07-10-2008, 03:59 PM
(This post was last modified: 09-10-2008, 03:20 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #7<!--sizec--><!--/sizec-->
Le parlophone sonna. Maréchal le décrocha comme si sa vie en dépendait.
- Inspecteur ?
- J'ai attendu votre appel toute la journée, vous faisiez quoi ?
- Écoutez, j'ai des renseignements importants. Mieux vaut tard que jamais, non ?
- Alors ?
- Le tueur a trouvé refuge dans le quartier de Rotor 24. Vous connaissez ?
- Évidemment. Ensuite ? Où précisément ?
- Une résidence d'ouvriers, à l'entrée du quartier. Je n'en sais pas plus.
- D'accord.
Maréchal raccrocha et prit son manteau dans le même mouvement. Il cria à Priscilla sa destination et dit qu'il avait une piste.
- Entendu, minauda la secrétaire, très concentrée sur son texte.
L'inspecteur prit son billet pour l'ascenseur et usa de sa carte de SÛRETÉ pour le faire démarrer sans attendre. Pendant que la plateforme montait, il cogitait : Rotor 24 était accessible depuis la plateforme de loisir par un seul accès : la passerelle Rouille-Brume. Mais c'était dans la direction opposée que les galonnés avaient cherché l'assassin. Maréchal se dit que c'était décidément des bons à rien !
Un Pandore faisait le pied de grue près du cirque :
- La passerelle Rouille-Brume, qui la surveillait hier soir ?
- Je ne sais pas.
L'imbécile de planton buté ! Il ne dirait rien, pour ne pas avouer qu'elle n'était pas surveillée !
Maréchal alluma une cigarette et s'engagea sur la passerelle. Il passait au-dessus de Mägott-Platz et de la Jointure. Rotor 24 n'était pas le quartier qu'il connaissait le mieux. Il savait que c'était un bloc citadin entièrement amovible. Une réalisation spectaculaire des Ingénieurs de la Cité. Le quartier avait été enclenché dans sa position actuelle dix ans, pour une durée maximale de quinze ans, après quoi il serait déplacé, en fonction des besoins des corpoles ayant construit dessus.
Le fonctionnement du quartier était financé à moitié par ces mêmes corpoles qui y possédaient à peu près tout, des habitations aux commerces. ADMINISTRATION y avait un rôle plus ténu qu'ailleurs, ce qui était pour les corpolitains une preuve qu'Exil pouvait vivre sans les lourdeurs de la bureaucratie.
Maréchal s'adressa à un Pandore pour trouver l'adresse du logement des ouvriers. Le bâtiment était un bloc de pierre de dix étages de haut, avec à chaque palier une dizaine de logements, tous semblables. L'indic de Herbert avait des informations vraiment fiables ! Comment savait-il ? Qui était-il pour en savoir plus long que la police ?
Maréchal sentait son instinct de chasseur se réveiller. Il y avait, dans ce bloc massif, un tueur en puissance, assez audacieux pour s'en prendre à une des gloires de la Marine d'Exil.
L'inspecteur ne savait pas qu'au moment où il arrivait sur le palier de l'immeuble, il était déjà observé par l'ex-capitaine Vaneighem. Celui-ci, cloîtré depuis la veille dans un vilain petit studio nu, avait fini de nettoyer sa plaie et de refaire son bandage. Il avait changé de vêtements ; il remettait des cartouches dans son révolver. Et il avait aussitôt senti que cet homme qui parlait à la concierge venait pour lui. Il puait le flic.
Vaneighem mit son chapeau melon et sa redingote de petit-bourgeois paisible, sortit dans le couloir et prit l'escalier de secours. Il arrivait dans la rue quand Maréchal arrivait sur son palier, suivi de la concierge.
- Oui, il est dans cet appartement, inspecteur. Un des moins chers. Il est loué depuis des mois mais personne ne l'occupait, sauf ce monsieur qui est arrivé la nuit dernière, très tard. Il avait les clefs.
Maréchal frappa à la porte.
- Ouvrez !
- Bien, bien...
La concierge mit la clef dans la serrure et ouvrit. Maréchal avait la main sur son arme. Il découvrit le studio vide.
- Où est-il ? Vous ne l'avez pas vu descendre ?
- Mais non !
- Il y a un autre escalier ?
- Celui de secours qui-
Maréchal bouscula la concierge et partit en courant au bout du couloir. Il descendit dans la cage étroite et humide. C'était un lieu angoissant, comme il y en avait beaucoup en Exil, à chaque recoin.
Sur le trottoir, la foule du soir, laborieuse, fatiguée, qui allait préparer à dîner.
Un Pandore qui passait. Il sifflotait et faisait tourner son bâton.
- Vous ! SÛRETÉ : vous avez vu quelqu'un sortir de cet immeuble ?
- Hein, comment ?
L'autre était un ahuri de première classe. Il lui semblait bien, à la réflexion avoir vu...
- C'est lui, là-bas, dit la concierge. Le monsieur en redingote brune.
Maréchal entra dans la foule. Cette incapable de concierge avait parlé trop fort ! Si l'autre n'avait pas entendu, c'est qu'il était sourd. Il avançait tranquillement, l'air d'un honnête citoyen rentrant chez lui. Il penchait la tête et se tenait de temps en temps le bras.
- Elles perforent bien, les balles des militaires, hein...
Ils pénétraient dans un parc, où l'allée était encombrée des familles avec leurs poussettes, des hommes qui fumaient sur les bancs après le travail. Maréchal traversait la lente vague des passants et ne perdait pas de vue son suspect, qui accélérait, à mesure qu'il approchait... de la gare. Rotor 24 Zentral.
Maréchal pouvait le faire intercepter : il y avait un Pandore, qui pouvait aller prévenir ses collègues. Seulement, la curiosité de l'inspecteur était plus forte : il voulait savoir où son homme allait.
Les quais étaient bondés, les gens pressés d'avoir leur train. Il y avait plein de fumée sous la verrière et des annonces incompréhensibles dans les hauts-parleurs. Les centaines de lettres des panneaux horaires tournoyaient, des sifflets retentissaient.
L'homme allait vers les lignes inter-urbaines. Quai n°12 : le train de nuit terminus la Vague Noire. Il avait déjà son billet.
Maréchal rageait. Il avait promis à tante Myrtille de... Et ce train qui allait partir ! Les voyageurs qui s'engouffraient dans les wagons. L'inspecteur alluma une cigarette et courut aux guichets. Il s'évita la queue en brandissant son insigne :
- Vite, une 2e classe pour la Vague Noire !
- Voilà, dit la dame derrière sa vitre. Dépêchez-vous, il part dans trois minutes.
Maréchal fut pris sur le quai dans le flux de passagers qui descendaient de leur rapide du soir. Il avait perdu son suspect. Au dernier moment, il le vit monter dans le train. Il monta à son tour, juste quand les portes se refermaient.
"...'tention à la fermeture automatique des portes. Bienvenue à bord de ce train. Je vous rappelle que nous serons sans arrêt jusqu'à notre terminus, la Vague Noire."
Maréchal n'aimait pas le bord de mer. C'était un terrien. La seule vue de l'océan houleux lui donnait mal au cœur. Sa seule chance dans cette histoire était d'être déjà allé à la Vague Noire, pour l'enquête sur Tourville.
Il trouva son wagon, déjà plein. Il lui restait une petite place, au fond. Il avait pris 2e classe, car il ne voulait pas des passagers crasseux des 3e, ni des bourgeois des premières !
Le train prenait déjà de la vitesse en s'engageant dans une forte pente au sortir de Rotor 24. Des femmes poussaient quelques petits cris, amusés et apeurés, quand le train sursautait. Maréchal jeta un œil par la fenêtre : le train roulait sur un viaduc vertigineux, au-dessus de centaines de cheminées qui crachaient des bouffées grises. Et le viaduc supportait le passage de trois voies de chemins de fer, d'un tramway et d'une voie piétonne.
Maréchal se releva, incapable de rester dans cette promiscuité étouffante. Il traversa trois wagons pour arriver au bar-restaurant.
- Le plat du jour, avec une carafe de vin.
Il avait "les crocs", comme il disait quand il était gosse. Il mit sagement sa serviette à son cou, souvenir des bonnes manières inculquées par sa tante et savoura la soupe et les pommes de terre. Il reprit un pichet de vin.
Il était bien, il commençait à avoir chaud. Les lumières du wagon brillaient plus fort. Les secousses du train participaient de son bien-être. Il montra sa plaque au garçon et lui demanda d'envoyer un télégramme. Il avait déjà les joues rouges et il avait encore soif.
Myrtille recevrait le petit bleu à l'hôtel dans l'heure qui suivrait. Elle aurait été capable de s'inquiéter en apprenant que son neveu n'était pas revenu...
Maréchal fut des derniers clients. Il fumait, il buvait. Il dut s'endormir quelques heures et se réveilla, vaseux. Les garçons le regardaient d'un drôle d'œil. Il aurait eu envie de leur dire que s'ils n'étaient pas contents, il pouvait aussi les envoyer au gniouf !
A une heure indéterminée, il vit passer deux agents de la police ferroviaire.
Il aurait pu les mettre au courant de sa filature, mais en fait, non. Il n'aimait pas la police ferroviaire. C'était comme ça ! Il avait bien le droit à ses petites détestations. Il ne voulait pas de leur coopération. C'était son enquête. A moitié assoupi, il se dit qu'un jour, il afficherait sur la porte de son bureau : "Je suis pour la guerre des services !"
Il rit à cette idée.
Il se frotta les yeux, s'étira, bâilla, commanda un petit verre pour se remettre d'aplomb. Puis il passa aux lavabos, où il se regarda le fond de l'œil en tirant la langue, puis il rejoignit sa place. Les gens ronflaient encore. Les deux hommes de la "ferroviaire" jouaient aux cartes dans le compartiment du fond. Quel professionnalisme ! L'inspecteur envisagea une dénonciation de ces pratiques...
Il parcourut consciencieusement les wagons et trouva son homme dans les "premières", endormi. L'inspecteur ne s'arrêta pas. Il aurait juré qu'il ne dormait que d'un œil et qu'il se savait suivi. Tant mieux.
Il était quatre heures du matin. L'inspecteur alla s'accorder deux heures de sommeil. Le train roulait le long de la côte de l'océan noir. Les ports défilaient et de grands oiseaux marins qui ressemblaient aux vagues hurlaient dans le petit jour.