14-10-2009, 08:14 PM
(This post was last modified: 15-10-2009, 12:51 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
Avishnar de Golimar était le plus rayonnant des hommes !
L'aube se levait une nouvelle fois sur son royaume, et le soleil ne semblait émerger de l'horizon que pour contempler son palais de marbre, le plus magnifique du monde. Il regardait le jour monter, comme un dieu du jour en adoration devant la nuit qui se retirait -comme lui cette nuit quand il avait fait emmener Yatsume dans sa chambre.
Ils avaient quitté la salle du banquet et avaient rejoint les appartements du prince. Ils avaient encore bu, en écoutant les mélopées envoûtantes des chanteuses et des musiciennes ; ils avaient commencé tendrement, comme des amoureux pour qui la nuit n'aura jamais de fin, parmi les rideaux légers soulevés par le souffle du vent, les tapisseries envoûtantes. Et pour finir, il s'était jeté violemment sur elle et s'était longuement déchaîné, enragé d'un coup après elle.
Des servantes avaient ensuite guidé Yatsume vers sa chambre, où elle avait pris un bain.
A l'ambassade de la Ki-Rin, le repas de la veille pesait encore sur l'estomac de tout le monde.
- Il est bien rare que le Prince fasse d'aussi magnifiques réceptions et que nous y soyons invités, dit Shinjo Goro. Vous devez être envoyés par les dieux...
Il servait un thé léger et quelques fruits.
- A ce sujet, nous n'avons pu parler de ce démon...
L'ambassadeur sembla contrarié.
- Bien, oui... Avant d'en parler au Prince ou à un de ses conseillers, je devrais peut-être vous faire découvrir brièvement les Royaumes d'Ivoire. Je crois qu'au mieux, vous n'aurez qu'une autorisation de traverser les terres du Raja jusque chez notre voisin... Je doute qu'il vous suive à la chasse au démon.
Les Rokugani étudièrent la région attentivement, penchés sur la carte :
- A l'est d'ici, le chemin que vous avez dû suivre, approximativement. Cette rivière que vous avez remontée, qui prend sa source ici et qui coule jusqu'à l'Outremonde. Au nord, une région de montagnes réputées infranchissables, habitées par des démons du feu... Plus à l'ouest, le reste des Royaumes d'Ivoire. Chaque région est gouvernée par un Raja. Et tout en haut, un Maharadjah. L'Empereur si vous voulez... Il existe aussi un système fort compliqué de castes, je vous en épargnerai les détails. Vous seriez étonnés d'apprendre qu'ils se préoccupent comme nous de leur réincarnation. Ce sont moins des barbares qu'à première vue...
- Et au sud, ici ?
- La côte. Et un comptoir du clan de la Mante. Hé oui, ils sont arrivés jusqu'ici ! Pour retourner par la mer dans notre Empire, il faut longer la côte vers l'est, puis toujours le long de la côte, vers le nord, et on arrive au large de l'archipel de la Mante.
"Ensuite, en reprenant du comptoir des Mantes, vous pouvez remonter la piste vers le nord-est. Et vous trouverez un fortin de notre clan, en pleine jungle. Notre ambassade ici au palais de marbre est la seule dans les Royaumes.
- Et par la côte en allant à l'ouest ?
- J'ignore ce qu'il y a après. Le comptoir des Mantes marque pour nous une frontière au-delà de laquelle nous ne sommes pas allés. Je suppose que si vous continuez longtemps, pendant des mois peut-être, vous trouverez la côte des Sables Brûlants. Mais nous ne sommes jamais allés là-bas. Personne de mon clan. Ma famille se trouve en plein cœur du désert, au nord des montagnes de feu dont je vous ai parlé. Moi et mes hommes avons trouvé un passage vers ces Royaumes, en passant dans un défilé au milieu des montagnes de feu. Reportez vers l'ouest la distance de Otosan-Uchi à la forêt Shinomen, et vous irez une idée d'où est ce défilé.
L'ambassadeur invita ses hôtes à un repas frugal.
- Nous devrions aller voir comment se porte Yatsume, suggéra Mamoru.
- Votre amie ? dit Goro. Entre nous soit dit, si j'étais vous, je me réjouirais pour elle. Mais je ne compterais pas la revoir. Je pense qu'elle va finir sa vie au palais de marbre. Et pour elle, c'est une chance inespérée. Pardonnez-moi, mais pour le Prince, qu'elle soit rônin ne compte pas. Or, Avishnar de Golimar a eu le coup de foudre pour elle. Il va en faire sa favorite. Elle sera magnifiquement traitée. Je ne vois pas une femme qui s'en plaindrait.
- Vous ne connaissez pas Yatsume, toussota Yojiro. Elle a son caractère. Elle est assez... indépendante. Un peu sauvage, disons.
- A l'heure qu'il est, elle doit se baigner dans une pleine piscine parfumée et essayer les plus belles robes du palais. Croyez-vous que même une entêtée y résisterait ?
- Nous n'allons pas la laisser là-bas, dit Yojiro.
- Pourquoi pas ? Avez-vous mieux à lui proposer ?...
Les rônins ne surent quoi répondre.
- C'est un conte de fées pour elle, dit Goro.
"A propos de conte de fée, laissez-moi vous raconter une histoire. Le héros en est le père de l'actuel Prince. L'ancien Raja, Krishmar, était tombé éperdument amoureux d'une femme, et d'une seule. Or la tradition veut que le Raja ait au moins quinze femmes. Mais Krishmar refusait absolument. Des conseillers traditionalistes voulurent mettre à l'épreuve cette épouse unique : ils voulaient montrer qu'elle n'était pas si exceptionnelle. Alors, ils lui lancèrent publiquement ce défi : puisqu'elle était la plus belle du royaume, elle devait avoir un esprit à la hauteur de sa grâce naturelle. Elle devrait donc raconter chaque à son Raja une histoire différente, qui l'enchanterait à chaque fois. Et ce, pendant mille et une nuits.
"Rouge de honte et de colère, l'épouse accepta. Oui, elle releva ce défi surhumain. Alors, elle raconta des histoires, nuit après nuit, saison après saison... Une année passa, et l'épouse n'était pas à court d'inspiration. Les conseillers voyaient venir leur défaite. Nul ne sait ce qu'ils firent vraiment. Toujours est-il qu'un soir, la belle épouse se trouva privée de voix. Elle ne pouvait rien dire. Elle supplia son époux, pleura, fit signe qu'elle écrirait l'histoire et qu'une servante raconterait pour elle. Mais les conseillers espionnaient à la porte, et demandèrent à la voir. Devant eux, elle ne put articuler un mot. Le triomphe des conseillers était complet. La mort dans l'âme, le Raja dut constater que sa femme n'avait pas été à la hauteur. Elle s'était surestimée, elle n'était donc pas parfaite, comme le croyait Khrismar. Elle fut emmenée séance tenante au bourreau, qui la décapita proprement (vous aurez noté que le bourreau était déjà prêt, en pleine nuit !

"Voilà. Le Raja observa deux années complètes de deuil, jusqu'à ce qui aurait dû être la mille-et-unième nuit. Puis il consentit à prendre des épouses. Il en prit plein, et ne s'occupa jamais d'elle. A peine s'il visitait leur chambre de temps en temps, sans passion. L'actuel Raja est le fils de la première épouse. Mais il a à peine connu sa mère. Quand il est arrivé au pouvoir, il a fait sauvagement exécuté les conseillers de son père. Ils ont été piétinés sous des éléphants, je vous passe les détails.
"Depuis, il vénère le souvenir de sa mère comme une déesse. Pourquoi est-ce que je vous raconte cette histoire ? Pour vous dire que le Raja vénère les femmes. Alors que son père s'en fichait, le Raja cherche parmi ses épouses laquelle est la réincarnation de sa mère...
- Attendez, sourit un Hida, vous n'êtes pas en train de nous dire que Yatsume... ?
- Je n'en sais rien, dit Goro. Je dis juste qu'habituellement, le Prince choisit soigneusement ses épouses. Il les courtise longtemps, les étudie, les inspecte comme on regarde une perle pour voir qu'elle n'a pas de défaut. Or, pour la première fois, Avishnar a emmené dans sa chambre une femme, comme ça.
- Ça ne lui arrive jamais d'habitude, une de passage ? dit un Hida, goguenard.
- Jamais.
L'ambassadeur était catégorique.
- Pour le Prince, son harem est une œuvre d'art. Et il ne se permet aucune faute de goût.
- Ah, c'est beau d'être un esthète ! fit un Hida, qui avait reçu au visage un coup de griffe d'oni.
- Bref, tout ceci pour vous dire, conclut l'ambassadeur, que votre amie Yatsume ne sortira du palais de marbre que le jour où ses cendres seront dispersées dans le fleuve sacré.
Un Hida écrasa une larme :
- C'est émouvant, ces histoires...
Les autres levèrent les yeux au ciel.
La BEC sortit du palais.
- C'est pas croyable, cette histoire, dit Yojiro.
Il tapa distraitement dans un caillou.
- Monsieur le collectionneur de femmes et bouffeur de couilles de taureau est bien aimable, mais là, il pousse le bouchon un peu loin... Et les histoires à dormir debout, là...
- On doit sortir Yatsume de ce palais.
La BEC approcha du palais d'Ivoire. Malgré ses airs magnifiques, c'était militairement une forteresse imprenable, ou presque. S'ils avaient disposé d'une armée d'éléphants ! De régiments de shugenjas !...
Mais là, ils étaient... deux. Peut-être six, au cas où ils décidaient les Hida. Mais jamais les samuraï de la Ki-Rin ne les aideraient. Un ambassadeur n'attaque pas le palais où il est en poste ! Même Mitsurugi ne faisait pas ça !
Alors que la BEC allait retourner à l'ambassade, ils entendirent une grande agitation dans le palais. Des gardes couraient en tous sens, des servantes criaient, c'était la panique !
Yatsume n'avait-elle pas apprécié les robes du Raja ?

Le repas, l'accueil, les danseurs, très bien. La nuit d'amour, parfaite. La mâtinée, fort agréable, à se pomponner, à se faire belle, avec quinze servante qui se mettaient en quatre pour rendre Yatsume belle comme la Fortune de l'Amour. La promenade avec Avishnar dans le parc, délicieuse.
C'est après que le sang de Yatsume n'avait fait qu'un tour. Elle était rentrée dans le palais au bras du Prince, et celui-ci l'avait emmenée dans une très grande salle où une vingtaine de femmes vivaient dans un luxe incroyable, vautrées dans des coussins énormes. La pièce était gardé par de grands éphèbes noirs aussi musclés que des bœufs, mais souffrant du même manque que ces ruminants...
Et quand Yatsume avait fait son entrée, elle avait vu une vingtaine de regards de jalousie, de mépris et de haine la perçaient comme autant de lames. Un samuraï de la Ki-Rin était là pour faire l'interprète, et il déclara fièrement à Yatsume qu'elle aurait l'honneur de passer le reste de sa vie dans ce décor enchanteur.
Yatsume blêmit, et avant qu'elle puisse réagir, la porte se refermait derrière elle. Elle avait le sentiment d'être jetée dans une fosse de piranhas. Les autres épouses lui auraient bien arraché les yeux au cure-dents pour fêter son arrivée !
Un des eunuques désigna à Yatsume la place où elle devait aller : des servantes l'attendaient. Notre héroïne se retourna et frappa à la lourde porte, en criant qu'on la laisse sortir. Un grand éclat de rire partit dans la salle, et un eunuque s'approcha d'elle comme d'une petite fille pas sage. Il devait dire :
- Allez, il faut vous calmer maintenant...
Yatsume se ressaisit. Puisqu'elle ne pouvait taper dans les parties sensibles, elle opta pour le croc-en-jambe en règle ! L'eunuque s'écroula, et Yatsume se précipita vers la fenêtre. Les autres femmes se mirent à glapir et à crier comme des oies ; trois gardes s'interposèrent, mais Yatsume les reçut à coup de balayettes et les envoya aux tapis moelleux ! En un rien de temps, notre héroïne avait traversé la pièce, et, armée d'une hallebarde, sautait par la fenêtre et se recevait dans les jardins. Elle avait à peine pu repérer les lieux dans la mâtinée !
Elle entama une course désespérée entre les massifs d'arbre.
La BEC, qui était à une grille, passa alors à l'action : Yojiro fracassa la porte et Mamoru se précipita dans l'allée ; Yatsume les vit et courut vers eux. Les gardes du palais, pas habitués à une attaque venant de l'intérieur, n'avaient pas eu le temps de réagir que les trois rônins s'enfuyaient vers l'ambassade.
Après une course ventre à terre, ils arrivèrent aux écuries, où ils détachèrent trois des immenses chevaux montés par la Ki-Rin, et partirent au galop, montant ces terribles montures à crue ! Les Ki-Rin n'avaient pas eu le temps de réagir, que les trois rônins quittaient la ville, et partaient dans la jungle !

Ce ne fut plus ensuite qu'une longue chevauchée qui s'arrêta violemment.
La BEC connaissait en gros la région grâce à la carte de l'ambassadeur. Ils avancèrent à en faire crever les montures. Celles-ci ne moururent pas, mais s'écroulèrent, incapables d'avancer. En plus, la nuit tombait déjà. Ils prirent du repos, au bord d'un ruisseau, où les chevaux purent boire abondamment et brouter. Ils n'avaient jamais monté ces montures, puisqu'à Rokugan on ne trouvait que des poneys.
Il allait faire sombre avant peu.
- Nous nous repérerons aux étoiles, dit Yojiro. Ils doivent avoir les mêmes ici que chez nous...
Ils reprirent la route pendant la nuit. Ils traversèrent de grandes étendues désertes, inconscients ou presque de ce qu'ils faisaient. A l'aube, ils entendirent le grondement rassurant de la mer. L'eau apparut enfin, dorée dans l'aurore ; ils passèrent au galop dans un village qui s'éveillait à peine. Épuisés, ils virent un port en bois sur la plage où claquait le drapeau des Mantes. Ils y demandèrent l'hospitalité : Mamoru montra son blason du clan du Crabe, et les Mantes ne purent refuser de les accueillir.
Ils payèrent leur séjour en monnaie Crabe. Les Mantes ne manqueraient pas de ramener cet argent dans leur archipel. Ils passèrent la journée à se reposer. Ils étaient loin déjà du palais de marbre. Ils avaient payé assez cher pour que les Mantes ne posent pas de question. Et puis, ils avaient promis de repartir très vite.
- Nous cherchons le clan de la Ki-Rin.
Cela parut rassurer les Mantes, qui crurent avoir affaire à des serviteurs de ce clan (ce qui expliquait aussi les chevaux). On leur indiqua le sentier à suivre pour trouver l'avant-poste des samuraï de Shinjo. Pour le moment, nos héros avançaient sans savoir où ils allaient. Ils voulaient trouver le repaire du Shuten-Doji du Regret et rentrer à Rokugan...
Le lendemain de leur arrivée, ils partaient du comptoir et retraversèrent une grande région sauvage, avant de retrouver la jungle. Les Mantes leur avaient donné des plans, et ils trouvèrent, en fin de journée, le fortin des Ki-Rin, construit sur une île accessible par deux ponts.
Tentant le tout pour le tout, ils dirent qu'ils venaient de chez l'ambassadeur Goro (ce n'était pas faux, après tout !

- Un démon ? Nous ne savons pas s'il y a un démon comme vous nous le décrivez dans la région, dirent les samuraï Shinjo.
"Notez qu'il y a quand même une région interdite d'accès, au nord-est d'ici. Mais c'est en pleine jungle. Si vous y allez, vous risquez de rencontrer le seigneur Akuma...
- Qui est-ce ?
- On dit qu'il vient de Rokugan, lui aussi... Que c'est un paria... Que c'est un fou, qui est devenu un demi-dieu pour les sauvages de cette forêt. Ils vénèrent des dieux cannibales...
- Cela paraît un bon début.
- Vous voulez y aller ? Sachez que nous pouvons vous indiquer le chemin mais nous ne rentrerons pas là-bas. Nous n'attirerons pas une malédiction sur notre clan rien que pour vous...
Le lendemain, les trois rônins chevauchaient en compagnie de deux éclaireurs Shinjo², qui s'arrêtèrent à la lisière d'un paysage exubérant, où la végétation ressemblait à la danse suspendue de mille esprits en délire. Ils passèrent une rivière à cheval, tandis que les éclaireurs s'en retournaient au fortin. Les chevaux frémissaient, les narines et les yeux dilatés. Ils ruaient. Heureusement que nos héros avaient maintenant des rênes pour les tenir ! Des prédateurs rôdaient mais les oiseaux, qui connaissaient à peine les humains, ne s'envolaient pas. Ils continuaient leurs chants immenses et enivrants. Nos héros durent descendre de monture. Ils continuèrent à pied sur un sol trempé ; après une longue marche, ils arrivèrent aux contreforts d'une grande montagne dont on apercevait le sommet à travers les feuillages. Et dans la pente, un plateau ; sur ce plateau, une robuste pyramide à degrés enrobée de plantes.

Les cinq tensaï étaient arrivés au château du conseil élémentaire. Seul Isawa Masaakira fut d'abord autorisé à rencontrer le conseil des cinq maîtres. Il ne dit rien ou presque en retrouvant ses disciples. Ceux-ci avaient attendu, en méditation. Sasuke avaient vu les regards surpris ou même effrayés qu'on lui lançait. Il était parti comme un moins que rien, il revenait sous la bannière du Lion !
- Le conseil élémentaire nous ordonne d'aller visiter les terres du clan du Serpent, dit seulement Masaakira.
Les tensaï remontèrent vers le nord-est, et pénétrèrent chez les Chuda, entre les Phénix et les Dragons. Des troupes de plus en plus nombreuses de Shiba se massaient à la frontière.
Les tensaï retrouvèrent d'autres groupes de shugenja, qui visitaient chaque village, chaque maison. Les Chuda, terrifiés, ne pouvaient qu'ouvrir leurs portes, sinon on les défonçait. Les Dragons venaient de l'ouest et passaient aussi de leur côté les terres Chuda au peigne fin.
Ils trouvèrent de nombreuses familles malades, et il y eut plusieurs cas avérés de Souillure. Ceux-là furent aussitôt décapités et brûlés en place public. Les Phénix repartaient que les corps n'étaient pas encore calcinés.
- Allez, sortez de là !
Cela virait au cauchemar. Masaakira était empli d'une colère, d'une sale colère. Il fallait trouver tous ceux qui étaient touchés, violer l'intimité des familles, malmener vieillards, enfants et femmes sans ménagement.
Les troupes des Shiba entrèrent par petits groupes pour assister les shugenjas.
- Cinq cas aujourd'hui, autant hier, comptait Isawa Nobuyoshi.
- Et autant demain, ajouta Isawa Ichibei.
- Je ne pensais pas qu'on en était là, murmura Matsu Sasuke.
Ils passèrent encore une journée à inspecter des villages. Les autres groupes de shugenjas avaient la mine aussi sombre :
- Une famille entière hier, disait l'un.
- Presque tout un village, dirent des Mirumoto. Nos frères Togashi ne savent plus comment apporter du réconfort à ces malheureux Serpents.
Isawa Masaakira ne dit rien, mais lui et ses tensaï s'étaient compris. La pitié des Togashi ne serait bientôt plus nécessaire.
- Ça suffit comme ça, décida le tensaï du Vide, nous rentrons pour que je rende compte devant le conseil élémentaire.
Cette fois, ce fut plus long. Masaakira et d'autres nobles shugenjas restèrent presque une journée entière avec les maîtres élémentaires. Leurs disciples, une bonne cinquantaine de shugenjas en tout, les attendait à l'extérieur.
Alors que l'après-midi était bien entamée, le bruit lointain d'un gong retentit. D'abord très faible, puis il s'amplifia, et résonna à toutes volées, immense martèlement venu de nulle part et qui paraissait assez puissant pour ébranler les cieux. Sasuke repensait à la prophétie donnée à Maya :
"Quand le nuage et la cendre couvriront le serpent,
Il pleuvra des regrets
L’enfant aux trois étoiles
Frappera un gong
Le silence couvrira cinq nuits
Et l’oubli couvrira la honte"
Où était ce gong qui frappait si fort qu'on l'entendait de si loin ?... C'était comme si Osano-Wo lui même frappait... Dans la jungle des Royaumes d'Ivoire, on entendit aussi ce gong. Les trois rônins montaient les marches de la pyramide ; ils avaient le sang qui leur battait dans la tête, et les coups monotones, interminables, assourdissants, résonnaient et la jungle en tremblait. Encore quelques marches et ils arriveraient devant l'entrée. Des cailloux roulèrent d'en haut ; nos héros levèrent la tête : ils reconnurent Pureté. L'affreux mort-vivant était là, enveloppé de son drap blanc accroché à son grand chapeau, son sabre à la main. Essoufflés, nos héros s'arrêtèrent face à lui.
- Tu es encore en vie ? fit Mamoru, rageur. La dernière fois n'a pas suffi ?
Pureté restait immobile, en garde.
- Le seigneur Akuma ne souhaite pas vous recevoir...
Les trois rônins dégainèrent et se disposèrent face à lui.
Pureté ne trembla pas. Les rônins attaquèrent ensemble. En quelques passes rapides, ce fut joué.
Pureté ressembla à un eclair blanc : il esquiva les attaques et blessa Mamoru, reçut un coup de Yatsume et de Yojiro, puis il blessa Yojiro. Mamoru le blessa, mais Pureté répliqua en passant son sabre au travers de la poitrine de Yojiro. Ce dernier tomba à terre et roula au bas de plusieurs marches. Il resta allongé, inerte, le sang coulant à gros bouillons. Yatsume et Mamoru se remirent en garde et attaquèrent ensemble : ils tranchèrent la tête et un bras de Pureté, et l'achevèrent violemment en le lardant de coups. Ils le démembrèrent et le laissèrent là. Ils jetèrent un regard à Yojiro, qui ne bougeait plus.
Ils étaient blessés, mais ils devaient tenter le tout pour le tout. Ils entrèrent dans la pyramide.
La pièce était sombre, remplie d'un encens âcre, épais. Un humain était assis en tailleur, sur un tapis, derrière un rideau verdâtre. Deux brûloirs rougeoyaient à ses côtés. C'était de plus en plus un cauchemar sans issue. Mamoru et Yatsume se mirent en garde. L'homme se leva et passa le rideau. Mamoru recula alors d'un pas :
- Qui êtes-vous donc ? dit l'homme.
Mamoru avança d'un pas :
- Je suis Hida Yasashiro.
L'autre, un fort samuraï au crâne chauve, le regardait de ses yeux qui semblaient morts.
- Je ne vous connais pas...
- Moi, je vous connais, souffla Mamoru. Vous êtes... vous êtes le seigneur Akuma...
- Le maître de ces lieux... L'humble serviteur du démon du Regret, oui...
Il parlait comme s'il n'attachait aucune importance à ces paroles, comme si ses yeux voyaient dans un autre monde :
- Le Shuten-Doji m'a appris à vaincre mes peurs... et mes regrets. Ceux que votre clan m'ont infligés, Yasashiro-san...
Il n'y avait plus de doute pour Mamoru. Ce seigneur Akuma n'était autre que le capitaine Yasuki Kuma ! L'officier glorieux, le héros, qui appartenait en fait au Gozoku, qu'il était allé chercher avec son groupe, et qu'ils avaient vu mort dans l'Outremonde !
- J'étais parti vous chercher, parce vous apparteniez au Lotus ! gronda Mamoru. Et mes camarades y ont laissé la vie, avant de devenir des démons, comme "Pureté" !
- Vos camarades, dit Akuma sans passion, ont juste vu la lumière... Ils ont trouvé la seule lucidité qui vaille en ce monde, et qui nous maintient en vie par-delà la mort. Alors que vous autres, faibles humains, êtes bien aveugles... Toute ma vie, j'ai cherché la lucidité... Chez les Grues, puis chez vous, Crabes...
- Et chez les Lotus !
- Non, c'est moi qui apportais cette lucidité chez les Lotus... C'était moi, le maître des Lotus...
Mamoru recula d'un pas, Yatsume aussi.
Ils avaient en face d'eux Lotus en personne ! Du moins l'ancien ! Le complice de Nuage, corrompu par l'Outremonde !
- C'est votre clan qui a causé ma perte, prononça Akuma. Je lui rendrai la pareille, mais pas en provoquant sa perte... Non, en l'amenant dans la gloire de Fu-Leng...
- Finissons-en, dit Yatsume.
Les deux rônins approchèrent lentement d'Akuma. Celui-ci avait un sabre à la ceinture, sans fourreau. Il dégaina lentement. Il ferma les yeux et prit une inspiration très profonde, d'un souffle qui venait d'ailleurs. Puis il chargea brusquement, comme un taureau, et frappa coup sur coup les deux rônins. Ceux-ci n'eurent pas le temps de frapper ; du sang gicla et ils tombèrent.
- Le démon guide ma lame, samuraï. Qui guide la vôtre ? Personne. Vos dieux vous ont abandonnés.
Les deux rônin reculèrent. C'est Mamoru qui se releva le premier.
- Pars, Yatsume, gémit-il... Pars avec Yojiro !
- Yojiro est mort !
- Peut-être pas ! Peu importe, pars !...
Yatsume n'avait jamais connu le paisible Mamoru dans cet état. Il était dans cette transe propre à ceux qu'on appelle les Quêteurs de Morts. Yatsume recula de quelques pas, puis tourna le dos. Elle ressortit de la pyramide, et trouva Yojiro, qui tentait d'escalader les marches. Elle le prit sur son dos et commença la descente avec lui. On entendait des grondements partout autour. Il devait rester une cinquantaine de marches, et ça semblait infini. Des monstres grondaient, se rapprochaient.
A l'intérieur, Mamoru se jeta à l'attaque. Il vit une ombre de sourire sur la lèvre d'Akuma. Ce dernier évita son coup, ressortit son sabre souplement et abattit Mamoru. Akuma resta immobile longtemps, le sabre à bout de bras, à regarder dans les ténèbres.

Isawa Masaakira ressortait du conseil élémentaire, alors que le bruit du gong continuait à retentir.
- Les ordres ont été clairs, dit-il aux tensaï. Nous partirons à l'avant-garde de l'armée. Cette fois-ci, c'est notre clan entier qui y va. Notre daimyo, le seigneur Shiba Gaijushiko mènera les troupes. Et il n'a signé aucune déclaration de guerre contre les Serpents.
Les tensaï frémirent. Une attaque sans déclaration de guerre. Il n'y avait que contre l'Outremonde que cela était possible. Cela signifiait que le clan entier était corrompu.
Cela dura cinq jours et cinq nuits.
Les armées Shiba montèrent à l'assaut des montagnes du Serpent, et détruisirent, village après village, maison après maison, l'ensemble des membres du clan du Serpent et la plupart de leurs paysans. Des torrents de flammes se déversèrent dans les montagnes, où il fit clair comme en plein jour pendant une semaine d'affilée. Les bushi tuaient à vue quiconque n'était ni Phénix ni Dragon. Toute la montagne paraissait brûler ! Chaque coup de sabre tua net, chaque sort provoqua des ravages. Au cœur de ces massacres, les tensaï, et singulièrement Matsu Sasuke, qui propagea la mort, et ne connut pas de ces cinq nuits la fraîcheur. Les enfants hurlaient, d'autres étaient muets de peur ; ce ne furent que des milliers de cris arrêtés brusquement par une lame. Les portes du monde du massacre s'ouvraient toutes grandes pour engloutir ces âmes qui iraient se battre pour l'éternité. Les montagnes semblaient s'ouvrir directement sur les plaines des enfers.
Le matin du sixième jour, l'aube fut grise, presque noire. Les montagnes étaient des ruines, un paysage de mort, noir de charbon à perte de vue. Et dans les ruines, des corps calcinés, certains encore tremblants ; des crânes fumants, des mains qui cherchaient la fuite.
- Allons, c'est terminé, dit Isawa Masaakira, partons.
A la Cité de la Pieuvre, Matsu Mitsurugi se réveilla en voyant brûler le temple des Serpents. Il sortit dans la rue, où il croisa la troupe de Kuni Tadao. L'Inquisiteur s'arrêta, et salua Mitsurugi, le visage fermé. Des cris venaient du temple.
- Je leur ai quand même offert le droit de faire seppuku...
Mamoru se tordait de douleur ; il attendait que Akuma l'achève. Yatsume ne voyait pas la fin des marches.

La nouvelle de la destruction du clan du Serpent parvint à l'Empereur, bien après être arrivée à Tadao et aux autres clans accueillant des Serpents. Le Divin Fils du Ciel envoya un émissaire au conseil élémentaire des Phénix. Le Maître du Vide le reçut devant une large assemblée des plus grands seigneurs du clan.
L'émissaire s'agenouilla et dit simplement :
- Pourquoi ?...
Le Maître du Vide détourna le regard et balaya la question d'un revers de main :
- Plus jamais ça...

