14-01-2009, 03:04 PM
(This post was last modified: 15-01-2009, 11:47 AM by Darth Nico.)
Lire la fin ci-dessus<!--sizec--><!--/sizec-->
On ne revit pas Juro dans les jours qui suivirent. Les informateurs de Rintaro firent remonter la nouvelle qu'il résidait dans une auberge, à l'autre bout du quartier des marchands.
C'est le surlendemain du duel que Maya, Mamoru et Yojiro, fatigués, amaigris, réapparurent en ville.
- A boire, s'exclamèrent les deux anciens Crabes en entrant chez Patron-san.
Ils se commandèrent un gros repas et ronflèrent aussitôt après.
- D'où ils reviennent dans cet état ? demanda Patron-san.
Maya avait mangé un peu plus de grains de riz qu'à l'habitude et expliqua posément que c'était la faute de Yojiro, de toute façon, et à ce pont...
Manji et Katon ne comprirent rien à ses explications. C'est seulement quand les deux membres de la B.E.C. (Brigade d'Enquête Crabe, rappelons-le) se réveillèrent que l'on put avoir des explications cohérentes.
- Nous desespérions de vous revoir, dit Manji.
- Vous n'êtes pas revenus pour rien, car nous en avons une bonne à vous apprendre, figurez-vous !
- C'est au sujet de votre patron, ce cher Horiu...
- Hé bien quoi ?
- C'est un traître ! Le chef du Lotus Noir en personne !
Yojiro et Mamoru, qui prenaient un thé pour se réveiller, s'étranglèrent.
- Quoi !
- C'est bien comme on vous dit...
Manji expliqua comment ils l'avaient appris : l'étape dans le temple des montagnes du toit du monde.
- Évidemment, il a disparu avant notre retour.
Même nos deux samuraï de la BEC, qui avaient généralement les épaules solides, étaient abasourdis par cette révélation.
- Si on n'avait pu se douter...
Un qui se réjouissait de cette traîtrise, c'était bien sûr Rintaro. Le discrédit complet de Horiu éliminait son principal rival. Patron-san alla donc négocier avec les subordonnés et associés de Horiu pour récupérer à son profit ses commerces. Il en racheta une partie, qui faisait de lui le plus gros marchand de la Cité du Cri Perdu.
Le soir, il priait et pleurait à chaudes larmes de reconnaissances devant son petit autel à Daikkoku, Fortune de la richesse.
- Merci, merci, puissante fortune, de m'avoir envoyé ces samuraï et d'avoir fait de cet ignoble Horiu un ignoble traître !
Rintaro engagea du personnel supplémentaire et c'est ainsi qu'il prit à son service une femme rônin, au charme discret et pénétrant, qui maniait en virtuose le yari. Elle se nommait Yatsume et devint vite l'amie de nos héros...
La BEC, qui se retrouvait sans employeur, avait généreusement recrutée par Rintaro. C'est pourquoi ce dernier demanda à Yojiro de tester la valeur de cette jeune rônin qui prétendait entrer à son service.
Yojiro accepta et se mit face à cette Yatsume. Celle-ci s'était mise en garde avec son yari, comme une tigresse prête à bondir.
Manji et les autres se demandaient si Rintaro n'y allaient pas un peu fort, et s'il était nécessaire d'en venir au sang dès le début... Yojiro voyait son adversaire résolue et savait qu'il ne pourrait faire semblant de frapper... Même Rintaro grimaça, regrettant par avance le sang qui allait couler. Katon n'avait pris de pari cette fois.
Yatsume eut un léger mouvement, Yojiro allait dégainer, quand il sentit ses jambes se dérober sous lui ! Il fut retourné comme une crêpe et se retrouva les quatre fers en l'air, fauché par le manche du yari !
Il s'étala de tout son long et tout le monde éclata de rire !
La terrible Yatsume regarda l'assistance, et Patron-san : elle était déjà adoptée !
Bonne gagnante, elle aida Yojiro à se relever. Les duels contre les femmes ne lui réussissaient vraiment pas.

en plus de leur emploi auprès de Rintaro, Manji et Katon avaient pris en main l'organisation des rônins dans la Cité du Cri Perdu.
C'est à dire qu'ils avaient repéré l'auberge où se retrouvaient nombre de rônins. Ils voulaient regrouper les meilleurs d'entre eux (les plus honorables) pour former un clan. Ils avaient entendu parler sur les routes du "clan du Loup". C'était le nom officieux que s'étaient données plusieurs bandes de rônins de par l'Empire.
Manji et Katon estimaient qu'ils n'avaient pas déchu de leur rang de samuraï par une faute d'honneur, mais qu'on les avait piégés. Ils voulaient réunir les hommes sans clan dans le même état qu'eux, et pouvoir les unir sous une bannière.
Grâce à leur charisme, Manji et Katon s'étaient vite attirés la sympathie des rônins. Ils leur redonnaient espoir. Ils leur donnaient une raison de vivre, de se battre.
Bientôt, un des établissements de la ville devint leur repaire attitré. Ils se firent coudre une bannière du Loup et on célébra cette union nouvelle toute la nuit durant.
Le clan du Loup était né.
Désormais, ses membres seraient fidèles à certains idéaux de justice, d'honneur, et des autres valeurs régissant la vie des samuraï de clan. Manji fut bien sûr nommé chef, et Katon devint son bras droit. En réalité, ce dernier avait une certaine passion pour les intrigues et la méfiance, et se considérait déjà comme le chef d'une police secrète au sein du clan du Loup !
Une sorte de shinsen-gumi occulte !
Le clan ne comptait pas encore une vingtaine de membres que deux d'entre eux étaient déjà au service de Katon pour glaner des renseignements sur les autres !
Manji laissait faire, sans bien comprendre les ambitions de son ami.
La BEC fut invitée à rejoindre le clan, de même que Yatsume. En revanche, Maya fut poliment mais fermement refusée.
- Je ne veux plus la voir, répétait Manji à qui voulait l'entendre.
Il fallut peu de temps avant que la réputation du "clan du Loup" ne remonte aux oreilles du gouverneur de la Cité, Ikoma Mondô. C'est pourquoi il fit amener devant lui Manji.
Notre héros redoutait le pire. On aurait pu le prendre pour un agitateur, un rebelle.
- J'apprends qu'il y aurait un nouveau clan en ville, fit le Gouverneur, très calme.
- Non, seigneur. Nous ne sommes pas un clan...
- Alors j'ai mal lu votre bannière...
Il en jeta un exemplaire aux pieds de Manji.
Front contre terre, le chef des Loups ne savait quoi dire.
- Relève la tête.
Le Gouverneur fixa Manji attentivement dans les yeux.
- Il me plaît autant que les rônins de ma Cité soient réunis sous une même bannière, fit doucement Mondô-sama. Ainsi, en cas de problème, je saurai où vous trouver. Et je n'aurai pas de mal à couper la tête de votre organisation.
Manji avait mal à la nuque...
- Et même mieux, à vrai dire... Je vais te charger d'une mission, Manji... Puisque vous êtes des hommes si honorables, si fiables, je vous charge de surveiller le quartier marchand.
Surpris, notre héros ne sut que répondre.
- Tu m'as bien entendu. C'est à moi que tu rendras compte. Vous serez responsable de l'ordre et de la sécurité dans le quartier. Je ne veux pas entendre parler de problèmes là-bas.
- Bien seigneur !
- Ton clan touchera une dîme de la part des marchands, pour votre subsistance.
- Bien seigneur !
- En échange, tu protégeras mes marchands. Et je ne veux aucun remous.
- Bien seigneur !
- Tu peux aller.
Manji se retira en vitesse. Quand il allait apprendre ça aux autres !...
... On l'applaudit en levant les chopes de bières !
On hissa bien haut la bannière du clan du Loup au-dessus de l'auberge, qui fut renommée "Auberge des chemins".
- Vive Manji ! Vive Manji !...
Katon se frottait les mains. Ils n'auraient pas le ventre creux pour passer l'hiver ! Rintaro aussi se frottait les mains : lui qui parrainait le chef et le bras droit de ce "clan", il n'aurait pas d'ennuis ! Il avait les "Loups" dans sa poche.
De fait, il devint le marchand attitré du clan et ses maisons de plaisirs ne désemplissaient pas.
Alors que tout le monde avait déjà bien bu, on vit entrer un vieillard estropié : Tange Sazen. L'assistance s'arrêta de boire et de rire et regarda le vieil homme, qui regardait de son oeil unique et noir chacun d'entre eux. Il s'avança vers le comptoir et commanda un sake. On se demandait s'il venait régler un compte. Il avait une attitude à vouloir tuer quelqu'un.
- J'ai entendu parler d'un nouveau clan...
Manji s'avança vers lui, résolu, au beau milieu des rônins silencieux :
- Honorable Sazen, voulez-vous en faire partie ?
Sazen finit tranquillement son verre. Puis il sourit :
- J'ai pensé que vous pourriez avoir besoin de l'aide d'un vieux débris comme moi !
Tout le monde rit et leva son verre. Et ce furent encore des agapes pendant une partie de la nuit.

Le lendemain matin, à l'aube, Manji retrouva Sazen près de la rivière du temple, où celui faisait ses exercices, ses ablutions et sa prière du matin. La brume ne s'était pas encore dispersée. Dame Soleil allait passer l'horizon. Les animaux de la nuit couraient encore dans les hautes herbes. Le monde était très froid et comme laiteux, suspendu entre l'obscurité et le jour.
- Senseï...
Manji s'inclina devant le vieillard.
Ces derniers jours, il avait entendu parler de Sazen, dans les auberges, dans les maisons de jeux de Patron-san. Plusieurs personnes lui avaient donné des versions similaires :
- Ce vieillard n'a pas perdu un oeil et un bras en se coupant par accident avec son arme. C'est un redoutable duelliste. On dit qu'il a derrière lui une traînée de sang... Il vient du sud, au-delà des montagnes du toit du monde. Pas mal, pour un vieillard comme lui, d'avoir fait pareil voyage. Il a commencé à se faire connaître l'hiver dernier. Il est arrivé sur les terres des Lions au début du printemps... Derrière ses airs de petits vieux sur la fin, c'est un maître du sabre, tu peux me croire. On dit qu'il a affronté une dizaine, je dis bien une dizaine d'ennemis, à la suite, en duel singulier ! C'est là qu'il aurait été estropié !... On dit que depuis, il cherche à retrouver ses ennemis, à se venger d'eux. Qu'il les retrouvera un par un, pour leur faire payer ce qu'ils lui ont fait ! Pour répondre à tous les défis qui lui ont été lancés.
- Ma foi, on dirait que c'est quelqu'un qui ne prend pas l'honneur à la légère, estima Manji. Il me plaît !
- Le fait est que... mais c'est peut-être une légende... Le fait est qu'on lui prête une technique secrète. Imparable. Imparable. Invincible. Quand il l'utilise, tu ne peux pas la voir venir : tu es déjà mort.
- Intéressant. Mais je crois qu'un samuraï n'a pas besoin de technique secrète. Il a besoin de son courage, de son honneur et de la force de ses Ancêtres.
Le fait est que Manji mourait d'envie d'apprendre cette technique !
Ce matin-là, donc, il venait faire sa demande. Sazen finissait juste de se rhabiller. Malgré son bras amputé, la vilaine balafre qui courait sur son visage, et quelques cicatrices à la poitrine, c'était encore un bel homme. A plus de quarante ans, il était musclé, vif, souple.
- Senseï, j'ai entendu parler de vous. Votre réputation. On dit que vous êtes un grand maître. Je n'ai pas su vous défendre. J'ai échoué face à ce Juro. Malgré cela, je vous conjure de m'apprendre, ne serait-ce qu'un tout petit peu, de votre art du sabre.
Sazen finit de se rhabiller.
- Qu'est-ce qui te fait croire que je pourrais t'aider ?
- Parce que vous savez tout et je ne sais rien !
- Tu te sous-estimes. Tu as de l'honneur, du courage, de la fierté. Moi, je ne suis qu'un vieux débris.
- Je suis certain que vous êtes capable de vaincre sans peine n'importe quel samuraï de cette ville. Et je ne parle pas que des rônins.
Manji fixait le sol mais il était sûr que Sazen souriait.
- Allons, relève-toi. Si j'acceptais qu'on se mette à genoux devant moi, cela voudrait dire que je me prendrais pour un vrai senseï. Ce qui est ridicule.
Manji se releva lentement mais garda la tête baissée.
- Allons, dit Sazen en lui mettant la main sur l'épaule, c'est entendu, je te prends comme élève. Mais n'en attends quand même pas trop de moi !
- Merci, senseï !
- Et pour commencer, allons boire un bon thé chez cette crapule de patron-san ! Il a une spécialité de thé rouge aux épices qui vous donne un bon coup de sang pour démarrer la journée !
Les deux hommes partirent en riant. L'entraînement commença dans la journée.
Ils s'entraînaient au bokken. Manji prit conscience d'une partie du talent de Sazen : il s'apercevait que ce soi-disant vieillard à bout de souffle était capable de le vaincre d'une main. Du petit doigt même s'il voulait !
Il maniait son arme à la vitesse de l'éclair, avec une agilité démoniaque ; des mouvements surprenants, hardis, aptes à prendre au dépourvu n'importe quel adversaire !
Manji était en nage, tandis que Sazen était à peine essoufflé. Il savait obtenir un maximum d'effets avec un minimum de moyens, tandis que Manji, pourtant élevé dans le style sobre et digne des Shiba, peinait à porter le moindre coup sans se fatiguer.
- Tu as encore des progrès à faire, constata Sazen. Tes attaques sont prévisibles, ta garde est pleine de trous, tes enchaînements trop lents... Il va falloir faire mieux !
Manji n'osait pas demandé, mais la question lui brûlait les lèvres chaque jour : la technique secrète !
Mais quand il entendait les appréciations de Sazen, il se retenait : il était encore loin de pouvoir y prétendre !
A suivre...
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE
On ne revit pas Juro dans les jours qui suivirent. Les informateurs de Rintaro firent remonter la nouvelle qu'il résidait dans une auberge, à l'autre bout du quartier des marchands.
C'est le surlendemain du duel que Maya, Mamoru et Yojiro, fatigués, amaigris, réapparurent en ville.
- A boire, s'exclamèrent les deux anciens Crabes en entrant chez Patron-san.
Ils se commandèrent un gros repas et ronflèrent aussitôt après.
- D'où ils reviennent dans cet état ? demanda Patron-san.
Maya avait mangé un peu plus de grains de riz qu'à l'habitude et expliqua posément que c'était la faute de Yojiro, de toute façon, et à ce pont...
Manji et Katon ne comprirent rien à ses explications. C'est seulement quand les deux membres de la B.E.C. (Brigade d'Enquête Crabe, rappelons-le) se réveillèrent que l'on put avoir des explications cohérentes.
- Nous desespérions de vous revoir, dit Manji.
- Vous n'êtes pas revenus pour rien, car nous en avons une bonne à vous apprendre, figurez-vous !
- C'est au sujet de votre patron, ce cher Horiu...
- Hé bien quoi ?
- C'est un traître ! Le chef du Lotus Noir en personne !
Yojiro et Mamoru, qui prenaient un thé pour se réveiller, s'étranglèrent.
- Quoi !
- C'est bien comme on vous dit...
Manji expliqua comment ils l'avaient appris : l'étape dans le temple des montagnes du toit du monde.
- Évidemment, il a disparu avant notre retour.
Même nos deux samuraï de la BEC, qui avaient généralement les épaules solides, étaient abasourdis par cette révélation.
- Si on n'avait pu se douter...
Un qui se réjouissait de cette traîtrise, c'était bien sûr Rintaro. Le discrédit complet de Horiu éliminait son principal rival. Patron-san alla donc négocier avec les subordonnés et associés de Horiu pour récupérer à son profit ses commerces. Il en racheta une partie, qui faisait de lui le plus gros marchand de la Cité du Cri Perdu.
Le soir, il priait et pleurait à chaudes larmes de reconnaissances devant son petit autel à Daikkoku, Fortune de la richesse.
- Merci, merci, puissante fortune, de m'avoir envoyé ces samuraï et d'avoir fait de cet ignoble Horiu un ignoble traître !
Rintaro engagea du personnel supplémentaire et c'est ainsi qu'il prit à son service une femme rônin, au charme discret et pénétrant, qui maniait en virtuose le yari. Elle se nommait Yatsume et devint vite l'amie de nos héros...
La BEC, qui se retrouvait sans employeur, avait généreusement recrutée par Rintaro. C'est pourquoi ce dernier demanda à Yojiro de tester la valeur de cette jeune rônin qui prétendait entrer à son service.
Yojiro accepta et se mit face à cette Yatsume. Celle-ci s'était mise en garde avec son yari, comme une tigresse prête à bondir.
Manji et les autres se demandaient si Rintaro n'y allaient pas un peu fort, et s'il était nécessaire d'en venir au sang dès le début... Yojiro voyait son adversaire résolue et savait qu'il ne pourrait faire semblant de frapper... Même Rintaro grimaça, regrettant par avance le sang qui allait couler. Katon n'avait pris de pari cette fois.
Yatsume eut un léger mouvement, Yojiro allait dégainer, quand il sentit ses jambes se dérober sous lui ! Il fut retourné comme une crêpe et se retrouva les quatre fers en l'air, fauché par le manche du yari !
Il s'étala de tout son long et tout le monde éclata de rire !
La terrible Yatsume regarda l'assistance, et Patron-san : elle était déjà adoptée !
Bonne gagnante, elle aida Yojiro à se relever. Les duels contre les femmes ne lui réussissaient vraiment pas.

en plus de leur emploi auprès de Rintaro, Manji et Katon avaient pris en main l'organisation des rônins dans la Cité du Cri Perdu.
C'est à dire qu'ils avaient repéré l'auberge où se retrouvaient nombre de rônins. Ils voulaient regrouper les meilleurs d'entre eux (les plus honorables) pour former un clan. Ils avaient entendu parler sur les routes du "clan du Loup". C'était le nom officieux que s'étaient données plusieurs bandes de rônins de par l'Empire.
Manji et Katon estimaient qu'ils n'avaient pas déchu de leur rang de samuraï par une faute d'honneur, mais qu'on les avait piégés. Ils voulaient réunir les hommes sans clan dans le même état qu'eux, et pouvoir les unir sous une bannière.
Grâce à leur charisme, Manji et Katon s'étaient vite attirés la sympathie des rônins. Ils leur redonnaient espoir. Ils leur donnaient une raison de vivre, de se battre.
Bientôt, un des établissements de la ville devint leur repaire attitré. Ils se firent coudre une bannière du Loup et on célébra cette union nouvelle toute la nuit durant.
Le clan du Loup était né.
Désormais, ses membres seraient fidèles à certains idéaux de justice, d'honneur, et des autres valeurs régissant la vie des samuraï de clan. Manji fut bien sûr nommé chef, et Katon devint son bras droit. En réalité, ce dernier avait une certaine passion pour les intrigues et la méfiance, et se considérait déjà comme le chef d'une police secrète au sein du clan du Loup !
Une sorte de shinsen-gumi occulte !
Le clan ne comptait pas encore une vingtaine de membres que deux d'entre eux étaient déjà au service de Katon pour glaner des renseignements sur les autres !
Manji laissait faire, sans bien comprendre les ambitions de son ami.
La BEC fut invitée à rejoindre le clan, de même que Yatsume. En revanche, Maya fut poliment mais fermement refusée.
- Je ne veux plus la voir, répétait Manji à qui voulait l'entendre.
Il fallut peu de temps avant que la réputation du "clan du Loup" ne remonte aux oreilles du gouverneur de la Cité, Ikoma Mondô. C'est pourquoi il fit amener devant lui Manji.
Notre héros redoutait le pire. On aurait pu le prendre pour un agitateur, un rebelle.
- J'apprends qu'il y aurait un nouveau clan en ville, fit le Gouverneur, très calme.
- Non, seigneur. Nous ne sommes pas un clan...
- Alors j'ai mal lu votre bannière...
Il en jeta un exemplaire aux pieds de Manji.
Front contre terre, le chef des Loups ne savait quoi dire.
- Relève la tête.
Le Gouverneur fixa Manji attentivement dans les yeux.
- Il me plaît autant que les rônins de ma Cité soient réunis sous une même bannière, fit doucement Mondô-sama. Ainsi, en cas de problème, je saurai où vous trouver. Et je n'aurai pas de mal à couper la tête de votre organisation.
Manji avait mal à la nuque...
- Et même mieux, à vrai dire... Je vais te charger d'une mission, Manji... Puisque vous êtes des hommes si honorables, si fiables, je vous charge de surveiller le quartier marchand.
Surpris, notre héros ne sut que répondre.
- Tu m'as bien entendu. C'est à moi que tu rendras compte. Vous serez responsable de l'ordre et de la sécurité dans le quartier. Je ne veux pas entendre parler de problèmes là-bas.
- Bien seigneur !
- Ton clan touchera une dîme de la part des marchands, pour votre subsistance.
- Bien seigneur !
- En échange, tu protégeras mes marchands. Et je ne veux aucun remous.
- Bien seigneur !
- Tu peux aller.
Manji se retira en vitesse. Quand il allait apprendre ça aux autres !...
... On l'applaudit en levant les chopes de bières !
On hissa bien haut la bannière du clan du Loup au-dessus de l'auberge, qui fut renommée "Auberge des chemins".
- Vive Manji ! Vive Manji !...
Katon se frottait les mains. Ils n'auraient pas le ventre creux pour passer l'hiver ! Rintaro aussi se frottait les mains : lui qui parrainait le chef et le bras droit de ce "clan", il n'aurait pas d'ennuis ! Il avait les "Loups" dans sa poche.
De fait, il devint le marchand attitré du clan et ses maisons de plaisirs ne désemplissaient pas.
Alors que tout le monde avait déjà bien bu, on vit entrer un vieillard estropié : Tange Sazen. L'assistance s'arrêta de boire et de rire et regarda le vieil homme, qui regardait de son oeil unique et noir chacun d'entre eux. Il s'avança vers le comptoir et commanda un sake. On se demandait s'il venait régler un compte. Il avait une attitude à vouloir tuer quelqu'un.
- J'ai entendu parler d'un nouveau clan...
Manji s'avança vers lui, résolu, au beau milieu des rônins silencieux :
- Honorable Sazen, voulez-vous en faire partie ?
Sazen finit tranquillement son verre. Puis il sourit :
- J'ai pensé que vous pourriez avoir besoin de l'aide d'un vieux débris comme moi !
Tout le monde rit et leva son verre. Et ce furent encore des agapes pendant une partie de la nuit.

Le lendemain matin, à l'aube, Manji retrouva Sazen près de la rivière du temple, où celui faisait ses exercices, ses ablutions et sa prière du matin. La brume ne s'était pas encore dispersée. Dame Soleil allait passer l'horizon. Les animaux de la nuit couraient encore dans les hautes herbes. Le monde était très froid et comme laiteux, suspendu entre l'obscurité et le jour.
- Senseï...
Manji s'inclina devant le vieillard.
Ces derniers jours, il avait entendu parler de Sazen, dans les auberges, dans les maisons de jeux de Patron-san. Plusieurs personnes lui avaient donné des versions similaires :
- Ce vieillard n'a pas perdu un oeil et un bras en se coupant par accident avec son arme. C'est un redoutable duelliste. On dit qu'il a derrière lui une traînée de sang... Il vient du sud, au-delà des montagnes du toit du monde. Pas mal, pour un vieillard comme lui, d'avoir fait pareil voyage. Il a commencé à se faire connaître l'hiver dernier. Il est arrivé sur les terres des Lions au début du printemps... Derrière ses airs de petits vieux sur la fin, c'est un maître du sabre, tu peux me croire. On dit qu'il a affronté une dizaine, je dis bien une dizaine d'ennemis, à la suite, en duel singulier ! C'est là qu'il aurait été estropié !... On dit que depuis, il cherche à retrouver ses ennemis, à se venger d'eux. Qu'il les retrouvera un par un, pour leur faire payer ce qu'ils lui ont fait ! Pour répondre à tous les défis qui lui ont été lancés.
- Ma foi, on dirait que c'est quelqu'un qui ne prend pas l'honneur à la légère, estima Manji. Il me plaît !
- Le fait est que... mais c'est peut-être une légende... Le fait est qu'on lui prête une technique secrète. Imparable. Imparable. Invincible. Quand il l'utilise, tu ne peux pas la voir venir : tu es déjà mort.
- Intéressant. Mais je crois qu'un samuraï n'a pas besoin de technique secrète. Il a besoin de son courage, de son honneur et de la force de ses Ancêtres.
Le fait est que Manji mourait d'envie d'apprendre cette technique !
Ce matin-là, donc, il venait faire sa demande. Sazen finissait juste de se rhabiller. Malgré son bras amputé, la vilaine balafre qui courait sur son visage, et quelques cicatrices à la poitrine, c'était encore un bel homme. A plus de quarante ans, il était musclé, vif, souple.
- Senseï, j'ai entendu parler de vous. Votre réputation. On dit que vous êtes un grand maître. Je n'ai pas su vous défendre. J'ai échoué face à ce Juro. Malgré cela, je vous conjure de m'apprendre, ne serait-ce qu'un tout petit peu, de votre art du sabre.
Sazen finit de se rhabiller.
- Qu'est-ce qui te fait croire que je pourrais t'aider ?
- Parce que vous savez tout et je ne sais rien !
- Tu te sous-estimes. Tu as de l'honneur, du courage, de la fierté. Moi, je ne suis qu'un vieux débris.
- Je suis certain que vous êtes capable de vaincre sans peine n'importe quel samuraï de cette ville. Et je ne parle pas que des rônins.
Manji fixait le sol mais il était sûr que Sazen souriait.
- Allons, relève-toi. Si j'acceptais qu'on se mette à genoux devant moi, cela voudrait dire que je me prendrais pour un vrai senseï. Ce qui est ridicule.
Manji se releva lentement mais garda la tête baissée.
- Allons, dit Sazen en lui mettant la main sur l'épaule, c'est entendu, je te prends comme élève. Mais n'en attends quand même pas trop de moi !
- Merci, senseï !
- Et pour commencer, allons boire un bon thé chez cette crapule de patron-san ! Il a une spécialité de thé rouge aux épices qui vous donne un bon coup de sang pour démarrer la journée !
Les deux hommes partirent en riant. L'entraînement commença dans la journée.
Ils s'entraînaient au bokken. Manji prit conscience d'une partie du talent de Sazen : il s'apercevait que ce soi-disant vieillard à bout de souffle était capable de le vaincre d'une main. Du petit doigt même s'il voulait !
Il maniait son arme à la vitesse de l'éclair, avec une agilité démoniaque ; des mouvements surprenants, hardis, aptes à prendre au dépourvu n'importe quel adversaire !
Manji était en nage, tandis que Sazen était à peine essoufflé. Il savait obtenir un maximum d'effets avec un minimum de moyens, tandis que Manji, pourtant élevé dans le style sobre et digne des Shiba, peinait à porter le moindre coup sans se fatiguer.
- Tu as encore des progrès à faire, constata Sazen. Tes attaques sont prévisibles, ta garde est pleine de trous, tes enchaînements trop lents... Il va falloir faire mieux !
Manji n'osait pas demandé, mais la question lui brûlait les lèvres chaque jour : la technique secrète !
Mais quand il entendait les appréciations de Sazen, il se retenait : il était encore loin de pouvoir y prétendre !
A suivre...
