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9e Episode : Dans les entrailles de la pieuvre
#2
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE

Yojiro marchait devant les deux Lions, le sabre sur l'épaule. On était dans la campagne mais il y avait énormément de monde sur la route, à cause de la foire qui se tenait à la Cité de la Pieuvre.
Le rônin faisait dégager leurs charrettes par les marchands pour laisser place à Mitsurugi et Sasuke, qui avançaient à poneys.
Alors que les deux samuraï avaient terminé de se frayer un chemin dans la cohue à l'entrée sud de la Cité, ils virent que c'était encore à l'intérieur, après avoir passé les douves. Les soldats de la porte contenaient à grand'peine les convois marchands, et plusieurs altercations éclataient sur le pont ou sur la voirie. Des yakuzas armés intervenaient pour réguler ce trafic.
Yojiro présenta à la porte le mandat impérial, qui permit aux deux Lions de passer plus rapidement, en obligeant les marchands à se compresser sur le bord de la route. Il y en eut quelques uns qui chutèrent et finirent dans l'eau, après leurs ânes, leurs poules et leurs marchandises. Après le porche, sous lequel nos héros passèrent pendant que les yakuzas faisaient reculer les convoyeurs à coups de fourches, ce fut une immense rue, interminable, encombrée de mille échoppes et d'une foule dense, sous le soleil de plomb. Là aussi, les milices de yakuzas avaient du mal à garder un semblant d'ordres. Plusieurs groupes armés patrouillaient, dans la rue. Dès que ceux-ci avaient le dos tourné, on voyait dix hommes chargés de gros paquets étaler en vitesse leur marchandise à terre, négocier à la sauvette quelques breloques, et remballer aussi sec dès que la patrouille approchait.
Si nos héros avaient écouté les marchands braillards et impudents, ils auraient acheté de quoi remplir deux ou trois palais de tas de babioles. Après la grand'rue, ce fut un dédale de ruelles tortueuses, humides, à l'écart de la clameur de la place publique. On était en fin de journée et voyait des prostituées sortir de logements minuscules, un panier à la main pour aller au marché ; des gens attendaient sur le seuil de leurs maisons, d'autres jouaient au go dans la rue. Des demi-bandits crachaient depuis le seuil d'établissements borgnes. Yojiro passait toujours le premier, et défiait du regard quiconque de venir l'affronter. Il n'y eut personne pour s'y essayer, surtout quand on voyait qu'il accompagnait deux Lions.
- Cette ville est charmante, dit Mitsurugi, alors qu'on passait dans un coupe-gorge où tombait un mince rayon de lumière, une petite rue tissée de fils entre les fenêtres pour le linge.
- Je vous assure que c'est le chemin le plus rapide, répondit Yojiro, qui suait et ne rêvait que d'une grande bière.
Les deux Lions marchaient à côté de leurs poneys et regardaient, amusés et intrigués, ces vilains quartiers, plus crasseux et tortueux que ceux de la Cité du Cri Perdu. Dire qu'il y a peu encore, ils auraient pu vivre là-dedans !
Après quelques détours dans des passages vraiment incertains, à travers des cours remplies de familles braillardes et des petits labyrinthes occupés par des mendiants, on retrouva la pleine lumière du jour, et on était au cœur de la Cité de la Pieuvre, au pied des murs du quartier noble.
- Je vous l'avais dit ! bâilla Yojiro.
Une fois la porte franchie, c'était une autre atmosphère. On sortait enfin des effluves grasses et on respirait un air plus pur. Il y avait des parfums qui brûlaient aux balcons, des belles dames en palanquins dans les rues, d'importants fonctionnaires en courses, des tablées de dégustateurs de thés et des patrouilles de soldats Hida. Sasuke et Mitsurugi se sentaient plus à l'aise. Ici, c'était propre.
C'était presque trop bien pour Yojiro...:baton:Le rônin laissa l'ambassadeur et son assistant au pied du palais de la famille Hanteï ; Sasuke lui tendit une bourse pleine, pour ses efforts, et le rônin fila dans la première taverne venue et y commanda une grande chope de bière.
- Comme je dis toujours, dit le patron, la première, c'est la meilleure !... Mais à condition qu'il y en ait d'autres derrière !...
Yojiro en reprit une autre, à moitié allongé sur des coussins, puis s'endormit, grognon mais heureux.

Samurai

Ce n'est qu'après de longues heures d'attente à la tombée de la nuit, que Mitsurugi et Sasuke purent gravir les étages du palais. On les avait fait attendre dans les luxueux jardin de l'ambassade des Hanteï. Il avaient eu des rafraîchissements, de la musique, et on leur avait fait chauffer un bain. Puis on leur avait prêté de somptueux kimonos.
Ils attendirent encore dans une antichambre, séparée du bureau de l'ambassadeur par un simple paravent orné de fresques. Nos héros faisaient comme s'ils n'écoutaient pas mais ils entendirent deux voix distinctes ; celle de l'ambassdeur et une autre, plus familière. Ils se regardèrent et se sourirent en coin, car c'était à n'en pas douter la voix d'une vieille connaissance, le capitaine du shinsen-gumi Otomo Jukeï !
Quand ce dernier sortit, il vit les deux Lions et réprima difficilement un haut-le-cœur ! Nos héros lui sourirent poliment en retour et l'officier s'éloigna en vitesse.
- Il y a du beau linge dans cette ville, dit le shugenja.
Un serviteur fit signe à nos héros qu'ils pouvaient entrer.
L'ambassadeur terminait une tasse de thé. Nos héros s'inclinèrent bien bas devant lui. Il se nommait Hanteï Norio. C'était un cousin par alliance de l'Empereur lui-même. Dans la force de l'âge, il avait des manières soignées et un regard ferme. Il avait à ses côtés son assistant, qu'il présenta, Hanteï Tokan. Celui-ci était plus jeune, vêtu sobrement, à la vieille manière, alors que, depuis les débuts du Gozoku, la mode était à des vêtements plus riches et plus ostentatoires -de ceux que portait la jeunesse festive pour laquelle le Gozoku favorisait les arts et les spectacles.
- Soyez le bienvenu en ce palais, dit l'ambassadeur. J'espère que vous avez fait bonne route et que les dieux vous sourient.
Après quelques autres politesses d'usage, l'ambassadeur expliqua qu'à son grand regret, son bon ami l'ambassadeur des Lions auprès de la famille Hida venait de mourir. Or, comme Mitsurugi avait été envoyé chez les Hida avec le titre d'ambassadeur assistant, c'était lui qui devait reprendre cette charge.
- C'est un honneur immense que vous me faites, dit Mitsurugi.
Il ne comprenait pas pourquoi c'était lui, et pas un successeur déjà désigné, qui était nommé.
- Je suis content qu'un jeune samuraï prenne cette place, dit Hanteï Norio. Je suis certain que votre connaissance des Crabes et de leur devoir seront de précieux avantages pour vous.
C'était vrai que Mitsurugi savait comment parler aux Hida, et ce n'était pas un de ces planqués qui n'ont jamais approché la Muraille !
Norio-sama donna encore quelques indications brèves, puis invita nos deux héros à passer dans le cabinet de son assistant, pour régler les formalités. Mitsurugi se prosterna encore front à terre et remercia infiniment le grand Hanteï de cette faveur exceptionnelle.
En réalité, il se demandait quelle charge écrasante venait de lui tomber sur les épaules !

Samurai

Pendant qu'ils étaient derrière le panneau, Mitsurugi avait entendu aussi bien que Sasuke la voix d'Otomo Jukeï mais il s'était efforcé de l'ignorer.OuimaisnonSasuke, qui n'avait pas de tels scrupules, avait tendu l'oreille. Il avait compris que le capitaine venait dans cette Cité pour sa mission habituelle de contrôleur des impôts. Il venait en particulier s'intéresser aux comptes des Grues, dont il disait qu'ils menaient un train de vie somptuaire, en reversant une misère aux caisses du Gozoku.
- Mon ami, avait dit Norio, je doute que vous obteniez un zéni de plus de leur part. Et si vous insistez trop, vous aurez rapidement votre hiérarchie sur le dos.
Jukeï était coincé, entre son devoir de contrôleur et cette réalité, que le clan de la Grue était celui qui profitait le plus du règne du Gozoku, grâce au charisme de son daimyo, qui était également champion d'Emeraude. Ces petits tracas auraient été simplement comiques si Sasuke n'avait pas perçu autre chose sous le discours apparent. Il ne comprenait pas de quoi il était question car les deux hommes parlaient dans un langage codé, propre aux familles impériales et aux dignitaires ayant fréquenté la Cité Interdite. Il y avait bien anguille sous roche.

Après leur entrevue avec l'ambassadeur Norio, nos deux héros parlèrent avec son assistant, Hanteï Tokan, et c'est pendant que Mitsurugi remplissaient des papiers que Sasuke repensait à l'entrevue derrière le paravent.
Hanteï Tokan, cela se sentit très vite, était bien moins honorable et "vieille école" que son maître. Lui avait les pieds sur terre et, de par sa fonction, il traitait les affaires sales et les dessous de la diplomatie, pour laisser à Norio-sama les belles réceptions et les beaux discours. Il était à peu près de l'âge de nos héros et on sentait une intelligence vive briller dans ses yeux, accompagnée d'un certain manque de scrupule qui devait le rendre redoutable.
- La Cité de la Pieuvre est un panier de Crabes, samuraï, déclara-t-il. Chacun est conscient qu'être envoyé dans cette ville n'est pas une récompense, à part pour les Scorpions, qui y envoient quelques-uns de leurs plus fins courtisans, car ils trouvent ici un vivier de samuraï ayant un petit secret à se reprocher. Personne ne tire de gloire d'être dans une ambassade d'une ville à quelques jets de lance de l'Outremonde. Les Lions qui sont ici ne se sont pas illustrés à la guerre, les Grues n'ont pas brillé en société et les Phénix n'ont pas fait les plus hautes écoles de magie. Cette Cité est faite pour les disgraciés.

Il ne chercha pas à savoir quelle "casserole" nos deux héros traînaient. C'était à se demander si Hanteï Norio lui aussi avait une tâche dans son passé.
- Je vais vous laisser vous installer chez vous, au palais d'Ivoire. Si j'étais vous, je ferais de ce palais une tour du même matériau, pour vous y réfugier et en sortir le moins possible. Dans cette Cité, ce sont les Yasuki les maîtres. Ils ont la mainmise sur les marchands et, à partir de là, sur la plupart des désirs matériels des samuraï, et dans cette Cité, ce n'est pas négligeable. Alors, suivez mon conseil, vaquez à vos occupations routinières, trouvez-vous une maison de geishas et tâchez de ne vous occupez que de ces deux choses-là. Ainsi, vous éviterez les ennuis !

Comme on peut s'en douter, ce n'est pas ce qui se passa, durant les mois que nos héros habitèrent dans la Cité de la Pieuvre !

Samurai

Matsu Yatsume, Maya et Mamoru partirent en mission pour l'Inquisiteur chez un grand seigneur marchand nommé Yasuki Kokaï. Cette famille avait la particularité de tolérer le commerce chez ses samuraï. Ceux-ci ne portaient généralement pas le sabre, mais géraient leurs affaires avec un talent et une énergie inégalés.
C'est sur les terres de ce Yasuki Kokaï qu'un samuraï de la garde Matsu du palais d'Ivoire (l'ambassade des Lions) avait été retrouvé mort. Matsu Yatsume dirigeait l'enquête : elle se présenta avec ses deux assistants au palais de Kokaï : le bâtiment regorgeait de richesses, des tapisseries, des vases, des peintures, de dorures et de raffinements tape à l'œil typiques de l'ère du Gozoku, et qui contrastait avec l'austérité des mœurs d'avant. Kokaï lui-même était un petit homme nerveux, qui se donnait des airs épanouis, mais dont les faiblesses nerveuses étaient presque palpables. Yatsume le prit rapidement en grippe. Elle sut qu'elle n'aurait pas de mal à travailler au corps ce gros négociant.
Elle obtint l'autorisation d'enquêter -c'était d'ailleurs de pure forme car Kokaï n'avait pas le choix. Nos héros allèrent à la grange près de laquelle le Matsu avait été retrouvé, à la sortie de la petite Cité où vivait Kokaï.
Là, c'était le terrain de jeu de Maya, spécialisée dans la recherche d'indices matériels. Des traces de pas autour de la grange indiquaient d'où venait le Matsu. On pouvait retracer son parcours sur la route qui venait depuis l'est de la Cité de la Pieuvre. Il avait franchi un petit pont par-dessus le ruisseau, et il avait trouvé la mort, là. Le corps n'était plus là. Sur la route, avant la grange, il y avait la petite auberge du village. Maya et Mamoru allèrent y jeter un œil. Ils virent à la fenêtre de l'étage un Scorpion qui les observait. Immédiatement, la méfiance de Maya fut mise en alerte et elle dit qu'il fallait interroger ce particulier-là. Mamoru haussa les épaules et la suivit.
Maya s'invita sans guère de ménagement dans la chambre du Scorpion et dit qu'elle enquêtait sur le meurtre. Le Scorpion, de la famille Bayushi, sourit et dit à nos héros de s'asseoir.
- Je crois plutôt que vous allez nous suivre, dit Maya, et nous sommes pressés.
Mamoru était un peu gêné, car Maya avait l'air de le considérer déjà comme un suspect.
Le Scorpion ne fit pourtant pas de difficulté, se leva et descendit avec Maya.
Yatsume, étonnée, vit arriver le Scorpion. Elle se sentit mal à l'aise face à lui, qui la toisait avec assurance. Visiblement, il s'amusait. On fit les présentations. Il se nommait Bayushi Kokamoru, et vivait à l'ambassade Scorpion de la Cité de la Pieuvre. Il était venu chez Yasuki Kokaï pour quelques jours, afin de traiter des affaires courantes.
- Avez-vous quelque chose à nous dire sur la mort du Lion ? dit Yatsume.
- Ma foi, la nuit dernière, je dormais, et un fort coup de vent a ouvert la fenêtre. Une rafale très brusque. Je me suis donc relevée et j'ai entendu quelqu'un courir et haleter dehors. J'ai vu la silhouette, qui avait déjà dépassé l'auberge. Mais n'étant pas sur les terres de mon clan, je ne me suis pas occupé de cette affaire...
Il attendait la suite. Il voyait venir Maya à mille lis, et défiait silencieusement Yatsume de s'en prendre vraiment à lui.
- Vous n'avez vu personne d'autre sur la route ?
- Non, seulement ce samuraï, dont je n'ai même pas vu au début que c'était un samuraï. A vrai dire, j'ai cru à un paysan effrayé par un esprit...
- Attention à ce que tu dis, fit Yatsume.
L'autre sourit et fléchit légèrement la tête pour s'excuser. Lui serait plus coriace que Kokaï, s'il était vraiment mêlé à cette affaire.

Les samuraï retournèrent au palais avec Bayushi Kokamoru, et Yatsume demanda à ce que ses assistants puissent voir le corps du Matsu. Kokaï, dans ses petits souliers, accéda à cette requête.
Mamoru et Maya allèrent à la morgue, où les etas gardaient le corps. Entrer dans cet endroit était ce qu'il y avait de plus salissant moralement pour un samuraï. Mamoru était dispensé de ce genre de retenue, et Maya, manifestement, s'en moquait éperdument. Ils ne devaient pas être nombreux, les sages Dragons, à avoir pénétré dans une morgue !
Le corps du Matsu était marqué de longues taillades, sur les bras et la poitrine. Maya, suspicieuse, inspecta ces blessures. Même pour Mamoru, c'était pénible de voir l'Ize-Zumi toucher de la chair morte... Les etas furent quelque peu surpris eux aussi.

Au palais de Kokaï, Yatsume avait réquisitionné une pièce comme bureau. Elle y reçut Bayushi Kokamoru, en s'attendant à ce qu'il soit plus loquace en tête à tête. Il ne dit rien de plus, il répéta ce qu'il avait déjà dit. Il continuait son cabotinage, comme un acteur qui n'arrive plus à se défaire des grimaces de son personnage habituel. Là, il surjouait le Scorpion mystérieux et inquiétant. Yatsume se demanda s'il se moquait d'elle, mais elle comprit un peu son manège : Kokamoru avait percé à jour qui elle était. Qui elle avait été. Lorsqu'elle s'appelait encore Bayushi Yatsume, avant la mort de son mari des mains d'un ignoble maho-tsukaï.
Bien sûr, à moins de s'être renseigné, Kokamoru ne pouvait savoir cela, mais il montrait par son attitude qu'il n'était pas dupe des oripeaux Matsu que portait la jeune femme. Et s'il était au courant de l'histoire exacte de Yatsume ? Comment son mari s'était fait posséder peu à peu par la Souillure, et comment elle avait dû en finir avec ce monstre qu'il était devenu, avant de partir, veuve, sur la route du Loup ?...
C'était bien Yatsume la plus embarrassée dans cette affaire. Visiblement, le Scorpion avait pris un malin plaisir à jouer au coupable idéal, et il avait sentit en Maya une âme simple qui ne ferait pas de nuance, et le prendrait pour suspect.
En repensant au coup de vent brusque dont il avait parlé, Yatsume se demanda si cela ne pouvait être le fait d'un shugenja. Elle savait que la magie de l'Air pouvait rendre certaines personnes invisibles... Elle avait entendu parler de cela, dans le temps.
Agacée par Kokamoru, Yatsume lui dit qu'il pouvait disposer et elle décida d'aller se faire les dents sur ce gros imbécile de Kokaï.
Elle alla le voir dans ses appartements, et lui en substance qu'elle ferait l'impossible pour venger la mort de ce Matsu, que son rôle à lui, Kokaï, était tout sauf clair, qu'on se demandait bien ce qu'un Matsu venait faire justement chez lui, alors qu'il n'avait aucune raison de connaître cet endroit. Le pauvre Kokaï ne savait plus comment se tourner dans sa graisse. Il payait pour la perfidie subtile du Scorpion, qui avait blessé Yatsume en ravivant ses mauvais souvenirs !

Le soir, elle écrivit à Mitsurugi pour lui faire part du début de son enquête. Elle ignorait que son supérieur, maintenant ambassadeur officiel des Lions auprès des Hida, était loin de s'en faire autant qu'elle.

Samurai

Invité avec Sasuke à un grand repas de l'ambassade Lion, avec des dignitaires du clan, et en particulier son collègue le diplomate attaché aux familles Kuni, Kaiu et Hiruma, il menait joyeuse vie, en cette fin de banquet bien copieux, où chacun y allait de son anecdote guerrière. Mitsurugi raconta sa bataille de la Cité des Apparences et de la Cité du Levant, omettant les quelques détails gênants qui concernaient les circonstances de ces batailles. Les samuraïu riaient et se tapaient franchement sur les cuisses.
Mitsurugi discuta avec son collègue Ikoma Noyuki, qui récitait des poèmes débridés et des anecdotes inavouables sur certaines belles apparemment irréprochables. Mitsurugi comprit que c'était un poète raté, qui se complaisait maintenant dans le grivois et les lectures qu'on se passe sous le kimono. Sa charge d'ambassadeur ne devait pas l'accabler outre mesure, et Mitsurugi espérait bien qu'il en irait de même pour lui avec les Hida.
Après le repas, ce fut la nuit à la maison de geishas, et de même le lendemain, pour un banquet chez les Hida et la découverte des meilleurs établissements de la Cité de la Pieuvre. Le quartier réservé était l'un des plus grands que Mitsurugi ait vu (et il en avait visité un certain nombre sur les terres du Phénix) ! C'était une ville dans la ville, le tentacule de la Pieuvre dédié aux plaisirs. Mitsurugi allait suivre le conseil de Hanteï Tokan : se trouvait un quartier général dans une de ces maisons réservées, et y passer ses soirées. Considérant d'où il revenait, il n'était pas trop mal loti. Les samuraï de cette Cité, joyeusement décadents, n'encourageaient pas à la mélancolie !

Dans la journée, il se tenait tout de même au courant des dernières affaires, la principale étant la disparition du vigile Matsu. Il prenait sa garde de nuit, quand il avait brusquement quitté le palais, et s'était rendu sur la route de l'Ouest.
Sasuke, qui voulait des informations concrètes sur cette ville, chargea Yojiro de mettre son nez dans les bas-fonds de la Cité et d'en extraire les nouvelles les plus juteuses. Le rônin avait appris à la Cité du Cri Perdu le langage des criminels et des milieux interlopes. Il se mit donc en campagne pour découvrir cette Cité qui reste inconnue aux samuraï.
Quand Mitsurugi reçut la lettre de Yatsume, il lui dit de persévérer et de revenir avec un coupable. Puis il partit en sifflotant prendre son bain, avant de se préparer pour les festivités à venir, chez les Yasuki.

Samurai

Le lendemain après-midi, après avoir décuvé des excès de la veille, Mitsurugi passa l'après-midi à discuter avec Ikoma Noyuki. Il en apprit davantage sur l'importance qu'avait prise la famille Yasuki chez les Crabes. Il en apprit surtout sur l'implantation de cette famille dans la Cité de la Pieuvre, dont elle faisait maintenant sa chasse gardée. Les samuraï marchands veillaient directement à la marche des différents groupes de yakuzas, avaient un œil très attentif sur les boutiques et l'ensemble de la population.
- Dans aucune autre Cité les samuraï ne surveillent aussi attentivement le demi-peuple... J'imagine que c'est ça, la modernité, ricana Noyuki. Les Yasuki ont rompu avec les Grues depuis que ceux-ci ont imposé une sévère augmentation des taxes, et ils font semblant de mépriser le Gozoku. En réalité, ils en sont presque les meilleurs représentants : des décadents qui pensent plus au luxe qu'à se battre, des marchands qui rêvent d'empires commerciaux, et qui veulent le bien du peuple... Franchement, où allons-nous, si nous commençons à nous mêler au vulgaire bas-peuple ?
- Je suis bien d'accord, dit Mitsurugi, qui essayait de se cachait son passé comme on dissimule un cadavre dans un placard.

Chez Kokaï, Yatsume recevait la lettre de Mitsurugi lui demandant un coupable, mais elle n'était plus avancée. Derrière ses airs lâches, le gros seigneur marchand ne fléchissait pas, et l'enquête de Yatsume piétinait. Après avoir examiné le corps, Maya trouvait les entailles franchement "louches", comme si on les avait faites après la mort, pour faire croire à une folie furieuse du Matsu.
- Si nous n'avons rien découvert demain soir, dit la magistrate, nous partirons à la Cité de la Pieuvre.

Yatsume se retira dans ses appartements et demanda à rester seule. Elle en avait besoin. Tourmentée par son passé, qu'elle voyait lui revenir en pleine figure comme une gifle, elle pria l'esprit de son mari de l'aider. Le regard de Bayushi Kokamoru l'avait destabilisée. Il l'avait regardée comme elle était vraiment : comme une Scorpionne déguisée en Lion. Comme une espionne idéale infiltrée dans la famille Matsu.
Yatsume repensait à cette chose horrible que son mari était devenu, dans les derniers temps, et de la résolution qu'elle avait dû prendre. Le maho-tsukaï responsable de cette Souillure se nommait Yumi Iro. Elle l'avait cherché, jusqu'à présent sans résultat. Elle implorait l'esprit de son mari de l'aider à ne pas faillir.
Défigurée par les pleurs, elle prit le temps de se remaquiller légèrement, puis elle ouvrit le coffre de sa chambre, où elle avait fait disposer des habits de voyage. Elle sortit des habits rustiques, identiques à ceux des marchands du peuple, puis elle sortit du palais discrètement, par une petite porte qu'elle avait repérée en arrivant. Elle se fit passer pour une servante qui rejoignait sa famille. Elle voulait retourner à l'auberge où logeait Kokamoru, mais en chemin, elle le croisa, accompagné de plusieurs amis. Ils allaient dans une petite auberge, non loin du palais. Tout à fait le genre d'endroit pour des Scorpions qui veulent discuter tranquillement.
Yatsume s'assit sur le tatami à côté d'eux et se fit servir à boire, en détournant à boire. Et elle écouta attentivement les conversations. Bientôt, elle entendit Kokamoru parler d'elle orgueilleusement. Rien que pour ça, elle lui aurait arraché les yeux. Mais quand elle entendit un nom, le nom ! Le nom d'Asahina Naburo, elle l'aurait étranglé à mains nues !
Le nom de son époux ! Asahina Naburo, le beau shugenja ténébreux, maître des sorts de l'Air, dont le mystère l'avait fait rêver, jusqu'à ce que cela se transforme en cauchemar.
Comme une vraie lionne, Yatsume bondit sur Kokamoru ; ahuris, ses amis eurent vite fait de maîtriser cette folle. Kokamoru, qui avait reçu un coup en plein visage, sourit quand même :
- Tiens, cette chère Yatsume... Quel hasard que vous soyez ici, vêtue en paysanne !
Yatsume se débattait, maintenue par trois solides Bayushi.
- Profitons-en pour parler un peu, dit-il en portant sa coupe à ses lèvres.
Il commanda une autre bouteille de saké et servit généreusement chacun. Yatsume consentit à se calmer. Il était évident que, froidement et avec calcul, Kokamoru avait préparé son jeu comme un acteur son rôle, pour attirer à lui Yatsume. Il y avait toutes les chances pour qu'il ait su qu'elle viendrait chez Kokaï et qu'il l'ait attendue à côté.
Elle était presque sûr qu'il n'avait rien à voir dans la mort du Lion.
- Que voulez-vous ? dit enfin Yatsume, calmée.
Elle accepta de boire un verre, à la santé de la famille Bayushi. Le saké avait un arrière-goût amer.
- Buvez sans crainte, fit joyeusement le Scorpion, nous n'avons pas eu le temps de verser le cyanure que nous vous destinions...
Elle retrouvait l'esprit du clan.
- Si vous me disiez plutôt...
Elle ne sut comment finir sa phrase.
- Oui, venons-en à l'essentiel. Nous sommes venus à vous, Yatsume, parce que nous avons pensé échanger des informations avec vous.
Notre héroïne sut que cette proposition était bien sûr un marché de dupe. Mais le genre de marché de dupe qu'on ne veut pas refuser.
- Nous avons trouvé des informations sur les assassins d'Asahina Noburo...
Yatsume devenait folle chaque fois qu'elle entendait prononcer le nom de son mari par quelqu'un d'autre.
- Le clan ne vous a pas cru, et vous a jugée coupable. Mais les choses peuvent changer, Yatsume. Le clan est plus ouvert d'esprit aujourd'hui. Notre seigneur Bayushi Atsuki a beaucoup fait pour abattre certains préjugés regrettables, et pour nous inciter à plus de discernement...
Bayushi Atsuki était l'actuel daimyo du clan du Scorpion. Surnommé "le Maître des Secrets", il était l'un des trois dirigeants du Gozoku.
- Que voulez-vous ?
- Vous aider à en finir avec le passé, Yatsume. A condition que vous nous aidiez, vous aussi, à en finir avec le passé.
- Quel passé ?
- Celui que représente, comme une injure, un vieillard éclopé qui court sur les routes impériales et nous échappe depuis trop longtemps...
- Tange Sazen...
- C'est son nom de rônin.
Yatsume baissa la tête.
- Vous savez où il est, Yatsume. Sazen était à la Cité du Levant en même temps que vous... Nous savons bien pourquoi Mitsurugi s'est retrouvé "promu" à la Cité de la Pieuvre...
- Qu'avez-vous à m'apprendre sur mon mari ?
Yatsume se retenait de pleurer. Elle ne voulait pas leur donner ce plaisir-là.
- Nous voulons savoir où est le vieux senseï. Vous devez être l'une des dernières à l'avoir vu...
C'était vrai : c'était Yatsume qui avait accompagné Sazen et le clan du Loup au port près de la Cité de la Forêt des Ombres.
Yatsume se leva brusquement et dit qu'elle y réfléchirait. Elle partit sans se retourner. Kokamoru finit sa coupe lentement en la regardant partir et il souriait d'un air entendu.

Samurai
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9e Episode : Dans les entrailles de la pieuvre - by Darth Nico - 19-06-2009, 12:51 PM

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