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12e Episode : "Plus jamais ça..."
#25
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE

Le silence était revenu sur l'Outremonde. Et avec ce silence, l'immobilité et une solitude mortelle. Sur leur îlot spongieux, rongé par les eaux épaisses du marécage, le groupe des trois rônins et des quatre Hida dut constater que le groupe de Tadao ne pourrait pas venir à leur secours.
L'aîné des samuraï, vétéran de nombreuses batailles, ordonna au groupe d'avancer.
- Ne restons pas là...
Sur un autre îlot se trouvait une barque échouée. Ils s'en approchèrent prudemment, et constatèrent qu'aucune créature n'y avait trouvé abri.
- Il y a un camp de Nezumi non loin d'ici.
- Si loin dans l'Outremonde ?
- Les Nezumi ne sont pas touchés par la Souillure, dit le vétéran. Et ceux-ci sont réputés pour être de féroces chasseurs. Ils sont mal vus par les tribus près des collines : ils les prennent pour nos animaux domestiques... Ils sont farouches, mais je les ai déjà rencontrés. J'espère qu'ils se souviendront de moi.
- Pourvu qu'ils ne veuillent pas nous utiliser pour leur ragout du soir...

Les samuraï montèrent dans la barque, qui tangua, mais ne prit pas l'eau. Il restait une rame, et ils utilisèrent une vieille branche robuste pour en faire une deuxième. Lentement, la barque partit sur l'eau boueuse, pleine d'une végétation inquiétante. Deux hommes ramaient tandis que les autres surveillaient les fonds. Il était facile à des prédateurs aquatiques de se cacher dans la forêt d'algue sous-marine, ou quelque part sur les rives, parmi les roches et les arbres tortueux. Les samuraï n'entendirent pendant longtemps que le clapotis de l'eau, et de lointains grondements d'orage dans les cieux. Ils traversèrent des marécages puants, où la terre humide exhalait l'odeur des morts innombrables digérés par le sol.
Enfin, après des heures passées à ressentir une peur diffuse, étouffante, les explorateurs virent un village sur la rive. Des Nezumi armés de lances, sur un ponton de bois, les regardaient approcher. Les familles rentraient dans leur cahute, tandis que les guerriers de la tribu armaient leurs frondes et leurs arcs.
- Ils font quand même la différence entre nous et des démons ?
- Généralement, oui...

Ces Nezumis portaient des peintures effrayantes et des scarifications qu'ils s'infligeaient volontairement pour honorer leurs divinités guerrières. Les samuraï arrimèrent leur barque au ponton. Les Nezumi ne frémirent pas pendant que les humains mettaient pied sur la rive. Le vétéran s'inclina devant le chef de la tribu et lui fit comprendre, en langage des signes, qu'ils venaient en paix. Les autres frappèrent leurs lances sur le sol plusieurs fois.
Des femelles ressortirent, après leurs petits entre les jambes, fascinés par l'arrivée de ces créatures. La case du chef était ornée à son entrée du crâne difforme d'un monstrueux oni.
- Les Nezumi étaient là bien avant les hommes, chuchotait le vétéran, bien avant l'Empire... Ils nous considèrent comme d'une race inférieure... Si nous voulons passer la nuit, il va falloir nous habituer à cette idée.
- C'est... c'est dégoûtant, dit le plus jeune des Hida. Ces caricatures se prendraient pour nos maîtres... Ce sont des barbares répugnants, pire que nos etas.
- Silence, dit le vétéran, car ici, c'est nous qui sommes une race immonde, pervertie et décadente...
- Et ces vermines ont des dieux ?
Le jeune disait cela car ils passaient près d'un autel où étaient empalés des cadavres de gobelins que les mouches dévoraient, au pied de statues effrayantes d'hommes-rats.
- Plus un mot maintenant, sinon tu serviras à apaiser les appétits de leurs idoles.
Ils entrèrent brièvement dans la case du chef, puis furent conduits dans une baraque branlante à la sortie du village, à l'entrée d'une jungle de moisissure et de pourriture.
- J'ai... j'ai envie de vomir, dit le plus jeune.
- Maîtrise tes intérieurs, gronda le vétéran.
Les samuraï eurent droit à une épaisse soupe, apportée par une grosse femelle accompagnée de deux soldats.
- Si les Ancêtres nous voyaient...
- Les Ancêtres ne regardent pas jusqu'ici...

Les samuraï organisèrent des tours de garde et partirent le lendemain matin, sans que se soit dissipée la sourde hostilité des Nezumi à leur égard.
- Il n'aurait pas fallu rester une demi-journée de plus... Leurs dieux ont faim.
Ce fut une journée maussade. La progression dans la forêt fut harassante.
- Si les dieux le veulent, nous sortirons d'ici avant la nuit.
- Les dieux sont ici, eux ?
- Les dieux sont partout, jeunot... Même dans ces ténèbres, ils nous regardent encore. Même à travers les cieux les plus noirs, les habitants du paradis céleste n'oublient pas leurs enfants...
Le vétéran ne s'était pas trompé. Peu à peu, la jungle perdait son aspect monstrueux, et devenait plus claire. Le soleil réapparaissait. Les plantes, encore gigantesques, n'avaient plus de faux visages de démons et les arbres ne semblaient pas des statues figées de terreur. Des oiseaux chantaient en cœur dans les arbres, alors que la nuit obscurcissait doucement les lieux.
Une étrange paix régnait maintenant. La terre devenait plus solide. Enfin, juste avant qu'il ne fasse complétement noir, les samuraï sortirent de la forêt, et se retrouvèrent en haut d'une montagne abrupte, dominant une grande vallée verdoyante, immense, où l'on distinguait les feux de plusieurs villages. Et au centre de la vallée, au milieu de champs labourés, un grand palais qui ressemblait à une perle de jade.

Samurai

- Ce sera long...
Tadao ressortait d'une réunion avec le conseil des Inquisiteurs Kuni. Il comprenait qu'il ne faudrait pas compter avant longtemps sur une nouvelle expédition dans l'Outremonde. Qu'il y ait quatre samuraï du clan en perdition n'avaient pas ému les Hauts Inquisiteurs, pas plus que la menace, trop distante, de ce démon du Regret.
- C'est une créature primordiale du Dieu Maudit, avait argumenté, front à terre, Tadao.
- Vous n'avez pas à nous apprendre, Tadao-san, ce que sont les Shuten-Doji. Seulement, ce démon est logé, d'après ce que vous nous dites, chez nos lointains voisins des Royaumes d'Ivoire. Nous n'irons pas les défendre. Que le Shuten-Doji vienne à nous, et nous aurons de quoi le recevoir. En douteriez-vous ?
- Non, seigneur.
- En ce cas, concentrez-vous sur votre tâche de défense de la Cité de la Pieuvre.
- Bien, seigneur.

Tadao apprit la nouvelle à mots couverts à Mitsurugi et Sasuke. Ceux-ci comprirent qu'ils pouvaient dire adieu à Mamoru, Yojiro et Yatsume... Ils voulaient croire à leur survie, car ils en avaient vu d'autres, mais survivre à l'Outremonde ?...
Oui, c'était une partie de leur passé qui s'en allait.

Plus tôt dans la journée, Sasuke était allé au temple des Phénix, sous prétexte d'une visite de courtoisie, et il avait discuté avec Isawa Mizu, la tensaï de l'Eau.
- Pourrais-tu me rendre un service ? J'aurais besoin que tu gardes un œil sur les Serpents... Tout ça très officieusement, hein...
- Qu'est-il arrivé au juste à cette Chuda qui a disparu ? Elle a été emmenée par l'Inquisition ?
- Ne compte plus la revoir. Dans le meilleur des cas, elle a rejoint les Ancêtres, et plus certainement, un monde de souffrances et de supplices...
- Mais enfin, ce serait donc vrai, ces rumeurs sur les Chuda ?...
- Je ne suis sûr de rien, murmura Sasuke. Nous voudrions seulement savoir si nous devons nous méfier d'eux.
- Je les surveillerai, dit Mizu. J'espère seulement que c'est justifié.
- Tu saurais que c'est justifié si tu savais comment a fini la Chuda...
Sasuke ne dit rien de plus. Il remercia les Phénix pour leur accueil.

En ville, les suspicions devenaient de plus en plus lourdes sur les Serpents. L'échec de la mission de Tadao était sur toutes les lèvres ; il ne manquait pas de calomniateurs pour accuser les Chuda de cet échec. Les Crabes auraient été bien heureux de se décharger de cette responsabilité sur eux.
Pris à partie publiquement lors d'une soirée au palais des Grues, le tensaï du Vide, Isawa Masaakira, déclara simplement :
- Les Serpents sont nos hôtes, et d'excellents hôtes.
Nul n'osa évoquer la disparition de la Chuda. La famille Kuni resta muette à ce sujet. Et personne n'imaginait les Lions mêlés directement à cette affaire.
De fait, les Serpents ne sortaient plus de leur temple. C'était mieux pour tout le monde. Les pires bruits couraient à leur sujet chez les Yasuki, les marchands du peuple, les tavernes et les ruelles de la Pieuvre. On évoquait leur départ prochain, ou bien leur convocation à tous chez les Kuni, pour passer le test de la glyphe.

Samurai

Matsu Mitsurugi attendait sa convocation pour s'expliquer sur l'enlèvement de Doji Ikue. En attendant, il n'avait pas le droit de la voir. Il avait détruit l'honneur d'un samuraï et de sa famille, bravé la colère des Grues, tout cela à présent pour une trop brève nuit d'amour, et pour être séparée d'elle aussi brusquement, et sans savoir s'il pourrait l'approcher de nouveau un jour. A en croire l'ambassadeur Noyuki, qui, par ses relations chez les Yasuki, récoltait les bruits d'alcôve, les Grues avaient l'intention de faire appel aux Bayushi, en sous-main bien sûr, pour venger leur honneur : soit lancer une campagne de calomnie contre Mitsurugi, soit carrément le défier en duel sous un prétexte quelconque, jusqu'à ce que mort s'en suive.
- Je veux qu'il crève, je veux qu'il finisse la tête dans la merde !
C'était en substance le souhait du père de Kakita Yagyu.
- Sans compter, dit Noyuki, que les disciples de Yagyu vont vouloir venger leur maître.
- Ils n'ont pas encore fait seppuku, ceux-là ?
Mitsurugi les attendait, les disciples !... En attendant, sa situation pourrissait sur pied.
Matsu Kokatsu ne suivait cette histoire que de loin. Il était régulièrement invité au palais des familles impériales, et ne disait rien de ses rendez-vous là-bas. Sur Ikue, il disait juste :
- La cour d'hiver sera bientôt là. Attends-toi à ce qu'elle soit agitée pour toi, quoique Hanteï Norio décide pour vous deux...
- Je tiendrai tête, dit Mitsurugi.
C'était Kokatsu qui avait excité son samuraï à frapper. Maintenant, c'est comme s'il s'en lavait les mains. Il était préoccupé par des affaires qui dépassaient ces histoires de jalousie et d'honneurs. Ce devait donc quand même être grave ! Mais c'était comme si cela dépassait tellement Mitsurugi qu'il ne fallait pas lui en parler.

Isawa Mizu ne donnait pas de nouvelles des Serpents à Sasuke. Pour peu qu'Isawa Masaakira ait compris, il avait pu facilement ordonner à sa tensaï de se taire. Ces derniers jours, les Phénix trouvaient tous les prétextes pour ne recevoir personne. Les Serpents vivaient cloîtrés entre leur pavillon et leur quartier de jardin. Les serviteurs s'en approchaient à peine, juste pour apporter à manger et faire du nettoyage, en vitesse.

Six jours après le retour de l'Outremonde, Sasuke reçut une invitation des Phénix. C'était Isawa Masaakira, qui désirait s'entretenir avec lui. Le shugenja parla en tête à tête avec son ancien senseï, et revint au palais d'Ivoire accompagné d'Isawa Nobuyoshi, le tensaï de l'Air. Ce dernier s'agenouilla face à Matsu Mitsurugi :
- Seigneur, mon maître, Isawa Masaakira, s'apprête à partir au palais Isawa.
Mitsurugi ne dit rien. Mais pour que les tensaï soient rappelés là-bas, c'est à dire devant le conseil élémentaire, c'est qu'il se passait des choses graves.
- Mon maître désire te demander la permission que Matsu Sasuke parte avec nous.
Les cinq tensaï réunis. Mitsurugi attendit un moment pour la forme, puis dit qu'il donnait sa permission. C'était joué d'avance car Sasuke avait compris quand il avait reçu l'invitation de Masaakira.
Les Phénix et Sasuke partirent le surlendemain. Les Serpents restaient au temple avec les samuraï Shiba, et personne ne les en vit sortir.

Samurai

Les samuraï sortirent de la forêt vierge au petit matin, après une nuit passée sur les hauteurs. Ils descendirent dans la vallée. Des paysans misérables, à la peau sombre, les regardaient, ahuris. Bientôt, le bruit dut courir dans la région que des étrangers étaient arrivés, car une patrouille se présenta. C'était des humains à la peau couleur cuivre, vêtus de pantalons bouffants, avec des glaives très courbes à la ceinture et des bijoux en or. Ils avaient des lances qu'ils pointèrent sur les Rokugani : il leur intimait sans doute possible l'ordre de les suivre.
Ils les amenèrent dans la cité bâtie autour de l'immense palais de marbre vert. Les maisons étaient en bois et en torchis, et les gens étaient miséreux, pouilleux, à croire qu'ils ne se lavaient jamais. Tandis qu'en arrivant aux abords du palais, on entrait dans un monde de luxe inouï. Des jardins raffinés mais d'un goût étrange, avec des fontaines et des cages à oiseaux, des bassins parfumés. Un décor de rêve, d'une pureté éclatante pour le carrelage presque transparent du palais. De grands seigneurs en habits tout blanc, avec des turbans sur la tête. Certains avaient des ongles presque aussi longs que le bras !
Les Rokugani n'osaient pas lever le petit doigt, toujours fermement cernés par la soldatesque. Des femmes dans des robes aux couleurs éclatantes avaient les cheveux qui touchaient le sol, et plusieurs points dorés peints sur le front. A l'autre bout des jardins, de monstrueux animaux, des éléphants, à peine connus à Rokugan, attrapaient des branchages avec leurs trompes.
Le palais était surmonté d'un grand dôme étincelant, et de plusieurs tours. Pour s'y rendre, il fallait prendre une grande promenade avec un bassin en son centre, dans lequel le palais se reflétait parfaitement.
Inutile d'ajouter que tous les courtisans avaient les yeux rivés sur les étrangers crasseux qui traînaient leurs sandales au milieu de ces splendeurs. Pas un nuage dans le ciel, le soleil éclatant du matin.

Parmi ces étrangers, les samuraï virent alors sortir, de derrière une enfilade de colonnes, des samuraï Rokugani ! Ils en furent encore plus stupéfaits.
Ceux-ci portaient la barbe, et des kimonos aux tons blanc et mauve. Incrédule, le vétéran Hida voulut s'avancer mais un des soldats lui pointa sa lance sous le menton. Un seigneur, dont la barbe grise était entortillée et nouée plusieurs fois, fit un petit signe et les soldats s'écartèrent. Les samuraï sortis du palais purent s'approcher :
- Salutations. Mon nom est Shinjo Goro, ambassadeur du clan de la Ki-Rin auprès du Palais de Marbre.
Les Crabes ne savaient quoi répondre, sans parler de Mamoru, Yatsume et Yojiro, qui étaient loin de s'attendre à une telle rencontre ! Il y avait une éternité que le clan de la Ki-Rin avait quitté Rokugan pour suivre Shinjo dans un périple infini.
Le chef des Hida se présenta et présenta ses hommes.
L'ambassadeur se gratta la barbe et dit :
- Il vaudrait mieux que vous veniez avec moi...
Puis il s'approcha d'un des seigneurs, parla à voix basse avec lui puis fit signe aux Rokuganis de le suivre.
- Vous veniez ici exprès pour notre ambassade ?
- Par les dieux, dit le Hida, pas du tout ! Nous ne savions pas que le septième clan majeur connaissait ce pays !
- Vous ne venez pas aux Royaumes d'Ivoire par hasard, tout de même ?...
Tandis qu'ils parlaient, les samuraï arrivaient dans une bâtisse près de l'enceinte du grand palais. Elle était gardée par d'autres bushi de la Ki-Rin, surpris de voir arriver ces étrangers. Shinjo Goro fit donner des chambres à ses hôtes et les laissa se laver et se changer.
Puis il les rencontra dans son bureau :
- Je suis honoré de vous recevoir dans mon palais.
- L'honneur est pour nous, dit le vétéran Hida.
- Pardonnez-moi d'être direct, mais avez-vous une idée de l'endroit où vous êtes ?
La phrase aurait pu être comique, d'autant que Shinjo Goro parlait avec un accent bizarre, qui devait être celui des Rokugani des débuts de l'Empire. Il était rocailleux, avec des consonances barbares. Les Crabes pouvaient encore s'y faire, mais on aurait mal imaginé l'ambassadeur Goro dans les salons distingués des Grues !
Ceci dit, cela ne changeait rien au fait que les Rokugani étaient perdus.
- Vous êtes au Palais de Marbre, samuraï, résidence du Raja Avishnar, prince de Golimar. Imaginez un daimyo...
- Comment se fait-il que le clan de la Ki-Rin soit arrivé jusqu'ici ? N'étiez-vous pas parti plein ouest ?
Shinjo Goro haussa les épaules :
- Notre destin est d'aller là où le vent nous porte... Du reste, nous ne sommes qu'une ambassade. Le gros de nos troupes se trouve bien loin, dans les Sables Brûlants, à des mois de voyage d'ici.
Les Hida expliquèrent comment ils étaient arrivés aux Royaumes d'Ivoire.
- Je n'ai pas entendu parler de ce démon du Regret, dit Goro. Je ne sais pas tout, mais une menace comme celle-ci, j'en aurais eu vent...
- Maintenant que nous sommes là, nous ne pouvons pas repartir, dit bravement le Hida. Nous devons rencontrer ce... "raja".
- Le Raja a déjà demandé à vous voir, mais pas dans l'état dans lequel vous êtes arrivés !... Il vous accueillera en son palais si je lui certifie que vous êtes des hôtes de bonne compagnie. Le Raja n'aime rien tant que les plaisirs et les distractions. Autant vous dire que vous ferez partie des amusements du palais.
- Shinio Goro-sama, nous ne sommes pas venus ici amuser un seigneur, si puissant soit-il. Nous avons des ordres de Kuni Tadao...
La phrase parut dérisoire ; que pouvaient valoir les ordres de l'Inquisiteur ? Et quand bien même c'eût été l'Empereur ?...

Shinjo Goro sourit :
- Vous pourrez rester en mon ambassade le temps qu'il vous plaira. Mais je doute que le Raja vous laisse partir à la chasse au démon chez lui...
- Prévenons-le au moins du danger...
Goro haussa encore les épaules. Cette arrivée d'une bande de Rokugani aux abois faisait franchement incongru, et plus encore leur désir d'aller sans tarder exterminer un démon ! Est-ce que c'est une manière d'arriver chez les gens !

Samurai

La fête fut somptueuse, le lendemain soir. Rasés de près, dans des kimonos Ki-Rin, les quatre Hida et les trois rônins furent éblouis par les décorations fantastiques, les costumes magiques des invités, et les cracheurs de feu, les dresseurs d'animaux, les jongleurs et les contorsionnistes.
- Regarde discrètement à ta droite, souffla Yojiro à Mamoru, je crois que celui-là vient d'avaler son sabre en entier !
Yatsume avait déjà vu faire ça, dans son clan, mais l'avaleur n'était pas volontaire !
Les Rokugani étaient la curiosité de la soirée, l'amusement ! Les enfants voulaient les toucher ; l'un d'eux proposa pour rire de les jeter aux tigres, mais Shinjo Goro intervint pour requérir la faveur de remettre cette distraction à plus tard. Un seigneur intervint et accepta la requête de l'ambassadeur. La mère dut emporter son enfant en pleurs, très fâchée de cette décision.
Nos héros se retrouvèrent à table, et on vit arriver le Raja, entouré d'une escouade d'au moins quarante hommes en armes. Tout le monde s'inclinait, l'assistance se figeait. Le Prince était jeune, élégamment vêtu. Il appréciait le charme qu'il exerçait sur sa cour.
Lentement, Avishnar de Golimar prit place au milieu de la table et frappa dans ses mains : la fête reprit, encore plus éblouissante qu'avant. Il y eut un déferlement de danseuses qui se tordaient le ventre, des acrobates qui firent une pyramide de vingt personnes et encore d'autres bateleurs incroyables. Les Rokuganis ne savaient où donner de la tête. Le Prince fit un discours d'accueil aux étrangers, Goro traduisant ses paroles. Il parlait avec une habileté gracieuse, en longues phrases, et tout le monde souriait à ses compliments, et rit avec lui plusieurs fois. Shinjo Goro avait du mal à tout traduire, mais on sentait que d'exquises politesses sortaient de la bouche du Raja.
Yatsume, elle, nota immédiatement qu'elle ne laissait pas le beau Prince indifférent ! Le regard d'Avishnar était déjà plein de braises. Pendant le repas, c'est à peine s'il la quitta des yeux.
On apporta au bas mot une dizaine de plats et les Rokugani firent plusieurs fois des efforts pour ne pas grimacer.
- Qu'est-ce... qu'est-ce c'est que ça ?
- De la cervelle de singe, murmura Goro. Si vous tenez à ne pas finir dans le ventre des tigres, je vous conseille d'en manger avec appétit !
- Et... et ça ?
- Des brochettes de cancrelas au miel... Et là, des euh... enfin, ma foi... des testicules de taureau à la menthe... Symbole de virilité ! Le Prince en mange deux à chaque repas. Il a une vingtaine d'épouses, figurez-vous.
Les Hida croquèrent ensuite dans du poisson au riz décoré de petits fruits rouges. Ils mordirent même à belle dent, et juste après, vidèrent une carafe d'eau chacun, la bouche en feu !
Le Prince rit de la mésaventure.
- Très bon signe, fit Goro. Non, ne recrachez pas ces piments, ce serait une injure mortelle... Et reprenez des couil... des testicules de taureau, sinon vous passerez pour des fillettes.
Heureusement, il y avait un vin délicieux, qui aidait à faire passer cette nourriture dont même un démon digne de ce nom n'aurait pas voulu !
- Le Raja s'inquiète de savoir si vous avez eu assez de moelle ?
- Oui, parfait, dirent les Hida, en souriant tant qu'ils pouvaient.
Le dernier plat fut un beau tas de serpents encore vivants, que les cuisiniers saignèrent et firent rôtir devant les invités, avant de les flamber au vin et de les couvrir de caramel. Le serpents rôtirent sur les charbons, longuement, et de petites flammes crépitaient autour d'eux.
- Vous croyez que c'est un signe ? fit, sincèrement inquiet, un des Hida.
- Je n'en sais rien, dit le chef du groupe. Mangeons, ce ne sera pas le pire plat de la soirée...

Après les serpents, on apporta d'énormes coupes de desserts ; en particulier, des petits gâteaux cubiques moelleux, dont Yojiro se gava sans vergogne ! Les autres invités riaient en le voyant dévorer comme un affamé.
- Des loukhoums, dit Shinjo Goro. Vous n'avez pas inventé ça à Rokugan ?
- Emmenons la recette !
Après le repas, il y eut encore d'autres spectacles ; des invités se retirèrent, et les Rokugani restèrent avec le Raja. Celui-ci discuta longuement avec l'ambassadeur Goro, qui faisait mille politesses pour être agréable au jeune prince. Pendant ce temps, les Hida et les rônins retrouvaient leurs marques : sans qu'il soit besoin de parler la langue, ils avaient compris qu'un concours de boisson venait de se lancer ! Yojiro fut opposé à gros homme huileux, vêtu seulement d'un turban et d'un pagne.
- Un fakir, expliqua Goro. Un ascète...
- Un ascète garni, nota un Hida.
C'est Yojiro qui l'emporta. Le fakir roula en arrière et fut emporté par des serviteurs.
Le Prince rit encore à pleines dents et se leva, marquant la fin du repas. Il s'approcha de Yatsume et la prit par la main, délicatement, et l'emmena avec lui.
Les autres Rokugani rentrèrent à l'ambassade. Dans la rue, Yojiro fut pris de crampe et alla vomir dans une ruelle sordide. Les Hida riaient sans s'arrêter.
- Tu as dû abuser des loukhoums, nota Mamoru.

Samurai
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12e Episode : "Plus jamais ça..." - by Darth Nico - 14-10-2009, 03:35 PM

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