23-04-2009, 10:06 AM
Vampire 2006 - #8
§3
Loren ignora l’avertissement donné par Tuang-Loc et marcha sur le cercle de sable coloré.
- Dans les affaires, j’aime bien discuter d’égal à égal, dit-il crânement.
Et si cela ne lui plaisait pas, au vieux moine, Loren était assez en forme pour le frapper si fort qu’il se réincarnerait en boiteux !
Loren n’avait pas fini de penser cela que Lum-Khan se leva et qu’à la place de sa tête apparurent trente têtes d’hydres furieuses qui se précipitèrent sur Loren et le mordirent d’un coup sur tout le corps. Le Ventrue n’eut même pas le temps de se débattre qu’il fut presque vidé de son sang, et rejeté en arrière, à l’état de loque.
Graziella, elle n’avait rien vu. C’était en fait une illusion créée seulement pour Loren. Ce que vit la Lasombra, c’est le Ventrue être rejeté en arrière par une force toute-puissante et tomber à terre évanoui. Elle n'avait pas vu Lum-Khan bouger.
Il restait que Loren était exsangue. Elle fit un mouvement pour se lever mais Loc le lui interdit.
- Votre compagnon n’est pas mort, murmura le Cathéen, mais il a perdu presque tout son sang. Lum-Khan peut l’absorber à distance, comme tous les sages de son rang. Votre ami a été châtié pour sa témérité. Lum-Khan dit qu’il sait reconnaître le courage, et qu’il vous en faudra pour retrouver le Fou, mais l'audace de votre ami est pour Lum-Khan une preuve de la décadence irréversible des fils de Caïn.
- Dites-lui que si notre présence l’indispose, fit Graziella, effrayée et agacée par Lum-Khan, nous partons sur l’heure à la recherche de Latréaumont. Qu’il nous indique où il est et demain, nous serons rentrés chez nous !
- J’allais vous l’indiquer, mademoiselle de Valori, car Lum-Khan parlera par ma voix -mais votre orgueil a failli tout compromettre.
Loren, de son côté, reprenait connaissance. Longtemps qu’il n’avait pas pris une dérouillée semblable !

Tuang-Loc fit signe qu’il fallait maintenant sortir du temple. Sur le chemin qui redescendait au palais, il expliqua les désirs du maître de l’Océanie :
- Lum-Khan veut que vous retrouviez le Fou, ce « Shrek » qui menaçait votre Elysium. Je vais partir avec vous : je vous servirai de guide car sans l’appui d’un de mes semblables, vous ne dureriez pas longtemps chez nous. Nous allons donc nous mettre en chasse. Pour commencer, nous prendrons contact avec nos amis de la Porte Azurée, à Hong-Kong. Et nous mettrons au point un plan de bataille.
- Une bataille ? dit Graziella. C’en est à ce point ?
- Oui. Sachez que Latréaumont s’est associé avec un dangereux groupe de fanatiques appelé la Fraternité Pourpre. Et il a enrôlé dans ses troupes votre ami très laid…
- Anatole n’est pas notre ami, corrigea Loren. Il ne l’a jamais été, et aujourd’hui, je dirais que c’est notre prochaine cible.
- Je comprends. La Porte Azurée porte une grande vénération à Lum-Khan. Ce sera votre chance avec eux, dit Tuang-Loc. La Fraternité Pourpre ne leur a pas pardonné d’avoir pris leur place à Paris.
- Nous ne sommes pas ici, dit Loren, pour participer à une guerre clanique. Notre seul but est de ramener le Malkavien.
- Vous ne pourrez pas attendre d’aide de notre part si vous n’y mettez pas du vôtre, François Loren. Il me semble que c’est la moindre des choses quand on vient demander un service à ses hôtes...
- Bien, bien. Nous ferons de notre mieux…
- Dernière condition : Lum-Khan exige de voir Latréaumont avant que vous ne le remmeniez.
- Je ne suis pas sûr de remmener Latréaumont à Paris, Tuang-Loc. Pas forcément en un seul morceau.
- C’est la condition que pose Lum-Khan. A prendre ou à laisser… Mais avec Lum-Khan, on ne peut se permettre de laisser.
- Donc si je comprends bien, nous vous aidons dans votre guerre, nous épargnons « Shrek » pour le moment, et en échange, nous repartirons sains et saufs ?
- Vous avez compris.
Loren consulta Graziella du regard. Celle-ci haussa les épaules : ils n’avaient pas le choix.
- Bon, nous acceptons, dit Loren.
- C’est parfait. Nous prendrons l’avion demain soir pour Hong-Kong.
Le Cathéen laissa les deux invités regagner leur chambre.
Et pour la troisième fois, Loren soupira qu’on les menait en bateau !

Le lendemain soir, Anatole et Latréaumont se réveillaient dans la cave d’un restaurant discret de la banlieue de Beijing. Pendant ce temps, Graziella et Loren volaient vers Hong-Kong.
La Lasombra, seule dans son coin du petit appareil, réfléchissait.
Elle était d’accord avec Loren pour dire qu’ils se faisaient mener en bateau. Mais Graziella estimait aussi qu’il était indigne pour une Lasombra d’être dans les pas d’un Ventrue. Elle oubliait de penser à son clan.
Bien sûr, elle était partie car elle n’avait pas le choix. Si elle désobéissait, Camille ne sortirait jamais de sa torpeur et Santi pourrait très bien se faire exécuter dans sa cellule. La Camarilla n’avait pas de raison de s’encombrer de traitres. Il y avait aussi aux portes de Paris des fidèles de Gratiano qui n’attendaient qu’une occasion de voir périr leurs cousins camaristes.
Seulement, ce n’était pas si simple. Graziella devait s’humilier à aider un Ventrue. Or, au départ, les ordres de Santi étaient de s’allier à Shrek et son réseau. Il n’était pas exclu d’y repenser, même maintenant. En somme, Anatole, tout traître qu’il était, restait fidèle au Shreknet. Il n’était peut-être pas trop tard pour inverser la situation et se servir de ce réseau pour faire plier les Ventrue parisiens.
Loren était seul en Asie. Il ne pourrait rien faire si Graziella parvenait à se concilier les faveurs de cette Fraternité Pourpre. Anatole ne devait pas les avoir rejoints par amour des Cathéens ; lui aussi pensait d’abord à Paris.
Se servir des Cathéens pour délivrer Santi et exclure les Ventrue de l’Elysium… Rallier Anatole...
Graziella mit cette idée dans un coin de sa tête.
A Hong-Kong, Anatole lui aussi retournait des plans dans sa tête. Il avait après lui Loren et Graziella, et il ne ferait pas bonne figure s’ils le retrouvaient. Mais il savait que Graziella était un paria, comme lui. Alors que Loren était somme toute protégé par le Prince de Paris. Le Nosferatu n’excluait pas de proposer une alliance à de Valori pour se débarrasser de l’encombrant Ventrue, et monter une revanche contre Paris.
Quant à Loren, il ne faisait confiance à personne. Pas à Anatole, sans doute, mais pas tellement à Graziella non plus. Elle était aussi coupable, sinon plus, que le Nosfératu. Pourquoi ménager les Lasombra parisiens et ne pas les livrer pour de bon à leurs cousins du Sabbat ? Ceux-ci pourraient en échange accepter de s’éloigner de la capitale, et cela apaiserait les tensions à Paris. Quant à Anatole, il avait rejoint Latréaumont, certes, mais il pouvait aussi bien changer d’avis au dernier moment et aider Loren à livrer le Malkavien à la Justice de Paris. Ce serait l’occasion de se concilier une partie des Nosfératu, qui seraient des alliés précieux. A mettre le pour et le contre dans la balance, Loren ne voyait pas pourquoi il aurait des regrets quant à Graziella : est-ce que celle-ci avait hésité un instant à aider la conspiration de Shrek tout en jouant la gentille dame de cour ?...
Non, la situation était trop grave pour qu’on fasse du sentiment. Avant peu, il y aurait des décisions tranchantes à prendre.

Ce soir-là, à Beijing, une petite vendeuse du nom de Min Yan terminait sa journée dans une boutique de bazar pour touristes. Elle avait passé presque dix heures à vendre des bibelots labélisés pour les prochains jeux olympiques, dans quelques mètres carrés encombrés du sol au plafond, avec en fond une musique techno abrutissante.
Elle s’apprêtait à retrouver des amis dans un de ces nouveaux bars à la mode du centre-ville.
Elle était sortie plus tard que d’habitude, alors, pressée, elle coupa par un quartier de petites ruelles où il ne faisait pas bon traîner le soir. Elle pressa le pas en passant devant des établissements douteux que la police ne surveillait que d’un œil. Elle voyait des touristes étrangers déjà bien ivres faire leur choix parmi les filles qui agitaient leur petit sac à main sur le seuil des hôtels.
Elle accéléra encore quand elle fut certaine d’être suivie. Elle regrettait déjà d’avoir coupé par là, et se rappelait les conseils de ses parents, et son attitude effrontée quand elle disait qu’ils étaient vieux jeux et qu’ils exagéraient. Au coin d’une rue, elle heurta un étranger, qui la regarda d’un air salace.
- Pardon, où tu vas, ma mignonne ?
Il parlait le mandarin presque sans accent. Dans son regard, une lueur démente. Elle se retourna et vit un être au visage blafard, difforme et voulut hurler ; mais le premier lui avait plaqué la main sur la bouche et l’autre l’attrapait et l’entraînait, morte de peur dans une ruelle.
- On va bien s’amuser ensemble…
Latréaumont lui déchira ses vêtements et la tint fermement pendant qu’Anatole commençait à la lacérer puis la mordait sauvagement à la gorge. Il absorba goulument et ne la laissa que quand elle fut sèche comme une brindille. Min Yan retomba au sol, inerte, et les deux compères partirent en ricanant à belles dents. Anatole s’en était repu comme une hyène.
- Celle-là était pour moi, grognait Anatole, mais la prochaine est pour toi !
Ils avaient décidé de se payer une virée d'enfer !
- Ils sont si nombreux ces Chinois, ricana Latréaumont, qu’une de plus ou de moins… En plus, ils n’aiment pas les filles dans ce pays ! Ils ne veulent que des garçons !
- Celle-là, on l’a laissée plus rayée qu’un tigre !
Anatole avait rentré ses griffes pleines du sang et des viscères de la petite vendeuse.
Ivres d’alcool et de sang, les deux Caïnites arrivèrent en titubant sur un boulevard noir de monde. On les bousculait sans ménagement et eux avançaient de travers, chantaient à tue-tête, avec ce sentiment d’être les maîtres du monde. Les gens les regardaient comme des malappris. Certains riaient.
Les deux Caïnites prirent le passage piéton et durent slalomer entre les voitures qui les klaxonnaient et ne s’arrêtaient qu’au dernier moment. L’un des conducteurs ne s’arrêta pas à temps, et Anatole passa sur le pare-brise. C’est à peine s’il s’en rendit compte sur le moment, dans l’état où il était. Il roula comme une barrique, abruti, et retomba bêtement sur le capot. Latréaumont, pris de fou rire, l’aida à redescendre, et quelques secondes plus tard, Anatole réalisait ce qui venait de lui arriver. Il était prêt à poursuivre le chauffard et à l’égorger devant tout le monde !
Le Malkavien le retint à temps et ils partirent dans des rues moins fréquentées.
- Tu es encore plus cinglé que moi, gros Lapin ! C’est le sang de la gamine qui te fait cet effet ?...
- Du sang, du sang, bavait Anatole, j’en veux encore…
- Viens, viens, on va aller t’en chercher…
Latréaumont venait de repérer un groupe d’étudiantes qui sortaient d’un bar.
- On a encore de quoi s’amuser, tu vas voir… La nuit ne fait que commencer…
A suivre...
