29-08-2009, 07:09 PM
(This post was last modified: 30-08-2009, 04:14 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
Yatsume tremblait encore dans son lit. Elle partit dans un mauvais sommeil.
Elle se revit, avant son arrivée dans l'Outremonde. Elle marchait. Elle n'y voyait rien. Quelqu'un la tenait par la main et la guidait.
- N'enlève pas ton bandeau, lui répétait cette personne, ou bien tu resterais prisonnière à jamais de ce monde...
Il faisait froid et on entendait des gémissements au loin. Le sol est rocailleux.
- Où sommes-nous ? demandait Yatsume.
Il lui semblait qu'ils marchaient depuis des jours mais qu'elle ne ressentait pas de fatigue.
- Nous sommes chez les morts... Avance, suis-moi... N'enlève pas ton bandeau. Les mortels ne peuvent contempler cet endroit...
La marche durait encore longtemps.
- Nous arrivons bientôt.
C'était une voix d'homme, inconnue à Yatsume.
Le chemin devenait sinueux et pentu. Bientôt, les gémissements s'estompaient enfin. On marchait dans la boue grasse. Il y eut un passage abrupte, un mur naturel de deux mètres de haut, à franchir à la force des bras. En haut, Yatsume se retrouvait dans un sable humide. L'air sentait l'oeuf pourri et la moisissure.
- Je vais te laisser là, Yatsume...
- Où sommes-nous ?
- Tu vas pouvoir enlever ton bandeau. Nous sommes dans l'Outremonde.
- Quoi ?
- La Muraille n'est qu'à quelques centaines de pas d'ici, droit devant toi. Il n'y a pas de créatures. Dépêche-toi et tout ira bien...
- Et toi ?
- Je suis un voyageur. Je trouverai mon chemin.
Yatsume n'osait enlever son bandeau. Elle commençait à marcher, de plus en plus vite. Elle se mit à courir et enleva son bandeau. Elle vit une tour noyée dans la brume et un grand château en ruines où semblait se tenir un festin de démons. Et derrière elle, sur un rocher, un chat blanc miaulait sa solitude.
Elle se réveilla. L'aube était là.
A la Cité de la Pieuvre, Mitsurugi s'endormait doucement. Hiruya ne voulait pas dormir : il se fit servir un thé noir. Il entendit du bruit dans la rue. C'était Tadao et ses hommes. Il descendit et salua l'Inquisiteur, qui était de très mauvail poil. Il lui raconta en quelques mots, à la porte du palais d'Ivoire, ce qui s'était passé : le temple en feu, pas de nouvelle de Yatsume, pas de trace du pennagolan !
Yojiro fut réveillé par les premières lueurs de l'aube. Il frappa à la porte de Yatsume.
- Repartons, pour arriver en ville avant la foule !
Ils rentrèrent par la porte de l'est et allèrent au palais d'Ivoire par les petites rues. Yatsume alla dans ses appartements et Yojiro alla faire son rapport à Sasuke. Il raconta en quelques mots ce qui s'était passé au temple.
- Tu penses que le démon est mort ?
- C'est ce que Yatsume m'a affirmé. Nous l'avons frappé mortellement, puis le feu a tout emporté.
- C'est un démon. Il peut survivre à cela...
- Je n'ai pas vu ce Yumi Iro mort. Mais Yatsume m'a affirmé qu'il l'était. C'était l'assassin de son mari. Je ne vois pas pourquoi elle aurait menti à ce sujet.
- Tu as dit à Yatsume que c'est moi qui t'envoyais ?
- Non, Sasuke-sama. Elle n'a rien demandé. Je pense qu'elle s'en doute.
- Bien, va te reposer.
Sasuke n'était pas convaincu par Yatsume. Seulement, là où Mitsurugi allait être fâché de cette histoire bancale, lui était satisfait : il tenait un moyen d'accroche sur Yatsume. Il pourrait faire pression sur elle.

Mais il y penserait plus tard. Il alla prendre un bain froid et passa deux heures en exercices et en prières. C'était en fin d'après-midi qu'il affrontait Isawa Ichibei !
Le soleil avait grimpé bien au-dessus des arbres et des temples les plus hauts quand Mitsurugi se leva, tout guilleret. Il alla prendre un bon bain et prit un solide repas. Il chantonnait. Sasuke vint le rejoindre après sa préparation physique.
- Alors, Sasuke, la nuit a été bonne ? Vous vous êtes bien amusés ?...
- Je m'excuse si j'assombris ton début de journée, mais Yatsume est revenue du temple...
- Alors ?
Sasuke fit une grimace. Il répéta ce qu'avait dit Yojiro.
- Elle s'est moquée de l'Inquisiteur ! rugit Mitsurugi.
- Je ne serais pas étonné qu'il demande rapidement des nouvelles.
- Je vais parler avec Yatsume sur le champ !
On n'allait quand même pas lui pourrir sa journée, après une nuit si incroyable et si inoubliable ! Il ne pensait qu'à Ikue, aux nénuphars, aux étoiles...
C'est donc pressé d'expédier cette affaire qu'il reçut Yatsume :
- Bien, écoute... Ce matin, tu as de la chance, car je suis plutôt bien disposé. Et même de bonne humeur. Alors j'espère que tu vas me rassurer quant à ce qui s'est passé au temple. Tu m'as dit que tu cherchais l'assassin de ton mari... L'as-tu trouvé ? Est-il mort ?
- Oui, seigneur.
Mitsurugi avait regardé Yatsume dans les yeux pendant qu'elle répondait. Il ne savait pas si elle était sincère. Il aurait été insultant de lui demander de répéter.
- Bien, donc quand l'Inquisiteur Tadao va demander des explications pour hier soir, pourquoi tu n'es pas partie avec lui, je vais pouvoir lui dire que c'est parce que tu étais partie en avance tuer cet assassin ?
- Oui, seigneur.
Elle avait légérement hésité. Mensonge ? Enervement et fatigue bien compréhensibles ?... Mitsurugi n'allait pas chercher à trancher et se reposa sur la parole de Yatsume.
- Bien, dit-il, alors dans ce cas, tu sais ce que je vais t'ordonner, conformément à la décision que j'avais prise : à présent que l'assassin de ton mari est mort, tu quitteras le clan du Lion et tu iras te présenter devant le senseï Tange Sazen. Il décidera de ton sort.
- Bien, seigneur.
Ce fut tout.
En fin de mâtinée, Yatsume rendit ses insignes et prit de vieux habits, quelques pièces d'armures, son daisho et de l'équipement de voyage. Elle franchit sans se retourner la porte du palais. Elle traversa la cour, sans baisser la tête, sans honte ni fierté.
Elle vit alors à la porte que Sasuke l'attendait, un petit sourire en coin :
- Il vaudrait mieux, Yatsume, que tu ne sortes pas tout de suite. Certains pourraient vouloir te faire parler, tu ne crois pas ?
- Mais, Sasuke-sama...
- Je te propose de rester au palais jusqu'à ce soir. Nous aurons à parler avant que tu ne partes.
- Mais Mitsurugi-sama m'a...
- Il t'a renvoyé du clan. Mais moi je te demande de rester au palais. Et de ne pas trop te faire voir.
Sasuke, comme il l'avait déjà fait à la Cité du Levant, avait installé ses quartiers dans une aile du palais. C'est là qu'il avait plusieurs rônins de confiance à son service, qu'il recevait des informateurs, tous gens guère soucieux de respecter le code du bushido. Sasuke fit donner une chambre à Yatsume et s'assura qu'elle serait bien traitée.
Mitsurugi avait parlé, maintenant il prenait la situation en main !
L'ambassadeur était d'ailleurs déjà à la porte du palais pour accueillir l'Inquisiteur Tadao, mal rasé et malaimable comme dans les grands jours !
Sasuke assista à l'entretien : Mitsurugi affirma que Yatsume avait tué le coupable. Elle était partie en avance pour être sûr qu'il ne s'enfuie pas.
- J'aurais souhaité lui parler, dit Tadao.
- Elle a quitté le clan il y a quelques heures.
- Puis-je vous demander pourquoi ?
- Une affaire d'honneur sans rapport avec celle qui nous occupe.
- Bien, grogna l'Inquisiteur, puisque j'ai votre parole, je m'incline.
Sasuke se retenait de sourire.
L'Inquisiteur avait à peine franchi le seuil du palais d'Ivoire qu'il dit à Mamoru :
- Tu vas me mettre la main sur Yatsume, par Kuni ! Elle ne doit pas être bien loin !
Mamoru s'inclina.
- Voilà une bonne chose de faite, dit Mitsurugi, soulagé.
Il ne voulait plus y penser maintenant ! Finie de couvrir les agissements de Yatsume !
Il allait se pomponner pour l'après-midi et proposer une petite promenade à Ikue !
- Mais j'y repense, c'est cette après-midi, Sasuke ?...
- Oui, fit le tensaï, confiant. J'espère pour Ichibei qu'il est prêt !
- Avant de partir, hier soir, j'ai parlé à Hanteï Norio-sama, qui nous fera l'honneur d'arbitrer la rencontre !
- Merveilleux. Tu n'as parlé qu'à lui avant de partir ?
Mitsurugi sortit sans répondre, en chantonnant. Il déclara le branle-bas de combat chez les coiffeuses, costumières et maquilleuses du palais ! Pendant qu'il se faisait bichonner, il allait écrire un petit mot galant pour inviter Ikue à assister au duel en sa compagnie. Ce serait du meilleur effet !

Doji Ikue était avec ses dames de compagnie. Elle se faisait peigner, pendant qu'elle chantonnait et qu'elle pliait, rêveuse, des origamis. Il y en avait déjà une dizaine qui jonchaient le sol.
- Penchez un peu la tête, ma dame, que je termine votre tresse.
- Ne serais-je pas mieux les cheveux déliés ? soupira Ikue.
- Oh, ma dame, voyons, vous n'y songez pas. Ce n'est pas du tout la mode ! Vous passeriez pour une femme de basse extraction.
- Tant pis...
Une autre servante, qui faisait un ourlet au luxueux kimono, dit :
- Coeur qui soupire n'a pas ce qu'il désire...
- Veux-tu te taire, vilaine, dit Ikue, tu ne sais pas ce que tu dis...
- Bien sûr, pour ce que j'en dis...
Le panneau s'ouvrit et Suzume entra, énervé. Ikue s'approcha du miroir pour se mettre du fond de teint :
- N'as-tu pas appris, mon cher frère, qu'on frappe avant d'entrer, surtout chez une femme ?...
- Une femme, parlons-en, tiens ! Est-ce vrai ce que père me dit ? Que tu vas voir le duel ? Et que tu y vas avec Matsu Mitsurugi ?
Les servantes eurent un petit rire mutin.
- Et quel mal y a-t-il à cela, Suzume ?... Aurais-tu préféré que j'y allasse avec le tendre Hida Trolemon ?
Elle pencha la tête pour que la servante lui passe une aiguille dans la coiffure.
- Il ne s'agit pas de cela ! Ou plutôt si, mais pas seulement !... Crois-tu que ce soit un spectacle pour toi, hein, deux shugenjas qui se battent ?
- Cela doit faire un joli feu d'artifice.
Elle avait souri à ses servantes, qui rirent. Suzume devint tout rouge :
- D'accord... Et ton "cavalier" ?
- Un samouraï accompli, un parfait homme du monde, honnête et d'une conversation agréable...
- Ah oui, et sais-tu où il passe ses nuits avec ses amis ?...
Suzume savait qu'il marquait un point. Ikue prit sa brosse à cils.
- Peu importe, puisque je ne sors pas avec lui la nuit.
- Et je peux voir le mot doux qu'il t'écrit ?
- Est-ce que je lis ton courrier, moi ?
Leur père, Doji Onegano entra.
- Père, dites quelque chose !
- Oui, j'aurais aimé lire ce mot, Ikue.
Ikue soupira et réserva à son miroir le regard noir qu'elle aurait lancé à son frère. Elle fit signe à une servante de le passer.
Onegano le prit et lut.
- Qu'est-ce que cela dit ? demanda Suzume.
Onegano sourit.
- J'ai rarement vu un Lion écrire si correctement et avec une écriture si soignée.
Onegano sortit avec son fils.
- Père, vous ne pouvez pas...
- Du calme, Suzume... Ta soeur ne part pas à l'aventure. Je te rappelle que nous y serons, nous aussi, à ce duel. Matsu Mitsurugi nous accompagnera, voilà tout. Je te rappelle que nous sommes venus ici pour vous sortir des jardins du clan. Ce n'est pas pour que je vous cloître dans ce palais.
Suzume s'inclina devant la décision de son père.

Toute l'après-midi, Isawa Ichibei pria les Fortunes de la Terre en compagnie de son maître, Isawa Masaakira. Il s'était entraîné pendant la mâtinée et ne perdit à aucun moment sa concentration. Les Phénix auraient été étonnés d'apprendre que pendant ce temps, son adversaire Matsu Sasuke n'était pas précisément en transe de méditation !
Mamoru passa l'après-midi à traverser la Cité de long en large, à la recherche de Yatsume. Yojiro s'en doutait et aurait aimé avertir son ami. Seulement, il était en-dehors de la Cité pour quelques heures. Pendant que Yatsume était cloîtrée au palais. Sasuke vint lui rendre visite, deux heures avant le duel.
La rônin était assise, immobile, ni contente ni fâchée.
- Je suis ici pour t'aider, Yatsume.
- Que pourriez-vous pour moi, seigneur ?... Dès que vous me laisserez partir, j'irai voir Sazen, et il y a bien des chances qu'il veuille ma tête.
- Revenons un peu sur la nuit dernière... J'ai écouté ce que Yojiro m'a dit. Je crois que ce maho-tsukaï, Yumi Iro, a très bien pu survivre à l'incendie. Je me trompe ?
Yatsume ne dit rien.
- J'ai, comme tu sais, des pouvoirs suffisants pour détruire ce genre de créatures. J'en ai déjà affronté des pires... Je crois que tu es quelqu'un de valeur et je m'en voudrais que nous te perdions, même si tu es désormais une rônin. Cela n'empêche pas que tu puisses travailler pour nous. Nous avons plusieurs rônins à notre service, comme tu sais.
- Pourquoi faites-vous cela pour moi, seigneur ?
- Si je t'aide aujourd'hui, c'est aussi pour que je puisse compter sur ton aide demain... Il y a des gens qui nous ont fait du mal, à Mitsurugi et moi. Nous finirons par les retrouver. Ce jour-là, nous aurons besoin d'alliés sur qui compter, car nous affronterons une très forte opposition.
- Seigneur, je suis prête à vous aider, car je sais que vous êtes honorables...
- Alors, c'est convenu. Pour commencer, je t'accompagnerai lorsque tu iras au clan du Loup.
- Mais vous ne pouvez pas vous opposer à Tange Sazen... Il a le droit d'exiger réparation pour ce que je lui ai fait !
- Je ne me mettrai pas entre le vieux senseï et toi.
Yatsume accepta.
- Si seulement je savais où est Sazen, dit-elle.
- Nous le saurons bientôt. J'ai envoyé Yojiro se renseigner auprès de nos informateurs dans les villages voisins. Nous partirons demain.
- Bien.
Sasuke la laissa et partit se préparer pour la grande rencontre !

Ce serait l'attraction de cette fin d'été. L'annonce de ce duel n'avait été faite que la veille au soir, parmi les courtisans réunis chez Hantei Norio ; depuis le matin, toute la Cité était au courant. Les Yasuki avaient fait aménager le terrain au nord de la ville pour recevoir le gratin des samouraï. Les tribunes avaient été nettoyées et réparées, les places attribuée selon les rangs. C'était un cauchemar d'organisation pour le Gouverneur, qui devait composer avec les rivalités et les jalousies des uns et des autres afin de placer le public.
Dès le début d'après-midi, le peuple accourait, contenu à grand peine par les soldats. Les marchands affluaient, installant une véritable foire aux alentours du terrain. Dans la ville la plus commerçante de l'Empire, on ne raterait aucune occasion de faire de l'argent.
La phrase qui se répandait, c'était : "Et nous ne sommes pas encore à la Cour d'hiver !..."
- Cela promet un hiver agité, disaient les Scorpions.
Les Hida permissionnaires étaient trop heureux d'aller assister à un duel si rare et si riche en démonstrations spectaculaires. Doji Onegano arriva, très digne, avec ses deux enfants et l'ambassadeur Matsu Mitsurugi, qui marchait galamment à côté de Doji Ikue. On jasait déjà sur ce couple, là encore grâce aux Scorpions, qui ne se privaient pas de répandre et d'amplifier les ragots.
Aux abords du terrain, alors que le soleil s'éloignait sur l'horizon, c'était la cohue. Les soldats du Gouverneur avaient aménagé un couloir de passage, tandis que le peuple agglutiné se rinçait les yeux à voir défiler toute l'aristocratie de la Cité. Mitsurugi et Ikue firent une forte impression : le solide et rayonnant Lion à côté de la fragile petite Grue !
On recula prudemment quand Otomo Jukeï et ses gardes du corps de la famille Seppun ouvrirent la marche pour les familles impériales, surtout pour l'arbitre du duel, Hanteï Norio.
Quand on entrait dans les tribunes, on était impressionné par ce grand terrain désert où soufflait un vent de mort. Mitsurugi s'assit à côté de Doji Ikue, en bordure de la tribune des Grues. De l'autre côté du terrain, derrière les tribunes, dans une petite chapelle, les tensaï Phénix méditaient ensemble. A l'autre bout, en bord de terrain, les Lions étaient là, autour de Sasuke. Notre héros était agenouillé, et priait les Fortunes. Ikoma Noyuki et le troisième des ambassadeurs Lion étaient à ses côtés. La rumeur s'amplifiait à mesure que les tribunes se remplissaient. Le vent du crépuscule se faisait plus cinglant. Les samouraï faisaient le tour de la piste pour rejoindre leurs places. Il était en effet interdit de fouler le sol de l'affrontement. Des shugenjas Kuni récitaient des prières et des moines chantaient des mélopées en jetant du riz pour bénir le terrain.
Ikoma Noyuki fit alors un nouvel arrivant entrer : Matsu Kokatsu ! Le gouverneur de la Cité des Apparences !
Mitsurugi ne put manquer son arrivée car les Grues faillirent se lever comme un seul homme, pour conspuer leur vainqueur ! Il leur était déjà pénible de tolérer la présence de Mitsurugi, mais cette arrivée imprévue, donc spectaculaire, de Kokatsu, c'était la goutte d'eau !
L'aîné des ambassadeurs de la Grue jeta un regard terrible à ses "troupes", et ceux-ci se rassirent dignement. Le petit groupe de samouraï Phénix était le plus digne : ils priaient silencieusement pour Isawa Ichibei.
Les deux seuls représentants du clan du Dragon étaient les deux Ize-Zumi matérialistes, Togashi Ojoshi et Maya. Ils étaient à côté des Phénix et se tenaient en retrait. Les membres de familles impériales, très dignes, étaient raides comme des piquets et immobiles comme des pierres.
Par contre, dans la tribune des Crabes, c'était la fête : on riait, on chantait en choeur des hymnes de bataille et des chansons paillardes, on criait, on se tapait dans le dos. Les Yasuki ramassaient les paris à droite et à gauche, dans les tribunes, à l'entrée. Il étaient une dizaine, parchemins en main, qui notaient les mises et les noms des parieurs qui leur criait le nom de leur champion ! Les Hida, les Kaiu et les Hiruma allaient y faire passer leur solde !
Les Grues trouvaient cette pratique scandaleuse, les Phénix et les Lions de même.
Quant aux Scorpions, ils ricanaient : ils avaient mis au point leur propre système de paris clandestins !

Matsu Kokatsu s'approcha des deux ambassadeurs : ceux-ci saluèrent respectueusement le général. Sasuke était toujours en transe et n'avait pas entendu son supérieur arriver.
- On dirait que j'arrive à temps, dit le terrible Lion en prenant un siège. Mais où est donc Matsu Mitsurugi ?
Noyuki toussota et fit un petit signe vers la tribune des Grues.
- Tiens donc, en voilà qui n'oublie pas de vivre !...
- Ils se sont rencontrés hier. Mais ils sont juste amis, fit Noyuki.
- Bien sûr, grogna Kokatsu en prenant un siège. Explique-moi plutôt la raison de ce duel.
Comme pour répondre au général, Hanteï Norio se leva et descendit cérémonieusement sur le terrain. Le silence tomba d'un coup, et l'on entendit plus que le souffle de l'air qui soulevait la poussière du terrain. Mitsurugi descendit de sa tribune et alla s'agenouiller devant Kokatsu, puis Sasuke se leva et Mitsurugi marcha à ses côtés, avec Isawa Noyuki à deux pas derrière, qui venait comme témoin. A l'autre bout, symétriquement Isawa Ichibei s'avança, Isawa Masaakira à ses côtés, Isawa Nobuyoshi derrière.
Hanteï Norio parcourut du regard toute les tribunes, et les derniers bavards se turent bien vite. Il parla d'une voix grave et mesurée :
- Puisque j'ai l'honneur d'arbitrer ce duel, il me paraît nécessaire d'en rappeler la raison. Matsu Sasuke a accusé Isawa Ichibei d'avoir mis en danger nombre de samouraï le mois dernier en abusant de ses pouvoirs. Sasuke-san a ajouté qu'Ichibei n'était pas capable de maîtriser ses pouvoirs. Matsu Mitsurugi, acceptez-vous ce duel ?
- Je l'accepte.
- Isawa Masaakira ?
- Je l'accepte.
- Isawa Nobuyoshi et Ikoma Noyuki seront les témoins.
Les deux hommes s'inclinèrent.
- Matsu Sasuke, maintenez-vous votre accusation ?
- Oui, dit notre héros, très sûr de lui.
Les deux supérieurs et les deux témoins se retirèrent.
- Que le jugement des dieux tranche ce litige.
Hanteï Norio recula de quelques pas. Il s'assit. A ses côtés, Hanteï Tokan tenait un chiffon rouge qui claquait au vent.
Les deux adversaires se mirent à une quinzaine de pas de distances. Le silence dans les tribunes était complet ; c'en était même angoissant, ce silence collectifs de centaines d'hommes.
Norio fit un petit signe du menton et Tokan lâcha le chiffon, qui alla virevolter et s'enrouler follement sur le terrain.

On ne vit d'abord rien que deux adversaires immobiles, qui se regardaient droit dans le blanc des yeux. Ils n'étaient pas à distance pour s'affronter.
Certains craignirent alors un affrontement sans effet, sans un mouvement, un pur duel intellectuel et abstrait. Les Crabes s'ennuyaient déjà.
Des flammèches apparurent autour de Sasuke, qui crépitèrent comme un feu de bois et tournoyèrent lentement autour de lui. Le sol se mit à frémir tandis que Isawa Ichibei se concentrait.
- Remboursez, baîlla un Hida.
Une secousse plus forte le réveilla !
Des craquelures apparaissaient sur le sol près du Phénix. Les flammes grossissaient autour de Sasuke et tournoyaient de plus en plus vite. Bientôt, ce fut une aura enflammée ; autour de Ichibei, la terre se craquelait, se gonflait, tremblait et ses vibrations se propageaient de plus en plus loin autour de lui.
Soudain, des flammes jaillirent encore plus fortes autour du Lion : on crut qu'il allait se transformer en torche vivante ! Les flammes au-dessus de lui étaient plus grandes qu'un homme et plus voraces que des prédateurs enragés ! Elles continuaient de grossir, tandis que les secousses sismiques atteignaient les tribunes en bois ! Il y eut un début de panique et plusieurs Yasuki décampèrent aussitôt. Les secousses s'amplifiaient : des dizaines de samuraï sortirent en vitesse. Les Crabes, fascinés, étaient debout et criaient leurs encouragements.
Sasuke doubla encore la taille de ses flammes et, parmi les courageux qui étaient restés, ce fut le délire : tout le public était debout et on scandait le nom des deux shugenjas ! Ichibei répondit à Sasuke en faisant jaillir des colonnes de terres en file et en créant un véritable tremblement de terre autour de lui. L'aura autour de Sasuke était devenue énorme ! Les Fortunes du feu accouraient pour s'agréger : le tensaï aurait brûlé en quelques minutes un bâtiment avec un incendie pareil !
Des fissures de trois pas de large apparaissaient dans la terre, des golems sortaient de terre autour d'Ichibei, tandis que Sasuke paraissait maintenant entoure d'une véritable nuée d'oiseaux de feu ! Des ailes de Phénix lui avaient poussé, des geysers ardents partaient en tous sens. Plus de la moitié du public était parti, sans parler du peuple, qui avait créé un véritable mouvement de panique.
Les deux adversaires étaient au moins d'accord pour en mettre plein la vue au public !
Ichibei fit jaillir deux immenses créatures de rochers à ses côtés et engendra une déflagration qui fit s'écrouler les premiers rangs de la tribune des Yasuki, heureusement désertée. Hantei Norio et Tokan avaient reculé. Sasuke renforça encore sa concentration et, en plus des flammes, un gigantesque Phénix crachant du feu vers les cieux naquit au-dessus de lui et explosa en dix gerbes éblouissantes. Le tremblement de terre allait attaquer toutes les tribunes : les fragiles bâtiments en bois tremblaient et allaient s'effondrer !
Voilà le public qui s'enfuit jusqu'au dernier ! Les tribunes croulent tout entières. Les bâtiments sont par-terre et au travers des ruines, on aperçoit des explosions en chaînes, qui éclatent comme autant d'incendies qui se propageraient ! Des créatures titanesques apparaissent et disparaissent ; la terre tremble de plus en plus fort. Chacun des adversaires pousse un long cri de rage continu ! Ils sont entièrement possédés par les puissances de leurs esprits, qui en font, pour quelques instants, des demi-dieux ! Un véritable mur de flammes jaillit autour de Sasuke et le terrain commence à s'affaisser ! Un cratère est en train de se former, qui achève de saper les derniers bâtiments autour. C'est une vision en avance de la fin du monde !
Soudain, les flammes retombent, les phénix s'évanouissent, les geysers disparaissent. Le sol reprend son calme et les fissures se referment. Le terrain continue de glisser mais le cratère ne s'agrandit plus. Autour des deux hommes, il n'y a plus que des décombres. Leurs pouvoirs ont disparu : ils sont face à face, haletants dans ce décor ravagé !
Lentement, les samuraï enjambent les planches de bois et les restes des marches. Soutenu par Tokan, Hanteï Norio s'avance. Alors que les tribunes menaçaient de tomber, Mitsurugi était revenu près de la douce Ikue. Elle s'est agrippée à son bras puis elle ne l'a pas quitté quand ils ont dû sortir du terrain. Ils reviennent tous les deux. Ikue doit lâcher Mitsurugi et se réfugie dans les bras de son père. Fiérement, un pied sur un empilement de planches, Mitsurugi contemple le champ de ruines. Kokatsu aussi s'avance, comme le vainqueur d'une bataille face aux morts.
Il n'y a plus guère que le quart du public de départ à oser approcher des deux duellistes, épuisés.
Norio attend que tout monde ait formé un cercle en bas du cratère noirci par les flammes :
- Bien...
Il s'éclaircit la voix. Il doit y avoir une cinquantaine de personnes tout au plus, fascinés par ce qu'ils viennent de voir, qui sont descendus sur le terrain encore fumant :
- Bien, chacun de vous a fait démonstration de ses pouvoirs...Comme aucun de vous deux n'a su, à mes yeux, prouver sa supériorité, je vous déclare ex-aequo. L'accusation de Matsu Sasuke ne tient donc pas.
"A présent, puisque vous êtes de valeurs égales, je vous invite à vous réconcilier, comme le font les ennemis après la bataille, quand ils sont devenus des frères d'armes.
Les deux shugenjas se saluèrent poliment mais sans fraternité et se tournèrent le dos. Ils partirent sur les hourrah et les applaudissements des Crabes.
- Moi qui croyais qu'on allait assister à un concours de récitations de prières !
Une servante amena un linge à Sasuke, qui était en sueur. Kokatsu lui donna une bonne tape dans le dos :
- C'est bien, Sasuke. Tu as montré que tu n'as pas du jus de navet dans les veines !... Hanteï Norio n'a pas voulu vous départager dans le but d'apaiser les tensions entre nos clans. C'est tout à son honneur d'avoir tranché si impartialement.
- Oui, Kokatsu-sama.
Sasuke s'inclina : en réalité, il était deçu de lui. Il savait qu'il aurait pu faire mieux. Il lui en restait dans les chaussettes mais il n'avait pas réussi à tout donner !
