21-11-2009, 12:54 PM
(This post was last modified: 22-11-2009, 03:58 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
A quelques rues de l'auberge préférée de Tadao se trouvait la maison où Maya travaillait, couverture pour espionner les activités du Lotus. C'était un restaurant très fréquentée, où notre Ize-Zumi poursuivait la voie de la sagesse en servant à boire et à manger aux pêcheurs habitués. Elle y travaillait depuis presque un mois maintenant, et s'était fait oublier du palais d'Ivoire, où Mitsurugi était bien content de ne plus entendre parler d'elle.
Elle avait gagné la confiance du patron, qui ne voyait en elle qu'une inoffensive employée qu'il avait sorti de la misère. Mais ce soir-là, Maya, qui avait laissé traîner ses oreilles, savait qu'une réunion du Lotus allait se tenir. Elle fit mine de partir en fin de journée. A la nuit tombée, elle était de retour au restaurant, dans le grenier au-dessus de la salle de réunion des conspirateurs. Les conspirateurs en robe et en cagoule se saluaient brièvement, assis sur des tatamis :
- Bien, allons à l'essentiel... Nous savons de source sûre que l'Inquisiteur Tadao ne sera pas autorisé à mener une autre expédition dans l'Outremonde. Il restera cantonné à la surveillance de cette Cité. Par contre, l'ancien capitaine Yasuki Kuma est bien vivant... Enfin, pas exactement "bien vivant"... C'est un démon, un revenant... Et il reviendra se venger de nous.
- Vous en êtes sûr ?
- Absolument, je le tiens de Lotus en personne.
- Nuage compte nous protéger au moins ?
- Notre discrétion est notre meilleure arme. Si vous n'allez pas crier sur tous les toits qui vous êtes, le démon ne devrait pas nous trouver.
- Mais si jamais ?...
- "Si jamais", Nuage, oui, pourra nous défendre. Et je vous rappelle, à vous honorables membres du Saphir, que vous savez vous défendre...
- Nous ne sommes pas des chasseurs de sorcières...
- Bien, allons à l'essentiel comme vous l'avez dit, intervint un autre conjuré qui n'avait pas encore parlé.
- J'ai une nouvelle : l'Ize-Zumi va être accueilli au palais d'Ivoire.
- Qui ça ?
- Togashi Ojoshi, il s'appelle. Il est arrivé de ses montagnes récemment... Et il va être hébergé par l'ambassadeur Ikoma Noyuki. Paraît-il qu'ils préparent une pièce de théâtre ensemble.
- Cela nous fait une belle jambe... A propos, qu'est devenue l'autre idiote d'Ize-Zumi là, qui traînait un moment avec les Lions ?
Maya ricanait sous cape.
- Pas de nouvelle... Et avec ces Dragons, difficile de savoir. Elle est peut-être repartie dans ces montagnes ?...
- Pourquoi parliez-vous de l'Ize-Zumi et de l'ambassadeur ?
- Parce que nous autres du Saphir avons été chargés de l'empêcher d'arriver au palais d'Ivoire. Ce Togashi réside dans un petit temple, au nord-ouest de la ville. Mes frères vont se charger de nous l'amener...
Le sang de Maya ne fit qu'un tour. Elle n'attendit pas la fin de la réunion pour s'esquiver. Elle courut à travers la Cité, la traversant d'est en ouest et elle partit sur la route du temple du Repos de Shinseï, où était hébergé Togashi Ojoshi.
L'aube n'était plus loin quand elle y arriva, après une marche épuisante. Elle se présenta à l'entrée, alors que le ciel rosissait. On la laissa entrer, en sa qualité d'étrangère et de femme tatouée. Elle alla frapper à la porte d'Ojoshi :
- Réveillez-vous, vite...
Le moine se frottait les yeux en ouvrant la porte :
- Que se passe-t-il, donc ?... Par les Ancêtres, Maya !...
- Vous êtes en danger ici ! Je vous emmène au palais d'Ivoire !
- Mais je comptais bien y aller... L'ambassadeur Ikoma...
- Oui, je sais, je sais... Venez, allez !
L'Ize-Zumi alla s'asperger le visage d'eau et prit quelques affaires.
- Qui m'en veut ?
- Trop long à vous expliquer...
- Que va dire l'ambassadeur s'il vient ici et ?
- Nous serons bientôt à la Cité de la Pieuvre.
- Et vous voulez en plus que je parte sans même saluer mes hôtes...
Le pauvre Ize-Zumi n'avait aucun sens de la menace qui pesait sur lui ! Il est vrai que par ailleurs, Maya n'avait plus guère de sens de l'honneur, et n'allait pas se soucier de politesse. A contre-cœur, Ojoshi suivit Maya, en prétextant qu'il partait seulement de bon matin à la Cité, qu'il ne partait pas pour de bon...

Les deux moines marchaient d'un bon pas dans l'air frais.
- Je vais quand même exiger des explications, Maya !... Depuis que je suis descendu de nos montagnes, avec entre autres pour mission de vous retrouver, puis de vous ramener dans le droit chemin, je dois dire que je n'ai pas été déçu en matière de surprise !... Le moins que l'on puisse dire est que vous avez trouvé une étrange manière de chercher la sagesse. Je sais bien que selon Shinseï, n'importe quelle voie, si humble soit-elle, peut quand même mener...
Lassé de son bavardage, Maya avançait en surveillant les taillis, les buissons et les gros rochers. Au beau milieu du monologue interminable d'Ojoshi, des silhouettes armées de couteaux jaillirent de sous un tas de feuilles mortes. Maya réagit en un éclair et ne laissa pas l'un des assaillants finir son saut : elle lui envoya un coup de pied en plein nez alors qu'il était en l'air, l'expédiant dans les orties !
Ojoshi posa son sac à terre, et se mit en garde rituellement, comme au dojo, pendant que Maya s'essuyait le nez en observant les tueurs qui se mettaient en rond autour d'eux. Après des semaines passées à faire la cuisine et à se faire tripoter, elle avait besoin de défoulement. Un des tueurs approcha d'Ojoshi et, en une fraction de seconde, se retrouva à terre, le nez cassé. Ojoshi avait pratiqué la prise du tigre enragé, dans un cri bref et strident qui résonna dans les bois.
Les autres, apeurés, reculèrent d'un pas. Maya sourit et se jeta avec un coup de pied du dragon de feu sur sa victime la plus proche. Ojoshi ferma les yeux, pria les Ancêtres, et envoya un coup de poing de l'aigle souverain dans le menton d'un adversaire trop audacieux ! Et d'un coup, ce fut une mêlée confuse, où la violence régna en maître, un déchaînement de coups de poings et de coups de pieds. Ojoshi brisait des os comme au temple il brisait des planches de bois empilées, tandis que Maya, dans un style aussi proche du kazedo ancestral que du combat de rue à la Cité de la Pieuvre, envoyait les uns après les autres les tueurs dans la boue, dans un flot continu d'attaques et de ripostes. Il était une dizaine en face, qui s'essayèrent comme ils purent à s'approcher des deux moines guerriers. L'un des tueurs eut la mauvaise idée d'approcher armé d'une branche pointue : Ojoshi la fracassa en deux du tranchant de la main, attrapa les deux bouts et tomba à bras raccourcis sur ses deux ennemis, finissant par leur marcher sur les épaules pour bondir sur le suivant !
Bref, les hommes du Saphir furent fauchés comme les blés à l'automne. Les deux Ize-Zumi restèrent en garde, vigilants puis Maya dit qu'il fallait partir vite.
Ils laissèrent les sous-bois humides derrière eux et entrèrent dans la Cité alors que le soleil apparaissait, étincelant, derrière l'horizon. Maya emmena Togashi Ojoshi au palais d'Ivoire. L'ambassadeur Ikoma Noyuki était dans la cour avec ses hommes, et se préparait à partir au temple pour y chercher son invité. Il ne comprit pas ce qui se passait mais, pour que personne ne perde la face, il fit comme si c'était prévu et accueillit à bras ouverts son invité, qui avait de la boue jusqu'aux cuisses et quelques égratignures. Les soldats, sur un signe discret de l'ambassadeur, arrêtèrent Maya, qui se laissa faire, et ils l'emmenèrent au cachot.
C'est de là que Mitsurugi dut aller la tirer en disant qu'il s'occupait d'elle...

Mitsurugi arrangea diplomatiquement cette intervention musclée de Maya. Quand Togashi Ojoshi témoigna qu'ils avaient été assaillis dans la forêt, Ikoma Noyuki dit que Maya avait été envoyée en avant pour repérer le chemin, et qu'elle avait fauté par excès de zèle en emmenant l'Ize-Zumi. Ensuite, Sasuke et Mitsurugi prirent l'ambassadeur Noyuki et lui demandèrent, en passant, s'il savait qui pouvait vouloir s'en prendre à un moine tatoué. Ils glissèrent au passage le nom de Lotus, auquel Noyuki ne réagit pas.
- Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, vraiment... Togashi Ojoshi est mon invité pour que nous écrivions la pièce de kabuki que nous ferons jouer à la cour d'hiver, devant l'Empereur...
Nos héros n'insistèrent pas. Il était inutile de trop en dire.
C'était l'heure pour Mitsurugi d'aller rendre une petite visite à Doji Ikue. Quand il arriva dans l'aile de la famille de Doji Onegano, il entendit des pleurs hoquetants... Allons bon, que se passait-il encore ?
Ikue était en larmes, et Suzume était exaspéré. Il ne savait plus comment calmer sa sÅ“ur, il s'arrachait les cheveux.
- Ah, Mitsurugi-sama ! Dites-lui !... Ce sont les dieux qui vous envoient...
- Que se passe-t-il ? fit Mitsurugi d'une voix forte et protectrice.
- C'est encore son maudit chat qui a disparu !
- Oui, mon petit minou... Depuis hier, quand nous étions au jardin...
L'enthousiasme de Mitsurugi retombait et il lançait un regard complice à Suzume... Bien sûr, ce n'était pas un adversaire à aller défier... Non, un chat, qui avait disparu...
- Mais ces chats sont sauvages, disait Suzume. C'est comme ça, il est difficile de les domestiquer...
- Non, non, pas lui... Il m'adore...
- C'est la reconnaissance du ventre, ricana Suzume.
- Dis-en du mal, c'est ça ! Belle preuve de compassion de se moquer des créatures inférieures !
Le coup porta, car Suzume se considérait comme quelqu'un de très vertueux.
- Mais je n'ai rien contre ce chat, voyons...
A part soi, Mitsurugi leva les yeux au ciel : il n'était pas venu pour assister à une dispute entre le frère et la sœur...
- Mais toi tu pleures sur ce chat, alors que moi je dois me battre contre un fourbe et lâche Scorpion ! Qui m'a insulté ! Un duel qui ira peut-être à mort !
Ikue repartit dans un sanglot encore plus gros :
- Oh non, ne dis pas ça !...
- Allons, dit Mitsurugi, le duel de Suzume sera au premier sang. Et je l'ai entraîné, sur le chemin de la Vallée aux Esprits. Il est prêt.
- Et Mitsurugi, pendant qu'il était à la Vallée, dit Suzume, en a profité, je te rappelle, pour abattre un démon qui logeait là-bas !
Suzume ne croyait pas si bien dire... Il ne savait pas de quoi il parlait...
- Je vais aller voir si je peux trouver ce chat, dit Mitsurugi.
- Vous sauriez où le trouver ? dit Ikue, les larmes aux yeux.
- J'ai peut-être une piste...
Et le regard de notre héros se portait sur la "Carapace", le palais des Crabes.

C'était bien là-bas que le bakeneko se trouvait, depuis l'après-midi de la veille. L'Inquisiteur Tadao l'avait mis dans une cellule de prisonnier, et avait commencé par l'amadouer avec la meilleure pâté pour chat, qu'il avait achetée sur les conseils de sa sœur, qui était elle-même toquée des chats et qui régalait la dizaine qu'elle possédait avec des mets rares et fins. C'est Mamoru et Goemon qui étaient chargés du service de l'invité félin.
- Viens par là, gentil minou, grondait Goemon.
- Vous lui faites peur, reprenait Mamoru.
Les deux hommes, ils n'y pouvaient rien, avaient de grosses voix pour gueuler dans la bataille et injurier des onis, pas pour amadouer un chat. Avec leurs grosses mains à étrangler des gobelins, ils ne rassuraient pas plus leur "invité".
- Gentil minou qui va finir en pâtée...
- Non, Goemon : qui va finir LA pâtée...
- Ah oui, pardon...
Ce fut long. Les deux hommes étaient adroits avec le chat comme un buffle dans un magasin de porcelaine. Le chat refusa toute la journée la nourriture qu'on lui avait laissée. Mais le soir, la faim prit le dessus et il mangea pendant que les geôliers avaient le dos tourné. Tadao avait été requis pour d'autres affaires et avait dû oublier ce chat.
Ce n'est que le lendemain, en fin de mâtinée, quand Mitsurugi demanda à être reçu, que l'Inquisiteur dut se dépêcher. D'abord, il ordonna à Goemon de recevoir l'ambassadeur Matsu et de le faire attendre dans son bureau.
Tadao descendit voir le bakeneko avec Mamoru :
- Cette fois, mon ami, ma patience est à bout... Je suis venu te demander une chose précise : je veux que tu m'ouvres une porte vers les Limbes...
Le chat frissonnait chaque fois que l'Inquisiteur disait cela.
- Je pensais, dit Tadao, que tu venais de Chikushudo, le monde des esprits-animaux, ou même de Sakkaku, le monde de la malice... Je pense que tu as dû y passer, et apprendre des Hengeyokai à te transformer... Ceci dit, si tu rechignes tant à m'ouvrir les Limbes, c'est à mon avis que tu as dû y séjourner... Et je me demande pour expier quelle faute, hein...
Le chat avait les poils qui se hérissaient.
- De toute façon, tu as des pouvoirs de télépathe, je le sais... En plus d'autres pouvoirs que tu ne voudras pas me montrer, n'est-ce-pas... Cela, je ne veux pas le savoir.
Un serviteur entrait et soufflait à l'oreille de son maître que l'ambassadeur Mitsurugi venait pour le chat...
- C'est bien ce que je pensais, dit Tadao. Ordonne à Goemon de le faire patienter...
Dans le bureau de l'Inquisiteur, Mitsurugi ne cachait pas son impatience face au solide Crabe qui faisait comme si de rien n'était.
- Alors, Goemon, est-ce pour aujourd'hui ou pour demain ? Depuis quand nos hôtes Crabes font-ils attendre un ami ?
Mitsurugi ne craignait pas l'incident diplomatique : après ce qu'il avait fait pour Tadao, ce dernier ne pouvait rien contre lui.
- Mon maître vous prie humblement de l'excuser, il sera bientôt là.
- Je l'espère bien !
Au sous-sol, Tadao répétait sa demande :
- Ouvre-moi la porte des Limbes, bakeneko... Crois-moi, j'ai fait parler des monstres plus coriaces que toi. Ce n'est pas un matou comme toi qui va me résister.
Le chat crachait et il était prêt à bondit sur Tadao mais celui-ci le regarda droit dans les yeux, ce qui mata le chat. Il parla alors dans la tête de l'Inquisiteur :
"Ça va, tu as gagné, je t'ouvrirai cette porte... Mais je n'y retournerai pas."
- A la bonne heure, cela me va.
Tadao fit signe qu'on apporte une autre gamelle au chat. Pendant que celui-ci se régalait, l'Inquisiteur prit Mamoru à part :
- Tu es toujours décidé ?
- Oui, seigneur.
- Bien. Quand le chat aura ouvert le passage, tu iras... Et là-bas, retiens bien ceci, tu tâcheras de trouver le temple de la Fortune du Secret... Nous en avons parlé hier.
- J'ai retenu. J'irai trouver cette Fortune et je lui demanderai ses faveurs.
- C'est parfait, je te laisse. Mitsurugi ne peut plus attendre.
L'Inquisiteur mit des vêtements plus cérémonieux, pas son vieux kimono d'interrogatoire, et remonta dans ses appartements.
- Ambassadeur, c'est un honneur pour moi de vous recevoir... Ce sont les Ancêtres qui vous amènent...
- Les Ancêtres, oui, fit Mitsurugi en s'inclinant brièvement, ainsi que la charmante Doji Ikue, qui est fort attristée...
- Allons donc ! Qui a osé lui faire du mal ?
- Son chat a disparu...
- Quel grand malheur !
- Oui. Et comme je sais que les Crabes ont des yeux et des oreilles partout dans cette ville, je me suis dit qu'ils auraient pu entendre parler de cette disparition.
- Mes hommes s'occupent en permanence des chats domestiques qui disparaissent. Quand ils ne combattent pas l'Outremonde.
- Je suis certain que si l'on avait trouvé ce chat, vous pourriez l'apprendre facilement.
C'était un peu ridicule d'être ainsi à couteaux tirés pour ce satané matou...
- Bon, Goemon, tu vas aller prendre quelques nouvelles dans le palais. Et si jamais quelqu'un avait mis la main sur ce chat, tu l'amènerais ici, entendu ?
- Bien seigneur.
Goemon se leva de toute sa masse et sortit.