19-04-2009, 10:51 AM
Vampire 2006 - #8
Pendant que Loren et de Valori séjournaient dans le Triangle d’Or, Anatole quittait pour de bon la Birmanie en compagnie de Latréaumont. Ils avaient pris un avion d’affaires appartenant à un gros industriel chinois du textile, et qui se trouvait en dettes avec les alliés Cathéens de Latréaumont.
- Magnifique traîtrise que la vôtre, disait le Malkavien, alors que l’appareil survolait la mer de Chine.
- La traîtrise est ma spécialité ! répondit Anatole, très fier.
- Vous n’avez pas d’autre cause que la vôtre, en somme. J’apprécie cela… Par exemple, en ce moment, je pourrais faire l’erreur de croire que vous m’êtes fidèle, mais en réalité, vous ne défendez que vos intérêts…
- Exactement !
- Depuis le début, à Paris, quand vous êtes entrés à mon service par le réseau Shrek, c’était par pur arrivisme. Vous vouliez faire tomber les dirigeants de votre clan dans la capitale, et vous taillez votre part du gâteau.
- Mais c’est tout à fait ça, mon cher Nanard ! ricana le Lapin de Garenne.
- En venant au Myanmar, vous n’étiez pas plus tôt à l’hôtel de Rangoon que vous preniez contact avec moi… Vous avez des pouvoirs psychiques plus forts que je ne pensais. Je vous croyais surtout féru de technologie.
- Je ne rechigne pas à me servir de pouvoirs plus occultes quand cela peut me servir ! Mes adversaires l’ignorent et me prennent pour un simple technicien ! Erreur !...
- D’ailleurs, François Loren et la Valori s’y sont laissé prendre encore une fois. Ils n’ont pas vu venir votre coup de poignard dans leur dos.
- Ils sont bien sympathiques mais franchement incompétents sur le terrain, à mon avis. Ils n’ont pas compris comment marche le monde : ils croient encore à des idéaux dépassés. Ils croient aux valeurs de la Camarilla. Moi, je crois qu’on peut espérer mieux. Eux appartenaient au passé. D’ailleurs, à l’heure actuelle, j’espère qu’ils sont dévorés ou brûlés au soleil.
- A l’heure actuelle, ricana Latréaumont, ils ont au moins les oreilles qui sifflent à cause de vous !
- Ils ne sont pas grand-chose. Ils se prennent pour de grands conspirateurs mais ils n’ont rien vu venir. Tant pis pour eux. S’ils étaient plus malins, ils auraient peut-être pu se joindre à nous…
- Nous arriverons en fin de nuit à Beijing. Je vous présenterai à mes amis.
- J’en serai honoré, seigneur !
Anatole fit une petite révérence obséquieuse.
Quelques heures après, l’avion survolait Shanghaï. La ville était illuminée, comme si un feu d’artifice y éclatait. On devinait le trafic compact et l’agitation tourbillonnante, incessante, qui y régnait.
- Vous voyez, Anatole, là est l’avenir, en Asie. Des jungles, et des villes qui poussent comme des jungles… Oui, saleté de pays, où les tours poussent aussi vite que les bambous. Et sous nos pieds, s’agitent un milliard d’êtres cupides et laborieux… En Europe, ce pays de nains, nous sommes devenus des parias. Ici, nous pouvons être des princes, Anatole !
- Comme je vous comprends, cher Latréaumont !... Les Parisiens sont des petits courtisans décadents, pourris par leur confort. Le Prince Ibn Azul dirige une bande de niais et d’imbéciles. Je l’ai assez vu comme ça. Même les Nosfératu se soumettent à cet ordre injuste et malfaisant.
- Oui, il est nécessaire d’opérer une régénération en profondeur. Et pour cela, les gens du Sabbat peuvent être utiles : pour purger, brûler et faire table rase. Ensuite, grâce aux gens de mon clan, nous pourrons rebâtir sur des bases saines. La puissance de Shrek nous y aidera.
- J’en suis tout à fait certain ! Quand nous lancerons nos troupes contre la capitale, ils trembleront tous ; car ils se sont efféminés à force d’entrer dans des intrigues de cours ridicules et des débats d’idées de Toréador... Non, je vous le dis, ce sont des minus qu’on écrasera comme une fourmilière !... Ils vont entendre parler du Péril Jaune !
Les deux complices regardèrent par le hublot la mégalopole défiler, ses boulevards et ses concentrations de buildings immenses ; puis ils retournèrent s’asseoir et prirent une coupe.
- Pour que nous soyons au point en arrivant, dit Latréaumont, il serait bon que je vous mette au courant de la nature de mes alliés d’Orient.
- J’allais vous en prier…
- Vous savez qu’une ambassade Cathéeenne s’est installée à Paris, dans le bourg des Tours, sous le nom de Cour de la Porte Azurée.
- Oui, je les ai un peu fréquentés, pour mon travail à l’époque. Je devais les protéger…
- Vous imaginez qu’il a fallu du temps avant que ne soient choisis ceux qui en feraient partie de cette ambassade, et vous imaginez aussi bien les rivalités que cela a pu susciter. Si le groupe de la Porte Azurée a été choisi, bien d’autres ont été déçus. C’est avec l’un de ses groupes que j’ai pris contact, depuis mon pénitencier du Mandalay. Quelques individus farouchement opposés à l’Occident décadent, et qui se font appeler la Fraternité Pourpre.
- Intéressant. Je suis certain qu’ils auront à cœur de nous aider à revenir à Paris en force !
- Oui, et ceux-là ne se contenterons pas de jouer les gentils Asiatiques de service. Ils viendront pour conquérir… Leur idole, leur modèle est Gengis Khan, pas moins ! Je vous laisse imaginer la philosophie qui est la leur. Ils sont également les héritiers des conceptions du bouddhisme les plus militaristes. On trouve parmi eux des nostalgiques du Japon d’avant l’humiliation américaine. Ils ne conçoivent de grandeur que dans la conquête et l’écrasement impitoyable de l’adversaire.
- Ces gens-là vont me plaire, fit Anatole, la bave aux canines.
- Certes oui. Les membres de la Fraternité Pourpre sont de bons soldats, disciplinés. Mais ils ne sont que des bons soldats. Il leur faut un idéologue, ce sera moi, car le pouvoir de mon esprit les fascine. Il leur faudra aussi quelqu’un pour les renseigner sur Paris : ce sera vous, car vos informations sur la France sont fraîches.
- Cela me convient parfaitement.
- J’en étais sûr.
- En deux mots, quel est leur but ?
- Ils veulent la tête des principaux dirigeants d’Europe. Et ils ont des moyens, croyez-moi. Nous commenceront par Paris, avant d’étendre notre conquête aux autres capitales.
« Voici pour les grandes lignes. Pour les détails, je vais vous les exposer à présent. Nous avons encore du temps devant nous… »

Le soir était tombé sur le Triangle d’Or. Haqim continuait de faire le guide touristique. A bord d’une jeep, il faisait découvrir aux deux Occidentaux les terres de Lum-Khan : des milliers d’hectares de pavots qui faisaient vivre la quasi-totalité de la population de la région.
- Il n’y a guère de commerce plus rentable que celui-là, monsieur Loren.
- J’y songerai. Vous avez besoin d’investisseurs ?
- Nous avons besoin de distributeurs pour améliorer nos chaînes de livraison. Dans l’Europe décadente qui est la vôtre, l’héroïne peut redonner le goût de vivre à des milliers d’humains nihilistes…
Graziella ne dit rien, mais elle avait quand même sa fierté européenne pour ces nations de vieilles cultures, et elle faillit dire à l’Asiatique de parler autrement des terres d’implantation ancestrales de la Camarilla.
- Je vous dirai que je suis assez intéressé, Haqim, mais il faudrait que je rencontre le maître des lieux, Lum-Khan.
Ils se parlaient dans le bruit et la poussière, sur une route de nuit mal éclairée, au milieu de vastes collines où l’on discernait des tâches lumineuses, les feux des villages.
- Les Occidentaux, continuait Haqim, imperturbable, doivent comprendre que le centre du monde n’est plus chez eux. Ni chez vous cousins d’Amérique. Il est ici ! La Chine s’est réveillée, les autres pays aussi. Les Cathéens sont nombreux, puissants. Si les Occidentaux ne font pas preuve d’un peu de modestie, ils vont se retrouver avec un conflit de civilisation sur les bras ! Croyez-moi que les mandarins qui dirigent nos frères Orientaux ont de quoi mener une guerre à outrance contre nous !
C’était à se demander dans quel camp ce Haqim se situait. Comme nos deux héros étaient en territoire étranger, force leur était de subir ces paroles. Mais à Paris, les choses ne se seraient pas passées ainsi, et Haqim aurait déjà reçu une convocation de la part du Brujah Sarmont, le Fléau de la capitale !
- Dans combien de temps Lum-Khan va-t-il nous recevoir ? demanda Graziella, pour couper court aux considérations géopolitiques de leur hôte.
- Je vous l’ai dit, je ne le sais pas.
La visite se terminait. La jeep repassait les portes du grand palais fortifié qui dominait les plantations. Haqim laissa ses invités rejoindre leur chambre.
- Bref, conclut Loren en refermant la porte, nous sommes à peine plus avancés qu’à Rangoon : on nous mène autant en bateau !
Le Ventrue se désespérait du peu de moyens mis à sa disposition. Avant son départ, il avait tenté de négocier avec le Préfet Jérémie et avec Sire Vircenko, le Primogène : rien n’y avait fait. Il n’avait pas eu le droit d’emmener un des policiers du Fléau. Il était sûr que Sergio ou Novembre seraient venus avec lui : ils avaient travaillé ensemble plusieurs fois et s’entendaient bien.
Mais rien ! Pas ça !... Juste de Valori, qui était supportable au quotidien mais qui n’avait strictement aucun appui politique ni logistique à offrir. Et le traître de service, Anatole ! C’était zéro ou tout comme !
Ce qu’il aurait fallu, songeait Loren, c’est une délégation en masse, une opération d’envergure, pour négocier pied à pied avec les Cathéens et les forcer à livrer Latréaumont.
Au lieu de cela, l’expédition ressemblait à une excursion touristique low-cost !
Imaginerait-on trois malheureux Cathéens, perdus dans Paris, obtenir quoi que ce soit de l’Elysium ? Évidemment non, surtout si l’un d’eux était un traître ! Donc, dans l’autre sens, il paraissait évident que les Orientaux devaient bien rire de ces deux fils de Caïn perdus dans un monde étranger et gigantesque, sans repaire, sans aide, sans appui… Ils pouvaient les balader pendant des siècles !
Loren se souvenait déjà que cela n’avait pas été une sinécure pour obtenir une audience auprès de la Porte Azurée, alors qu’il était pourtant responsable, au titre de bourgmestre des Tours, de cette ambassade !... Alors obtenir à l’étranger une entrevue avec un grand bodhisattva !
Graziella devinait les pensées du Ventrue ; elle lui dit :
- Appelons Paris. Signalons nos difficultés. Demandons des renforts !... S’ils veulent tant ce « Shrek », qu’ils s’en donnent les moyens. Le Prince ne peut pas refuser de vous aider : sinon pour vous, au moins pour son Elysium.
- Ce n’est pas si simple, Graziella. Vous savez bien qu’il est très mal vu chez nous d’aller en territoire Cathéen. Déjà, même si nous revenons avec la tête de Latréaumont, il faudra du temps pour nous faire accepter de nouveau. Nous serons marqués… Ne comptez pas briller dans les salons avec le récit de vos pérégrinations en Orient…
- Je n’ai pas envie de rester une « Jaune », à tous les sens du terme, pendant des siècles !
Loren soupira. Qu’y pouvait-il ?
Il comprenait bien pourquoi on l’avait envoyé sur cette mission : trop remuant, trop volontariste, il dérangeait le confort des Anciens de son clan. Il avait besoin d’un voyage pour calmer ses ardeurs et apprendre le sens de la hiérarchie. De plus, en tant que fidèle de la Régence, il était compromis politiquement.
- Pour ne rien arranger, dit Loren, nous ne savons pas où est Latréaumont. S’il est encore au pénitencier du Mandalay, il ne faut pas compter y retourner sans une armée derrière nous. Et s’il est ailleurs… autant chercher une aiguille dans une grange de foin !
Le Ventrue tournait en rond dans la pièce, en se frappant dans la paume de la main. S’il avait tenu en ce moment « Shrek » entre ses mains, il lui aurait infligé la dérouillée de sa vie !...
A suivre...
