10-07-2009, 11:43 PM
Une place chair payée<!--sizec--><!--/sizec-->
Note a d'autre...
Elle traverse les couloirs du LAPD discrètement. En fait, elle semble presque plus les hanter que les arpenter.
Sobrement vêtue, silencieuse et la mine sombre, elle passe comme une brise délicate, ne laissant
derrière elle qu’un doux parfum sucré. Elle avance de l’air décidé de ceux qui savent où ils vont, elle progresse tendue et nerveuse. Ses doigts effleurent doucement, presque tendrement, les mains courantes, les poignées de portes. Son regard est fixe, il semble plonger dans un monde que nul autre ne peut voir. Elle prend l’ascenseur comme d’autres vont au devant d’un peloton d’exécution, le regard vide, les lèvres pincées, le visage fermé, la tête légèrement penchée comme si elle prêtait une oreille attentive à un invisible et mystérieux interlocuteur.
Elle passe devant les bureaux et les postes de contrôle sans parler, comme murée dans un monde n’appartenant qu’à elle.
Elle brandit sa carte de flic comme un sésame magique lui ouvrant toutes les portes, comme un bouclier la protégeant de tous les regards.
Les regards… Elle en sème à profusion derrière elle.
Des regards avides, jaloux, envieux, haineux, des regards lubriques, voraces, passionnés, concupiscents, des regards défiants, méfiants, méprisants, nsultants ; des regards qui brûlent, qui font mal, qui jugent, qui condamnent, qui transpercent, qui déshabillent…
Elle est une tempête silencieuse et dévastatrice qui s’insinue dans les âmes, dans les esprits, dans les coeurs et dans les corps. Autour d’elle le silence provoqué par son passage est rapidement comblé par un petit bruit pitoyable et pathétique.
Il faut croire que, la nature ayant horreur du vide, elle est prête tout pour le remplacer.
Là où quelques instants plus tôt se tenait une jeune femme belle, comme seule les âmes blessées peuvent l’être, et fière, comme seuls les anges déchus
qui ont retrouvé la lumière dans les ténèbres le sont, les quolibets et les médisances succèdent au silence imposé par sa seule présence.
À la beauté d’un instant, à la vision d’une volonté farouche, libre et indépendante, suit un néant intellectuel.
Les gardiens du temple, ces hommes et ces femmes qui ont prêté le plus sacré des serments, celui de protéger et de servir, redeviennent petits et mesquins
et se contentent de persifler et de salir. La jeune femme est un personnage de tragédie, condamnée à errer sur Terre trop belle et trop indépendante,
trop intelligente et trop forte. Elle est de ces êtres si parfaits qu’ils attirent plus encore le mépris que l’admiration. Elle est de ceux qui nous font prendre conscience de nos défauts, de nos petites bassesses. Elle est de ces femmes si belles que l’on ne peut que rêver de les briser, des les souiller. Elle est de ces femmes si fortes que l’on ne veut que les humilier tant on enrage de savoir que jamais nous ne parviendrons à approcher d’une telle perfection.
Plutôt que de tenter de s’élever, l’homme retrouve ses plus bas instincts. Sa simple présence nous fait nous sentir laids et faibles, comment ne pas haïr un
tel rappel de ce que nous ne serons jamais.
Elle entre finalement dans la grande salle, insensible aux regards, détachée du monde qui l’entoure, ignorante de ces murs gris et vert écaillés, oublieuse des odeurs de sueur, de peur, de café, de clope froide, de déodorant bon marché et de vomi. Elle s’installe tranquillement
à son nouveau bureau. Elle inspire, profondément, intensément comme si elle sortait d’une apnée prolongée, comme si elle quittait un océan de
tranquillité et reprenait pied dans un univers triste, sale et mesquin.
Elle chiffonne ensuite négligemment quelques feuilles traînant sur son bureau avant de les jeter dans une corbeille déjà pleine de gobelets à café vide, de mégots et de cendre. Son regard se fait un instant plus triste à la pensée des insultes et des menaces anonymes qui couvraient ces quelques feuilles, au plus profond de son esprit une nouvelle étincelle d’humanité s’éteint souillée par le mépris et la haine. L’espace d’un instant, elle semble
fragile et déséquilibrée. Elle n’est plus qu’une funambule ballottée par le vent entre larmes de tristesse et cri de révolte. Mais, loin de tomber, elle se
relève, un nouveau feu brûlant dans son regard. Elle scrute les bureaux qui l’entourent, défiant quiconque de l’affronter.
Une fois encore le silence se fait, les mesquins se terrent derrière leurs dossiers, les lâches quittent la pièce en catimini, et les simples mortels enragent à nouveau à la vue d’une telle volonté.
Puis elle se lève, le regard un peu plus triste chaque jour, et se dirige d’un pas décidé vers le bureau des lieutenants. Elle entre et ferme délicatement la porte derrière elle, nous laissant seuls avec notre inhumanité, seuls avec notre jalousie, seuls avec nos envies et nos désirs inassouvis et inavouables. Et aussitôt, les médisances reprennent. Les mots deviennent l’arme des médiocres.
Pensez donc une gosse du ghetto, une petite métisse, une gosse qui vécut dans la rue à partir de l’âge de douze ans d’expédients dont tout le monde semble tout savoir. Comment, aurait-elle pu devenir autre chose qu’une star du porno. Comment aurait-elle pu être autre chose qu’un « déversoir à foutre », une icône moderne de la perversion et du désir, un de ces méprisables succubes au corps de déesse dépourvu d’esprit. Mais les esprits moqueurs, les impénitents du ragot trébuchent sur la fin de l’histoire.
Su’un individu plus sain d’esprit et plus honnête fasse remarquer le courage qu’il lui fallut pour étudier et parvenir à quitter la fange, la volonté dont elle fit
preuve pour sortir de l’académie de police parmi les quatre meilleurs de sa promotion après onze mois de mépris et de brimades injustes, et les petits lui tombent dessus comme la foudre divine sur le pécheur.
Voilà le défenseur qualifié d’obsédé ne rêvant que de la baiser, voilà le juste déconsidéré et rabaissé. Comme il est insoutenable de voir quelqu’un tenter
de s’élever au-dessus de soi.
Tashandra « Eve » Sanko vient donc d’intégrer les rangs du COPS, comme vous devez désormais le savoir si vous n’avez pas passé les dernier mois sur Mars. En raison de son passé de pornostar, elle doit subir quotidiennement les insultes et le mépris de la presse télé et écrite, ce qui se comprend lorsque l’on connaît le niveau intellectuel de la plupart de ces soi-disant journalistes, mais aussi de nombre de ses collègues, ce que je ne peux comprendre, ce qui ne peut s’accepter. Je n’écris ordinairement pas publiquement, je n’ouvre que rarement ma gueule pour défendre une rookie, après tout il faut savoir faire ses preuves pour être admis au sein de la famille.
Mais je ne laisserai pas se pratiquer un lynchage en règle devant mes yeux sans réagir. Seul l’avenir nous dira si Tashandra Sanko a véritablement
l’étoffe d’un flic. D’ici là, le prochain que je choppe à écrire des saloperies sur les murs des chiottes ou à l’insulter à haute voix, je m’occuperai personnellement de lui lors de sa prochaine séance d’entraînement au combat au corps à corps.
À bon entendeur.
• Douglas Collins COPS.