31-08-2009, 03:05 PM
(This post was last modified: 03-09-2009, 07:07 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
Ils passèrent le reste de la nuit dans l'auberge de la ville des pierres rouges.
Yatsume repartait dans ses souvenirs. Elle voyait une immense plaine, jonchée de corps, sous un ciel rougeâtre parcouru d'éclairs blancs au loin. Elle suivait un chat blanc dans une grotte. A l'intérieur, il faisait frais et on n'y voyait presque plus rien.
Elle entendait le chat lui dire dans sa tête :
- Déchire une partie de ton habit pour t'en faire un bandeau. Tu t'en couvriras les yeux et tu ne l'enléveras pas tant que je ne te l'aurai pas dit. Nous entrons dans le monde des morts. Si toi, une mortelle, regarde cet endroit, tu ne pourras plus en ressortir.
Elle fit ce que son guide lui demandait et finit de passer dans la grotte à tâtons. Le chat la guidait à chaque pas : elle descendit une volée de marche. Elle sentit alors le vent lui fouetter le visage, et entendit un immense gémissement de fond qui emplissait l'air autour d'elle.
Elle se mit en route et suivit le chat durant des heures ou bien des jours.

Maya put obtenir enfin une entrevue avec l'Inquisiteur Tadao. Elle avait dû attendre deux jours que celui-ci soit de retour de voyage. Cette fois, elle n'avait pas eu à "passer" par Hida Goemon -au grand regret de ce dernier.
Elle montra l'énigme de la liseuse de rune à Tadao. Celui-ci lut le texte, circonspect.
"Quand le nuage et la cendre couvriront le serpent,
Il pleuvra des regrets
L'enfant aux trois étoiles
Frappera un gong
Le silence couvrira cinq nuits
Et l'oubli couvrira la honte"
- Vous avez eu raison de venir me trouver, Maya. Je crois comprendre de quoi il s'agit. Cependant, avant de me prononcer, je vais demander l'avis d'un autre connaisseur de la chasse aux démons : Isawa Nobuyoshi.
Il n'était pas orthodoxe de faire appel à un étranger au clan ; cependant, avec l'Outremonde, le clan du Crabe ne prenait aucun risque : les inquisiteurs Kuni n'avaient pas la fierté mal placée de vouloir tout faire par eux-mêmes. Le tensaï de l'Air l'avait déjà aidé à la Nécropole et il avait une réputation solide de tueurs de monstres.
Maya, l'Inquisiteur et Goemon allèrent au temple des Phénix et y rencontrèrent Nobuyoshi.
- Ma foi, à lire cette prophétie, je crains que nous ne soyons face à une menace d'envergure. Je ne comprends pas qui est cet enfant aux trois étoiles. Je ne sais pas qui le nuage et la cendre désignent. Par contre, je serai assez affirmatif quant au regret et à la honte. Pour moi, cela évoque ces créatures démoniaques que sont les Shuten-Doji...
- Vous devriez expliquer pour Maya, dit l'Inquisiteur.
- Les Shuten-Doji sont des créatures modelées par le Dieu maudit lui-même, à partir de passions négatives élémentaires : la peur, le regret, le désir. Ce sont ces passions qui nous attachent au monde et nous font souffrir, comme nous l'a appris Shinseï. Prenant le contre-pied de cette sagesse, le Dieu de l'Outremonde a forgé ces créatures. Les trois Shuten-Doji majeurs, et plusieurs mineurs, dont le Shuten-Doji de la Honte.
- Je suis content que vous pensiez comme moi, Nobuyoshi-san. Car j'avais envoyé naguère le futur ambassadeur Mitsurugi et ses amis chez les Scorpions, dans la Vallée de la Honte. Ils ont détruit en partie la créature qui avait jeté une malédiction sur cette région. Elles avaient divisé son pouvoir entre six samuraï dont elle avait possédé l'esprit. Mitsurugi et ses hommes en ont détruit trois. Les trois autres parties ont quitté la Vallée et se sont réfugiés non loin au-delà de la Muraille, dans la tour des gémissements. Là-bas, le Shuten-Doji de la Honte s'est reformé à partir des trois esprits.
- La mention de la honte et du regret ne peut pas tromper, confima Nobuyoshi. Ce sont bien les Shuten-Doji qui sont prêts à se réveiller.
- Alors plus à hésiter ! Nous savons où se trouve celui de la Honte. Nous irons à la tour des gémissements le chercher !
- On le détruira, dit Goemon.
- Non, ricana Tadao. Nous allons faire mieux : nous allons le capturer ! Et nous le ferons parler pour trouver le Shuten-Doji du Regret !
- C'est ambitieux, fit Nobuyoshi.
- Nous devons courir ce risque... La prophétie mentionne une menace contre un "serpent". Vous n'aurez pas à suivre mon regard bien loin pour comprendre qui est danger dans cette Cité...
Dans la cour, les shugenjas de la famille Chuda sortaient de leur temple.
- Pourquoi seraient-ils menacés ? demanda Nobuyoshi.
- Nous irons le demander au Shuten-Doji.
L'Inquisiteur rencontra Mamoru deux jours plus tard, quand celui-ci rentra avec Sasuke et Yatsume. Le rônin raconta leur voyage à l'est de la Cité.
- J'ai la parole de Sasuke que le maho-tsukaï que cherchait Yatsume est mort au temple de la fortune du nord-est, dit Tadao, donc je ne chercherai pas plus loin de ce côté. Cette Yatsume a retrouvé l'assassin de son mari et un sorcier complice. Bien.
Durant ces deux jours, l'Inquisiteur monta une expédition dans l'Outremonde. Il avait recruté les soldats les plus endurcis qu'il pourrait trouver. Matsu Sasuke annonça qu'il se joindrait à lui, avec Yojiro et Yatsume. Hida Goemon en serait bien sûr, ainsi que Mamoru. Maya dit qu'elle viendrait, à la grande fierté de Togashi Ojoshi, qui en était également.

Sasuke préparait ses parchemins. Mitsurugi vint le voir pour lui souhaiter bon courage. En tant qu'ambassadeur, il n'avait pas le droit de mettre sa vie en danger, fût-ce contre l'Outremonde.
L'armée de Kuni Tadao, forte d'une cinquantaine d'hommes, traversa la Cité du nord au sud, acclamée par la population et saluée bien bas par les samuraï qu'elle croisa.
- Ce n'est pas tous les jours que l'on part capturer un tel gibier, répétait-on dans ses rangs.
L'Inquisiteur fit arrêter ses hommes devant les murs de la Cité et tout le monde s'agenouilla pour prier les Ancêtres et Osano-Wo, Fortune du Tonnerre et protectrice des bushis. Ils arrivèrent le lendemain soir au pied de la Muraille. Ils prirent une bonne nuit de sommeil et partirent le lendemain matin. A chaque fois que l'Inquisiteur passait le Mur, il se disait que c'était peut-être pour la dernière fois, et la plupart des Crabes se le disaient aussi. Les rônins avaient eu droit à une armure complète pour remplacer leurs bouts de métal de bric et de broc.
Les sentinelles sur les chemins de garde saluèrent la troupe et reprirent leur veille, tandis que les courageux samuraï partaient sur les sentiers disparaissants, et disparaissaient à leur tour derrière l'horizon.

Mitsurugi était à peine sorti depuis sa soirée avec Doji Onegano.
Il savait, pourtant, que c'était ridicule d'en faire une jaunisse ! Il se répétait que même un gamin aurait dû le voir venir ! Bien sûr que Doji Ikue était déjà promise ! Comment aurait-il pu en aller autrement ?...
Ikoma Noyuki était venu lui remonter le moral.
- Une de perdue, Mitsurugi... une de perdue ! D'accord !... Mais quelle folie, aussi... Vous vous imaginiez, marié avec une Grue, si charmante soit-elle ?... Les femmes sont une perte pour l'homme ! Oui, un vrai sentier de perdition... J'en sais quelque chose. J'aurais pu devenir un poète de cour, un artiste. Et à cause de mon aveuglement, je n'ai pas su voir que courtiser cette dame serait ma perte. A présent, je suis chez les Crabes. Mais j'en ai tiré les leçons. Profiter de la vie, profiter du jour. Pourquoi se soucier du lendemain ? C'était une erreur, bien sûr, de vous attacher ainsi à elle, comme ça, en une soirée. Le désir est le père de la déchéance... Qui ne fait pas d'erreur, hein ? Même les plus grands sont faillibles !... Vous oublierez, allons !
Il lui proposait une bonne nuit à s'amuser à la Perle de l'amour, mais Mitsurugi n'en avait plus le goût. Plus le goût du tout. Il ne voulait plus entendre parler des femmes !
Il n'avait plus d'appétit, plus envie de jouer les jolis coeurs...
- Vous n'allez pas vous faire moine !
Noyuki ne trouvait pas les mots pour le tirer de son apathie. Mitsurugi ne voulait pas s'avouer vaincu et il sentait que c'était aller vers une défaite encore plus cuisante. L'acharnement dans l'erreur !
Il voulait encore y croire... Ce n'était pas possible que, comme ça, d'un coup...
- J'ai mis du temps à l'accepter moi aussi, disait Noyuki.
Mitsurugi sentait qu'il mordait la poussière, et à pleines dents !
Le lendemain soir du départ de l'Inquisiteur, il dînait avec Matsu Kokatsu. Ils parlèrent de choses et d'autres, de quelques intrigues à la Cité de la Pieuvre, des autres clans. Puis, au milieu du repas, Kokatsu lui dit :
- Je dînais hier soir au palais impérial... Nous avons parlé de toi.
Il y avait dû à voir des gorges chaudes !
- J'ai entendu comment tu étais allé compter fleurette à cette Doji Ikue. Sans parler de la manière dont tu t'es montré à son bras au duel...
Mitsurugi baissait la tête. Allez, c'était au tour de son supérieur de l'enfoncer un peu plus ! Il croyait avoir touché le fond, il allait creuser !
- Elle est fiancée à un noble et jeune senseï, dit notre héros, sur le ton du constat.
- Oui, dit Kokatsu. Ils vont se fiancer dans deux jours.
Mitsurugi accusa encore le coup. Kokatsu voyait son samuraï accablé, qui luttait tant qu'il pouvait pour garder bonne figure. Il avait de la peine à le voir ainsi, mais il ne pouvait pas le montrer.
- Je n'aurai pas cru cela de toi, dit le général.
Il allait, c'est sûr, lui annoncer la punition qu'il subirait pour s'être ridiculisé dans cette histoire. Quelques jours à aller remuer le fumier chez les etas, pour se passer le goût des amourettes ?...
- J'irai assister à ces fiançailles, dit Kokatsu. J'y ai été invité.
Voilà : l'humiliation dernière arrivait : le général allait lui ordonner de venir !
Il faisait à peine semblant ; il n'avait plus envie de cacher son desespoir. Kokatsu fronçait les sourcils et soupira.
- Tu n'iras pas toi ?
- Si vous désirez que je vous accompagne, Kokatsu-sama, j'irai... bien volontiers.
- Allons donc...
Kokatsu finit son plat et se resservit un verre. Il allait le porter à ses lèvres, et le reposa, fâché. Mitsurugi ne voulait donc pas réagir !
Notre héros tressaillit face à la colère rentrée du général, colère qu'il n'avait pas pour habitude de contenir !
- Mitsurugi !
Le général avait du mal à trouver ses mots. Il aurait bien attrapé Mitsurugi par les épaules pour le secouer comme un prunier !
- Vas-tu !... vas-tu enfin !...
Mitsurugi s'était redressé, face à ce terrible général mortellement déçu du comportement d'un de ses hommes.
- Toi, un Lion ! ambassadeur ! représentant de notre clan !...
- Cela n'arrivera plus, je...
- Par les Ancêtres, Matsu Mitsurugi !
Kokatsu s'était levé, tout rouge.
- As-tu du jus de navet dans les veines, Matsu Mitsurugi !...
- Non, Kokatsu-sama !
- Un Lion a-t-il à un quelconque moment reçu l'ordre de baisser les bras face à l'adversité !
- Non, Kokatsu-sama !
- Vas-tu donc te laisser faire par ces fillettes du clan de la Grue qui prétendent se mettre en travers de ton chemin !
- Non, Kokatsu-sama !
Notre héros ne savait plus ce qu'il disait ! Il répondait, c'est tout !
- Ce qu'un Lion désire, Mitsurugi, dit Kokatsu le poing serré, par Akodo-le-Borgne, il ne le quémande pas : il le prend !... Entends-tu !
- Oui, Kokatsu-sama !
- Tu iras au temple dans deux jours, Mitsurugi... Et tu arrêteras cette mascarade ! Si tu veux cette femme, tu la prendras de force, et elle sera à toi, tu comprends !
- Oui, Kokatsu-sama !
- Le désir détourne un temps le samuraï de son devoir, mais le regret le ronge toute sa vie !... Je ne veux pas de cela pour mes hommes ! Je veux que leur volonté s'impose, et qu'elle soit crainte ! Est-ce un gamin de la famillle Kakita qui va se mettre en travers de ton chemin, toi le vainqueur de la Cité des Apparences !... Toi qui porte l'insigne de la famille Matsu !
- Non, Kokatsu-sama !
- Tu viendras à ces fiançailles, Matsu Mitsurugi !...
"Dans ton sabre, il y aura ton courage, dans tes cheveux le vent... dans tes yeux, la mort !
- Oui, Kokatsu-sama !...
Le général se rassit et but son verre.
Très calme, il ajouta :
- Bien, ce sera tout. Tu peux aller.
Mitsurugi salua très bas et sortit.
Il avait le vertige !
Il trébucha deux fois avant d'atteindre sa chambre, les oreilles chauffées au rouge, la poitrine pleine de peur et de colère. Il s'assit et sortit de son placard une bouteille de saké, dont il se versa une solide rasade. Il la but, en prit une deuxième et s'allongea, son cœur qui battait le pas des armées du Lion avant la bataille !
"Dans ses yeux la mort !..."
C'était tout simplement de la folie ! Il aurait face à lui un duelliste Kakita ! Même s'il était jeune, il n'aurait aucun mal à vaincre notre héros !
Il courut aux bains et s'aspergea le visage d'eau glacée. Le saké lui remontait sur le cœur !
Il fit convoquer deux rônins qu'il avait à son service. Des honorables, pas ceux de Sasuke !
- Vous allez me trouver Tange Sazen, ordonna-t-il, et au pas de course ! Sinon vous irez trouver votre pitance ailleurs !
Il alla s'enfermer dans son bureau et ordonna qu'on ne le dérange pas de la journée.
