venir, c'est à dire le temps que le cirque resterait là.
"Le cirque Fantazia, le cirque Fantazia, trois soirées exceptionnelles !"
- Vous ferez en sorte qu'elles n'aient rien d'exceptionnel, ces soirées, dit Horson.
Le premier soir, le lendemain, c'est Rampoix et Sampieri qui s'y rendraient ; le troisième soir, Novembre, qui irait en famille ; et le deuxième soir, lors de la visite de l'amiral, ce serait Portzamparc.
Le détective reçut donc des consignes spéciales de Novembre :
- L'amiral viendra avec ses gardes du corps. Il y aura sûrement son épouse, et ses petits-enfants. On a dit au commissaire que l'on souhaitait une visite discrète. Donc tu te mettras poliment en contact avec l'officier en charge de la sécurité ce soir-là, et tu lui diras que tu te tiens à sa disposition. Dis-toi que, de toute façon, ces gens-là ne t'accorderont aucune considération. Cela dit, tu surveilleras l'extérieur de la plateforme. Il y aura aussi des Pandores, donc mets-toi bien avec eux.
"Mais ne t'inquiètes pas, tout va bien se passer. Fais ton boulot comme n'importe quel soir."

L'après-midi, les policiers étudièrent le plan de la plateforme de loisirs :
- Vous voyez là, là et là, expliquait Novembre, trois passerelles qui mènent aux quartiers voisins. Ici, la plateforme surélevée où se posent les ballons-taxi. Et là, l'accès par l'ascenseur depuis chez nous.
Rampoix et Sampieri partirent faire un tour là-haut, et revinrent avec trois forains, qu'ils venaient d'arrêter en possession de drogues.
- Allez, ça fera toujours ceux-là de moins !
A son bureau, Portzamparc était inquiet. L'amiral de Villers-Leclos, c'était la cible rêvée, si un meurtre devait se produire. La veille, Maréchal, informé par un de ses indics qu'il sortait d'on ne sait où, avait dit qu'il faudrait surveiller les personnalités du quartier.
Or, si on voulait s'en prendre à l'amiral de Villers-Leclos, son déplacement loin du centre-ville était l'occasion rêvée. Villers-Leclos, qui n'en avait pas entendu parler, à Autrelles, quand celui-ci eut envoyé leur flotte par le fond...

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