27-08-2009, 09:58 PM
(This post was last modified: 28-08-2009, 04:42 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
Yojiro connaissait bien les quartiers populaires de la Cité, pour les avoir déjà arpentés de long en large au service des Lions. Il n'eut pas de mal à suivre Yatsume à distance sans se faire voir. Celle-ci dut sentir un moment qu'elle était suivie mais elle crut avoir distancé son poursuivant. Erreur, Yojiro avait feinté en prenant un détour et reprit son pistage plus loin. Il sortit par la porte nord après Yatsume, à l'heure où les gardes allaient fermer l'accès.
Le jour tombait doucement sur la campagne et sa grande route : celle-ci s'orientait vers le nord en sortant de la Cité de la Pieuvre, puis bifurquait vers le nord-est. Personne ne l'empruntait pour repartir de la ville (on prenait un autre chemin plus long), afin de ne pas voyager dans cette direction qui portait malheur, depuis qu'elle avait été celle des armées du Dieu Maudit lors de la guerre qui l'opposa aux Tonnerres. Les marchands et voyageurs ne prenaient cette route que pour aller vers la Cité, donc vers le sud-ouest.
Yatsume marchait, pressée, tandis que Yojiro, retrouvant ses réflexes d'éclaireur et d'infiltrateur appris au dojo Hiruma, marchait sur de petits sentiers adjacents, sans bruit sur la terre grasse et parmi les buissons.
A l'entrée d'un petit bois, il vit des silhouettes vêtues de noir s'approcher de Yatsume et l'emmener entre les arbres. Le rônin entra dans le bois et entendit un bruit de conversation. Il s'immobilisa derrière un gros tronc et n'osa plus respirer.
- Tu es juste à l'heure. Partons avant que l'Inquisiteur n'arrive...
Yojiro crut à ce moment-là à des démons nocturnes, comme ceux que Mamoru avait rencontrés dans la roulotte. Le groupe se faufila sur un petit sentier qui descendait dans un vallon où se dressait un vieux temple aux fondations de pierre et à la charpente de bois, tout en hauteur. Les "amis" de Yatsume étaient bel et bien ces "ninjas" des légendes, avec diverses armes sur eux et des avant-bras renforcés de fer. Yojiro mit son fourreau dans le dos afin de l'empêcher de cliqueter et avança à pas prudents vers le temple de la fortune du nord-est. La bâtisse était presque à l'abandon. Qui pouvait bien encore prier cette Fortune dont le nom était synonyme de malheur ?

Yatsume pénétra avec les Shosuro dans le temple impressionnant et sinistre. L'endroit craquait comme s'il menaçait ruine. L'intérieur était nu. Un mauvais plancher vermoulu, des murs attaqués par l'humidité, un toit d'où les tuiles tombaient peu à peu. Il y avait cinq "ninjas" avec Yatsume. Tout le monde avait dégainé saï, sabres et lances. Notre héroïne avançait en tête, son naginata en mains. Une silhouette attendait au fond de la pièce, près d'un autel renversé et brisé. Un personnage au visage émacié, aux cheveux lisses et aux longs ongles noirs.
- Tu devais venir seule, Yatsume...
- Yumi Iro, dit notre ancienne Scorpionne, tu as assassiné mon mari ! Tu vas expier aujourd'hui !...
Le sorcier fit un grand geste vers le plafond : sur les poutres étaient perchés des humanoïdes aux yeux rougeoyants, à mi-chemin du guerrier et du singe. Ils sautèrent en poussant des cris stridents sur les Shosuro. Ils étaient une dizaine : lae combat s'engagea, bref et sanglants. Plusieurs des assaillants furent trucidés par les Shosuro mais ceux-ci n'y voyaient goutte et n'étaient pas agiles comme leurs ennemis. Ils eurent la gorge arrachée ou la nuque broyée par les monstres nocturnes, tandis que Yumi Iro se délectait de ce spectacle. Alors qu'il ne restait plus qu'un Shosuro debout, mais prêt à succomber sous le nombre, Yojiro entra en courant et abattit un des singes : une giclée d'épais sang s'écrasa au mur et la bête expira dans un couinement pathétique. Yatsume s'était aussi attaquée aux monstres mais ceux-ci n'avaient pas cherché à l'attaquer. Nos deux héros mirent fin aux jours des deux dernières créatures et firent face à Yumi Iro.
Yojiro vit un des "ninjas" à terre, la cagoule arrachée et vit qu'il était humain. Il n'allait pas avoir le temps de demander à Yatsume ce qui se passait. Yumi Iro avait déjà les mains enflammées. Nos héros se lancèrent sur lui : Yojiro lui lacéra la poitrine et Yatsume l'empala sur son arme.
Nos héros reculèrent alors car les deux boules de feu du sorcier étaient parties vers le plafond alors qu'il chutait, et maintenant elles allaient retomber !
Ils coururent vers la sortie : les deux météores frappèrent le sol, qui s'embrasa rapidement. Yatsume sauta à côté des flammes pour récupérer son arme plantée dans le sorcier. Elle tira sur son naginata et vit alors que la tête de Yumi Iro avait proprement disparu et que sa poitrine était creuse !
Les flammes crûrent rapidement, faisant un rideau entre elle et Yojiro. Yatsume sentit alors comme une corde la saisir à la gorge et l'étrangler. Elle fut entraînée vers le fond du temple : elle saisit ce qui l'étranglait et sentit alors un tissu mou et caoutchouteux. Elle vit à la lumière des flammes que c'était des viscères ! Elle put relever la tête et vit la tête du sorcier qui flottait au-dessus d'elle, démoniaque, et cette tête se prolonger par un oesophage, des poumons, un estomac et des intestins ! Un pennagolan ! Des vampires qui s'emparent de corp humains et habitent dedans un temps !
- Tu ne dis plus rien, Yatsume ! ricana Yumi Iro.
De fait, notre héroïne étouffait. Elle se sentit entraînée dans les airs : elle se voyait déjà finir pendue au bout du corps de ce monstre !
Yojiro ne pouvait plus passer les flammes, trop épaisses. Il allait suffoquer. Et le feu prenait au toit et aux murs. Le temple ne tarderait pas à s'écrouler. Yatsume se fit emporter sur un poutre en hauteur et sentit l'étranglement se relâcher un peu.
- Nous n'avons que peu de temps, dit Yumi Iro, alors je vais te faire une proposition que tu ne pourras pas refuser...
- Je refuse ! gémit Yatsume.
Les viscères se ressèrent et faillirent l'étouffer.
- Et maintenant ?
- Je... t'écoute...
- Tu vas faire croire que tu m'as tué. Et ensuite, nous irons voir ensemble ce Scorpion qui t'a mis sur ma piste...
Yatsume n'eut pas le temps de lui demander comment Yumi Iro connaisssait Bayushi Kokamoru. Il fallait donner une réponse !
- D'ac... d'accord.
- Parfait...
Le pennagolan relâcha notre Lionne au-dessus du sol et s'enfuit par le haut du temple.
Yatsume, prise dans la fumée, étouffait et pleurait. Elle courut vers la sortie, et vit la main de Yojiro se tendre vers elle : le rônin avait pratiqué une ouverture sur un mur latéral.
Ils sortirent, se gorgèrent d'air frais et s'éloignèrent dans les bois alors que le temple du nord-est craquelait de partout et s'écroulait finalement. La petite armée de l'Inquisiteur Tadao arriva alors que les ruines brûlaient encore abondamment. Tadao poussa un juron quand il vit les corps prisonniers sous les poutres en feu, et aucune trace de Yatsume.
Hida Goemon, Mamoru et les autres fouillèrent les environs sans rien trouver. A cette heure-ci, Yatsume et Yojiro arrivaient dans un petit village à proximité. Ils frappèrent à l'auberge, les habits roussis et noircis.
- Pas de question, dit Yatsume à l'homme endormi en montrant son mon de clan, et deux chambres !
Tadao laissa deux hommes à proximité de la ruine et repartit avec sa troupe, rageur. Pendant ce temps, pas si loin du temple, l'ignoble sorcier pennagolan achevait son travail de vampirisation d'un Shosuro qui avait pu emmener avec lui. Il s'était nourri de son sang et d'une partie des entrailles et se glissa dans ce nouveau corps d'accueil en ricanant, bien à son aise dans cette chair fraîche !

Le palais des familles impériales dans la Cité de la Pieuvre avait pour nom "Les mille nénuphars". C'était certainement le plus beau bâtiment de la ville, construit dans le style le plus traditionnel. Aucune fioriture n'avait été ajoutée, pour affirmer le traditionnalisme des familles Hanteï et Otomo qui y vivaient, contre le style somptueux et débordant promu par le Gozoku. Le contraste était encore plus net par rapport aux grosses bâtisses de la famille Yasuki : depuis qu'ils avaient fait de cette ville leur capitale, il y a deux ans, ils avaient imposé leur opulence tapageuse de nouveaux riches.
Rien de cela au palais impérial, dépouillé à l'extrême, selon le voeu du vieil ambassadeur Hanteï Norio. C'est lui qui accueillait personnellement les invités à l'entrée, près du petit pont consacré aux Ancêtres. Il les conduisait ensuite sur le chemin qui menait aux quatre petits bassins où étaient entretenus les nénuphars. Ces fleurs requéraient pas moins de cinq samuraï et leurs assistants : ceux-ci s'occupaient aussi de magnifiques massifs de fleurs, des circuits d'eau en bambous, des bonzaï, des autels en pierre et des poissons multicolores qui nageaient dans les ruisselets.
Dans la Cité de la Pieuvre, cette cité de décadence, de luxe, de commerce, le palais était un havre de paix et de sobriété. Après quelques pas avec le seigner Norio, les invités rencontraient son assistant, Hanteï Tokan sur le pas de la porte.
Le vieux Norio était le contraire d'un bon vivant : ascète, rigide, il voulait sa vie en tous points conforme à l'excellence. Avec l'âge, il priait de plus en plus les Ancêtres, avec une dévotion aussi profonde qu'intérieure. Il vivait sans apparats mais s'imposait naturellement par sa droiture. Il s'imposait une rude discipline de vie, avec de longs moments de méditation, des bains d'eau froide au moins deux fois par jour. Il recevait les nobles seigneurs qui le désiraient pour les guider sur la voie de l'honneur.
Mitsurugi et Sasuke arrivèrent à la porte parmi les premiers, en compagnie d'Ikoma Noyuki. D'habitude plutôt volubile et extraverti, Noyuki se signala ce soir-là par une retenue qu'on a que face à ceux qui vous impressionnent réellement. Le seigneur Norio regardait d'ailleurs Noyuki comme un vieux professeur qui tient à l'oeil un élève dissipé. Il y avait une explication à cette relation, qui étai liée indirectement au bassin des nénuphars.
C'était lors d'une cérémonie de thé entre Norio et Tokan.
A brûle-pourpoint, le vieux Hanteï avait demandé à son assistant :
- Voyons, que penses-tu du bassin aux nénuphars ?
Surpris, Tokan avait pris le temps de répondre :
- Ma foi, seigneur, il est magnifique, l'un des plus beaux de l'Empire, à rendre jaloux les Grues et...
Il avait compris au regard de son maître que ce n'était pas le genre de réponse attendu. Tokan se sentait en faute.
- Comment dire ?... Il représente bien sûr l'harmonie, la...
- Je vais te dire ce qu'il représente pour moi.
- J'en serais honoré, seigneur, euh...
- Ce bassin, trancha Hanteï Norio, représente l'harmonie de toutes les choses de ce monde. Elles sont ensemble, en un grand tout. Elles vivent, s'épanouissent, se fanent. Et certaines ont besoin que leurs voisines meurent pour prendre leur place et vivre à leur tour. Mais cet ensemble est fragile. Il ne repose que sur de l'eau. Il peut se disloquer si on n'en prend pas soin en permanence. Il peut partir à la dérive, comme ça, par une simple négligence. Nous vivons dans un monde flottant et incertain, sur lequel nous n'avons qu'une prise relative. C'est pourquoi il faut mettre tout notre soin à ne négliger aucun détail, pour que le tout ne se défasse pas.
- Bien sûr, je...
- Maintenant, toi, qu'en penses-tu ?
Norio le regardait sévérement.
- Je sais au moins, dit le vieux Hanteï, ce que ton ami l'ambassadeur Ikoma Noyuki en pense.
Norio sortit alors de sa manche un parchemin plié plusieurs fois. Tokan rougit.
- Partages-tu l'opinion inscrite sur ce papier ?
Tokan savait très bien qui était l'auteur de ce papier : c'était Ikoma Noyuki. Les deux hommes avaient à peu près le même âge, et partageaient un goût pour la fête et les filles... Ils s'étaient retrouvés plus d'une fois dans des maisons réservées et s'étaient invités mutuellement dans les meilleurs établissements de la ville.
Sur le papier, Noyuki avait écrit, après une soirée particulièrement réussie, un petit poème pour remercier Tokan :
"Mon cher ami, vous connaissez les charmes de ce monde flottant et vous vivez près de ce bassin qui le représente si bien. Pour moi, il est évident que ces nénuphars représentent les femmes que nous avons eues, que nous aurons, que nous n'aurons pas et que nous regretterons de ne pas avoir eues."
Tokan baissait la tête.
- Je n'ignore pas, avait dit Norio après un certain temps, que l'expression de monde flottant peut désigner ce monde de plaisirs où vous ne vous privez pas d'aller, tous les deux.
"Bien sûr, lorsqu'on est jeune, on a des forces à gaspiller. On se donne sans compter et on se disperse. Avec l'âge, on apprend à revenir à l'essentiel. Si je vous confiais mes nénuphars, Tokan-san, vous en feriez pousser autant que vous pouvez, pour le plaisir de tous les admirer, quitte à en perdre plusieurs par jour. Pour ma part, j'aime en avoir moins mais que chacun d'eux soit parfaitement soigné.
"Vous admirez l'eau qui rend tout éphémère et emporte les choses. Moi j'admire cette eau que nous savons dompter et qui nous fait vivre.
Tokan n'osait rien répondre.
- J'ai trouvé ce papier que vous avez oublié parmi notre courrier. Que cela, au moins, vous rappelle une prudence élémentaire, dit Norio en rendant le papier à Tokan : ne pas négliger les détails.
Norio finit son thé cérémonieusement et ajouta :
- De toute façon, vous devriez savoir, mon cher assistant, que les femmes, elles, ne négligent pas les détails.
C'était le coup de grâce !
Et ce fut la seule fois où Tokan crut discerner la naissance d'un sourire sur le visage inflexible de son maître !

Sasuke, Mitsurugi et Noyuki s'inclinaient devant Hanteï Tokan.
- Soyez les bienvenus mes amis.
L'assistant leur fit visiter la salle de réception et leur fit servir à boire. Il les présenta à plusieurs personnalités présentes ce soir-là.
Dans un coin, des Scorpions en faisaient exprès de faire semblant d'être discrets et de ne pas se faire voir de tout le monde ! Bayushi Kokamoru ft quelques commentaires à voix basse :
- Voici donc l'ambassadeur Matsu Mitsurugi et son assistant Matsu Sasuke... On dit qu'ils ont eu une vie agitée pour se retrouver dans notre belle Cité.
- Qui parmi nous a eu une vie tranquille ? sourit une shgenja Soshi.
- Nul n'arrive à la Cité de la Pieuvre par hasard, fit un Yogo.
Nos héros remercièrent Hanteï Tokan et Miturugi ajouta :
- A ce sujet, je vous informe que Matsu Sasuke vient de défier en duel un des tensaï du temple Phénix.
- Par les dieux, mais pourquoi ?
- Il a semblé à mon assistant qu'Isawa Ichibei n'était pas en mesure de maîtriser les pouvoirs qui sont les siens.
- Ma foi, c'est une accusation grave.
- Dont Sasuke montrera qu'elle était pertinente.
Mitsurugi n'avait pas parlé à voix basse !
Les Scorpions sourirent de cette entrée des Lions :
- Par Osano-Wo, dit Baysuhi Kokamoru, deux shugenjas qui s'affrontent, cela va animer cette ville bien mieux que la grosse foire marchande dédiée à Daikkoku (fortune de la richesse).
- Et comment ! ricana le Yogo.
- Et nous comptions, disait Mitsurugi, demander au vénérable Hanteï Norio d'arbitrer le duel ! Qui mieux que lui saurait juger avec impartialité et justesse !
- Bien sûr, fit Tokan, mais mon maître ne va-t-il pas laisser sa place à un senseï shugenja, mieux à même de jauger des forces de chacun ?
- Il vaut mieux, dit Sasuke, un regard non averti mais sévère et sans préjugés.
- Je suis sûr que mon maître acceptera. Je lui en toucherai un mot pendant la soirée.
- Nous vous remercions.
- En attendant, mes amis, sourit Tokan, je vous propose de profiter de cette belle soirée d'été. Je vais vous montrer votre table. J'espère qu'elle vous conviendra.
Il y avait cinq tatamis, disposés autour de celui de Hanteï Norio. Chaque tatami représentait un élément, celui du centre étant bien sûr celui du Vide.Il allait manger en compagnie du gouverneur de la Cité de la Pieuvre, du chef de la garnison, de l'ambassadeur de la famille Soshi et du terrible Otomo Jukeï.
Sasuke et Mitsurugi étaient à la même table, celle du Feu.
- J'espère que cela vous va, dit Tokan.
- Parfaitement ! affirma Sasuke.
Nos deux héros s'assirent et Tokan accompagna Ikoma Noyuki à la table de l'Air.
- Ah, le feu... Les attributs en sont la perspicacité et la maîtrise du corps , dit Sasuke.
- C'est tout toi, fit Mitsurugi, les yeux au ciel.
Nos héros regardaient la salle, qui se remplissait peu à peu. Les autres invités de la table du Feu arrivèrent : il y avait un solide vétéran de la Muraille, récemment décoré pour sa bravoure, Hida Trolemon -qui se trouvait être le cousin de Hida Goemon, le garde du corps de l'Inquisiteur Tadao.
Puis arriva une famille Doji : le père, Doji Onegano, déjà âgé, et ses deux enfants, qui ne devaient pas avoir vingt ans : l'aîné, Doji Suzume, intimidé de se trouver là, et sa soeur Doji Ikue, également timide et réservée.
Enfin, Hanteï Norio vint s'asseoir et le repas commença.
- Bon appétit, déclara Hida Trolemon, qui avait visiblement très faim.
Le viril Crabe se trouvait assis à côté de Doji Suzume qui ne devait pas être sorti souvent de son dojo.
- Excellente cette soupe, fit le Crabe.
- Oui, délicieuse, fit poliment Doji Onegano.
Les invités parlèrent de la pluie et du beau temps pendant un moment, jusqu'à ce que Doji Suzume mette un peu les pieds dans le plat.
- Vous êtes donc l'ambassadeur Mitsurugi ?...
- Mais oui

- Alors, c'est vous qui... à la Cité des Apparences, ai-je entendu...
Nos héros et Onegano rirent pour faire comprendre à Suzume qu'il avait, comme on dit, gaffé.
- Excusez l'imprudence de mon fils, dit Onegano.
- Non, ce n'est rien, fit Mitsurugi, bravache. C'est vrai que j'étais à la Cité des Apparences !
Ce n'était pas une gêne pour lui d'en parler, puisque les Lions avaient gagné là-bas ! D'accord, au début de la bataille, il n'était pas encore Lion, mais l'histoire retiendrait qu'il avait apporté la victoire au général Kokatsu.
Sasuke rebondit là-dessus pour titiller le jeune homme, encore frais et pleins d'illusions.
- La guerre est une belle chose. Les hommes s'y révélent !
On apporta un plat de poissons. Hida Trolemon ne parlait pas tellement et en restait au terrain où il était à l'aise, la nourriture. Il avait été invité pour sa bravoure au combat, Hanteï Norio voulant honorer sa demeure de la présence d'un héros de guerre. Mais l'intrépide Trolemon était plus à l'aise pour gueuler des insanités sur des Onis !
- La guerre, dit-il, nous avons pour devoir de ne pas la perdre. Nous ne pouvons pas nous permettre la moindre défaite.
- J'ai connu la guerre, dit Doji Onegano. Contre les Lions, surtout.
Il le disait sans amertume, mais peut-être avec une pointe de regret pour toutes ces années enfuies, ces mois sous la tente dans des campagnes épuisantes et ces négociations ingrates, ces incompréhensions mutuelles...
- J'ai surtout essayé de négocier la paix, ajouta-t-il. Après tout, il faut bien de temps en temps se reposer entre deux batailles...
- Notre famille va se reposer cet hiver à la Cité des Apparences ! dit Sasuke.
Doji Onegano s'attendait à ce genre d'effronterie de la part d'un jeune Lion.
- Prenez vos quartiers d'hiver, oui. Mettez-vous à l'aise, car il se pourrait que nous venions frapper à la porte ce printemps.
Doji Suzume était tout excité. Des piques verbales entre son sage et civilisé père et ces terribles Lions ! Doji Ikue, elle, n'osait dire un mot.
- Quelqu'un reveut du saké ? demanda Trolemon.
Il resservit les deux Lions et remplit son propre verre.
- Et vous, mademoiselle, dit le Crabe à la timide Doji Ikue, que nous racontez-vous ? Vous plaisez-vous dans notre Cité ?
- Ma foi, oui, rougit Ikue. C'est une ville... bien différente de celle où nous avons vécu.
- Mes enfants sortent pour la première fois des terres du clan, expliqua Doji Onegano. Nous venons en avance pour la cour d'hiver, qu'ils se familiarisent avec la Cité. Il est temps qu'ils découvrent le monde.
Suzume commençait à le découvrir ! Sasuke qui parlait des batailles, puis Mitsurugi qui raconta habilement quelques histoires, avec ce qu'il fallait de forfanterie pour impressionner l'auditoire. Le récit plut à Hida Trolemon, et Doji Onegano ne s'y trompa pas : il entendait l'habile raconteur, mais apprécia son talent.
Hida Trolemon raconta quelques anecdotes, en lorgnant du côté de la petite Ikue, qui paraissait fragile comme une fleur à côté d'un rocher. Mitsurugi voyait venir le Crabe et vanta les mérites de sa famille. A la table voisine, Ikoma Noyuki entendait les deux vantards : l'ambassadeur fit un petit signe à Sasuke, en mimant des ciseaux : "dis-leur d'arrêter, ils en font trop !" Sasuke sourit.
La tentative de charme du Hida sur Ikue n'avait pas non plus échappé aux Scorpions, qui observaient du coin de l'oeil, amusés. Mitsurugi n'allait pas laisser Trolemon jouait les jolis coeurs sans réagir. Il s'efforça d'intégrer la jeune fille à la conversation, et il savait que Trolemon, objectivement, travaillait pour lui, puisque, par contraste avec lui, Mitsurugi était à son avantage !
Quant à Suzume, il avait bu plus qu'à l'habitude, et ne cessait de relancer Sasuke sur ses histoires.
- Si seulement vous pouviez venir chez nous ! lança-t-il inconscient.
Et il n'était pas assez ivre pour qu'on ne tienne pas compte de ses paroles.
- Tu vois ce que tu viens de faire, dit son père, tu viens de m'obliger à inviter ces deux samuraï chez nous.
- Mais père...
- Laissez, dit Mitsurugi, ce n'est pas bien grave.
- L'hospitalité est l'hospitalité, dit gravement Doji Onegano. Je vous annonce donc que vous serez les bienvenus chez moi au printemps.
- C'est trop d'honneur ! dit Sasuke.
Suzume se jura de fermer sa grande bouche la prochaine fois ! Il connaissait pourtant par coeur la phrase de son père :
- La grue a un grand bec. Pour peu qu'elle l'ouvre un peu, il s'ouvre tout grand !
Vers la fin du repas, il était rituel de montrer ses talents. Bayushi Kokamoru montrait à ses voisins de table son habileté à faire tourner un bol en haut d'une baguette appuyée sur un doigt. Ikoma Noyuki improvisa quelques poèmes pour résumer la soirée et flattait une vieille dame de la famille Kuni. Il s'attira un certain succès.
- Tiens, Ikue, dit Onegano, montre-nous donc...
- Oh, père...
La jeune fille n'osait pas.
"Montre-nous tes seins ?" pensa Hida Trolemon en mâchant un litchi.
Suzume réfléchit avant de parler et se dit que c'était sans risque :
- Mais si... Voyez-vous, dit-il, ma soeur est une grande artiste de l'origami. Une virtuose !
- Voyons cela ! dit Sasuke.
Elle sortit un papier de sa manche et en quelques gestes, réalisa une figure très complexe :
- C'est un porte-bonheur, dit-elle, alors je l'offre à Hida Trolemon-san, pour qu'il le porte sur la Muraille.
- Oh, merci...
Le gros Crabe ne savait pas quoi dire.
Il se sentait d'un coup tout pataud, comme un gros chien devant une petite souris. Il faillit verser une larme grosse comme un tetsubo, mais se retint à temps en se versant un verre. La vérité est qu'il garda ce porte-bonheur et le chérit chaque soir avant de dormir, bouleversé par le souvenir de cette innocente jeune fille qui avait eut la tendresse de cette attention !
Ikue fit encore quelques pliages rapides : une Grue, puis un Lion qu'elle offrit à Sasuke :
- J'espère qu'il vous conviendra... Mais il n'y a pas là grande magie.
- Très bien, dit Sasuke.
Elle parlait, encore timide mais trouvait une certaine assurance à mesure qu'elle parlait de ses pliages.
- Allons, dit son père, montre-nous donc tes tours...
Ikue soupira, fâchée.
- Ha, elle se fait prier ! sourit Sasuke.
Ikue plia une figure simple et expliqua son tour :
- Je mets ce papier dans ma main, je ferme la main. Je passe mon autre main au-dessus et... voilà !
Elle rouvrit la main et la figure avait disparu !
Trolemon regarda avec de gros yeux ronds :
- Oh, bravo !
Et il battit des mains, tout excité comme un gamin !
- Extraordinaire, hein !
Ikue refit le tour, en promettant de l'expliquer à chaque fois :
- C'est très simple, sourit-elle, amusé par Trolemon, je mets la figure dans ma main... Vous voyez ?
- Ha oui oui...
- Je passe la main, et... elle disparait !
- Mais où est-elle passée !
- Dans votre manche ! -
- Quoi ?
Et le Crabe regardait : et le papier y était !
- Mais celle de tout à l'heure ?
- Dans la manche de Matsu Sasuke.
Le shugenja sortit en effet le papier.
- Bravo, c'est incroyable !
- Elle est très forte, confirma Suzume.
-Vous avez de la chance d'avoir une fille pareille ! dit Trolemon.
Et il but à sa santé !
Le dîner se termina sur un petit discours de remerciements de Hanteï Norio.
- Je vous invite maintenant à passer au jardin, dit Hanteï Tokan.