26-07-2010, 12:31 AM
(This post was last modified: 26-07-2010, 03:25 AM by Darth Nico.)
EXIL #11<!--/sizec-->
LA CITÉ DE LA MÉMOIRE<!--/sizec-->
SHC 2 - RUS 4 - IEI 3
LA CITÉ DE LA MÉMOIRE<!--/sizec-->
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Les policiers de surveillance du Klob cernèrent méthodiquement le quartier, puis les Pandores prirent d'assaut la rue où gisait à présent le détective Garman. Personne n'opposa de résistance en face. Les concierges et les locataires se replièrent chez eux, les clochards, avertis comme des animaux qui sentent venir un tremblement de terre, avaient déguerpi par les passages étroits qui menaient au bloc voisin.
La brigade des rues fut vite appelée. Elle arriva en renfort avec l'inspecteur Lanvin à sa tête, et Portzamparc accroché au marche-pied de la voiture bondé de flics armés. Voiture qui déversa les hommes de SûRETÉ, qui s'attendaient à une journée difficile. Un cessez-le-feu avait été passé il y a plusieurs années avec le Klob. Les criminels étaient invités à venir y régler leurs comptes entre eux, sans déranger les honnêtes citoyens, c'était du travail en moins pour la police. L'entrée de Garman dans ce quartier était pratiquement une violation de territoire. Une déclaration de guerre.
Lanvin en était conscient, c'est pourquoi il voulait agir vite avant le début des émeutes. Garman avait été tué vers 6h30, heure à laquelle les criminels, ces noctambules, sont encore au lit. Mais ils allaient se lever du mauvais pied, et avant la mi-journée, le Klob allait entrer en ébullition. Il serait très difficile d'empêcher des renforts d'arriver d'ailleurs... Lanvin n'osait pas y penser. Pour le moment, il allait devoir coordonner l'action des différents services, eux-mêmes en état de guerre larvée (Pandore, Sureté, vieilles histoires...) Il avait une petite guerre civile à étouffer dans l'oeuf ! C'était lourd, même pour ses épaules tannées par les gilets pare-balles !
Pour ne pas perdre de temps, il avait envoyé en première ligne son détective le plus audacieux, Jean-François de Portzamparc ! Celui-ci entra tête baissée dans le Klob, alors que des poubelles commençaient à voler à l'autre bout du quartier. Il n'avait que très peu de temps pour amasser des informations. De plus, le tueur qui avait eu Garman pouvait être tenté de se payer un deuxième policier pour bien continuer la journée.
Portamparc arrivait en tenue de combat, épaulé de deux gros Pandores habitués aux émeutes violentes. L'un d'eux resta près du corps de Garman, faisait signe à trois collègues d'avancer. Il alla se mettre à l'abri d'un porche et surveilla les fenêtres. Portzamparc s'était mis un peu plus loin dans une épicerie. La petite vieille patronne tremblait derrière son comptoir. Les Pandores attrapèrent plusieurs concierges et leur intimèrent l'ordre de dire, vite et bien, ce qu'ils avaient vu. Portzamparc suait sous sa combinaison. On comptait vraiment en minutes avant de ne plus pouvoir opérer sans avoir à repousser des émeutiers.
Les Pandores ressortirent d'une blanchisserie grisâtre et crièrent le bâtiment et l'étage d'où le tir, selon trois témoins qu'ils venaient de secouer, était parti. Portzamparc courut hors de l'épicerie. Des canettes volaient, des couvercles de poubelles. C'était des malfrats qui sortaient d'une ruelle. Du bout de la rue, en arrivaient d'autres, de forts gaillards, la "police" du quartier, qui n'étaient que matraques, balafres et révolvers !
Portzamparc entra dans un hôtel qui occupait les trois premiers étages d'un immeuble que SANITATION aurait fait fermer sur le champ, avec ses fuites de gaz, le charbon qui imprégnait les murs et ses cafards qui tapissaient le sol et le plafond. Le détective avait ses deux Pandores avec lui. Ils défoncèrent la porte de la chambre et firent le tour : encore des affaires dans un placard, une brosse à dents, le feu pas éteint.
- Ils viennent de détaler...
Portzamparc regarda par la fenêtre : on voyait parfaitement le corps de Garman, le coup de feu avait tout à fait pu être tiré d'ici. Ils montèrent au grenier. Ils trouvèrent une petite fenêtre ronde ouverte, par laquelle on accédait aux toits. Chemin de fuite aisé, tout tracé.
Il y avait deux autres fenêtres sur le mur d'en face. Une était sale, l'autre avait été nettoyée. Une lunette astronomique, démontée, était posée sur le rebord. Portzamparc regarda et vit que c'était un observatoire parfait pour surveiller une banque Margannes.
Il restait déçu, les tueurs avaient eu le temps de partir. On entendit alors un éternuement étouffé. Il venait d'un coffre posé dans un coin poussiéreux. Les policiers braquèrent leurs armes dessus. Portzamparc approcha doucement. Il ouvrit le coffre d'une main. Grincement. Il faillit recevoir un coup de pied. Un gros homme se débattait dedans, bâillonné, le crâne en sang. Les Pandores s'y mirent à deux pour le sortir de là. Portzamparc reconnut un des Scoviens de la bande du Somnambule. Il était furieux de revoir Portzamparc. Ce dernier était au contraire ravi.
- Tiens, tu sais que ça va me dégoûter de parler à une ordure comme toi, mais pas autant que d'aider à coincer ce salopard de Kassan...
- Magnifique, je t'écoute.
Ce n'était pas le moment pour un interrogatoire officiel. Le Scovien en voulait à mort au Somnambule. C'était ridicule en même temps : ils s'étaient enfuis juste après avoir tué Garman, mais lui, le Scovien, ne passait pas par le vasistas du grenier ! Le Somnambule avait trouvé plus pratique de l'assommer !
Portzamparc dut se retenir de sourire. C'était aussi un soulagement : le Somnambule, dans la précipitation, avait commis une erreur, celle d'abandonner un de ses hommes.
- Bon, que prépare-t-il à présent ?
- Je suis bon pour aller pelleter de la caillasse, maintenant ?
- Oui. Reste à savoir combien de temps.
Le Scovien soupira. Il était entré dans la bande du Somnambule pour l'aventure et l'excitation du danger. L'idée d'aller finir ses jours au Château lui était intolérable. On le sentait d'un coup dégonflé. On devinait d'un coup, fugitivement, qu'il était le genre d'hommes à se pendre dans sa cellule, ou à tenter le coup à la nage, plutôt que de supporter l'emprisonnement et la discipline.
*
Portzamparc ressortit du Klob aussi vite qu'il y était entré. Lanvin terminait d'enfiler son équipement. Il allait devoir mener les troupes pour un assaut de groupe. Des coups de sifflets retentissaient déjà, et dans les ruelles, les habitants s'armaient, les plus faibles détalaient, les plus têtes brûlées se postaient en première ligne pour abattre du policier.
Lanvin écouta d'une oreille ce que Portzamparc avait appris. Les Pandores faisaient monter le Scovien dans une voiture. Avec ce qu'il avait dit, il avait gagné une bonne journée et une nuit au Quai.
- Qui a tué Garman selon lui ?
- Il dit que c'est le Somnambule.
- Et leurs projets dans l'immédiat ?
- Encore quelques banques à braquer, selon le Scovien, et ils veulent quitter Exil.
- Les cinglés, soupira Lanvin.
- Je pense que le Somnambule commence à faire le ménage dans sa bande. Il n'emmènera pas de poids mort.
Un Pandore criait que des barricades se formaient dans les rues. On ne pouvait plus attendre. C'était d'autant plus rageant que cette attaque serait inutile, mais il fallait la faire. On ne pourrait pas dire aux juges, aux journalistes, à l'opinion, qu'on avait effectué aucune rafle après la mort d'un policier.
- Ecoute, tu as l'air de tenir une piste. Tu ne lâches rien, et on en reparle quand on a réglé le bordel ici, d'accord ?
- Bien, chef !
Portzamparc serait bien aller casser du voyou mais il était trop pressé de mettre la main sur le Somnambule. C'était une fascination, le charme magnétique de cet homme maigre, aux cheveux gris, d'aspect sinistre. Il rentra au Quai des Oiseleurs et s'installa avec sa prise du jour dans la cuisine de la brigade. Ils allaient être bien pour causer, les bureaux étaient vides, tout le monde était au Klob.
- La banque Margannes, donc... Et ensuite ?
- Je ne sais pas...
On imaginait assez facilement le Scovien en contremaître ou en maçon, père de famille prospère, dur et bon enfant à la fois avec ses employés. Seulement, il avait embrassé une voie qui le mettait à jamais à part de la société.
- Qui a tiré sur le policier ?
- Le Somnambule je vous ai dit.
- Il a décidé tout de suite de tirer ? Il ne lui a laissé aucune chance ?
- Non.
- Il ne lui a laissé aucune chance de repartir ?
- Non !
- C'est toi qui a insisté ?
- Non, moi je m'en foutais !
- Le Somnambule est un type incapable d'avoir les idées confuses. Il a la tête froide. Il n'aurait pas tiré sur un policier. Il est trop intelligent. Qui a tiré ? Je connais les noms de chacun de vous...
- Tu es une fripouille pire que nous, Portzamparc.
- C'est pour ça que je vais finir par coincer Kassan.
- Je ne sais pas comment ça c'est passé...
- Vous vous renseignez depuis longtemps sur la banque Margannes ?
- Tu ne veux plus parler de ton collègue maintenant ?
- Chaque chose en son temps. La banque.
- Le Somnambule a appris des choses sur des employés. C'est son don de vision, tu sais...
- Je te sers un café ? Un sucre ?
- Deux sucres.
- Alors, qu'a-t-il appris ?
- Comment les faire chanter. Deux d'entre eux ont des secrets trop lourds à porter.
- Et finalement, qui a tiré sur le policier ?
- Oh, arrête !... Si on ne peut pas discuter sérieusement !...
Portzamparc prit un calepin :
- J'écoute attentivement.
Le détective noircit deux petites pages et remercia le Scovien. Il le fit reconduire à sa cellule. Il était 12 heures, il avait encore le temps d'aller voir les deux victimes du chantage de Kassan.
*
- Un petit blanc sec, pour un convalescent...
Maréchal usait ses coudes de manche dans le même bistrot depuis une semaine. Il avait encore de sacrés torticolis, donc il ne déviait pas le regard de son verre. Il avait même du mal à le lever.
- A votre santé !
Le garçon essuyait ses verres d'un air pénétré. Le coup de feu de la mi-journée venait de se terminer. Il y aurait trois heures de calme avant les premières sorties de bureau.
- Dur métier que le vôtre, inspecteur...
- Je ne vous le fais pas dire, mon brave !
- J'ai le cousin de mon beau-frère qui a fait toute sa carrière dans les Pandores, je peux vous dire qu'il était content quand il est parti à la retraite. Depuis, il ne se tourne pas les pouces, oh non ! Il travaille comme gardien au palais de justice, mais il en a drôlement bavé.
- Buvons à sa santé !
- C'est sûr que vous autres de SÛRETÉ, on sait tous que vous bossez pour nous...
- La population a confiance en nous, dit Maréchal d'un air assuré.
Il vida son verre, et eut des étoiles devant les yeux.
Il se dit qu'il devait se modérer, car Nelly l'avait invité à l'opéra pour le lendemain soir. Il devrait arriver frais... Commencer dès aujourd'hui à limiter sa consommation... Elle se vexerait encore, sinon... Les femmes et les beaux-arts...
- Remette-moi un verre de ce Côte des Roches Blanches...
- Il est bon, hein... J'ai le cousin par alliance du fils du beau-frère de ma femme qui travaille dans une serre de vignoble. C'est un cru que les gens de goût savent apprécier. On peut le boire à table ou en dégustation.
Maréchal but, imagina la serre, et la vit remplie de Scientistes ivres morts dans les vignes.
Il resta encore un moment. Ce fut un temps vide, mort. Les trois habitués étaient à leur table. Ils attendaient que ça se passe, comme si c'était un métier. Si on leur enlevait leur verre, leur table, leur journal hippique, ce serait comme une déchéance pour eux !
Le garçon était à la cuisine quand Maréchal vit entrer un homme, vision qui lui fit douter de la qualité du cru qu'il dégustait. Le commissaire Weid !
Sa barbiche poivre et sel, ses yeux cernés, durs, surmontés de sourcils épais. Ses quelques poils aux mains.
Il vint s'asseoir sur le tabouret à côté de l'inspecteur. Le bistrot était presque vide. Maréchal loucha sur son verre.
- J'ai appris que votre convalescence se terminait bientôt...
- Encore quelques jours, dit Maréchal après avoir dégluti.
Weid alluma une cigarette. Maréchal vit double, il dut fermer les yeux. Le rapport d'OBSIDIENNE qui affirmait que le commissaire était mort il y a quarante ans... Mais la signature de Weid sur la demande d'intégration de Portzamparc comme stagiaire.
Maréchal voyait la cendre disparaître avant de toucher terre...
- J'aimerais vous voir reprendre la tête de la Brigade Spéciale.
Weid s'était accoudé. Il regardait autour de lui, comme une habitude de surveiller. Le garçon sifflotait dans la cuisine. Les poivrots ne faisaient pas attention aux deux hommes assis au comptoir.
- Moi ?... Mais...
- Officieusement s'entend... Vous n'aurez pas le grade de commissaire. Vous en aurez le travail...
- Qui alors ...?
- Vous vous souvenez je pense du commissaire Ballin ?
L'ivrogne de Mägott-Platz. Maréchal ne l'avait jamais connu sobre. Il était parti en cure lorsque Horson était arrivé. Avant, c'était pendant presque dix ans que l'inspecteur Novembre qui avait abattu la besogne et dirigé l'équipe.
- Ballin est sorti de cure, mais sa convalescence sera longue. Je vais m'occuper des papiers, ne vous en faites pas.
Comment Weid allait-il s'introduire dans les rouages d'ADMINISTRATION pour réussir une telle supercherie ?... Maréchal ne préférait pas y penser.
- Vous reprendrez un local à Névise. Malgré l'incendie, vous devriez pouvoir retaper les bureaux. Et vous recruterez des collaborateurs. Vous aurez les tampons de Ballin. A vous de les appliquer sur le dossier des bonnes personnes.
- C'est une responsabilité énorme...
- Vous avez le cran, le culot pour réussir.
Maréchal ne savait plus bien quoi répondre. Quand le garçon revint, Weid était parti, comme un courant d'air.
*
Portzamparc se rendit chez Luthin Carpangol, un garçon de recette de la Margannes, le premier des deux noms donné par le Scovien. Le brave employé aimait le jeu. Il transportait tous les jours des sommes considérables ; or, il n'avait jamais pris une velle dedans, sachant trop bien que le larcin ne passerait jamais inaperçu. Pour financer son passe-temps, il avait choisi de "hâter" la mort de sa grand-mère, de laquelle il attendait un confortable héritage. Portzamparc était passé rapidement à la Brigade des Jeux ; ils avaient une fiche sur Carpangol, qui était un malchanceux mais pas un malhonnête. Le Somnambule avait suivi plusieurs fois des employés de la banque. Déguisé, il était même rentré une fois dans l'établissement. Ses facultés de divination lui avaient permis de sonder les esprits et les coeurs. Il avait découvert le crime du garçon. Dès lors, ce dernier était acculé. Il avait fourni des informations au Somnambule, des codes, des horaires de garde.
Portzamparc monta chez lui après avoir montré sa plaque à la concierge.
- Vous avez un papier pour fouiller chez lui au moins ? C'est un brave garçon !...
- Vous pourriez vite changer d'avis à son sujet.
- Un banquier voyons !
- Un banquier qui aime l'argent, madame...
Il n'en dit pas plus, la laissa maugréer et se plaindre à la voisine laitière et referma la porte de l'appartement. Ce n'était pas très grand.
- Comment tu dis qu'il a tué sa grand-mère ?
- Le Somnambule n'a pas dit exactement. Je crois qu'il a forcé la dose d'un médicament. Demandez à un pharmacien !
Portzamparc vida l'armoire à pharmacie. Il y trouva des comprimés pour soulager les douleurs, d'autres qu'il ne connaissait pas. Il y avait quand même un grand nombre de boîtes de gélule d'un seul type, censés soulager le coeur. Le détective passa dans la chambre. Il regarda sous le lit, sous le matelas. C'est dans le tiroir de la table de nuit qu'il découvrit ce qu'il cherchait : un double-fond, contenant des lettres sur du papier de mauvaise qualité, à base de champignon. Une écriture grossière, avec des tas de fautes. Des menaces claires, directes, qui prenaient un tour incongru mais pas moins effrayant à cause de cette orthographe.
- Il est là-haut, oui... Je lui ai dis, hein, monsieur...
La concierge.
- Que faites-vous chez moi ?
C'était un jeune homme fluet, à qui le costume de digne employé n'allait pas. Il flottait dedans. Il essayait de se donner une contenance tandis que Portzamparc le regardait sans sourciller.
- Pourquoi ne pas venir vous asseoir, monsieur Carpangol ?... La journée n'a pas été trop difficile ?
Portzamparc s'appuya d'une jambe sur la table et le regarda poser son manteau, sa sacoche. Il essayait de garder une attitude empressée, énervée. Il n'en aurait pas pour bien longtemps à craquer.
- Si vous nous serviez un bon café ? J'ai vu que vous en avez dans votre placard... J'ai le même moulin chez moi.
L'autre était troublé par ces paroles amicales dites sur un air menaçant. Il s'assit, lâché par ses jambes.
- Que me voulez-vous ?
Portzamparc lui jeta la poignée de lettres. L'autre les attrapa et les serra. Les larmes lui montaient aux yeux.
- Je ne comprends pas comment il a pu...
- Vous voulez dire parce qu'il n'y avait pas de témoin ? Juste mamie et vous, hein ?... Vous avez touché combien ?
De grosses larmes coulaient. Il était pris de hoquets.
- J'ai presque tout... perdu...
Portzamparc continua à le toiser sévèrement.
- Bien, je vais vous expliquer en deux mots. Vous êtes tombé pour votre malheur sur le criminel le plus dangereux de la lune. Quelqu'un de très bien informé, qui a pris sous son chantage plusieurs personnes...
- A la banque ?
- Oui. Vous n'êtes pas le seul à cacher de vilaines choses. Je crois toutefois que c'est vous le pire...
- Oh non...
Il ne simulait pas. Portzamparc jugea qu'il avait suffisamment enfoncé le garçon et il dit :
- Comme je doute que ce criminel veuille un jour témoigner contre vous, je crois qu'il vous reste un espoir...
- Quoi ?
- Pour commencer, vous allez faire ce qu'il vous dit. Vous ne changez rien. Nous ne voulons pas l'alerter, n'est-ce-pas ?...
- Non, non !
- Deuxièmement, vous préviendrez la police quand vous saurez quand il va s'attaquer à votre banque.
- Et ensuite ?
- Ensuite, vous repenserez à votre grand-mère et verrez si cela vaut la peine de continuer à jouer...
Portzamparc alluma une cigarette. Il n'allait pas attendre que le café soit moulu !
Il prit son manteau et glissa le numéro du Quai à Carpangol.
- Nous attendons de vos nouvelles pour très bientôt.
Ouf ! Le plus dur était fait !
Une bonne bière au bistrot du coin et en avant chez la deuxième victime. Son histoire était plus romantique. Un ancien militaire qui officiait comme gardien de nuit à la Margannes. Il avait fait un enfant à une duchesse. Celle-ci avait renié ce bâtard, c'est lui qui s'en occupait, prétendant que la mère était morte en couche.
Portzamparc vit aussitôt que le père était un brave gars. Il avoua aussitôt. Il raconta. Il était tombée sur une mondaine égoïste, dénuée d'instinct maternel, qui ne lui versait aucune pension pour l'enfant. Un médecin, stipendié par la famille noble, avait fait accoucher la mère en secret.
- Vous trouvez que c'est normal pour un homme, d'élever seul un petit ? Avec moi, quel avenir il a ?... Quand je pense qu'il pourrait dormir dans un berceau doré...
- Je pense que vous êtes honnête, mais... pourquoi ne pas menacer de révéler publiquement qui est la mère ?
- Non, je ne veux plus jamais avoir le moindre contact avec cette... cette traînée en robes sur mesures ! Et j'ai mon honneur. Sans parler que je perdrais ma place. Les patrons ne me pardonneraient pas de m'attaquer à une personne de leur monde...
- Bien, je comprends. Vous perdez votre place si on apprend de qui est l'enfant.
- Oui...
- J'ai juste besoin de votre aide pour arrêter votre maître-chanteur.
Il passa le même accord qu'avec Carpangol, mais ce fut sans douleur. Portzamparc ne voulait que l'aider. Il finissait sa journée, content. Il avait gagné deux informateurs. Restait à croiser les doigts pour que le Somnambule n'ait pas une prémonition quant à cela.
Portzamparc retrouva sa femme, qui lui dit que Maréchal avait appelé.
- Il a dit que c'était important.
Etonné, le détective ne prit pas le temps de manger. Il dit à sa femme de ne pas l'attendre.
- Je le savais, dit-elle. Du coup, je sors avec des amies... Il y a des soldes nocturnes au Baz'Mo. Je vais te trouver de nouvelles chaussures.
- Très bien.
Portzamparc retrouva l'inspecteur dans le bistro fréquenté par les gens du quai des Oiseleurs.
Il dut avaler d'office un second verre quand Maréchal lui eut parlé de sa rencontre de l'après-midi.
- Et il a dit que nous devions donner notre réponse assez vite...
- Dans quelques jours, j'aurai mis le Somnambule sous les verrous. Une bonne fin de stage.
Maréchal siffla d'admiration :
- J'offre un verre au futur "tombeur" de l'ennemi public nº1 !
- Et moi, si je lui passe les menottes, j'emmène ma femme sur la côte !
Maréchal, lui, c'était bien simple, détestait l'océan, le sel, le grand air et la marine !