30-04-2010, 02:21 AM
DOSSIER #10<!--sizec--><!--/sizec-->
Résumé : Maréchal est à la clinique de la Vague Noire, en convalescence après avoir reçu une balle d'un tireur inconnu. Portzamparc vient de contacter le pirate de chromatographe Linus pour décoder les fichiers du commissaire Weid. Ensemble, ils échappent à l'attaque d'un tueur...
* * *
Maréchal se réveilla dans une douce lumière, qui, d’un coup, devint éblouissante, puis s’éteignit.
Il entendait le froissement des vagues sur le rivage. Il entendait des drapeaux claquer. Il entendait aussi des oiseaux marins et des enfants qui criaient sur le rivage. Le petite enfant qui sommeillait profondément en Maréchal aima ces bruits d’enfance lointaine et éternelle, mais l’adolescent et l’adulte Maréchal décidèrent d'en râler.
L’inspecteur s’assit ; il vit la porte de sa chambre s’ouvrir lentement, sans bruit. Par la fenêtre entrait une lumière dorée du soir, le vieux soleil sur l’ocèan noir. Une infirmière entra, jeune, charmante, avec un petit plateau. Elle lui sourit : « Vous êtes réveillé… Je venais pour vous faire une piqûre de vitamines. Il faut bien vous tenir en forme alors que vous ne mangez pas… »
Le ventre de Maréchal gargouilla, mais il y avait plus urgent :
- Vous n’auriez pas une cigarette ?
L’infirmière eut un petit rire. La naïve enfant, elle croyait à une plaisanterie !
- Je vais vous faire votre piqûre quand même, puisqu’elle est prête…
- Attention, poupée, je suis un policier. Si vous me faites mal, je vous fais coffrer !
- Je vous anesthésierai avant…
Du charme, du répondant, du caractère ! Et elle était belle comme une nuit d'ivresse ! Maréchal sut qu’il était au paradis !
*
Elle revint le lendemain, et le surlendemain. Bientôt, elle acceptait de lui allumer ses cigarettes. L’inspecteur avait demandé à retrouver son chapeau-feutre. Question de statut social ! Qui était-il sans son chapeau ? Un quidam, un anonyme... Le pékin moyen !...
A d’autres heures, Maréchal n’avait droit à aucune cigarette et devait retirer son chapeau. C’était le service de l’infirmière en chef. Une vieille à poigne, qui ne laissait rien passer. Elle auscultait, elle mesurait et elle caftait toute indiscipline au médecin-chef.
Tante Myrtille vint aussi, très souvent. Elle s’était refait un visage digne, après avoir passé des jours à pleurer, à parlophoner à Gérald tous les jours. Elle ne voulait pas se montrer ainsi, elle voulait être forte, être un bloc de granit, mais c’était trop pour elle… Elle voulait être tout pour Gérald et Antonin (qu’elle considérait un peu comme son second fils), mais elle savait que c’est eux qui étaient tout pour elle…
Elle venait faire son tricot. Elle disait qu’il fallait fermer ou ouvrir la fenêtre, faire attention aux courants d'air. Elle surveillait si la nourriture n'était pas trop chaude.... Elle sonnait l’infirmière. Si Maréchal dormait, elle restait quand même. S’il ne disait rien, elle faisait la conversation seule. S’il voulait des nouvelles de la Cité, elle courait acheter le journal. Elle lui faisait arriver aussi la revue interne de SÛRETÉ.
Maréchal suivait comme cela les méfaits successifs de la bande du Somnambule. Un petit braquage ici, une grosse attaque par-là... Une poursuite dans les hauteurs de la Cité, une interpellation de complices supposés, qui se terminait par une relâche. L’opinion publique effrayée et fascinée, les journalistes en ébullition, les juges de plus en plus crispés et les policiers à bout de nerfs. La brigade des rues n’avait jamais si bien mérité son nom, à cavaler entre ruelles, passerelles et avenues, à la recherche du moindre témoin. Mais il ressortait que le Somnambule n’était pas un criminel issu d’Exil. Il n’était pas lié aux différents groupes de malfaiteurs de la Cité. Maréchal le comparait à Gueule de Rat sur un point : un individu sauvage, indomptable, capable d’effrayer les bandits « ordinaires ». Un homme qui pousserait un voleur ou un escroc à faire appel à SÛRETÉ ! Un homme qui ne craint ni la justice ni la mort…
*
Portzamparc emmena Linus dans le quartier Galippe, une petite cité dortoir. Il prit un hôtel discret : une chambre pour lui et une pour Linus à côté de la sienne. Il lui ordonna de se barricader, de se débrouiller pour extraire les fichiers du chromatographe. Et il ajouta qu’il dormirait dans la chambre à côté et qu’il ne voulait pas être dérangé.
Linus sentait les 400 velles lui rester en travers de la gorge ! Portzamparc alla à la réception et en fit sortir le gérant gras et mal rasé. Il appela le numéro de Penthésilée. Elle ne répondit pas. Portzamparc attrapa son manteau, répéta à Linus de ne pas sortir et courut à la station de taxi la plus proche. Il fit appeler Corben, qui arriva dans l’heure. Portzamparc regardait sa montre nerveusement. Il s’installa à l’arrière et regarda le ciel, inquiet.
Le tueur arrêté à la déchetterie de Torvald avait parlé aux Pandores, qui avaient employé la manière forte pour ne pas faire attendre Portzamparc. Le passage à tabac avait été aussi rapide que brutal. Les prétoriens n’avaient pas eu de pitié avec le tueur. Ils lui avaient cassé une jambe, peut-être plus. Quand Portzamparc partait, il entendait les policiers appeler une ambulance.
Le ballon se posa dans un quartier automatisé et amovible, Rotor 7. Des entrepôts alignés entre des voies pavées. Corben avait déposé son passager sur un toit. Portzamparc lui avait emprunté une corde. Il passa quatre toits ondulés et s’allongea sur le suivant, avec une vue sur une bicoque en tôle en contrebas, entre deux dépôts d’engins de chantier. Il avait encore donné un pourboire à Corben pour que ce dernier passe un coup de fil.
Le pilote arrivait en sifflotant dans un bistrot, pendant que le policier grelottait sur son toit. Corben prit une pièce pour la cabine de parlophone et dut crier plusieurs dans le combiné pour se faire entendre.
- Allô ! oui… je vous appelle comme qui dirait de la part d’un ami… Il m’a dit de l’appeler « Jeff », que vous comprendriez…
A l’autre bout du fil, une voix mécanique au timbre féminin.
- Je – vous – re-mercie…
On raccrocha. Corben haussa les épaules et alla prendre un petit blanc. Portzamparc était blotti dans son manteau ; il reniflait, et fixait son regard sur la petite vitre fumée, derrière laquelle dansait une flamme qu’il voyait floue. C’était entre ces murs que devait se cachait une partie de la bande du Somnambule. Si Corben avait bien fait son travail, notre policier devait recevoir du renfort d’ici peu.
Il était en train de vérifier son arme quand il vit, sur le toit d’un entrepôt d’en face, l’androïde arriver. Le gynoïde plutôt… La voleuse la plus célèbre d’Exil, échappée d’on ne sait quelle usine de pointe. Portzamparc voulut faire signe à Penthésilée.
Celle-ci tourna un bref moment la tête vers lui et continua sur le toit. Il y eut du mouvement dans la planque des bandits, et soudain, le robot propulsa de son bras un grappin qui s’accrocha à un lampadaire au-dessus de la fenêtre et elle se jeta dans le vide, puis, son filin se balançant, elle passa à travers la fenêtre qui vola en éclats. Le policier n’en croyait pas ses yeux ! Il courut sur le toit et s’accrocha à la gouttière pour descendre. Il avait heureusement ses gants, qui chauffèrent contre le métal. Il se reçut et courut sur le pavé, l’arme à la main. A l’intérieur, on entendait les bruits d’une castagne d’enfer ! Les grincements métalliques de Penthésilée et les heurts des bandits. Portzamparc craignit le pire pour son alliée mécanique. Quand il rentra, il vit les hommes du Somanmabule prendre la dégelée de leur vie ! Les meubles cassés, une armoire enfoncée, les hommes se tordant à terre, on se serait cru en fin de soirée dans une taverne sur Autrelles !
Penthésilée finissait d’assommer un des rustauds. Elle se redressa, salua Portzamparc de la main et enjamba la fenêtre. Elle envoya son grappin et remonta sur le toit.
Portzamparc n’avait plus qu’à se servir ! Cinq braqueurs sur un plateau d’argent ! Il ficela cette brochette de perceurs de coffres. Le vigile de l'entrepôt d’à côté arrivait. Le policier lui ordonna d’appeler le quai des Oiseleurs. Les hommes de la brigade des rues arrivèrent une heure après. L’inspecteur Lanvin était à la tête d’une dizaine d’hommes, et mit du temps à comprendre ce qui s’était passé ici. Portzamparc n’avait pas laissé son nom au vigile. A la description que celui-ci fit, Lanvin crut quand même reconnaître son ancien stagiaire. Et quand un des bandits cracha qu’ils avaient été attaqués par un androïde féminin, Lanvin éclata de colère et emmena aussi le vigile pour obtenir des explications en règle !
*
Portzamparc était de retour à son hôtel. Linus dormait devant son chromatographe. Le policier ne le réveilla pas. En revanche, il tira le gardien de nuit de son sommeil et lui dit d’aller s’assoupir ailleurs. Portzamparc prit ensuite le parlophone et demanda Hadaly 20-52.
Ce fut le petit gros qui répondit cette fois.
- Nous avons commencé à nous renseigner… Mais il faudra bien qu’un jour vous justifiiez que le Somanmabule soit une menace pour nous…
- J’y viendrai.
- En attendant, sachez que nous avons fait jouer des contacts à nous. Celui qui a tiré sur votre collègue pourrait être un tueur à gages du nom de l’Aiguille. Il y a deux semaines, le Somnambule a dîné avec lui…L'Aiguille coûte cher mais -habituellement- il ne rate pas sa cible.
- L’Aiguille, vous dites ?
Une idée commençait à germer dans la tête du policier quant à ce tueur. Il allait lui réserver ce qu’on appelle chez les chasseurs polaires « une ruse à froid », celle qui vous surprend totalement, sans que vous soyez « chaud » pour l’affronter !
*
Le lendemain matin, Linus était au travail, une tasse de café à la main. Portzamparc prenait une douche froide. Il pensait à sa femme, qu’il ne pouvait appeler, étant encore officiellement en stage. Il s’habilla et alla voir le pirate rouquin.
- J’ai découvert un dossier bien crypté. Il va vous intéresser je pense…
- Tu as lu ce fichier ? fit Portzamparc d'un air détaché.
- Non, je l’ai seulement fait décrypter par mon séquenceur… Pendant des heures, j’ai…
- Bien, interrompit le policier, tu iras loin.
Portzamparc prit le chromato, alla dans sa chambre et ouvrit le fichier. Lentement, les aiguilles de l’écran affichèrent le texte, avec un bruit de petite machine à coudre.
Il y avait d’abord des papiers officiels pour « couvrir » Maréchal et Portzamparc pendant leur stage. Et dans une seconde section, le dossier de l’enquête du commissaire Weid sur le professeur Heindrich. Entre autres informations, Portzamparc lut les noms des victimes des expérimentations de ce professeur. Une partie du document restait cryptée ; Linus n’avait pas pu encore la décoder.
- Tu te remets au travail, gamin, et moi je vais passer un coup de fil.
Portzamparc alla au bistrot du coin et se fit servir un œuf, des saucisses et du café. Il glissa la pièce au serveur pour qu’il monte la même chose à Linus. Le policier profita d’une cigarette pendant que CONTRÔLE demandait une communication avec la clinique de la Vague Noire. Le parlophone sonna enfin dans le bistrot ; Portzamparc écrasa sa cigarette et se leva. L’infimière arrivait dans la chambre de Maréchal avec le combiné sur un plateau. La vieille infirmière finissait pendant ce temps une piqure à la fesse de l’inspecteur. Ce dernier décrocha pendant qu’on lui mettait un pansement au postérieur. On lui avait tiré à la tête, pourquoi on lui faisait une piqûre ailleurs !
- Ici Maréchal, j’écoute…
Portzamparc prit de ses nouvelles. Maréchal expliqua qu’on lui avait recousu la gorge et qu’il avait encore du mal à parler. Il ne devait pas garder de séquelles graves, hormis une cicatrice du plus bel effet comme même les militaires n’en ont pas !
Le détective raconta en deux mots l’arrestation des cinq complices du Somnambule puis il donna à Maréchal les noms trouvés dans le dossier de Weid. Maréchal fronça les sourcils et dit qu’il allait y réfléchir.
- Je vais appeler Herbert à tout hasard, s’il peut nous dire des choses sur ce Heindrich et ses victimes.
- D’accord, bon courage Jean-François.
Maréchal raccrocha, troublé. Il avait d’un coup sommeil. Il demanda à rester seul. Le nom de Heindrich lui trottait dans la tête, obstinément.
*
De l’hôtel, Portzamparc appela Herbert et lui donna les noms. Herbert grommela vaguement que ces noms ne lui rappelaient pas grand’chose. Portzamparc insista, menaçant de venir voir le petit chauve directement s’il n’était pas plus loquace !
De guerre lasse, Herbert admit que l’un des noms lui disait quelque chose : Josef Kassan.
- Et il vous dit quoi ce nom ?
- Il me dit qu’il était chez le professeur Heindrich ce type-là !
- Avec vous et Maréchal ?... Ne me mentez pas, je le sais… Maréchal m’a dit…
- Oui, oui, il y était…
Maréchal, lui, était parti dans ses souvenirs. Il revoyait les souterrains et les conduits près de la Cité Machine, ce soir où pour impressionner Nelly il était parti seul. L’entrée du Halo, la lumière blanche, aveuglante, et la silhouette sinistre de cet homme en habits de cuir moir serré, une longue robe et des yeux de glace. Heindrich ! Oui, c’était lui ! Heindrich !... Le tortionnaire qui dirigeait ce complexe secret où Maréchal s’était fait emprisonner !
Ensuite, des images de sa détention. Des gamins qui crient. Des poulis, chaînes, crochets, leviers, manipulés dans des grincements sinistres. La cellule en face de celle de Maréchal, avec un gamin qui hurle au moment ou on l’emmène. Dans ce repaire, il devait y avoir Herbert, l’assistant de Heindrich. Maréchal ne le revoit pas directement. Les silhouettes s’entremêlent, les visages, corps et textures des murs. Des traces de sang, une herse qui se ferme.
Maréchal pleure dans sa cellule, obnubilé par les barreaux de sa cellule. Il veut revoir Nelly. Il veut serrer sa main à nouveau. Mais il ne veut pas revenir comme un gamin qu’elle va gronder. Il va être un homme, et il va revenir pour lui demander sa main !... Oui, il va l’épouser !
En face, le gamin pleure. Plusieurs fois il a été emmené voir le professeur. Maréchal ignore quel sévice il a subi. Lui-même a été oublié depuis longtemps. Il n’a presque pas rencontré Heindrich. Un être vil et décérébré vient lui porter à manger.
Maréchal étouffe. Il serre les barreaux de sa cellule. Il est dans une colère noire. Un jour, les barreaux s’écartent ! Et tout bascule comme s’il était à l’intérieur d’une boite. Le sol passe au plafond, les murs se renversent. Maréchal est seul dans le couloir en pente qui tangue. Il court, un mur s’souvre comme si c’était un passage secret. Il traverse un tunnel et arrive dans le labyrinthe des conduits métalliques géants. Le vacarme de la Cité-Machine. Il est libre ! Libre !...
Il se réveille en sursaut.
L’infirmière est là avec le parlophone. Portzamparc est au bout du fil.
- J’ai un nom pour vous.
- Josef Kassan, s’exclame Maréchal.
- Euh oui, comment vous le savez ? Herbert vous a appelé ?
- C’est le nom d’un gamin qui était « là-bas » !
- C’est le nom qu’Herbert m’a donné…
- Les grands esprits se rencontrent, conclut Maréchal.
- Au moins, ce faux-jeton de Herbert ne m’a pas menti…
Maréchal a soudain un coup au cœur. Il fait signe à l’infirmière de sortir. Portzamparc lui demande ce qui se passe.
- Ecoute, Jeff… Tu es bien assis ?
- Ma foi, oui !
- Allume-toi une cigarette et écoute !
- C’est fait…
- Je me suis souvenu de la tête de Josef Kassan… Un grand gamin maigre… Ce Kassan, Portzamparc, je mets ma main à couper que c’est le Somnambule en personne !
- Vous rigolez !
- Ma main à couper, Jeff ! Un grand maigre, victime des expérimentations sadiques du professeur Heindrich ! Le Somnambule en personne !...
Maréchal est tout excité et effrayé en même temps. Il a vécu avec Josef Kassan pendant plusieurs semaines. Il devait y avoir aussi Herbert, et Horo, le Passe-Muraille. Et lui Maréchal est resté du bon côté de la loi, alors qu’eux sont devenus des criminels… Sauf Herbert à cause de son amnésie. Mais Herbert avait continué, sur ordre de Horo, à utiliser des machines sûrement construites par Heindrich !...
Et ensuite, Herbert qui s’acoquine avec le Somnanbule ! Le Somnambule qui parvient à son tour à se soumettre Herbert ! Et Maréchal qui délivre ce tueur aux dons de prescience !
Fatigué, Maréchal souhaite bien du courage à Portzamparc.
- Reposez-vous bien.
Portzamparc remonte dans sa chambre. Il jette un œil par la porte de communication chez Linus : ce dernier s’est endormi sur son travail. Par la fenÊtre, le policier voit alors deux hommes en imperméables qui montrent leur plaque au gérant de l’hôtel et qui montent les escaliers.
Portzamparc prend son arme et la glisse à l’arrière de son pantalon. On frappe à sa porte. Il ouvre. Les deux hommes montrent leur plaque :
- Je suis l’inspecteur Jonson, et voici mon collègue le détective Jonson. Détective de Portzamparc, nous avons plusieurs questions à vous poser concernant votre stage à la police judiciaire.
Portzamparc ne dit rien et met son manteau. Il a reconnu les plaques : c’est l’inspection des services de police, autrement dit OBSIDIENNE... La police d’Etat qui fait presque autant trembler les honnêtes gens que les criminels.
Le policier ne réveille pas Linus, ne montre pas qu’il le connaît et il suit les deux Jonson dans leur voiture à cheval.