28-09-2008, 02:23 PM
(This post was last modified: 01-10-2008, 12:11 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #7<!--sizec--><!--/sizec-->
Les négociations entre la flotte exiléenne de Villers-Leclos (qui à l'époque n'était encore que commandant) et les tribus kargarliennes avaient commencé dès l'approche des côtes continentales. Si Kargarl avait alors été choisi par les Exiléens comme interlocuteurs plutôt que les Autrelliens, plus évolués, c'est précisément parce qu'il serait plus facile de se faire une armée de barbares incultes, et ainsi d'asservir Autrelles, nation plus moderne.
Les rêves de gloire de Villers-Leclos n'étaient pas allés aussi loin qu'il l'espérait. Pour certains, il se serait bien vu nouveau roi d'Autrelles, avec une garde personnelle et des milices de Kargarliens.
Seulement, les Autrelliens ne l'entendaient pas de cette oreille-là. Des opérations de sabotage avaient été entreprises contre la flotte exiléenne, avec le soutien d'experts venus "d'ailleurs". L'Etat-Major autrellien ne s'était pas étendu sur la question ; mais on soupçonnait l'implication de Lonastriens dans des opérations de sabotage, et des raids de guérilleros.
Le capitaine Vaneighem avait participé à des opérations de choc, contre des postes avancés kargarliens soutenus par les fonds exiléens.
Un an et demi après la chasse au Félynx, lui et Portzamparc s'étaient retrouvés, lors d'un dîner de bienfaisance chez une comtesse qui s'occupait des orphelins de l'armée. Parmi les courtisans et les danseurs, Vaneighem était allé salué le lieutenant de Portzamparc :
- On prend du galon, à ce que je vois !
- A vos ordres, mon capitaine !
Les deux hommes rirent et se tapèrent dans le dos de bon cœur. Un verre à la main, ils se racontèrent leurs derniers exploits. Leurs combats sur les frontières et sur les côtes. Portzamparc était resté au nord, Vaneighem avait été envoyé de plus en plus vers le dus.
Après quelques verres, Vaneighem raconta comment il avait manqué de se faire étriper, un soir qu'il se trouvait dans le lit d'une jeune bourgeoise qui venait d'épouser un gros et vieux négociant.
- Croyez-moi, lieutenant, rien n'est aussi dangereux qu'un Félynx, sinon un cocu !
Il rit aux éclats et se resservit à boire.
Puis, un ton plus bas, alors que les deux hommes allaient profiter d'un cigare sur la terrasse qui offrait une vue imprenable sur la capitale :
- Entre nous, il se pourrait que ma carrière prenne un tour intéressant, mais un peu inattendu. Je ne peux pas en dire plus, mon ami, mais il se pourrait que nous soyons longtemps sans nous revoir. J'espère que nous nous retrouverons avant d'être devenus de vieux barbons, ou avant d'être accrochés à la même potence kargarlienne !
Il rit encore à pleins poumons, tapa dans le dos de Portzamparc et rentra discuter avec une jeune marquise qui lui faisait de l'oeil depuis le début de la soirée.
Les deux amis arrivèrent tôt le matin dans la ville que dominait le château de la comtesse ; ils avaient trop bu et trop fumé, et ils riaient dans les rues de la petite ville qui s'éveillait. L'aube blanche pointait quand les deux pochards faisaient une entrée spectaculaire dans un des établissements les plus respectables de la capitale. Ils montèrent les escaliers, accrochés fermement à la rambarde. Sur le palier, Vaneighem trouvait sa petite marquise, qui l'attendait impatiemment.
Portzamparc fit des derniers signes de connivence égrillarde au capitaine, et s'endormit comme une masse. Il ronfla toute la mâtinée, pendant que le lit de la chambre d'à côté grinçait et vibrait à en faire trembler toute l'auberge.
A son réveil, le lieutenant sentait une bûche lui peser sur le crâne. Il s'habilla comme il put et, encore mal fagoté, descendit dans la salle de restaurant de l'auberge, où il eut droit au regard noir de toute une assemblée de notables, indigné de la présence de ce soudard en permission, qui faisait honte à l'armée.
- Où est le capitaine ? articula Portzamparc, à l'adresse du patron.
- Il est déjà parti, dit l'aubergiste en reculant, car l'officier avait une haleine de fauve.
Portzamparc en fut dégrisé. Il était triste de ne pas avoir dit au revoir à son ami.
Après avoir pris un solide déjeuner, il sortit faire se baigner dans l'étang derrière l'auberge. Il avança dans la neige, une pioche à la main. A la fenêtre, les notables l'observaient, stupéfaits. Portzamparc cracha dans ses mains et entreprit de casser la glace, puis se plongea dans le bassin d'eau. Elle était juste à la bonne température !
Il ressortit nu comme un ver, les dames à la fenêtre détournant le regard, outragées, mais certaines, jeunes ou vieilles, regardant du coin de l'oeil derrière leurs éventails, ce beau militaire viril.
Portzamparc fit quelques exercices d'assouplissement avant de se rhabiller, et rentra à l'auberge, où il se fit faire un bain bouillant.
Le soir, en rentrant à sa caserne, le lieutenant se fit remonter les bretelles par ses supérieurs. C'était plutôt pour la forme, car les militaires aimaient bien scandaliser le bourgeois. Portzamparc savait bien que son commandant en avait fait d'autres quand il avait son âge !
Son supérieur lui pointa un cigare sous le nez :
- Quand vous aurez fini de dessaouler, lieutenant, vous irez passer une autre tenue et vous repartirez à l’auberge d’où vous venez !
Portzamparc rougit. Il s’attendait à devoir présenter publiquement des excuses aux notables.
- Là-bas, des gens veulent vous parler… Des civils…
Le commandant avait l’air gêné. Ce n’était pas habituel chez lui.
- Moi, cela ne me regarde pas, m’a-t-on fait comprendre… Bref, cela sera compté sur vos permissions, lieutenant ! Rompez !
Portzamparc salua, surpris.
Que lui voulait-on ? Ce n’était pas pour aller déclarer aux clients de l’auberge qu’il n’était qu’un affreux pochard. Le commandait était sérieux.
Rasé de frais, son costume sans un pli, sabre à la ceinture, le lieutenant repassa la porte de la caserne le soir.
On l’attendait devant la porte de l’auberge. Deux hommes vêtus de grosses gabardines, des têtes de brutes. Ils avancèrent, présentèrent brièvement des papiers et lui intimèrent l’ordre de les suivre.
Portzamparc reconnut un sceau officiel royal, mais c’était tout. Un des hommes alluma un cigare. Il faisait maintenant nuit noire. Une voiture à cheval arriva dans la grande rue.
- Montez !
Portzamparc obtempéra, s’assit dans la voiture, ses deux « gorilles » face à lui, qui ne dirent pas un mot du voyage, qui ne répondirent même pas quand le lieutenant demanda où on allait, alors que la voiture partait en pleine campagne. Le lieutenant finit par s’endormir, bercé par cette chevauchée.
Portzamparc se réveilla ce matin-là, alors que sa femme lui apportait son café au lit. Le policier s’étira et s’extirpa à regret du lit bien chaud.