07-10-2008, 11:02 AM
(This post was last modified: 09-10-2008, 03:38 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #7<!--sizec--><!--/sizec-->
Maréchal retrouva la famille au bar du Novö-Art.
- Je croyais que tu devais être en congés, remarqua sa tante.
- J'ai eu du travail aujourd'hui, toussota-t-il. Tu sais, pour un fonctionnaire, il n'y pas vraiment de vacances, surtout à SÛRETÉ.
- Et demain, peut-on espérer te voir ? Je te signale que nous repartons demain soir.
- Écoute, je te promets de faire de mon mieux mais là, nous sommes sur une affaire. Et il y a des personnes importantes impliquées. Donc...
- Donc j'espère, dit Myrtille, que tu feras un effort pour voir un peu ta vieille tante...
La corde sensible maintenant !
Gérald s'alluma un cigare :
- Allons, maman, tu vois bien que tu le gênes. Nous ne pouvons quand même pas distraire un officier de police de son devoir. Crois-tu que les gens aimeraient qu'un fonctionnaire chargé de les surveiller prenne des vacances au lieu de courir après les malfaiteurs ?
Maréchal trépignait, impatient de partir : il avait justement un "malfaiteur" à voir !
Sa tante l'embrassa et soupira, d'un air qui disait qu'il ne changerait jamais !
Portzamparc rentrait chez lui. Sa femme était déjà là ; elle était revenue avec ses amis. Elle avait beaucoup ri toute la soirée.
- Tu sais que la voisine a des enfants pas croyables ! Ils sont drôles, tu verrais ! De vrais clowns. Ils n'ont pas besoin du cirque, eux !
Son mari sourit poliment, dit qu'il était fatigué par sa journée et alla prendre une douche bien chaude. Il avait besoin d'être seul. Dans la cabine en plastique, il fit tourner le robinet qui grinçait et entendit l'eau dégringoler dans les tuyaux puis la sentit, brûlante. Il tremblait encore de froid.
Il repensait à la voiture qui l'emmenait depuis la capitale d'Autrelles, avec ces deux civils qui voulaient lui parler. Ses souvenirs à ce sujet étaient plus confus alors que longtemps, il en avait gardé des images très nettes. Il se souvenait que la pièce résonnait, qu'elle était très mal éclairée. Juste une table entre lui et un civil qui l'interrogeait. Deux personnes derrière lui. Une cave dont les couloirs lui avaient paru infinis.
Il ne se souvenait pas de paroles, mais de cris. Peu à peu, il reconstituait ce qui s'était passé.
- Vous voulez servir votre royaume, lieutenant ?
Portzamparc s'était levé d'un bond, fier, la poitrine bombée.
- Je l'ai toujours servi !
- Mon cul, oui...
Le sang était monté aux joues de l'officier. Les deux malabars derrière n'avaient pas été assez rapides : le type avait pris le direct de Portzamparc dans le nez.
Le militaire s'était fait ceinturer et rasseoir, les pattes des deux affreux lui broyant le bras.
Son nez en sang dans un mouchoir, le type ricanait.
- Bravo, quel patriotisme, lieutenant !
- Dans ta face, le patriotisme, avait grogné l'officier.
- Donc, je reprends... Moi je vous propose de servir enfin votre Royaume, et autrement qu'en nettoyant le crottin des écuries, compris, espèce d'empaffé de bidasse de mes deux !
Cette fois, Portzamparc ne pouvait plus bouger, et l'autre prenait un malin plaisir à se pencher sur lui.
- Chasseur polaire, c'est ça ?... Vous êtes fiers de votre titre, vous autres, n'est-ce-pas ? Mais dites-moi, vous faites quoi, tout le temps dans ces régions perdues ? Ça doit être long, non ?... Pas de femme en plus. Ou alors parfois un petit raid pour piller quelques villages, hein ?... Ou bien, dans le pire des cas, vous vous envoyez en l'air avec vos chèvres, hein, bande de dégueulasses !
L'officier avait l'envie de meurtre dans le regard.
- Oh mais c'est qu'on est un gros dur, c'est ça ?... Voyons, qu'avons-nous là ?
Le type sortait du tiroir une liasse de papiers.
- Voyons, quels sont vos derniers exploits ? Surveillances de nuit, patrouilles, repérages... Impressionnant ! Mais vous ne vous battez jamais, dites-moi ? Vous croyez que notre monarque entretient des troupes juste pour remuer la neige ? Peut-être qu'il va falloir vous réveiller ! Je vous signale qu'on a des voisins, les Kargarliens, qui en ont après nous. Mais ça ne doit pas vous empêcher de dormir, vous là-haut. Après tout, on ne vous demande pas de vous battre comme des hommes, hein, juste de surveiller la frontière !... Pas besoin d'avoir des couilles au cul !
Les deux gardes riaient et serraient le lieutenant de près. L'un d'eux lui attacha les mains derrière la chaise.
- Fumier !
Portzamparc allait faire craquer ses liens. L'autre renversa sa chaise en arrière et gueula :
- Je te pisse dessus, la bidasse, compris ? Je te pisse dessus !
Et il était en position de le faire !
La nuit avait été longue. Insultes à répétitions, des seaux d'eau froide. Des coups. Des questions aussi, entre deux insultes à ce que le lieutenant avait de plus sacré : son régiment, sa virilité, son honneur. "Tapette..."
Des heures dans le noir, et de brusques retours de son interrogateur, qui reprenait la discussion comme s'il venait de partir.
Au matin, épuisé, Portzamparc avait demandé, après avoir repris un seau d'eau glacé :
- Mais que me voulez-vous, à la fin ?...
Le civil avait dit à ses deux gorilles :
- Solide, quand même, vous ne trouvez pas ? Les troufions, c'est ça : cons comme des balais, mais solides comme le roc !
Les deux autres riaient.
- C'est vrai que vous n'avez pas inventé l'eau tiède, bande d'empaffés !...
Il cracha par terre et se frotta le nez. Il avait une belle bosse dessus !
- Seulement, moi, je viens vous offrir un autre avenir, lieutenant.
Il était d'un coup plus aimable. Il s'assit d'une jambe sur le bureau, s'alluma une cigarette et en offrit une à son "invité".
- Un avenir loin d'ici, lieutenant, mais plus exaltant que la surveillance de la frontière septentrionale et la distribution de corvées d'écuries à vos subordonnés.
- Sans blague, dit Portzamparc, abruti par la fatigue, vous me proposez une nuit dans le lit de la Cousine ?
La Cousine, c'était celle du roi. Jeune et belle, c'était une débauchée notoire, dont les aventures galantes étaient une mine de ragots et de plaisanteries de corps de garde.
Le type éclata de rire.
- Bien, vous avez de l'esprit, c'est bien... C'est rare chez les gens de votre espèce.
Un des gros bras apportait du lait et du pain, bien croustillant.
- Arnolphe est une vraie mère pour vous, lieutenant. Moi qui ne lui ai rien demandé.
- Bois, mon gars, tu l'as bien mérité !
Portzamparc prit la tasse de lait brûlant.
- Merci, "papa"...
On délia les mains de Portzamparc. Puis on lui expliqua ce qu'on attendait de lui.
- Je vais expliquer lentement, parce que je conçois bien que ce soit dur à appréhender pour un crétin de bidasse de mes deux comme vous...
Portzamparc ne se vexait même plus ! C'était la routine maintenant, une petite insulte entre deux phrases ! On était en famille, dans cette charmante cave sous une bâtisse en pleine nature !
L'explication avait duré une partie de la mâtinée.
Le policier sortit de la douche et alla se mettre au lit, contre le corps bien chaud de sa femme.
- Alors, tu as aimé cette soirée ?
- Oh, tu sais, je n'ai pas eu trop le temps de m'intéresser au spectacle. On a eu du travail.
Portzamparc s'endormit peu après, malgré l'anxiété qui le tiraillait. A cette heure-ci, où était Vaneighem ?
*
Dans les ruelles tordues de Rainure - Saint-Polska, Herbert, emmitouflé, passait en grelottant. Le quartier était désespérément désert. Il arriva dans un relais de poste vide. Il ouvrit la porte avec son passe et prit le parlophone.
- Bonsoir, mademoiselle, donnez-moi s'il vous plait Kreutzer 45-67. Oui, 45-67... Merci.
Il raccrocha. D'où il était, il dominait le bassin de Pantion, et ses étranges machines célibataires, qui œuvraient sans arrêt à une tâche incompréhensible. Aucun feu dans les chaumières. Personne dans les rues. Et il était prisonnier de ce quartier fantôme.
Le parlophone sonna.
- Votre appel est prêt, monsieur.
- Merci, fit-il, pressé.
Il se mordit la lèvre. Il entendit la voix de son interlocuteur.
- Allô, c'est Herbert... Vous avez recommencé ?... Non, écoutez, c'est de la folie... Ce n'est pas raisonnable... D'abord, vous êtes censé me surveiller et pas le contraire. C'est moi qui devrait être tenté de faire des bêtises, ou de m'échapper de cet endroit. Au lieu de ça, on dirait que c'est moi qui doit vous surveiller... Vous m'entendez ?... Soyez raisonnable : que va penser le professeur quand il verra que vous avez utilisé son siège ?... Vous y êtes depuis combien de temps ?... Ohlala... Je ne l'ai jamais vu y rester plus de quelques minutes... Et vous y êtes depuis un bon quart d'heure... Moi je sais ce qui se passe quand on abuse de l'utilisation de ce genre d'engins... Non, mademoiselle, ne coupez pas !... Allô ? allô ?...
- Votre correspondant a raccroché, dit la voix de la petite dame.
- Merci, au revoir.
Herbert raccrocha et repartit vers sa bicoque. Il était pressé de boire une bonne infusion.
Il tournait la clef dans sa serrure quand il fit un bond : on venait de lui poser une main sur l'épaule.
- Inspecteur !
Maréchal allumait une cigarette.
- Alors, où étiez-vous passé ?
- ... sorti parlophoné ! grogna Herbert. J'ai encore le droit, non ?
- Allons entrons...
A contre-coeur, Herbert ouvrit.
Maréchal s'assit comme s'il était chez lui.
- Votre contact est drôlement fortiche, Herbert. Il a de sacrés bons tuyaux...
- On a tué quelqu'un ce soir ?
- Ce n'est pas passé loin. Mais le tueur a réussi à nous échapper.
Le petit chauve mit de l'eau à bouillir. Maréchal alluma une cigarette.
- Qu'est-ce que cet indic vous a dit d'autre ?
- Pour le moment, rien.
- Mais il ne va pas tarder à en dire davantage, pas vrai ?
- Écoutez, je ne sais pas.
- Inutile de mentir, Herbert. Je veux ces informations.
- Ce ne sera pas gratuit.
C'était comique de l'entendre jouer les durs.
- Qu'est-ce qu'il veut, votre ami ?
- Lui, je ne sais pas. Moi, je sais.
- Ah oui ?
- Oui. Je servirai d'intermédiaire. En échange, je veux pouvoir sortir d'ici.
Maréchal écrasa sa cigarette par terre et en alluma une autre.
- Il va falloir que vous m'expliquiez quelque chose, Herbert... Qu'est-ce qui vous empêche de partir d'ici ? Regardez, moi, je n'ai aucun problème pour aller et venir.
- Vous, ce n'est pas pareil. Si je m'en vais, j'aurai des ennuis.
- Avec vos Scientistes ?
Lassé, Herbert s'assit, sa tasse à la main.
- Si vous voulez...
- Vous me demandez de vous protéger en somme ?
- La protection de témoins, ça existe, non ?
- Encore faut-il avoir de quoi témoigner.
- "On" peut vous mettre sur la piste du tueur !
- Sans blague ? Vous savez qui c'est ?
- Non, pas encore. Mais bientôt.
Maréchal se leva :
- J'attends vos nouveaux tuyaux, Herbert. Je vous fais confiance parce que votre ami a l'air d'avoir de bonnes informations.
- Vous pourriez déjà me faire confiance depuis longtemps ! C'est quand même moi qui vous ai donné la montre ! Je me suis arrangé pour vous la faire parvenir, dans la consigne. J'espère que vous l'avez toujours.
- Mais oui...
- "Ils" ne voulaient pas vous la donner...
- Ce sont vos affaires, cela. Je m'occuperai de vous faire sortir d'ici quand on aura mis la main sur le tueur. Plus le temps passe et plus il peut être loin. Vous avez combien de temps avant le retour de vos amis ?
- Pas beaucoup.
- J'en ai encore moins.
- Je veux une protection sûre ! Et pas votre gniouf !
- On verra.
Maréchal referma la porte sans rien ajouter.
Après le départ de l'inspecteur, Herbert ressortit passer un coup de parlophone.
*
Le lendemain, la police de Mägott-Platz était sur les dents. Les militaires faisaient de leur mieux pour leur faire retomber la faute dessus. Le commissaire Horson eut droit à quelques appels bien salés de la part d'un juge, puis d'un procureur, ami de l'excellent amiral de Villers-Leclos.
- Vous comprendrez, commissaire, qu'il était inutile de vous prévenir si c'est pour qu'un assassin puisse s'introduire dans ce cirque comme dans un moulin...
Le gros policier sortit grognon de son bureau. Novembre et les autres n'étaient pas trop fiers. Portzamparc prenait le même air contrit que les autres.
- Les galonnés n'ont rien à se reprocher, soupira Horson en s'asseyant, lourd et pataud. Ils ont réussi à toucher le clown...
- On va l'avoir, commissaire, dit Novembre. Merde, s'il est blessé, il n'a pas pu aller loin ! Les voisins sont prévenus. Je viens d'avoir Velmer au bout du fil, et Tircelan.
- Alors espérons qu'ils auront le nez creux pour trouver ce tueur de croix de guerre, dit Horson en s'épongeant le front.
Dans son bureau, Maréchal, encore en congé, fumait tranquillement dans son hamac. Il ricanait bêtement en entendant ses collègues déconfits.
Il n'aimait pas les militaires ! C'était comme ça. A peine s'il en voulait au clown. Bien sûr, c'était un tueur et un clown (et Maréchal n'aimait pas les clowns !

Son bureau devenait une annexe de son appartement. Ou bien c'était le contraire... Oui, ce bureau était devenu sa résidence principale !
Aujourd'hui, Myrtille, Gérald et la tribu allaient visiter les beaux quartiers et faire des achats sur la rue Verte. Maréchal ne voulait pas aller là-bas. Il n'y était pas bien vu. Trop zélé, avait dit le bourgmestre.
Il se tourna dans son hamac, bien à son aise, pendant que ses collègues se creusaient la tête pour pouvoir dire aux militaires qu'ils s'agitaient beaucoup.
Alors que lui, Maréchal, attendait un coup de fil... Un simple petit coup de fil ; une adresse, un nom...
Il entendait Novembre qui répartissait les recherches : Portzamparc et les autres allaient passer l'après-midi à crapahuter dans le quartier, certainement en pure perte. Seulement les militaires rôdaient. Le lieutenant de Loclas, le cire-pompes de l'amiral, voulait un coupable. Quitte à en inventer un pour calmer les galonnés. Il y aurait des arrestations de faites, des protestations de la part des plus honorables canailles du quartier.
Maréchal avait paresseusement demandé quelques informations sur Villers-Leclos à son chromatographe. Le réseau de CONTRÔLE envoyait de maigres réponses.
C'était un amiral quatre - étoiles. Nombreuses campagnes en Autrelles. Il avait fini par se retirer de là-bas. Les textes étaient hagiographiques, mais c'est qu'ils émanaient du haut - commandement de la Marine. Maréchal comprenait qu'après un début de campagne prometteur, marqué par plusieurs victoires, les Exiléens avaient fini par être rejetés à la mer, comme de vulgaires pirates. Villers-Leclos était néanmoins revenu en Exil pour y être auréolé de gloire. "Une avancée décisive pour la civilisation du Progrès."
L'inspecteur abandonna ses recherches et préféra se rendormir. Il entendit ses collègues sortir, après un nouvel appel du lieutenant de Loclas. Celui-ci avait sans doute une piste infaillible. Silence dans le commissariat.
Il n'y eut plus, pendant une demi-heure, que le cliquetis de la machine à écrire de Priscilla. Puis un appel de Myrtille :
- Antonin ? Oui, je t'appelle pour te dire que Gérald a trouvé un négociant, ici à la rue Verte... Enfin, c'est compliqué je t'expliquerai...
Aux clameurs derrière sa tante, Maréchal devinait qu'elle devait être à l'hippodrome.
- Bref, Gérald a décidé de prolonger notre séjour... Oui, il est incorrigible ! Il pense avoir une affaire en or !
- Faisons lui confiance pour ça, ma tante. Il a du flair.
- Allons, je te laisse, à ce soir !
Maréchal se rendormit.